QUIRIGUA, AUTEL DU ZOOMORPHE P (AUTEL P

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QUIRIGUA, AUTEL DU ZOOMORPHE P (AUTEL P
Jean-Michel Hoppan,
C.N.R.S. / laboratoire "Structure et dynamique des langues" (SeDyL/UMR8202)
été 2015
Notice sur l’inscription du plat K6080 1
Petén (Guatemala), maya classique, début du Classique récent (vers 600 AD)
Photographie de Justin Kerr,
dans ZENDER 2000:1039, Fig. 2
Redessiné d’après ZENDER 2000:1039, Fig. 2
Publiée en 2000 dans le Volume 6 du corpus photographique de poteries mayas réalisé par
Justin Kerr, la grande assiette polychrome K6080 n’a pas été découverte par des
archéologues. Elle est ainsi de provenance "inconnue" mais, toutefois, elle apparaît comme
étant caractéristique d'une variété de céramiques appartenant au type dit "Saxche Orange
Polychrome" par les archéologues, produite dans la région de Tikal (c’est-à-dire dans le nordest de l’actuel département guatémaltèque du Petén) à l’époque du 22ème roi 2. Lors de sa
publication, ce plat était conservé au musée d'art céramique Gardiner de Toronto (Ontario,
Canada), où il était inventorié sous le numéro G83.1.120.
Le collier avec pectoral ainsi que l’aile (semblable à celle d’un quetzal, dont l’ossature serait
une gueule de "dragon") que porte la figure peinte à l’ocre rouge et aux traits noirs sur
l’engobe blanc crème recouvrant l'intérieur de l’objet, évoquent la dite "divinité Oiseau
Principal". Celle-ci est l’aspect aviaire du "dieu D", qui figure Itsam sous la forme d'un
1
Cette dénomination signifie que la photographie de l’objet est enregistrée sous le numéro 6080, dans le corpus
d’artefacts mobiles mayas de Justin Kerr : http://research.mayavase.com/kerrmaya.html
2
En termes de céramologie, ce type de plats s’inscrit dans le dit "complexe Ik", qui lui-même appartient à la
sphère céramique appelée "Tepeu" par les archéologues, datée de la période classique récente. Les céramologues
mayanistes dénomment sphère un ensemble de types céramiques similaires, qui fut largement diffusé sur
plusieurs régions à une période donnée : la sphère Tepeu est en l’occurrence distinctive du Classique récent
(entre les VIe et Xe siècles), la sphère Tzakol du Classique ancien (entre les IIIe et VIe siècles) et la sphère
Chicanel du Préclassique récent (entre le IVe siècle avant J-C. et le IIIe siècle après).
1
"dragon-oiseau". Cela dit, les traits de son visage s'apparentent là plus à ceux d'un "jaguar de
l’inframonde", portant au front une effigie du "dieu bouffon" Hunal et dans sa coiffure la
variante T535 / AM4 (soit le signe de l’"enfant (d'homme)") du logogramme générique de la
fleur NIK/NICH 3, laissant à penser qu’il s’agirait plutôt d’une contrepartie nocturne de
l’astre diurne et donc d’une manifestation obscure du soleil.
Autour de cette figure, l’inscription qui en négatif se détache en blanc crème et traits noirs sur
le fond peint à l’ocre rouge au bord du plat est composée de 22 glyphes, disposés en un
bandeau annulaire. Face au menton de la figure centrale, un des éléments de cette inscription
(le glyphe 1) permet plus particulièrement de l'identifier comme appartenant au type d'abord
étudié, dans les années 70, par Michael Coe qui le désigna en 1973 sous le nom de "Primary
Standard Sequence" (soit « Suite Primaire Standard », ci-après abrégé au moyen du sigle
SPS), puis déchiffré à partir des années 80 et interprété comme étant un genre de formule
dédicatoire établie au nom du commanditaire de l’objet, en général un personnage important
de la société maya classique.
Le contenu de cette inscription n’est ainsi pas en rapport avec l'image mythologique qui
décore l’objet. Ainsi que l’avait d’autre part bien remarqué Marc Zender, ce dernier rappelle
beaucoup le plat tripode K5460 (voir en annexe), plus tardif d’au moins un siècle mais auquel
K6080 pourrait avoir servi de modèle.
Dans le souci de fournir au lecteur la base de l’identification de chaque graphème dans les
catalogues de signes de l'écriture maya les plus usités, les transcriptions ici proposées sont
d’abord effectuées "glyphe par glyphe", selon la codification de J.E.S. Thompson 1962 4 ou le
cas échéant dans la mise à jour du catalogue de Thompson proposée par Michel Davoust en
1995 (D) ou encore dans le catalogue de Günter Zimmermann 1956 (Z), ainsi que (audessous) selon la nouvelle codification de Martha Macri 2003/2009, de façon à ce que ces
systèmes se complètent pour une meilleure codification. Chacune de ces transcriptions
codifiées permet d’aboutir à une transcription des sons ou "translittération brute" (en gras),
servant de base à une "transcription finale" ou lecture en maya classique (en italique).
L’ensemble de ces lectures est finalement réuni dans un énoncé, dont l'analyse juxtalinéaire
permet la traduction en français. Les "translittérations brutes" correspondent à celles que l’on
donne en annexes 4 et 5 de notre ouvrage de 2014 et les "translittérations finales" sont d'autre
part obtenues des précédentes en se conformant au paradigme proposé en 1998 et 2000 par
Stephen Houston, John Robertson et David Stuart pour la réalisation des longueurs de
voyelles en fonction de leurs constructions phonétiques synharmoniques ou bien
dysharmoniques.
Ainsi qu’il est d’usage dans les codifications au "glyphe par glyphe", un point /./ correspond à
une liaison horizontale entre deux signes à l'intérieur d’un glyphe ; deux /:/ à une liaison
verticale ; des parenthèses autour d'une unité de code à un signe (ou groupe de signes)
incrusté à l’intérieur d’un autre par le procédé graphique dit de l’"infixation". Un /+/
correspond à une ligature par fusion de signes. Des minuscules grasses correspondent à une
translittération phonétique et des majuscules grasses à une translittération logographique. Un
point d’interrogation signale une lecture demeurant hypothétique, tandis que dans les
codifications "Thompson" /1100/ désigne de façon générique les signes anthropomorphes qui
3
Le visage de ce "jaguar de l'inframonde" est à la fois semblable à celui du "dieu GIII de la Triade de Palenque"
et à celui du "jaguar du mois Pax" mais avec un "œil infernal" à pupille en volute, au lieu de l’"œil solaire"
(commun au "dieu D" et à la divinité du soleil K’inich Ajaw, ou "dieu G"). Ces deux divinités sont représentées
en train de chasser à la lance un poisson-serpent emplumé, sur le vase cylindrique polychrome publié dans COE
1975:19-21.
4
Lorsqu’il y en a, les chiffres de type "point-barre" sont dans ce catalogue codifiés en équivalents romains, selon
le catalogue antérieur de Zimmermann et ne sont par conséquent pas précédés dans les transcriptions par la
mention T(,D) ou Z.
2
n’avaient pas été inventoriés avant le catalogue de Macri, l'initiale /P/ des graphies
anthropomorphisées de signes connus, l’abréviation /Var/ des variantes graphiques non
répertoriées de signes inventoriés, /Inv/ une graphie "inversée" et le sigle /MS/ des formes
converties en "signe principal" (main sign) de signes ordinairement périphériques et de taille
réduite, ou "affixes".
Le premier glyphe de l'inscription correspond à une version du "signe initial" (initial sign) de
la SPS, dont le signe principal T617a / 1M2 est (d’une façon qu’il est a priori difficile
d’expliquer phoniquement) fusionné au logogramme Z1324/T774/506Var/D506b / XH4 du
pain (de maïs) WAAJ.
Glyphe 1
T : T229.T617a(+Z1324/T774/506Var/D506b):T126
M : AL2.1M2(+XH4):32M
’a-’AL?/li?-ya
’al[a]y?/’aliiy?
Le deuxième glyphe correspond à la principale variante subsidiaire du "verbe main plate" (flat
hand verb) de la SPS, telle qu’elle apparaît notamment sur le vase polychrome K530 (voir en
annexe 2).
Glyphe 2
T : T548:T713aInv.T1017+T683a/181
M : MR2+XH2.SSJ+ZU1
K’AAL?-ja?
k’al[a]j?
Le troisième glyphe est une version anthropomorphisée du "main Manik" (Manik hand) de la
SPS.
Glyphe 3
T : T17/18.T671P
M : ZUH.MR7
yi-chi
yich
Le quatrième glyphe est l’allographe T738c / AA4, figurant la tête du "requin (patron du mois
Zodz)", du "variante en tête" (head variant) de la SPS.
3
Glyphe 4
T : T738c
M : AA4
’u
’u-
Le cinquième glyphe est le "feu-Imix" (fire-Imix) de la SPS.
Glyphe 5
T : T248.T558/690/501Var/D501b
M : XV1.XE1
ts’i-ba
ts’iba-
Le sixième glyphe est le "ver-oiseau" (worm-bird) de la SPS.
Glyphe 6
T : T747/828Var/D828b
M : BV5
li
[a]l
Le septième glyphe est une forme de l’"Ahau inversé" (inverted Ahau) de la SPS, dont le
premier signe HE6 (en général réalisé par sa variante ordinaire T1) est ici un exceptionnel
exemple de conversion par dédoublement de sa variante T13 en un signe principal dans lequel
se retrouve inhabituellement incrusté le syllabogramme T534 / AMB de valeur la, ce qui
revient à pouvoir également le considérer comme une version ordinaire de sa variante
céphalomorphe PE5.
Glyphe 7
T : T13MS(T534).T25
M : HE6/PE5(AMB).AA1
’u la-ka
’ulak
Le huitième glyphe est le "variante en tête" de la SPS, dont la position peu ordinaire ne peut
qu’indiquer là que le glyphe suivant note la seconde composante d’un "diphrasisme" 5
désignant tout comme l’"Ahau inversé" le support de l'inscription.
5
Les "diphrasismes" sont un procédé rhétorique équivalent à ce que les latinistes appellent merismus, dans
lequel la signification de lexèmes appariés en opposition et/ou complémentarité n’est plus la simple somme de la
4
Glyphe 8
T : T1052Var?
M : PE6?
’u
’u-
Le neuvième glyphe est le logogramme céphalomorphe du verbe (intransitif) "manger" WE'.
Glyphe 9
T : 1100(/T1074+Z1324/T774/506Var/D506b)
M : PM5
WE’
we’
Le dixième glyphe ne peut ainsi être que le complément du précédent pour dériver le verbe
qu’il note en un substantif désignant un nom d'artefact. Unissant les phonogrammes de
valeurs respectives ’i et bi, il s’agit en l’occurrence de la marque du suffixe instrumental -ib,
retrouvée pour dériver la racine ’UK’ du verbe "boire" dans l’"aile-quinconce" (wingquincunx) qui se substitue à l’"Ahau inversé" dans les SPS inscrites sur les vases et autres
formes de poteries qui étaient destinées à contenir des liquides.
Glyphe 10
T : T679a.T1029Var
M : YM1.AC6
’i-bi
-ib
Le onzième glyphe est une forme anthropomorphisée du syllabogramme T565a/b / YM2 de
valeur ta, marqueur de la préposition ta- et signalant que le(s) glyphe(s) suivant(s)
correspond(ent) à la "séquence prépositionnelle" de la SPS, dont la fonction était de préciser
l’usage auquel était destiné l’artefact supportant l'inscription.
Glyphe 11
T : T565a/bP
M : YM2
ta
ta-
signification de chacun de ces lexèmes mais renvoie métaphoriquement à un concept souvent plus abstrait bien
qu’appartenant aux mêmes champs sémantique ou bien à des champs voisins.
5
Le douzième glyphe est celui de la couleur blanche, inhabituellement complété ici par le
syllabogramme dysharmonique de valeur ki pour insister sur la longueur (d'ordinaire courte)
de la voyelle, auquel le scribe a du reste tenu à donner la place de signe principal.
Glyphe 12
T : T58:T102MS
M : 3M1:1B2
SA(A)K-ki
saak
Le treizième glyphe est l'allographe zoomorphe du syllabogramme de valeur chi, figurant la
tête d'un cervidé chij.
Glyphe 13
T : T796Var
M : AV1
chi
chi-
Réunissant les syllabogrammes T88 / 1M1 et T24 / 1M4 de valeurs respectives ji et li, le
quatorzième glyphe est le complément apportant son sens au glyphe précédent.
Glyphe 14
T : T88:T24
M : 1M1:1M4
ji-li
jil
Le quinzième glyphe est celui du tamal ou "pain (de maïs)", phonétiquement complété par le
syllabogramme T136 / 33F de valeur ji (tout comme T88 / 1M1) pour indiquer que le
logogramme, dont le scribe a ici réduit la graphie à sa plus simple expression (en lui omettant
la marque distinctive du maïs mûr), doit en l’occurrence être lu WAAJ 6.
Glyphe 15
T : Z1324/T774/506Var/D506b:T136
M : XH4:33F
WAAJ-ji
waaj
6
Selon le contexte, la valeur phonique de Z1324/T774/506var/D506b / XH4 peut en effet varier : complété par
un syllabogramme de valeur la, il adopte la lecture OOL « désir, énergie (vitale), envie, intention, volonté »
tandis que, dans une date du cycle divinatoire, il marque le 4ème signe Kan.
6
Le seizième glyphe est celui du titre ba-te', signifiant probablement « premier de l'arbre »
(c’est-à-dire "n°1 de la dynastie") de la même façon que le titre ba-kab signifie
vraisemblablement « premier du territoire » (ou "n°1 sur terre"). Il renvoie possiblement à la
racine de verbe bate'el « guerroyer». Ce glyphe indique ainsi que s’ouvre jusqu'à la fin de la
SPS la liste anthroponymique, qui donne les titres et/ou nom du commanditaire du plat, et que
la "séquence prépositionnelle" s’achève donc avec le glyphe précédent.
Glyphe 16
T : T558/690/501Var/D501b.T87
M : XE1.2G1
ba-TE’
bate’
Le dix-septième glyphe est une version abrégée de celui du "joueur de balle", auquel manque
la marque du préfixe agentif 'aj-. Il manque également au syllabogramme T507/779 / XH5 de
valeur tsi les alignements de pointillés qui le distinguent du logogramme
Z1324/T774/506Var/D506b de valeurs WAAJ et ’OOL.
Glyphe 17
T : T177.Z1324/T774/506Var/D506b(/T507/779Var):T139/140/178Var
M : ZC5.XH4(/XH5):AMB
pi-tsi-la
pitsiil
Le dix-huitième glyphe apparaît comme une version du "segment de serpent" (serpent
segment) de la SPS dans laquelle le signe de la préposition qui le plus souvent le fait
intervenir dans une "séquence prépositionnelle" est remplacé par la variante T3 de
l'allographe HE6 du "variante en tête", unissant les variantes T13 et T1. Le rôle titulaire qui
lui est obligatoirement conféré ici implique l'usage d'un sens figuré de la racine u(u)t « fruit »
qu'il transcrit notamment, à savoir celui d'"enfant (de telle personne)".
Glyphe 18
T : T3.T61.T565a/b:T139/140/178Var
M : HE6.32D.YM2:AMB
’u-yu-ta-la
’uyutal
Le dix-neuvième glyphe est celui du titre "main-singe" (hand-monkey) de la SPS.
7
Glyphe 19
T : T220.Z142
M : MZB(/MZA.AME/AMF)
(ke-)KELEEM
keleem
Le vingtième glyphe est celui du "dieu C", logogramme générique de la divinité (et
syllabogramme de valeur k'u), indiquant là qu’il s'agit de la première des trois composantes
du "glyphe-emblème" (emblem glyph) qui clot la SPS pour présenter le commanditaire
comme étant le « divin maître (de telle cité) ». Cela montre ainsi que la liste anthroponymique
de K6080 est un exemple de marque de propriété réduite à une liste titulaire sans glyphe
onomastique, ne donnant que les titres de la personne.
Glyphe 20
T : T41
M : AMC
K’UH(UL)
k’uh(ul)
Le vingt-et-unième glyphe est celui du "ciel crev(ass)é" pa'-chan, correspondant au nom
ancien de la cité de Uaxactún.
Glyphe 21
T : (T299:T561/)T562:T23
M : 2S7+XH3:1G1
PA’ CHAN-na
pa’chan
Le vingt-deuxième glyphe marque la troisième et dernière composante du "glyphe emblème",
où le lexème signifiant « maître » est noté par une rare variante de la graphie T541 / XD4 (ou
"Ahau noirci").
Glyphe 22
T : T541Var:T130
M : XD4:2S2
’AJAW-wa
’ajaw
D’où l’énoncé suivant :
8
’aliiy?/’alay?/’al?-ay?-Ø?
ici?/là?/dire?-moy.?-3B?
k’aal?-aj?-Ø
clore?-pas.?-3B
’u-lak
3A-plat
’u-we’-ib
3A-manger-instr.
ba-te’
1er-arbre
[’aj-]pits-iil
[ag.-]jouer à la balle-adj.?
(’u)y-’ich
’u-ts’ib-aal
3A-(sur)face? 3A-écrire/peindre-adj.?
ta-saak-chij-il-waaj
prép.-blanc-cervidé-adj.?-tamal/"pain (de maïs)"
’uy-’u(u)t-al
3A-fruit-inal.?
keleem
jeune (homme)
k’uh(-ul)-pa’(-)chan-’ajaw
dieu(-adj.)-Uaxactún-seigneur
L’analyse juxtalinéaire de cet énoncé conduit à la traduction littérale suivante :
« (Là/ici, / il s’est dit que)? est accomplie? la (sur)face? de la peinture du plat - du "mangeoir"
à tamales / pains blancs (garnis) au "cerf/chevreuil" du "n°1 de l'arbre", joueur de balle,
l’enfant du "vigoureux", divin maître de Uaxactún. »
Cette traduction littérale permet de proposer la traduction plus libre qui suit :
« "Voilà, on dit que" le décor peint (avec des glyphes) de l'assiette pour manger des pains
blancs au cerf appartenant au fils du vigoureux roi de Uaxactún, le premier de la famille et
joueur de balle, est achevé. »
D'une part, la SPS du plat K6080 notifie donc que cette assiette remarquable fut commandée
pour un membre indéterminé de l’élite dirigeante qui était au pouvoir à Uaxactún, cité
localisée à une vingtaine de kilomètres au nord du centre de Tikal et qui avait été annexée par
cette dernière dès la période classique ancienne (en 378). Elle notifie d'autre part qu’elle était
destinée à la consommation de tamales (des sortes de pains de pâte de maïs, cuite à l'étouffée)
farcis à la viande de cervidé, qui était le gibier le plus emblématique et prisé par la noblesse
maya de l'époque classique.
Une des originalités spécifiques à cette inscription réside en outre dans la façon dont le signe
principal de son premier glyphe est curieusement fusionné au logogramme du tamal
Z1324/T774/506Var/D506b / XH4. Étant donné que ce dernier ne peut ici intervenir en étant
lu mais que ce même logogramme indique plus loin (dans le quinzième glyphe) que l’objet
était destiné à contenir des tamales, on imagine volontiers que sa présence dès le début de
l’inscription pourrait avoir été une allusion graphique à cette fonction, ses valeurs habituelles
ayant été WAAJ « pain » mais aussi ’OOL « énergie (de la vie humaine, qui est procurée par
le maïs) ». On remarquera aussi la confusion admise par le scribe entre ce logogramme et le
syllabogramme de valeur tsi, convergence dont les conséquences sont toutefois (le contexte
aidant le lecteur) atténuées par la lecture globale des glyphes.
Une autre originalité de cette SPS est le couplet « son plat, son "mangeoir" » pour signifier
"l’assiette de" son propriétaire initial, ce qui rappelle l'expression « sa fine (poterie), son
gobelet" » pour signifier "le joli vase de" trouvée dans la SPS de certains vases cylindriques
également rattachés à Uaxactún, tels que le Vase de la "Danse Macabre" (voir HOPPAN
2014:273-274). De la même façon que la seconde composante de cette dernière exprime le
mot signifiant "instrument pour boire" en dérivant la racine du verbe uk' par le suffixe -ib, le
9
mot signifiant "instrument pour manger" est exprimé sur K6080 par dérivation du verbe we'
au moyen du même suffixe -ib.
On soulignera également l’emploi très inhabituel qui est fait, dans le dix-huitième glyphe,
d’une variante du dit "segment de serpent" en tant que glyphe générique de parenté pour
exprimer à un niveau figuré une filiation par rapport à un père dirigeant une cité. Dans le
répertoire connu des glyphes de parenté mayas, ce cas d’emploi métaphorique diffère des
glyphes "fils d'homme" ou "fils de femme" ordinairement usités.
En ce qui concerne également la liste titulaire de la SPS de K6080, la marque de son
propriétaire initial présente enfin l’originalité supplémentaire (quoique semblablement
documentée sur un certain nombre d'autres exemples) de ne donner aucun nom, laissant à
penser que ce plat pourrait par exemple avoir appartenu successivement à plusieurs personnes
(du moment qu’il s’agissait à un moment donné de princes joueurs de balle et issus de l’élite
dirigeante de Uaxactún).
Liste des abréviations juxtalinéaires :
-
3A = préfixe ergatif de la 3e personne
3B = suffixe absolutif de la 3e personne
adj. = suffixe adjectiviseur
ag. = préfixe agentif
inal. = suffixe d’inaliénabilité
instr. = suffixe instrumental
moy. = suffixe de la voix médiopassive (ou "moyenne")
pas. = suffixe de la voix passive
prép. = préposition
10
Annexe 1 :
Plat tripode K5460
Photographie de Justin Kerr,
dans REENTS-BUDET et ali 1994:359
Redessiné d’après REENTS-BUDET 1994:359 et
ZENDER 2000:1039, Fig. 3
11
Annexe 2 :
Vase K530
Photographie de Justin Kerr,
dans COE 1978:81
Déroulé photographique de Justin Kerr,
dans COE 1978:79-80
Redessiné d’après COE 1978:79-80 (avec détail sur le glyphe "verbe main plate")
12
Bibliographie
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1975 Classic Maya Pottery at Dumbarton Oaks:19-21, Washington, Dumbarton
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1995 L’écriture Maya et son déchiffrement, Paris, CNRS Éditions.
HOPPAN, Jean-Michel
2014 Parlons maya classique-. Déchiffrement de l’écriture glyphique (Mexique,
Guatemala, Belize, Honduras), Paris, L’Harmattan.
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1998 "Disharmony in Maya Hieroglyphic Writing: Linguistic Change and
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2000 "A Study of Two Uaxactun-style Tamale-serving Vessels", The Maya Vase
Book: A Corpus of Rollout Photographs of Maya Vases- Vol. 6:1038-1055,
édité par Barbara & Justin Kerr, New York, Kerr Associates.
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1956 "Die Hieroglyphen der Maya Handschriften", Abandlung aus dem Gebiet der
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13

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