Résumé de la conférence de Monsieur Edgar Morin

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Résumé de la conférence de Monsieur Edgar Morin
COMPTE-RENDU
CONFÉRENCE DU Dr Edgar Morin
(12mai 2007)
Éminent chercheur français, le Dr Morin a publié pas moins de quarante livres au cours de
sa carrière. Il a reçu 18 doctorats honoris causa de dix pays différents. Il a consacré une
importante partie de sa vie à la recherche d’une Méthode (6 ouvrages) apte à relever le défi
de la complexité qui s’impose désormais non seulement à la connaissance scientifique, mais
aussi à nos problèmes humains, sociaux et politiques. Dans le cadre de sa conférence, le Dr
Morin, nous propose une réforme de la pensée, un nouveau paradigme, pour tenter de
résoudre la crise actuelle que traversent les civilisations industrielles. Afin de comprendre
cette crise, il est nécessaire de tracer l’évolution de l’homme et de sa pensée actuelle qui
constitue un handicap au dépassement de nos problèmes actuels.
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« DE L’HOMONISATION À L’HUMANISATION »
Tout ce qui a constitué le visage lumineux de la civilisation occidentale présente
aujourd'hui un envers de plus en plus sombre. Ainsi, l'individualisme, qui est l'une des grandes
conquêtes de la civilisation occidentale, s'accompagne de plus en plus de phénomènes
d'atomisation, de solitude, d'égocentrisme, de dégradation des solidarités. Nos idéologies
actuelles, nos outils de pensée ont fait la preuve de leur échec. Après des millions d’années
d’évolution, nous paraissons par moment être encore au stade préhistorique sur le plan du
comportement et de l’esprit. Pour réussir à dépasser ce stade, il nous faut procéder à une réforme
de la pensée, que Edgar Morin appelle la « pensée complexe ». Une telle réforme implique de
penser à ce qu’est la réalité humaine actuelle, de saisir l’évolution de l’homme et de sa pensée qui
a forgé ce que nous sommes aujourd’hui.
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La réalité humaine
Comprendre la réalité humaine nécessite de faire appel au savoir (savoir au sens de
« rassembler les connaissances pour avoir une vision ») dans le domaine biologique, des arts, de
la philosophie, etc. Ce savoir nécessite également de faire une investigation de soi pour nous
situer dans le monde, car nous sommes des animaux, des êtres polycellulaires, des machines
physiques certes, mais aussi autre chose que ces éléments primaires. Cet autre chose se manifeste
par notre esprit, notre culture. Nous sommes des êtres vivants ne pouvant atteindre notre
fonctionnement optimal qu’en utilisant nos capacités à nous fédérer et à former des sociétés.
C’est notre culture, notre esprit qui font de nous des êtres distincts. Cet amalgame de
caractéristiques amène l’auteur a nous proposer une définition de l’humain, définition qui est dite
trinitaire. La trinité humaine se compose de trois instances, soit l’individu, la société et l’espèce.
Nous sommes une espèce, car nous sommes des homo sapiens capable d’interagir, de
communiquer entre nous, d’élaborer notre propre langage, de former une société. L’individu fait
partie de la société, car il interagit avec celle-ci en utilisant un mode de langage particulier. Les
individus reproduisent la société comme la société reproduit l’individu. Elle interagit sur
l’individu de par la culture qu’elle véhicule. Nous sommes donc à la fois objets de reproduction
et reproducteurs. La trinité humaine place la personne dans une situation qui permet à la fois une
diversité illimitée et une unité particulière. Les relations entre ces trois instances ne sont pas
seulement complémentaires. Elles sont aussi antagonistes et présentent des possibilités de conflits
entre caractéristiques biologiques et caractéristiques culturelles.
Afin d’examiner cette bipolarité apparente de l’humain, considérons un instant l’humain
comme un sujet. Le « Je » utilisé dans notre langage est un symbole d’auto-affirmation. C’est un
acte où je mets au centre de mon monde. En principe, nous devrions devenir égoïstes, mais nous
sommes munis du logiciel « de l’amour » qui nous pousse à exprimer le désir de l’autre. Pensons
à l’enfant qui a besoin de sourire à sa mère pour lui montrer son affection. De l’autre côté, il
existe en revanche le « Nous » où nous passons de l’égoïsme à l’altruisme. La crise qui sévit dans
le monde occidental amène l’auteur a émettre l’hypothèse qu’il y a eu un surdéveloppement de
l’égoïsme et un sous-développement de l’esprit communautaire. En fait, il y a une dualité dans
l’humain. Par exemple, l’humain est en soi un être rationnel, un homo-sapiens, mais il possède
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aussi un esprit fou, c’est-à-dire que dans le cerveau tous acte rationnel finit par mobiliser l’affect.
Parfois, et l’histoire le démontre, la raison s’est transformée en passion. Pensons seulement à la
deuxième guerre mondiale avec Adolf Hitler. Un second exemple, nous sommes un homo-faber,
c’est-à-dire un être susceptible de fabriquer des outils, mais qui vit aussi dans l’imaginaire où
notre esprit va au-delà de la moralité (religion) pour nous amener à développer une forme de
fanatisme, de croyances en un ou des dieux. Nous sommes également un homo-économicus où
nous vivons pour notre intérêt et dans notre intérêt. Nous sommes pourtant capable d’aller audelà de nos intérêts, de prendre le risque d’aimer, d’aider. En sommes, il y a toujours deux
aspects de l’individu qui sont à la fois opposés et complémentaires. Il y a quelque chose
d’inhumain dans l’humain. L’humain est donc à la base un être complexe, difficile à comprendre.
Cette complexité ne date pas d’hier. Elle s’est élaborée par le processus « d’homonisation ».
Histoire de « l’homonisation »
C’est bien connu, nous sommes génétiquement des descendants du singe. L’évolution de
l’homme s’étend sur une durée de huit à dix millions d’années. Toutefois, au cours de ce
processus, il y a eu bifurcation par un phénomène de bipédisation. L’homme possède à partir de
ce moment la capacité de se redresser pour utiliser et développer la dextérité de ses mains, la
force de préhension. Cette bifurcation est aussi marquée par le développement du crâne et
incidemment du cerveau, qui va nous permettre de produire des sons de plus en plus élaborés, de
créer le langage humain. L’élaboration du langage humain contribue par le fait même au
développement de la culture. Il y a donc cette émergence qui se fait par la relation entre le
cerveau et la culture. Cette émergence, selon Edgar Morin se nomme « esprit ». Nous assistons à
l’émergence de l’esprit, mais aussi de la conscience, c’est-à-dire de cette capacité à réfléchir soimême. Ce processus, cette « homonisation » correspond à la capacité de marcher, mais également
à l’apparition des armes, de l’artisanat, bref de la technique. Avec l’apparition de l’humanité, il y
a un processus de métamorphose où nous passons d’un monde primatique à un monde
d’humains. C’est-à-dire d’une « homonisation » qui tire son origine des premières sociétés
archaïques (ex : les mayas, les aztèques) jusqu’à une planétarisation par laquelle l’espèce
humaine, dans un monde plus civilisé, a réussi à conquérir le monde, s’approprier les ressources.
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Cette planétarisation a entraîné inévitablement la conquête d’espaces libres certes, mais aussi
d’espaces déjà habités. Les romains, les mongols sont des peuples, qui assoiffés de pouvoirs, ont
conquis d’autres civilisations. Cependant, le massacre des peuples par les envahisseurs a eu
comme conséquence une prise de conscience, surtout par les civilisations conquises, de cette
capacité à la fois créatrice et destructrice de l’humain. Une prise de conscience qui s’est
concrétisée par une régression de certaines civilisations. Pensons aux civilisations qui ont choisi
de se soumettre à l’envahisseur par manque de ressources, mais aussi pour faire cesser le carnage
entre des peuples de la même espèce (la race humaine) comme ce fût le cas des Aztèques face à
la puissance espagnole. Ces évènements historiques ont mené à l’émergence d’une pensée axée
sur des messages dits « humanisants ». Ainsi, au 6e siècle (avant J.C.), un personnage tel que
Siddartha Gautama fondait le mouvement religieux nommé le « bouddhisme » qui se voulait un
message de compassion envers la souffrance humaine. Mentionnons également Ghandi qui,
quelques siècles plus tard, prôna les vertus de la non-violence pour régler les conflits politiques.
Toutefois, ces mouvements religieux ou ces courants de pensée n’obtinrent pas le succès
escomptés. En effet, la religion en Europe étant souvent au centre des conflits entre les
civilisations, on assiste à la propagation et à l’amplification du fanatisme à l’intérieur de certaines
religions. Ce fanatisme va à l’encontre du message de paix que prônent celles-ci. Bref, jusqu’au
19e siècle, l’histoire de l’Europe occidentale porte deux visages : celui de la barbarie (conquête)
et celui de l’émancipation où tous les peuples ont ce droit d’avoir une nation.
De « l’homonisation » vers une tentative « d’humanisation »
Cette crise de l’humanité se poursuit au 20e siècle par le développement des armes
meurtrières et à la formation des systèmes totalitaires dans diverses sociétés. L’attaque nucléaire
sur Hiroshima a été l’élément déclencheur, selon Edgar Morin, de la prise de conscience de la fin
possible de l’humanité en raison de la puissance destructrice de la bombe atomique et du pouvoir
destructeur que possède l’homme. La guerre ne doit plus dicter le destin de l’humanité. Quand un
système ne peut plus traiter ses problèmes vitaux, soit il se désintègre, soit il se métamorphose.
Dans ce cas-ci, la désintégration du système a été l’option choisie par l’humanité. La guerre, la
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conquête ont été la preuve que le système mis en place ne permet plus de traiter ses problèmes
vitaux (ex : la famine, la pauvreté).
Le vrai problème est que notre système de pensée, qui imprègne l’enseignement de l’école
primaire à l’université, est un système qui morcelle la réalité et rend les esprits incapables de
relier les savoirs compartimentés en disciplines. Cette approche mène à découper la réalité et peut
finir par avoir des conséquences humaines et pratiques considérables. C’est le cas des politiques
d'infrastructures, qui négligent trop souvent l'environnement social et humain. C’est cette division
des différents savoirs qui empêchent le développement de l’esprit humain et de la conscience.
Seule une intégration de la pensée nous permettra de nous pencher sur les vrais problèmes
humains qui sont négligés ou peu abordés par un enseignement qui divise la pensée en une
hyperspécialisation des connaissances (ex : psychologie, administration, management, etc.). C’est
exactement à l’opposé de ce que vise une « humanisation ». Une métamorphose qui permet de
développer l’esprit humain. Pour atteindre cette finalité, il faut conséquemment une réforme de la
pensée, de l’enseignement face aux problèmes mondiaux. La réforme de la pensée, c’est une
réforme de l’éducation où il devient nécessaire d’enseigner la compréhension humaine. Il ne
s’agit pas d’éduquer au sens de transmettre un savoir, ou une connaissance, mais d’amener
l’individu à s’auto-critiquer à se réformer d’abord soi-même. Pour ce faire, il nous faut adopter
une éthique de la compassion, c’est-à-dire une résistance à la cruauté du monde. Faire en sorte
que les vies humaines s’actualisent, utilisent toutes leurs potentialités et cela passe par l’amour de
soi, mais aussi des autres.
Quelques espérances dans la désespérances…
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Actuellement ce n’est pas l’improbable qui se réalise, mais l’imprévu. Il faut agir sur
l’improbable. L’improbable, ce fût la chute du Nazisme, la chute du système
communiste. Il faut prendre conscience de ce danger, surtout de ces conséquences.
Alors que l’imprévu correspond aux destructions de l’homme (ex : Hiroshima).
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Les raisons de l'espoir viennent aussi du fait que nous sommes dans la préhistoire de
l'esprit humain, ce qui signifie que les capacités mentales humaines sont encore sous-
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exploitées, notamment sur le plan des relations avec autrui. Nous sommes des
barbares dans nos relations avec autrui, pas seulement dans les rapports entre
religions et peuples différents mais au sein même d'une famille, entre parents, où la
compréhension fait défaut. Pourtant, ce sont les aptitudes créatrices qui se révèlent
lors des crises. Il faut parier sur ces potentialités de développement.
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Enfin, la finalité de l’éducation, c’est apprendre à résoudre mes problèmes, à
affronter ma vie, car pour nous transformer, nous métamorphoser, nous devons être
confrontés. Il y aura une part de souffrance, mais c’est une fois passé au travers de
cette introspection que là j’aurais un sentiment de satisfaction.
Jonathan Dupont, MAJ le 25 mai 2007
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