Le champ sémantique du mot marabout en
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Le champ sémantique du mot marabout en
LE CHAMP SÉMANTIQUE DU MOT MARABOUT EN FRANÇAIS DU SÉNÉGAL Modou Ndiaye Département de lettres modernes Faculté des lettres Université Cheikh Anta DIOP Dakar Sénégal [email protected] Résumé : En français central, le mot marabout a surtout le sens « d’homme possédant des pouvoirs magiques de devin ou de guérisseur ». En français du Sénégal, ce sens coexiste avec deux autres non moins productifs. Il peut, en effet, être l’équivalent du mot cheikh emprunté à l’arabe et désignant un chef religieux musulman, un guide spirituel. Il peut également servir à désigner le maître de coran, c’est-à-dire un musulman qui enseigne le coran aux enfants. Cette communication essaie de montrer que le mot « marabout » n’a pas la même grille de commutations et de combinaisons selon qu’il a le sens 1, 2, ou 3. Elle analyse les relations de commutation sur l’axe paradigmatique en examinant précisément les rapports analogiques de synonymie ou d’antonymie, et ensuite étudie les possibilités combinatoires du mot sur l’axe syntagmatique à partir d’un double point de vue : d’abord syntaxique en étudiant la structure du syntagme nominal dans lequel est pris le mot, ensuite morphologique en considérant les relations de dérivation qu’il permet. Mots-clés : marabout, charlatan, devin, maître de coran, guide religieux, champ sémantique. INTRODUCTION Le mot marabout est sûrement l’une de ces particularités lexicales d’Afrique qui envahissent de plus en plus le français central du fait de l’accroissement, dans les communautés d’immigrés africains vivant en France, du nombre d’individus revendiquant à titre corporatif le statut de marabout et favorisant du même coup les usages linguistiques qui y sont liés. Le mot est répertorié dans le premier Inventaire du français d’Afrique (IFA) comme étant d’usage dans plusieurs pays africains : Bénin, Burkina Faso, Côte d’ivoire, Mali, Niger, Sénégal, Tchad, Togo. Le sens qui semble prospérer le plus dans ce français central est celui, signalé par ce premier inventaire, « d’homme possédant des pouvoirs magiques de devin ou de guérisseur » (IFA, 1983). Cependant, à côté de ce sens 1, coexistent deux autres sens non moins productifs en français d’Afrique ou tout au moins dans celui du Sénégal dont l’un (sens 2) fait du mot l’équivalent du terme cheikh emprunté à l’arabe et désignant un chef religieux musulman, un guide spirituel, et l’autre (sens 3) renvoie au maître de coran, c’est-à-dire à un musulman qui enseigne le coran aux enfants. L’objet de cette communication est de montrer que le mot « marabout » n’a pas la même grille de commutations et de combinaisons selon qu’il a le sens 1, 2, ou 3. Nous analyserons les relations de commutation sur l’axe paradigmatique en examinant précisément les rapports analogiques de synonymie ou d’antonymie, ensuite nous étudierons les possibilités combinatoires du mot sur l’axe syntagmatique à partir d’un double point de vue : d’abord syntaxique, en étudiant la structure du syntagme nominal dans lequel est pris le mot, ensuite morphologique, en considérant les relations de dérivation qu’il permet. 1. MARABOUT : SENS 1 On a l’illustration de ce sens 1 dans les exemples suivants : [1] Thierno Baldé, qui avait fait la connaissance de Abdoulaye Sow par l’entremise d’Amadou Baldé, s’est fait consulter par le marabout qui lui promit de le rendre riche dans un délai court (Le Soleil 06/02/95). [2] Que c’est drôle ces histoires de khons et de marabouts dans le monde du football sénégalais (Le Politicien 01/10/93). [3] De nombreux employés de la langue et même certains grands patrons avaient payé des féticheurs et des marabouts pour lui jeter de mauvais sort (Akpo (A. J.) 1996 : 93). Dans le premier exemple, le terme « marabout » désigne un homme pourvu d’un pouvoir magique de divination qui lui permet de lire le destin de ses semblables. En effet, la consultation dont il s’agit dans cet énoncé n’a rien de médical ; il s’agit d’une voyance. Cet homme a aussi le pouvoir d’agir sur le destin soit positivement – en rendant riche son client (exemple 1), ou en lui donnant la victoire (exemple 2), ou négativement – par exemple, en jetant un mauvais sort (exemple 3). Dans ce sens 1, le terme « marabout » ne renvoie pas forcément à un musulman, ni même à un Africain, comme on est tenté de le croire. Les deux exemples suivants en attestent : [4] Des sources bien informées nous affirment que nos gouvernants avaient confié le destin du cfa à des marabouts recrutés un peu partout dans le monde. On parle même de féticheurs chinois, japonais et hindous (Sopi 18/01/94). [5] Il ne reste donc plus à Ousmane Paye qu’à aller chercher un « marabout » dans le bois sacré pour que Paye soit maintenu au poste (Le Témoin 14/02/96). Ainsi, des termes génériques comme « musulman » ou « africain » ne conviendraient pas pour introduire une définition dictionnairique du mot « marabout » quand il a ce sens 1. Dans cette acception, « marabout » forme une série paradigmatique avec des lexies comme « féticheur, fétichiste, charlatan, guérisseur, sorcier, devin, serigne » qui en sont des synonymes. Le dernier terme1 de la série, qui est emprunté au Wolof, est en fait le seul à être strictement équivalent à « marabout ». [6] Il était vingt-deux heures zéro quand Léontine se présenta devant un charlatan. Après les salutations le serigne demanda à sa visiteuse l’objet de la promenade nocturne (Faye (L.) 1992 : 89). [7] Serigne ! Je veux que vous voyiez pour moi l’avenir - L’avenir ? Dit le vieux serigne étonné (Gaye (M.) 1995 : 64). Par rapport aux autres lexies de la série, on a d’abord une relation d’hyperonymie. Le sens de « marabout » inclut celui de ces lexies. On peut observer, par exemple, cette relation d’hyperonymie dans l’énoncé (4) entre « marabout » et « féticheurs ». Cette relation pourrait être exploitée d’un point de vue lexicographique. En effet, dans la définition de ces différentes lexies, on pourrait utiliser « marabout » comme terme générique. – Féticheur : Marabout qui recourt aux fétiches… – Guérisseur : Marabout utilisant des plantes pour guérir des maladies. – Devin : Marabout pratiquant la divination à l’aide de cauris ou d’autres moyens surnaturels. – etc. En d’autres termes, chacun de ces mots contient le sème « marabout » comme archisémème. Ainsi, la relation de synonymie qu’il peut y avoir entre le terme « marabout » et ces différentes lexies est une réduction par le contexte de la relation d’hyperonymie. Cette synonymie peut être établie lorsque le contexte d’emploi apporte suffisamment d’information spécifiant la modalité d’intervention ou une caractéristique précise du marabout. Ainsi, dans l’énoncé (5) par exemple, il est possible de substituer « féticheur » à « marabout » à partir de l’indication apportée par la séquence « dans le bois sacré ». [5’] Il ne lui reste donc plus à Ousmane Paye qu’à aller chercher un féticheur dans le bois sacré pour que Paye soit maintenu au poste. Cette relation de spécification fait que, plutôt que de se substituer au terme « marabout », ces lexies peuvent simplement lui être adjointes dans une relation syntagmatique. Cela permet d’avoir les mots composés : « marabout-féticheur, marabout-fétichiste, marabout-guérisseur, marabout-charlatan, marabout-devin, marabout-sorcier ». [8] Elle a toujours ignoré que le bonheur n’a jamais été donné ni par l’argent, ni par les marabouts-féticheurs, mais bien, par l’économie d’une vie, dans le tronçon commun d’une vie commune (Diop (L. S.) 1994 : 64). [9] Il est le père de Baye Guéwel griot-animateur de meeting […] et de Djimbéra, marabout-fétichiste pour politiciens en manque de popularité […] (Le Soleil 18/05/1993). [10] Au potard elle se donnait enfin après qu’elle eut épuisé pour son ami tous les produits de la pharmacopée moderne […], comme ceux de la si riche pharmacopée africaine. Et avec eux toutes sortes de pratiques, amulettes, lotions ou potions magiques des féticheurs, marabouts-guérisseurs et autres faiseurs de miracles. (Bousso (L. M.) s. d. : 97) [11] Mais comme on dit, il n’y a que le premier pas qui compte. Après, tout devient facile, du moins apparemment, et cela a dû se passer ainsi pour Seynabou Diop qui, sept mois durant, a détourné de l’argent au seul profit du marabout-charlatan. (Le Soleil 16/01/1995) Dans cette série des réalisations par composition que permet le terme « marabout », on pourrait citer, également, la formation « marabout-tieddo ». [12] Ainsi Ndiadiane, descendant des conquérants musulmans, s’identifie à la puissance de la religion islamique qui, en Afrique noire, a élargi les limites du sacré. Le guérisseur magicien traditionnel devient un marabout-tieddo qui est à différencier des grands mystiques du 19ème siècle. (Kesteloot 1989 : 189) Cette formation se distingue des précédentes par le fait qu’on n’a pas une relation de synonymie ni d’hyperonymie entre « marabout » et le terme « tieddo ». Autrement dit, ce dernier ne pourrait se substituer au premier et occuper seul la position syntaxique. La relation entre les deux termes à l’intérieur de cette formation se limite à l’axe syntagmatique. Cette restriction est due au sens même du terme « tieddo » (emprunté au Wolof) qui signifie « païen, animiste, adepte de la religion traditionnelle ». Ce sens ne contient pas, en effet, le sème « marabout » relevé dans les termes précédents. Une analyse componentielle sommaire de la série lexicale donnerait le tableau suivant : Marabout Recourt aux fétiches Fait de la divination Traite des maladies Exploite la crédulité des gens Féticheur + + + +/- - Guérisseur + +/- +/- + - Serigne + +/- +/- +/- +/- Devin + +/- + - - Fétichiste + + + +/- - Charlatan + +/- +/- +/- + Tieddo - + - - - Par ailleurs, le terme « marabout » donne lieu à des possibilités d’affixation qu’il ne permet que lorsqu’il a ce sens 1. En effet, on relève les dérivés par suffixation suivants : – Marabouter : Recourir à des moyens magiques ou surnaturels pour nuire à quelqu’un (ou s’attirer la chance). [13] Cependant les débuts n’ont pas été faciles. Il voulait s’amuser et partir. Alors […] j’ai inventé une grossesse. Il a remué ciel et terre mais mon cinéma a fini pas le faire tomber. […] je crois l’avoir marabouté (République 20/07/1993). – Marabouté : Qui est victime d’une pratique magique maléfique. [14] Pour soigner d’immédiateté un ensorcellé [sic], un envoûté, un marabouté. […] souffler dans de vache ou de brebis […]. – Maraboutage : Action de marabouter. [15] Toujours est-il que les informations sont imprécises et vagues sur le mode de constitution de la fortune de telle ou telle personnalité : elles vont dans l’opinion du Sénégalais moyen du simple « maraboutage », à la pratique des prête-nom [sic], en passant par le trafic de diamants, la sorcellerie […] (Ndiaye (M.) 1996 : 214). [16] Au début, quand elle a senti ses urines sortir de son vagin, elle avait cru à un « maraboutage » ou une sorcellerie (Le Soleil 16/02/1995). – Marabouteur : Personne recourant aux services d’un marabout pour nuire à quelqu’un. Marabout. [17] Parallèlement se dessinent chez les « marabouteurs » (terme qu’il faut préférer à « marabouts », qui a une autre signification) deux tendances (Ndione (E. S.) 1993 : 198). – Maraboutisme : le fait social que constitue l’existence des marabouts ou la fonction qu’ils exercent. [18] Le maraboutisme, qui est une science appliquée autant que la médecine et la chirurgie… (Le Politicien, 25/03/74 : 74) – Démarabouter : Combattre par des moyens magiques un envoûtement ou un mauvais sort jeté par un marabout. On rencontre également l’adjectif « maraboutique » signifiant « relatif au marabout »2. Cependant, cette création n’est pas limitée au sens 1. On la relève aussi au sens 2. Voici des exemples pour le sens 1. [19] C’est à croire qu’ils ont des rochers à la place du cœur : toutes les sortes de décoctions et de poudre [sic] maraboutiques, de cornes et de gris-gris […] ont fini par les laisser de marbre (Sud Quotidien 25/02/1995). 2. MARABOUT : SENS 2 Ce deuxième sens apparaît dans des exemples comme : [20] Chaque année a lieu dans notre pays le Magal, qui rappelle le départ en exil du marabout Cheikh Ahmadou Bamba (Ami et Rémi CE2 : 56). [21] L’alliance conclue entre certains marabouts et SENGHOR […] était un des paradoxes criants qui caractérisent les rapports entre les chefs de la communauté musulmane et le pouvoir politique au Sénégal (Mbacké (K.) 1995 : 118). « Marabout » signifie dans ces exemples « guide religieux ». Pour ce sens 2, la relation synonymique mène à deux termes : « serigne » et « khalife ». [22] Le Serigne [le fondateur du mouridisme], il vous prenait de partout, vous enrobait, vous phagocytait sans crier gare (Sougoufara, 1992 : 30). [23] Son fils aîné, devenu le nouveau khalif, a reçu la mission de perpétuer ce grand événement. À partir de ces deux synonymes sont dérivés, selon le même modèle, respectivement les termes « serignat » et « khalifat » qui désignent la fonction, le statut de guide religieux. [24] Le mouvement qui accorde la priorité à l’accumulation est donc, en même temps, tout empreint de la réévaluation critique du cadre social antérieur et traditionnel, de ses mœurs et de ses usages, y compris de l’institution du Sérignat (Ndiaye (M.) 1998 : 90). [25] C’est l’initiative la plus heureuse qu’il m’a été donné de recevoir durant mon khalifat (Promotion n° 34 : 10). Le terme « khalife » est emprunté à l’arabe où il signifie « premier guide spirituel ». Il garde, en fait, ce sens en Wolof et en Français. Il a donc un signifié qui ne correspond pas exactement à celui de « marabout ». En effet, ce dernier n’a pas forcément le sème « premier ». La relation de synonymie entre les deux termes n’est stable que si on a un contexte syntaxique dans lequel « marabout » est précédé du déterminant défini « le » et suivi d’un syntagme prépositionnel désignant le plus souvent une localité ou une confrérie. [26] Dans son sermon, le marabout de Ndiassane a rappelé aux fidèles leurs devoirs religieux. [27] Cette grande manifestation religieuse sera présidée par le marabout des tidianes. Dans ces deux exemples, le terme « khalife » pourrait être employé à la place de « marabout ». [28] Dans son sermon, le khalife de Ndiassane a rappelé aux fidèles leurs devoirs religieux. [29] Cette grande manifestation religieuse sera présidée par le khalife des tidianes. Dans ce contexte où le terme « marabout » est précédé du déterminant défini « le » et suivi d’un syntagme prépositionnel ayant le trait (+localité) ou (+confrérie), sa structure morphologique est parfois enrichie par le procédé de la composition par l’adjonction de l’adjectif « grand ». [30] Le chef du gouvernement et sa suite se sont rendus chez le grand marabout des mourides. Dans cet exemple, « grand marabout » a rigoureusement le sens de « khalife », c’est-à-dire de « premier guide spirituel ». Il faut souligner que le sens 1 ne permet pas une telle formation par composition. Il permet, certes, l’adjonction de l’adjectif « grand », mais ce n’est guère pour donner un mot composé. La séquence « grand marabout » aura, en ce cas le sens de « marabout de grande renommée, de talent ». On relève également une possibilité de réalisation avec l’adjectif « jeune », qui renvoie au sens 2. [31] Les jeunes marabouts ne sont pas les grands exégètes de l’islam, loin s’en faut, ce sont les gens versés dans le culte du mythe et petits fils [sic] des fondateurs de confréries ou de leurs illustres compagnons (Acart (A.) 1995 : 12). En réalité, dans cet emploi, le sens de « marabout » est élargi à tous les membres mâles des familles de chefs religieux (fils, petits-fils, frères…), qui ont certes vocation à devenir des guides religieux, mais qui, de fait, n’ont pas forcément ce statut. Parmi les possibilités combinatoires que permet le terme « marabout » quand il a le sens 2, figurent également des réalisations dans lesquelles il est suivi d’adjectifs spécifiques indiquant le plus souvent une activité professionnelle ou une appartenance confrérique. [32] Marabout-agriculteur, Serigne Sam Mbacké, homonyme du père de Khadimou Rassol Cheikh Ahamadou Bamba s’était installé à Ndoulo en 1945 sous le « Ndiguel » de Serigne Falilou Mbacké, alors Khalife général des mourides (Le Soleil 18/09/1992). [33] Le marabout tidiane sera accueilli, ce matin, à Tivaouane, par des milliers de fidèles. Alors que pour le sens 1 on comptait huit dérivés par suffixation, pour le sens 2 on n’en compte qu’un seul. C’est la forme « maraboutique », également relevée pour le sens 1. Voici des exemples pour le sens 2: [34] La littérature anthropologique et sociologique a plutôt porté sur les relations entre l’État, les structures maraboutiques et l’économie arachidière (Diop-Diouf 1990 : 23). [35] Le socialisme et la démocratie peuvent-ils exister au Sénégal face à l’omnipotence des pouvoirs maraboutiques ? (Le Soleil 19/07/1993). On relève également, pour ce sens 2, une relation d’antonymie qui n’était pas observable pour le sens 1. Elle oppose « marabout » au terme « talibé »3, emprunté au Wolof et signifiant « disciple, personne ayant fait acte d’allégeance à un marabout ». [36] Entre Serigne Modou Kara Nooreyni, le « marabout des jeunes » et son Taalibé et admirateur Alioune Kassé, c’est (presque) la guerre (Le Témoin 27/06-02/07/1995). [37] La cour était pleine de femmes, toutes voilées, devisant tranquillement devant le poste téléviseur […], sans doute des « talibées » venues se recueillir auprès de leur guide (Le Témoin 11-17/07/1995). On peut observer la variation dans l’orthographe de cet antonyme (« taalibé », ex. [36]) et son accord en genre (« talibées », ex. [37]). De ce terme, est formée par dérivation « talibité » qui indique l’ensemble des attributs qui font un talibé. [38] Grâce à son investissement, Darou Mouhty qui est le second pôle du mouridisme, abrite la plus grande mosquée de toutes les contrées mourides, demeure la référence des fidèles les plus imprégnés de la charia et de la « talibité » […] (Le Soleil 25/06/1997). 3. MARABOUT : SENS 3 Dans son troisième sens, le terme « marabout » désigne un musulman qui enseigne le coran aux enfants. On a une illustration de ce sens dans les exemples suivants. [39] Les difficultés de survie en milieu rural poussent de plus en plus les marabouts à recourir à l’exode rural pour chercher dans les agglomérations urbaines des vivres et surtout un revenu monétaire (Le Soleil 09/11/1993). [40] L’école coranique du marabout Yacouba Alpha Hanne […] tape à l’œil du visiteur grâce à une écriture quelque peu maladroite, libellée en français et en arabe sur le mur de clôture (Le Matin 16/04/1997). Les relations paradigmatiques que permet le terme « marabout » dans cette troisième acception sont différentes des précédentes. En effet, ici, on a une relation de synonymie avec les formes composées « maître coranique » et « maître d’arabe », et une relation d’antonymie avec le terme « talibé », compris non plus dans le sens déjà évoqué de « disciple, personne ayant fait acte d’allégeance à un guide spirituel » mais dans celui « d’élève coranique ». Ces deux relations sont observables dans les exemples suivants dont les trois premiers opposent « maître coranique » et « talibé » et les deux derniers « marabout » et « talibé ». [41] Peu de talibés apprennent effectivement le coran, les maîtres coraniques préférant les envoyer mendier (Wal fadjri 03/03/1988). [42] Avec notamment un programme d’assainissement des daara ciblés qui devront, au terme de cette première étape du projet, disposer d’eau potable, jusqu’à concurrence de 20 à 30 litres jour/enfant. Une initiative salutaire pour la plupart des maîtres coraniques et de leurs talibés (Le Soleil 25/11/1992). [43] Comme le souligne d’ailleurs Oustaz Bâ, maître coranique à Grand Dakar, à propos des baby-foot qui lui portent un grand préjudice : « Tout le temps, je corrige durement mes talibés à cause des baby-foot » (Le Témoin 28/11/-05/12/1995). [44] L’exode vers les grandes villes étant devenu une stratégie de survie pour les enfants comme pour leurs marabouts, les talibés quittent leur terroir pendant la saison sèche à la recherche de revenus (Wal fadjri 19/04/1994). [45] À Saint-Louis comme on le constate, le taalibé est un élément économique : le marabout compte essentiellement sur lui pour se « tirer d’affaire » (Wal fadjri 18/05/1994). Il faut signaler qu’habituellement, le « talibé » n’a pas pour seule occupation quotidienne l’apprentissage du coran. Il doit également se livrer à la mendicité pour sa propre subsistance et parfois celle du marabout. Ainsi, le sens du terme s’est progressivement élargi pour désigner « les jeunes enfants mendiants ». Cet élargissement de sens a entraîné la création de la lexie composée « talibé-mendiant ». [46] De la condition de talibé-mendiant à celle de bachelier, il y a un fossé énorme pour qui connaît la stratification sociale de notre pays […] (Le Soleil 23/08/1995). [47] Le ministre de la Santé publique a aussi fait remarquer que des études […] ont permis […] d’identifier les régions de Thiès, Saint-Louis et Kaolack comme étant les principales pourvoyeuses en talibés mendiants (Le Soleil 03/11/1995). [48] On compte près de 100 000 talibés-mendiants au Sénégal (Le Soleil 24/04/1996). Les possibilités combinatoires de « marabout » dans ce sens 3 sont presque inexistantes. On ne relève qu’une seule réalisation par composition, par adjonction au terme « marabout » d’un substantif spécifiant la fonction d’enseignant. Il s’agit de « marabout-enseignant ». [49] Elles semblaient poursuivre un rêve évanescent, avec leur regard perdu dans l’horizon, où la cravache d’un marabout-enseignant, papillonnant au-dessus de la marmaille terrorisée, prenait un relief extraordinaire (Ly Sangaré (D.) 1995 : 37). [50] Le projet de réhabilitation des talibés […] s’oriente déjà vers une augmentation des capacités d’autofinancement des daara. Ceci, explique-t-on « pour améliorer de façon durable le niveau de vie des marabouts enseignants et enrayer leur exode en ville » (Le Soleil 25/11/1992). La dérivation par suffixation devrait mener à deux termes : « maraboutique » et « maraboutisme ». Cependant, aucune attestation de ces lexies (dans ce sens 3) n’est actuellement disponible en français du Sénégal. CONCLUSION Si en français central le sens 1 est le sens le plus connu, pour ne pas dire le seul connu, en français du Sénégal, il n’y a pas une telle prééminence, et tout laisse croire que le sens 2, c’est-à-dire celui de guide religieux, est le plus fréquent, vu l’importance du phénomène confrérique dans ce pays. Cette communication vient confirmer l’idée que l’analyse lexicale ne devrait pas être séparée de l’analyse syntaxique4 et que les différences de sens d’un mot peuvent se décrire par les différences d’emplois : Les trois sens de Marabout que nous venons de souligner correspondent, en effet, à trois emplois différents, c’est-à-dire à trois environnements différents. Dans l’étude de ces environnements nous n’avons pas dépassé les limites du SN. L’analyse pourrait être enrichie en prenant en compte les combinatoires avec les prédicats verbaux et arriver peut-être à dégager pour chaque emploi une série de verbes particuliers avec lesquels ce lexème pourrait se construire aussi bien comme sujet que comme complément. Bibliographie Dubois (J.), 1971 : Introduction à la lexicographie, le dictionnaire, Paris, Larousse. Équipe IFA, 1988 : Inventaire des particularités lexicales du français en Afrique noire, Paris, Edicef-Aupelf (1re éd. 1983) Latin (D.), Ambroise (Q.) et Tabi-Manga (J.), 1993 : Inventaire des usages de la francophonie : nomenclatures et méthodologies, Actes du Colloque de Nice (18-21 septembre 1991), Paris, Aupelf-Uref. Pottier (B.), 1992 : Sémantique générale, Paris, PUF. Notes 1 On retrouvera ce terme comme synonyme de « marabout » dans les deux autres sens étudiés ici. IFA 1 a relevé également l’adjectif « maraboutal » à partir d’un exemple de Boilat, P. : « Après la bénédiction maraboutale, on fait une noce qui dure huit jours. » (Boilat (P.), Esquisses sénégalaises : 322). On ne retrouve pas ce terme dans les corpus récents. 3 Ce terme a une autre acception quand il est opposé au sens 3 de « marabout ». 4 Cf Gross, (G.), 2005 : Communication aux septièmes Journées de formation du réseau des chercheurs en Lexicologie, Terminologie, Traduction organisées à Bruxelles (à l’ISTI) du 5 au 11 septembre 2005. 2