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LES EFFETS EN SUISSE DU NOUVEAU RÈGLEMENT EUROPÉEN SUR LES SUCCESSIONS
L’Union Européenne a adopté un texte comportant des innovations très importantes
Il reprend des outils bien connus des juristes helvétiques, comme la professio juris et le pacte successoral
Il ne concerne cependant pas la loi fiscale qui détermine le prélèvement des droits de succession
C’est un fait bien connu et qui se vérifie de plus en plus fréquemment : avec l’accroissement de la mobilité et des échanges, les
successions ont un lien avec plusieurs pays. Par exemple, un citoyen suisse décède en étant domicilié à Monaco, ou encore une citoyenne
allemande épouse un suédois en étant domiciliée à Paris pour ensuite élire un domicile en Suisse avant d’y décéder après avoir fait
son testament à Vienne ! Quelles sont les lois successorales applicables en de telles circonstances : la loi nationale du défunt, celle de
son dernier domicile ou celle de son domicile au moment de l’établissement du testament ? Quels juges doivent être reconnus comme
compétents pour trancher en cas de litige entre les héritiers ? C’est pour répondre à ces questions que chaque pays développe en son sein
une discipline du droit à part entière : le droit international privé. Cependant chacun développant ses propres solutions, les litiges et
les incohérences subsistent entre les pays. La tendance est désormais d’harmoniser le droit international privé entre les différents pays.
La question est d’importance : on estime que chaque année pas moins de 450’000 successions présentant un caractère international
sont ouvertes en Europe ! Dans ce contexte, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne ont adopté le 4 juillet 2012 un
document très innovateur: le Règlement relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions (...) en
matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen.* Ce règlement s’appliquera à toutes les successions ouvertes
par un décès postérieur au 16 août 2015 ; il concerne tous les pays membres de l’Union européenne, à l’exception du Royaume-Uni, de
l’Irlande et du Danemark. La Suisse n’étant pas membre de l’Union Européenne, elle n’est pas directement concernée par le règlement.
Néanmoins, à plusieurs égards, des modifications importantes sont à envisager par les juristes suisses s’agissant de planification des
successions internationales. Précisons d’emblée que ce règlement ne concerne pas la fiscalité : il n’a pas pour vocation d’éviter la
double imposition en matière de droits de successions (comme l’ancienne convention existant entre la Suisse et la France dont on a
abondamment parlé dans la presse, actuellement résiliée).
La loi applicable à la succession
Pour le juriste helvétique, la disposition la plus significative du Règlement est certainement son article 20, qui indique que « toute loi
désignée par le présent Règlement s’applique même si cette loi n’est pas celle d’un Etat membre. » Le règlement ne concerne dès lors
pas exclusivement les successions communautaires mais toute succession à caractère international. En Europe il existe deux traditions
pour désigner la loi applicable aux successions internationales : celle des pays qui appliquent la loi de la nationalité du défunt (citions
l’Allemagne, l’Autriche, l’Italie, l’Espagne et le Portugal) et celle des pays qui pratiquent le rattachement selon le domicile du défunt
au moment de l’ouverture de la succession (notamment la France, la Belgique, le Royaume-Uni et l’Irlande). C’est le principe de la
résidence habituelle qui a été retenu pour le Règlement, par préférence à la notion de domicile, dont la définition est trop différente
dans les pays européens. Il faut souligner ici que le critère de la loi de résidence du défunt s’applique de façon universelle, sans
aucune distinction selon que le défunt était ou non ressortissant d’un pays membre de l’Union européenne. Ainsi la succession d’un
citoyen suisse domicilié en Allemagne sera régie par le droit allemand. On peut regretter l’absence dans le Règlement d’une définition
de la notion de résidence habituelle, qui devra être précisée par la jurisprudence des tribunaux des différents états, avec le risque
d’incohérence que cela engendre entre les Etats.
Cela étant les conventions internationales passées par différents pays resteront applicables nonobstant l’entrée en vigueur du Règlement.
Citons la convention passée entre la Suisse et l’Italie qui prévoit l’application du droit italien pour les personnes de nationalité italienne
domiciliées en Suisse, et réciproquement. Ainsi malgré l’entrée en vigueur du Règlement, c’est le droit suisse qui est applicable à la
succession d’un citoyen helvétique demeurant en Italie.
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L’unité de la loi applicable à la succession
On trouve en Europe deux courants distincts : les pays qui prônent l’application d’une seule loi pour tous les biens de la succession,
même immobiliers (système unitaire, notamment Suisse, Allemagne, Italie, Espagne et Portugal), et au contraire les pays qui se
réservent d’appliquer leur propre loi pour tous les immeubles situés sur leur territoire, même pour les successions ouvertes dans un
autre pays (système scissionniste, notamment la France, la Belgique, le Royaume-Uni et l’Irlande). Dans ce dernier système, la loi
successorale concerne les biens mobiliers et les avoirs bancaires, alors que les biens immobiliers de la succession sont régis par la loi du
pays de situation (lex rei sitae). C’est le principe de l’unité de la loi applicable qui a été retenu dans le règlement européen. Prenons par
exemple le cas d’un citoyen suisse possédant en France une résidence secondaire. Actuellement c’est le droit français qui est applicable
pour ce bien immobilier, le droit suisse régissant les autres biens. Dès l’entrée en vigueur du Règlement, seul le droit suisse sera
applicable, même aux yeux des juges français.
La possibilité pour le testateur de choisir la loi applicable à sa succession (professio juris)
Par une telle disposition le testateur désigne dans son testament la loi applicable à sa succession, par exemple la loi de son pays
d’origine ; il peut ainsi simplifier la situation en faisant coïncider cette loi avec celle qui doit s’appliquer à la liquidation de son régime
matrimonial. Actuellement peu de pays admettent ce système ; citons l’Allemagne, l’Italie, la Belgique et les Pays-Bas. D’autres sont
réticents, eu égard à l’usage qui peut en être fait pour supprimer les parts réservataires des proches parents ; c’est notamment le cas
de personnes de nationalité britannique ou américaine dont les législations nationales sont plus libérales sur ce point que les droits
continentaux. En Suisse, le Tribunal fédéral a admis que les parts réservataires ne sont pas d’ordre public et qu’il est donc possible de
s’en affranchir en choisissant une législation plus libérale que celle de son pays de domicile. Il faut néanmoins réserver l’abus de droit
: par exemple, le testateur choisissant son droit national pour nuire à l’un ou l’autre de ses héritiers, alors qu’il n’a en fait jamais eu de
lien particulier avec son pays d’origine.
Le règlement européen admet désormais la validité de la professio juris, le choix étant limité aux pays dont le testateur a la nationalité
; ainsi un citoyen suisse domicilié en France pourra choisir le droit suisse pour le règlement de sa succession.
La reconnaissance du pacte successoral
Le Règlement reconnaît la validité, à certaines conditions, des pactes successoraux. C’est assurément un changement notable, quand
on connaît la réticence des pays de culture latine (France, Italie et Espagne) à admettre la validité de conventions dont l’objet est le
décès de l’une des parties au contrat. Désormais, pour toute succession internationale, les pactes successoraux devront être admis par
les tribunaux de l’Union européenne dans la mesure où celui des contractants qui dispose de sa succession réside, lors de la conclusion
du pacte, dans un pays qui admet la validité d’un pacte successoral (ou encore possède la nationalité d’un pays admettant les pactes
successoraux). Ainsi un citoyen français résidant en France ne pourra toujours pas conclure de pacte successoral. En revanche, un
citoyen français domicilié en Suisse pourra conclure un tel document à raison de sa résidence secondaire en France.
Le certificat successoral européen
Enfin le règlement européen instaure, pour tous les pays de l’Union européenne, un document standard permettant aux héritiers
de justifier de leurs droits. Le contenu du certificat est précisément défini dans le règlement. Il déploie ses effets dans tous les Etats
membres sans qu’il soit nécessaire de procéder à une procédure d’homologation dans les autres Etats de l’Union européenne. La Suisse
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n’étant pas membre de l’Union européenne, elle ne sera pas tenue de reconnaître sans autre la validité de tels documents ; les certificats
d’héritiers établis en Suisse ne bénéficieront pas non plus de la reconnaissance automatique prévue par le règlement européen. Cela
étant, on peut penser que le règlement aura pour effet d’amener la Confédération à uniformiser le contenu des certificats d’héritiers
établis par les cantons suisses, ces derniers procédant chacun de façon différenciée à ce jour.
On le voit le Règlement européen sur les successions permettra de mieux coordonner et anticiper le règlement des successions qui en
Europe présentent un aspect international. La professio juris et le pacte successoral, instruments déjà familiers des juristes suisses,
pourront déployer des effets dans tous les pays européens.
Etienne Jeandin - Notaire à Genève
Article publié dans le quotidien « Le Temps » le 5 novembre 2012
* Journal officiel de l’Union européenne du 27 juillet 2012 L 201/107 - 134.