SUPER CERVEAUX : DES SURDOUES AUX GENIES - AE-HPI

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SUPER CERVEAUX : DES SURDOUES AUX GENIES - AE-HPI
SUPER CERVEAUX : DES SURDOUES AUX GENIES © CREAXION
Robert Clarke
Ecrivain et journaliste scientifique
Pour terminer ce colloque, vous allez avoir droit à la démarche du seul qui,
au cours de cette journée, ne soit pas un spécialiste. Journaliste
scientifique, je butine le savoir des autres, le pimentant à l'occasion de
quelques réflexions que je développe dans des livres, comme " Super
Cerveaux, des surdoués aux génies", qui a eu l'honneur de susciter
quelque intérêt de la part de votre présidente, et dont je vais donc vous dire
quelques mots.
Ce livre est né d'une interrogation sur la nature de ceux qu'on appelle des
génies. Pourquoi un compositeur nous fait-il entendre une musique qui
nous bouleverse plus que toute autre ? Pourquoi un homme peint-il d'une
façon qui va révolutionner la peinture ? Pourquoi un physicien ou un
biologiste imaginent-ils des théories qui nous donnent une image
entièrement nouvelle du monde ? Nous ne savons pas répondre à ces
questions, qui forment l'énigme de l'apparition des génies.
En enquêtant sur cette énigme, j'ai été amené à explorer une série
d'éléments psychologiques relatifs à des singularités de notre cerveau, qui
peuvent vous intéresser dans le cadre du sujet de ce colloque.
J'ai aussi rencontré à plusieurs reprises le problème de l'acquis et du
donné, souvent abordé au cours de cette journée. Certains génies ont été,
de façon évidente, des surdoués. Il semble qu'ils aient disposé, dès la
petite enfance, de dons exceptionnels. C'est le cas de Mozart, qui était ravi
lorsqu'à trois ans il trouvait, sur le piano de sa sœur, des tierces qui
s'accordaient et qui, à quatre ans, fit venir des larmes sur les joues de son
père en composant un concerto pour piano, alors qu'il n'avait encore
jamais étudié la musique. C'est aussi le cas de Picasso, qui dessinait dès
l'enfance comme Raphaël. Il est né avec un crayon dans la bouche. On dit
que le premier mot qu'il prononça fut "piz…" pour "lapiz", crayon en
espagnol.
Certains génies ont reçu, très tôt, l'aide efficace de leur entourage familial
et l'acquis a pris le relais de l'inné. Le père de Wolfgang Amadeus,
musicien lui-même, apprit le piano et la composition musicale à son fils
alors que celui-ci avait à peine cinq ans. Il apprit si vite qu'à l'âge de six
ans, son père l'emmena faire le tour des cours d'Europe, où son activité
musicale précoce fit merveille… Ce fut aussi le cas de Pablo Picasso, dont
le père, qui était peintre, lui apprit très tôt les techniques de la peinture,
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Association pour l’Epanouissements des Hauts Potentiels Intellectuels - Languedoc –Roussillon
CREAXION : Dépôt Légal – 2001/2006 - ISBN 2 – 911041
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avant de lui donner ses pinceaux alors que Pablo avait quatorze ans, en
une symbolique passation de pouvoirs, qui montrait qui était le véritable
peintre de la famille.
Le père de John Stuart Mill, qui devint au 19ème siècle, en Angleterre et en
Europe, la figure de proue de la pensée libérale en économie et en
politique, obligea le jeune John à apprendre le grec à trois ans, puis le latin
et les mathématiques. A huit ans, il était le précepteur d'autres enfants, à
onze ans, il écrivit un livre sur le gouvernement de Rome. Le père de
Blaise Pascal fit de même, l'initiant très tôt aux lettres, puis aux sciences.
Mais il fut surpris en voyant son fils redécouvrir seul la géométrie d'Euclide.
A quinze ans, le jeune Blaise énonce ce qu'on connaîtra sous le nom de
"théorème de Pascal" et invente avant d'avoir dix huit ans la première
machine à calculer, avant de devenir l'un des créateurs de la prose
française, un grand théologien, philosophe et physicien. Pour ces génies, il
semble évident qu'à un don inné s'est rapidement surajouté une aide
efficace de l'environnement familial.
La solitude de newton
Ce ne fut pas le cas pour d'autres. Newton naquit dans une famille
paysanne inculte et passa davantage de temps aux champs qu'à l'école,
dans sa prime jeunesse. Il fut donc en partie autodidacte, ce qui explique
peut-être qu'il vécut toute sa vie dans une grande solitude, ne pensant qu'à
ses calculs. On ne lui a jamais connu d'amis, et il avoua à son médecin, à
la fin de sa longue vie, qu'il n'avait jamais fait l'amour
Newton illustre parfaitement l'une des caractéristiques des génies, le fait
d'être des monomaniaques. C'est-à-dire de ne s'intéresser qu'à une seule
chose dans la vie, le but de leur travail. Lorsqu'on demandait à Newton
comment il avait mis au point sa théorie de la gravitation universelle, il
répondait "en y pensant constamment". Et c'était vrai. Il mangeait froid au
matin le repas qu'on lui avait servi la veille et qu'il avait oublié. S'il avait des
collègues à dîner, il lui arrivait de monter dans sa chambre pour y prendre
une bouteille de vin, d'être alors saisi par une idée, de se mettre à sa table
de travail et d'y rester la soirée, oubliant ses hôtes.
Les génies sont aussi dotés d'une imagination créatrice exceptionnelle, qui
fait souvent appel à l'intuition. Mais ils sont, en même temps, de grands
travailleurs, des techniciens hors pair dans leur spécialité. Ils sont aussi
égoïstes, car, imbus de leur importance, ils estiment que leur travail est
plus important que tout au monde. Mais ce sont surtout des visionnaires,
en avance sur leur temps, dont l'œuvre va transformer l'humanité à venir,
en apportant des éléments inédits et essentiels à ce qui est probablement
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ce qui existe de plus important au monde : la culture humaine. Newton fut
le premier à sortir la science de la théologie et à démontrer que ce qui se
passe dans le cosmos, comme le mouvement des planètes, est soumis
aux mêmes lois que ce qui se passe sur terre, comme le mouvement des
marées. Darwin fit de même, trois siècles plus tard, pour la biologie et
l'évolution des êtres vivants..
Einstein, qui renouvela aussi notre vision du monde et fut l'homme des
intuitions géniales, n'était pas un enfant prodige. Il ne parlait pas à trois
ans, et son entourage craignait qu'il ne fut débile. Il ne s'intéressa que
tardivement aux mathématiques et à la physique, mais de façon absolue,
négligeant les autres matières au point d'être refusé au concours d'entrée
au Polytechnikum de Zurich.
Carl Gauss, qui marqua de sa science mathématique le premier quart du
19ème siècle, qu'on considéra comme l'homme le plus intelligent de son
époque, est un autre exemple d'un génie qui commença seul. Son père
était inculte et l'empêcha d'aller à l'école. Ce qui ne gêna pas le jeune Carl
pour manifester son don : à trois ans, il corrigeait ce père qui se trompait
sur la paye de ses ouvriers. Il finit par entrer à l'école, où il surprit son
maître en donnant le résultat du problème avant même que l'énoncé en
soit terminé : "écrivez les nombres de 1 à 100 et faites en la somme". Cart
avait immédiatement répondu 5050, car il avait intuitivement reconnu que
cette somme était faite de 50 paires du même nombre : 1+100=101,
2+99=101, etc.. Il devint expert en presque toutes les sciences, calcula les
orbites des astéroïdes, donna son nom à l'unité de champ magnétique,
fonda le calcul des probabilités, dont la courbe la plus célèbre est toujours
la "courbe de Gauss".
On pourrait multiplier les exemples de ces génies qui semblent s'être faits
seuls. William Hamilton, un grand mathématicien irlandais né en 1805,
qu'on appela le "Newton d'Irlande" apprit seul à lire, on ne sait comment,
sans doute grâce à sa mémoire phénoménale, qui lui permit de lire
couramment, à cinq ans, le latin, le grec, l'hébreu, commentant Homère
dans le texte. Il y ajouta bientôt une dizaine d'autres langues, dont le
chaldéen, le bengali et le malais.
Les calculateurs prodiges
Des cas bien particuliers de ces enfants nés avec une prédisposition
évidente sont ceux des calculateurs prodiges. Le plus connu fut, au 19ème
siècle, Jacques Inaudi, qui naquit au Piémont d'une famille inculte, vécut
longtemps seul comme berger, avec son troupeau de moutons, avant de
venir en France avec ses frères, qui étaient montreurs de marmottes. Très
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vite, il étonna les paysans, sur les champs de foire, en réalisant
mentalement des calculs compliqués. Il devint vite célèbre, au point d'être
montré à l'âge de treize ans à l'Académie des Sciences, avant de gagner
sa vie dans les music-halls. Il avait dû s'amuser, tout gamin, à jongler avec
les nombres pour se distraire, dans la montagne, et avait profité de son
excellente mémoire. Les exercices de calcul mental remplacèrent, pour lui,
ceux que les autres faisaient à l'école ou en famille. On a recensé, au
cours des siècles, plusieurs de ces calculateurs prodiges, avant que
l'arrivée des calculettes ne rende inutile ces exercices de calcul mental..
Beaucoup perdirent leur don en arrivant à l'école, mais d'autres le
conservèrent. J'ai connu, dans les années 60, William Klein, un calculateur
prodige hollandais qui était alors "ordinateur humain" pour les physiciens
du CERN, le Centre européen de recherches nucléaires de Genève, car ils
ne disposaient pas, à cette époque, d'ordinateurs électroniques efficaces.
Certains de ces calculateurs prodiges étaient intelligents, comme Inaudi.
D'autres restèrent incultes, comme Henri Monteux, un berger tourangeau,
étudié lui aussi à l'Académie des Sciences en 1840. Comme on l'avait
emmené à cette occasion sur les Champs Elysées et qu'on lui demanda ce
qu'il en pensait, il répondit qu'il avait calculé le nombre de personnes que
l'on pourrait nourrir avec le blé qu'on y ferait pousser.
Les idiots savants
D'autres spécialistes du calcul mental sont clairement des êtres que l'on
pourrait qualifier d'idiots, voire d'autistes, leur quotient intellectuel ne
dépassant pas les 40 points. D'où ce terme d'idiots-savants, inventé par
des psychologues français au 19ème siècle, bien que les études récentes
sur ces cas étranges aient surtout été faites dans les pays anglo-saxons.
Le cas le plus célèbre est celui de jumeaux, deux adolescents américains
examinés dans les années 60 dans un hôpital psychiatrique de New York
et qui étaient des virtuoses du calendrier. Ils disaient instantanément quel
jour de la semaine correspondait à une date prise au hasard entre l'an
1500 et l’an 40.000. On a découvert qu'il était possible de résoudre ce
type de problème par un algorithme relativement simple, mais qu'ils
mettaient en œuvre avec une rapidité surprenante. Ils avaient, par ailleurs,
une familiarité avec les nombres, inexplicable étant donné qu'ils étaient
parfaitement incultes et qu'ils ne s'intéressaient à rien du monde extérieur.
Le neurologue américain Oliver Sacks, célèbre pour son livre "L'homme qui
prenait sa femme pour un chapeau", rendit plusieurs fois visite aux
jumeaux. Un jour, il fit tomber sa boite d'allumettes, lesquelles se
répandirent sur le sol. "111" firent les jumeaux d'une seule voix.
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On compta, c'était exact. "Nous n'avons pas compté, dirent les
adolescents, nous avons vu."
Une autre fois, Oliver Sacks les entend échanger entre eux des nombres
de six chiffres, qu'ils répètent avec une sorte de délectation. Il les note et
s'aperçoit, rentré chez lui, qu'il s'agit de nombres premiers. Il revient le
lendemain, avec un recueil de nombres premiers, et en jette un de 8
chiffres dans la conversation. Les jumeaux semblent ravis, et peu après en
donnent un de 9, puis un autre de 11 chiffres. Sacks ne peut plus suivre,
son recueil s'arrête aux nombres premiers de 10 chiffres. Il n'a toujours pas
compris comment ces deux jeunes gens incultes avaient pu avoir
connaissance de nombres premiers.
Ces cas étranges, inexplicables, montrent quelques possibilités étranges
de notre cerveau, qui mériteraient d'être étudiées plus attentivement. La
connaissance de notre matière grise reste encore très insuffisante, comme
le prouve le fait que les neurologues sont encore incapables de nous
fournir des explications claires et complètes sur des éléments aussi
essentiels de notre personnalité que sont l'intelligence ou la mémoire - qui
jouent un rôle essentiel dans l'apparition aussi bien des génies que des
surdoués. Les biologistes ont décidément encore du pain sur la planche..
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