INTERVIEW Romain Mesnil
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INTERVIEW Romain Mesnil
INT E RV IEW Romain Mesnil : « Je défends d'abord la dignité humaine Vice-champion du monde de saut à la perche, le président du Syndicat national des athlètes est présent sur tous les fronts depuis le début du parcours de la flamme olympique. Sélectionné pour Pékin, il continue à s'engager pour les droits de l'homme malgré les impératifs de l'entraînement. Les Idées en mouvement : Vous vous souvenez de votre réaction quand vous avez appris en 2001 la désignation de la Chine pour l'organisation desJO ? Romain Mesnil : Si je m'en souviens ! J'avais 24 ans, j'étais partagé entre l'idée que le CIO ne manquait pas d'audace et celle de devoir se préparer à des difficultés d'une toute autre nature que sportives. Certes, j'étais plus naïf qu'aujourd'hui, mais quand j'ai vu peu de temps après, à la télévision, les Chinois raser des quartiers entiers de Pékin, j'ai compris l'ampleur des contradictions entre ce qui fonde l'esprit de l'olympisme, les enjeux politiques et la réalité du business sportif. Entre ma seconde participation olympique, à Athènes, et celle de Pékin, le budget des JO est passé de 14 à 40 milliards de dollars ! Comment conciliez-vous votre engagement sportif et citoyen avec l'idéal olympique ? En ayant suggéré tout simplement aux athlètes d'arborer un badge siglé « Pour un monde meilleur ». Lorsque j'ai proposé mon idée en début d'année, j'ai fait en sorte de ne provoquer personne, sinon nos consciences. Il s'agissait surtout que le CIO ne puisse nous interdire ce badge et, au contraire, qu'il nous encourage car ce slogan fait partie de la charte olympique. On sait ce qu'il en est advenu. Maintenant et jusqu'aux Jeux, nous nous battons pour que ce badge soit mondial et ne soit plus considéré comme de la seule initiative française. C'est David Douillet qui relaie cette opération. Mon job, si je puis dire, c'est aussi d'être de plain-pied dans la compétition sportive et d'arracher une médaille à Pékin. Êtes-vous déçu par les réactions des dirigeants sportifs et en particulier du Comité national olympique français ? Je suis évidemment déçu de sa réaction, d'autant que je me trouve à l'initiative de ce projet. Même si cette idée est née des événements du Tibet, il ne doit pas y avoir d'amalgame. Le président du CIO a déclaré : « Les athlètes auront Us Jeux qu'ils méritent. » Moi je réponds : « Nous méritons des Jeux humains. » Ce qu'au fond je défends, c'est la dignité humaine. Ce terme est d'une importance majeure. Il est employé à plusieurs reprises dans la Déclaration universelle des droits de l'homme. Je la fais mienne. Cette question de la dignité on la trouve aussi bien au Tibet, chez ceux qui habitaient les quartiers rasés par les autorités chinoises. On la trouve en France, là où personne ne voit, ne témoigne ou n'entend. Peut-être parce que je suis sportif, père de famille et particulièrement curieux de la nature humaine, M E N S U E L DE LA L I G U E DE toujours est-il que cette question de la dignité me parle. Dans le sport comme dans la vie, je trouve que le respect de l'autre est essentiel. C'est banal, mais c'est capital pour apprendre et savoir vivre ensemble. D'une certaine manière, je vis l'olympisme comme un apprentissage permanent de cette loi. Et c'est seulement pour cette raison que je m'engage à la défendre. Quels souvenirs gardez-vous du sport à l'école ? Pour tout vous dire, ce n'est pas à l'école que j'en garde le meilleur souvenir mais dans les clubs ! Si mes parents ne m'avaient pas poussé à pratiquer l'athlétisme en dehors du cadre scolaire, je n'aurais jamais fait du saut à la perche mon sport favori. Ce sont dans les clubs que j'ai trouvé l'esprit collectif, l'engagement, l'exigence. En classe, l'éducation physique est au mieux un divertissement, au pire une contrainte. Ce n'est pas lié aux profs en tant que tels mais à leur formation. Tant que l'on recrutera des « profs de gym » sur un modèle académique avec un concours en fin de parcours (au lieu de l'organiser au départ), on créera un type d'encadrement qui ne répond que partiellement aux besoins des jeunes générations. Ce qui compte au départ dans le sport, c'est son caractère ludique. Se faire plaisir. Le reste vient après, à force de travail et de dépassement. Et puis je ne regardais pas le sport à la télé. Même encore aujourd'hui, à part la Coupe du monde de foot à laquelle il est difficile de résister, je préfère pratiquer que regarder. Est-ce plus facile aujourd'hui qu'hier de pratiquer le sport de haut niveau en exerçant un métier ? L ' E N S E I G N E M E N T © Fédération française d'athlétisme C'est plus facile pour la simple raison que le sport est un business. Il est inutile de jouer les hypocrites, sans sponsors je ne serai pas là où j'en suis. Je suis ingénieur et j'ai pu concilier mes études à l'Institut national des sciences appliquées de Toulouse avec l'entraînement, puis avec ma vie de famille sans trop de problèmes car je dispose des moyens pour vivre. Parlons dopage. La Fédération française d'athlétisme a récemment lancé une vaste campagne de lutte et de prévention du dopage. La situation est-elle si grave ? Je pense que la Fédération fait son travail. Mais assimiler le dopage à la triche est réducteur car dans la campagne c'est de cela dont il s'agit. Pour moi, c'est avant tout une mise en danger du sportif. Ceux qui sont dopés sont les cobayes des laboratoires et des scientifiques qui les dopent. La drogue détruit les corps et peut entraîner la mort. Quand des footballeurs décèdent subitement sur un terrain, personne n'ose parler de dopage pour respecter la mémoire du joueur, mais sait-on que cela peut en être aussi la conséquence ? La compétition a dès limites si elle n'est l'œuvre que du business et de ce qui sournoisement l'encourage. Pour se protéger de la tentation il faut en revenir aux valeurs, à se qui fonde l'humanisme. Jamais les vertus de l'olympisme n'on été autant d'actualité, alors profitons à la fois dès Jeux mais aussi de la sincérité de l'engagement des sportifs de ma génération pour lés réveiller. Propos recueillis par Jean-Michel Djian Voir également l'interview de Romain Mesnil dans la revue En jeu, une autre idée du sport, de juin 1 6 0 ■ J U I N - J U I L L E T 2 00 i