La Vie à Beyoğlu lors de la Guerre de Crimée

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La Vie à Beyoğlu lors de la Guerre de Crimée
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FEVRIER 1955
La Vie à Beyoğlu lors de la Guerre de Crimée
Istanbul — Beyoğlunda eski Naum Tiyatrosunda ilk Balo
Istanbul — Le premier Bal organisé à l’ancien théâtre Naoum à Beyoğlu
Il est un an n iversaire qui a passé à peu près in ­
« A van t la guerre, le ta b ac le m eilleur était à 60
aperçu dans la presse lo ca le: il y a cent ans é clatait
pstr. Au cours des hostilités il atteignit 30 0 pstr. C ar
la G uerre de C rim ée! 1 ) . Pourtant l'événem ent est im­
les «Frenks»
portant et son influence sur les destinées de la Tur­
entichés du tab ac de « Y e n id jé » et l ’on créa même à
quie ottom ane a été décisive. L'im p lacab le poussée
Paris des boutiques où il était exclusivem ent vendu.»
slave vers Istanbul avait été arrêtée pour un quart de
siècle par la G ran d e-B retag n e, la France et le Pié­
mont, alliés de la Turquie.
M ais si même l'on s’abstient de s’élever jusqu’au
plan de la grande histoire, la G uerre de Crim ée m ar­
que aussi une étape dans l'évolution de la vie so ciale
de la Turquie ottom ane. Par suite de l'a fflu x
des
troupes étrangères, avec leur m atériel et aussi avec
leurs coutumes, leur mode d'existence, les masses mu­
sulm anes eurent pour la
d'entrer en contact
prem ière
direct avec
fois
l'occasion
l’O ccident
et
ses
moeurs. L’historien Djevdet p ach a, dans son «M aruza t» fournit de savoureux détails à ce propos:
«Lors de la G uerre de Crim ée et de l'arrivée des
troupes fran çaises, an g laises et sardes, l’or se mit à
couler comme de l’eau à Istanbul (s é c ). De ce fa it,
les artisans réalisèrent des fortunes. Les moindres bi­
joutiers du G ra n d B aza r app rirent à vivre en gens
distingués et commencèrent à s’in stalle r dans les v il­
las du Bosphore. Il n’y eut plus la moindre bicoque
qui fut à louer et l ’on considérait comme une rare
(lise z les O ccid e n tau x)
s’étaient aussi
Les casernes qui entouraient la v ille d'une sorte de
cité m ilitaire furent mises pour la plupart à la dispo­
sition des nouveaux arrivan ts. C elle de Sélim iyé, sur
la côte d ’A sie, échut aux A n g lais. Ces derniers, so l­
dats de métier, s’y installèrent en m énage, avec leurs
femmes qui étaient arrivées p ar les mêmes transports.
Les o fficiers et leurs fam illes s'étab lirent dans
les
quartiers purement turcs d ’Ü sküdar et de K a d ik ô y . Les
Français furent répartis entre les casernes de Davutpacha et de T ach kich la, cette dernière ven ait à peine
d ’être achevée à l’époque. Ils établirent
aussi
un
camp hors de la v ille , dans la région de M a sla k . Les
o fficiers logèrent chez l ’h ab itan t. Et c'est d 'alo rs que
date la transform ation profonde
de Péra,
l'actuel
Beyoglu. G a la ta avait encore la ceinture complète de
ses rem parts. A u x abords de la tour génoise qui do­
mine la v ille , on vit surgir des salles de b illa rd , des
tavernes, des restaurants et même des théâtres. Chose
plus im portante, les soirées, les bals vinrent apporter
un reflet de la vie m ondaine des grandes capitales
bonne fortune le fa it de trouver à Büyük Déré une
d ’O ccident dans l'existen ce, jusqu'alors si morne et
maison de quatre cham bres qui fut disponible.
si tran q u ille de la v ille , où toute trace de vie s ’étaig-
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TOURING ET AUTOMOB
nait dès le coucher du so leil. Le Sultan honora de sa
visite successivement
les
am bassades
Bretagne et de France, où ¡1 assista
de
à
un
G ran d eb a l.
A
chaque fo is, le grave Jo urn al de C o nstantinople n ’eut
pas trop de toute sa prem ière page pour narrer les
détails d ’un fait aussi nouveau.
Ju sq u'aux uniformes des o fficiers et des soldats
étrangers, jusqu’au x toilettes des dam es, tout était
un objet d ’ardente curiosité pour les n aïfs bourgeois
de la bonne v ille d ’ Istanbul. On s'am usait beaucoup
de l'habitude q u 'avaien t les zouaves de charg er les
objets les plus hétéroclites par-dessus leur gib erne. Et
parce que les troupiers fran çais s’interp ellaient fa m i­
lièrem ent en disant «dis donc!», le mot «dido n» de­
vint en turc un équivalent, légèrement ironique, de
«Fren k».
Des cérém onies comm ém oratives ont été o rg an i­
sées en l’ honneur de Miss Florence N ig h tin g al, dont
l'ap o sto la t est intimement lié à l'histoire de la fo n d a ­
tion du premier corps régulier d ’infirm ières. M ais que
d'autres noms ne pourrait-on évoquer encore! Il ne
nous revient pas, par exem ple, que l'on ait songé à
célébrer l'an n ive rsaire de la fondation de l'H ô p ital
Français de la P aix, — qui doit son nom précisément
au fa it qu'au retour de la p a ix avec la Russie, en
18 56, l ’hôpital m ilitaire créé au delà de C h ich li, alors
en rase cam pagne, a v a it été mis à la disposition des
services civils. En ce moment où la Turquie, e xa cte ­
ment comme il y a cent an s, a lié ses destinées à c e l­
les du monde occid en tal, le culte du souvenir devient
une contribution précieuse à l'oeuvre de rap p ro ch e­
ment qui s’im pose.
Gilberto PRIM1.
(1) Seul le jeune et distingué Conservateur des Mu­
sées de Topkapi et de la Marine, M. Halûk Y . gehsuvaxoglu, a évoqué, dans des articles fort documentés parus
dans le «Cumhuriyet» les réminiscences d’une époque qui
a marqué un tournant décisif dans la vie de ce pays.
Istanbul — Büstem Rasa Camii Minberi
La Chaire de la mosquée Rüstern Pacha ä Istanbul
Kişisel Arşivlerde İstanbul Belleği
Taha Toros Arşivi

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