Sortir enfin du tunnel… de l`étalement urbain

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Sortir enfin du tunnel… de l`étalement urbain
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Sortir enfin du tunnel… de l’étalement urbain
jeudi 11 février 2016, par Christophe Schoune, Secrétaire général
Entre l’imbroglio fédéral sur le RER et la saga des tunnels bruxellois, l’information est passée inaperçue.
Elle mérite cependant que l’on s’y attarde : Bruxelles, Liège, Charleroi ou Namur continuent à perdre une
partie de leurs classes moyennes, attirées par les sirènes vertes de la périphérie. Le phénomène n’est pas
neuf, mais il vient d’être étudié sur deux décennies par l’Institut wallon de la prospective et de la
statistique (IWEPS) [1]. Et rien ne semble pouvoir arrêter ce phénomène…
Au total, entre 1994 et 2014, la Wallonie a gagné 271.974 habitants, constatent les auteurs de l’étude.
Cette croissance est due pour 47,3 % au solde extérieur (migrations internationales) ; 26, 8 % au solde
migratoire avec Bruxelles ; 11,4 % au solde migratoire avec la Flandre et 14, 5 % au solde naturel
(naissances-décès). Les chiffres sont limpides : l’évolution de la population au sein des communes
wallonnes dépend à 85 % des migrations internes ou externes à la Wallonie.
Véritables pôles d’attraction pour les jeunes, les couples séparés, les populations moins favorisées ou
l’immigration internationale, les villes demeurent les moteurs des onze bassins résidentiels esquissés par
l’Iweps. Mais ces coeurs se déssèchent d’une bonne partie de leurs forces vives socio-économiques : les
classes moyennes. Ce mouvement, amorcé à l’aube des années 60 de Bruxelles vers sa périphérie, ne s’est
pas arrêté ces vingt dernières années. Au contraire, l’analyse des migrations par classe d’âge démontre
que depuis vingt ans, Bruxelles, Namur, Liège, Charleroi, Verviers et La Louvière ont perdu des centaines
de milliers d’habitants (si, si) issus des classes moyennes. Et le phénomène s’est amplifié ces dernières
années à Liège et Charleroi.
« La répartition spatiale des soldes migratoires de/vers Liège de 1994 à 2013 met en évidence les pertes
importantes au profit essentiellement des communes du complexe résidentiel urbain de Liège et en
particulier des communes d’agglomération de Herstal, Seraing, Ans, Saint-Nicolas et Chaudfontaine »
(…), note l’Iweps. « Des pertes non négligeables se font également au profit d’Oupeye, Fléron,
Beyne-Heusay, Sprimont, Esneux et Grâce-Hollogne. Liège a par contre gagné des habitants en
provenance de Charleroi, Namur et Verviers et plus modérément de Huy, Andenne et d’autres communes
plus éloignées. »
Le constat est similaire à Charleroi, qui a perdu 15.504 habitants sur 20 ans et dont le processus de
périurbanisation s’est intensifié au cours du temps. « La période la plus récente 2009-2013 présente le
solde négatif le plus élevé », constate encore l’Iweps.
Stabilisé depuis douze ans, le mouvement de Bruxelles vers la Wallonie se poursuit cependant : chaque
année, près de 5000 Bruxellois font le choix de la périphérie pour les plus nantis ou de zones plus reculées
comme Charleroi pour les familles aux faibles revenus qui ne peuvent plus se loger à Bruxelles. « La
Région bruxelloise agit comme un moteur démographique pour les deux autres régions », poursuivent les
auteurs. « Les migrations entre Bruxelles et ces deux régions concernent, pour la période 1994-2013,
entre 48.000 et 61.000 personnes par an, alors que seulement 12.000 à 16.000 personnes migrent entre la
Wallonie et la Flandre. »
Les centres-villes ont un effet repoussoir, tandis que les espaces éloignés des polarités demeurent
attractifs pour les familles. Celles-ci y trouvent des services de qualité et accessibles dans un cadre de vie
peu ou moins pollué que les centres urbains, soumis eux-mêmes à l’engorgement infernal exercé par la
pression automobile de celles et ceux qui ont fait le choix de échapper vers la périphérie !
Certes, des outils ont été mis en place ces vingt dernières années pour contribuer au renouveau urbain et
rendre nos villes plus douces à vivre [2]. Mais, largement insuffisante, cette palette de dispositifs variés
aux résultats mitigés a témoigné en creux d’une absence de vision politique forte et coordonnée de la ville.
Réjouissons-nous ? Cette vision politique de la ville existe désormais, traduite dans une note de principes
approuvée par le gouvernement wallon l’an dernier [3]. Mais sera-t-elle suffisante, au-delà de la promesse
de « reconstruire la ville sur la ville », d’y ériger des « quartiers nouveaux » pour faire face à la
démographie croissante en Wallonie et d’y recentrer les activités, si elle n’est pas complétée par des
instruments pertinents et efficaces au service de cette vision ?
C’est tout le paradoxe des manquements constatés dans le projet de Code de développement territorial
qui fait l’objet de cette édition spéciale des nIEWs. Alors qu’il est un levier majeur pour mettre en oeuvre
le principe de recentrage des activités, le projet de CoDT est loin de se doter des moyens indispensables,
dans sa version actuelle, pour contrer l’étalement urbain.
Par-delà les impacts environnementaux engendrés par cet étalement (émissions de CO2, pollution
atmosphérique, gaspillage des ressources naturelles, perte de biodiversité,…) et son coût pour la
collectivité, c’est aussi le vivre ensemble qui s’en trouve menacé dans des villes où la dualisation entre des
populations fragilisées et les couches socio-culturellement privilégiées affecte la cohésion sociale.
A cet égard, le retour ou le maintien en ville des classes moyennes ne pourra se satisfaire d’éléments de
discours vagues ou de faux-semblant technologiques : c’est sur le terrain de la ville, au niveau de ses
infrastructures, de la qualité de ses écoles, de ses transports publics, de sa vitalité économique et
culturelle, de la diversité des services qu’elle rend aux habitants, de l’accès possible à la propriété ou à
des loyers modérés et de la qualité de vie et de l’air qu’on y respire que se jouera le maintien et le retour
(des classes moyennes) vers les noyaux urbains.
Le chantier est immense et il n’y a aucune fatalité : la cité wallonne peut renaître si les pouvoirs publics
sortent d’un carcan sous-localiste qui pénalise l’ambition. Où il s’agira, par exemple, de s’inspirer des
meilleures expériences de nos voisins danois, hollandais, français ou allemands [4]. Et de mettre en place
des outils structurants susceptibles de nous sortir enfin du tunnel de l’étalement urbain ! De ce point de
vue, le vote du futur CoDT est une occasion à ne pas manquer !
Notes
[1] Mouvements résidentiels en wallonie (1994-2014) : analyses des migrations intercommunales et
construction de bassins résidentiels. http://www.iweps.be/sites/default/files/wp21.pdf
[2] http://www.cpcp.be/etudes-et-prospectives/collection-au-quotidien/etalement-urbain-wallonie
[3]
http://www.lesoir.be/790626/article/actualite/belgique/2015-02-10/wallonie-jette-bases-d-une-politiqueville
[4] http://www.iew.be/spip.php?article5048

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