Métallurgie : la nouvelle cuisine de MetaFensch

Lundi Investigation
Lundi 11 Janvier 2016
LES MOTS DU DROIT
1
TTE
6
L’ENQUÊTE
Tutelle
Mesure de protection juridique. Elle est prononcée par
le juge des tutelles à l’égard d’un mineur (exemple : en
cas de décès de deux parents), et à l’égard d’un majeur
lorsque celui-ci, en raison d’une altération de ses
facultés, ne peut plus exercer ses droits et a donc
besoin d’être représenté dans tous les actes de la vie
civile. La personne en charge de cette protection
s’appelle le tuteur (source : ministère de la Justice).
LA JUSTICE ORDINAIRE
Récidive légale
et… casus belli
Promesse de François Hollande, MetaFensch
prend forme à Uckange. Photo Philippe NEU
Audience à juge unique. Tri- Même votre père vous identifie
bunal correctionnel de Nancy.
et vous avez reconnu avoir pris
8h40. L’audience a com- sa voiture ce jour-là. Pourtant,
mencé depuis dix minutes vous n’avouez rien. Avez-vous
quand une prévenue arrive sur peut-être quelque chose à
le côté du public, un peu per- déclarer aujourd’hui ? », essaie
due. Elle interroge deux avocats le président Haouy.
Les deux frères hochent la
qui s’échangent leurs vœux de
début d’année. « A qui je dois tête en signe de dénégation.
m’adresser pour dire que je suis
– La procureure, qui requiert
là ? », souffle-t-elle, avec un quatre mois de prison ferme :
fort accent alsacien. « La dame « C’est étrange, votre position.
blonde, là-bas », répondent les Le manège des trois individus
robes noires, désignant l’huis- est très clair et leur identificasière qui la raccompagne en tion ne souffre pas d’approxidouceur vers l’entrée.
mation. »
Deux frères, ressortissants
– Me Pereira n’a toujours pas
d’Azerbaïdjan, 25 et 23 ans, digéré la façon dont la représensont jugés pour le vol de 16 tante du parquet a relevé la
bouteilles de whisky au préju- récidive légale un peu plus tôt.
dice d’un supermarché. L’un est « Je voudrais qu’on commence
écroué, l’autre comparaît libre. l’année en se souvenant des
La procureure Bluntzer relève la bonnes pratiques et du respect
récidive légale dès le début de du contradictoire », grince-t-il.
leur procès, ce
Sur le fond, il
qui irrite leur L’avocat : « Laissez-moi déplore des
avocat, Me
discuter de son casier ré qu i s i t i o n s
Pereira.
identiques
judiciaire avec mon
– « Laissezcontre les
client. »
moi quelques
deux frères
minutes pour
alors que le
discuter de son casier judiciaire casier de l’un est bien plus
avec mon client. Je pense qu’il y lourd. « Ils n’ont pas de ressoura une erreur sur la date de ces depuis leur arrivée en
naissance et le casier est peut- France et ont essayé de s’en
être faux. »
sortir. Leurs parents sont égale– Le président Haouy, sèche- ment au RSA. Et puis, il s’agit
ment : « Oh, vous savez, il n’y tout de même de menus lara qu’une seule mention et le cins. »
volet B1 évoque deux dates de
Le président interroge l’aîné
naissance approchantes, les 20 sur le temps qui lui reste à
et 23 mars 1992. Il n’y a rien de effectuer en détention. Il ne
plus à dire. » L’avocat obtient comprend pas. Le magistrat farnéanmoins quelques minutes fouille dans le dossier. « Vous
de conciliabule, qui ne chan- avez été condamné à huit mois
gent rien. La procureure sort de prison en décembre 2015. »
une deuxième fois de sa boîte
–La procureure : « Ah, nous
pour réclamer également la réci- n’arriverons pas à faire exécuter
dive légale à l’encontre du la prochaine peine, si vous le
second, encadré par deux déclarez coupable avant qu’il
agents de la pénitentiaire dans ne ressorte », peste la représenson box vitré. Les faits : Le tante du ministère public.
26 novembre 2012, trois hom– « Pourquoi ? », interroge le
mes, dont les deux prévenus, président.
ont raflé de l’alcool dans un
–« Parce que nous avons un
commerce de Montigny-le-Roi an de délai environ pour l’exé(Haute-Marne). La vidéo a per- cution des peines… », regrettemis de les identifier et l’imma- t-elle. Moue dubitative du prétriculation de leur voiture a été sident.
relevée. Ils sont habitués de ce
Jugement : deux mois pour le
type d’action et les deux ont été cadet ; trois mois de prison
condamnés en 2014 et 2015 pour l’aîné… assortis d’un manpour des vols similaires, en réu- dat de dépôt (pour en garantir
nion, dans les Vosges notam- l’exécution, ndlr).
ment.
– « Vous êtes très flous et
Une chronique
ambigus dans vos déclarations.
d’Alain MORVAN.
AUX LECTEURS
Les entreprises avancent dans les aménagements
des ex-magasins de Lorfonte. Photo Philippe NEU
A terme, d’ici 2017, une dizaine de personnes devraient
travailler sur place. Photo Philippe NEU
Métallurgie : la nouvelle
cuisine de MetaFensch
Recyclage des métaux, nouveaux alliages, mise au point de poudre de titane, contrats signés avec des industriels
jusqu’en 2020… à Uckange, MetaFensch, centre de recherche promis par Hollande, est dans les starting-blocks.
O
n pensait que ce serait un
machin, un laboratoire
supplémentaire dans un
environnement qui avait encore
tout à prouver. Le voilà en ordre
de marche avec des projets précis et novateurs : travailler sur de
nouvelles nuances de métaux en
prenant en compte leur recyclage, créer une filière de recyclage du titane mais aussi mettre
au point des poudres de titane
nouvelle génération.
En septembre 2013 pourtant,
l’annonce était sortie de nulle
part, François Hollande, président de la République, évoquant
cette plateforme publique de
recherche et développement
industrielle à défaut de la réouverture des hauts-fourneaux. En
Lorraine, les acteurs concernés
tombaient des nues.
son recyclage. « On perd jusqu’à
90 % de la matière sur un lingot
de titane usiné en aéronautique. » Une tour d’atomisation
permettra de développer des
poudres de titane. « Peu travaillent sur la production de
poudre. Nous avons un rôle à
tenir, d’autant qu’elles seront
directement utilisables par
l’industriel. » 10 M€, alloués par
l’Etat, ont été investis pour
l’ensemble des équipements.
Les contrats avec les industriels doivent permettre à MetaFensch d’être autonome. Ils
seront soit en partage de propriété intellectuelle, soit en prestation complète où l’industriel
loue installation et personnel et
conservera son brevet.
Uckange : consommation
d’électricité triplée !
Complémentarité
Deux ans plus tard, l’affaire
n’a rien de la coquille vide
redoutée. MetaFensch, nom de
la plateforme, a son avenir
assuré jusqu’en 2020. Des contrats ont été signés avec
Ascometal, Eramet, Safran,
ArcelorMittal, Constellium, le
centre technique des industriels
de la fonderie… Depuis plusieurs mois, une équipe opérationnelle travaille à la pépinière
Synergie à Florange et mène les
études nécessaires aux industriels partenaires. Parallèlement,
des locaux à Uckange sont en
cours d’aménagement et les
fours, prototypes nécessaires à
la mise en œuvre de ces nouvelles technologies, en commande.
« On a bénéficié d’une pression politique positive », résume
avec un étonnant sens de la
formule le Canadien originaire
de Toronto, Neill McDonald,
jeune directeur de la structure
(lire ci-dessous). « Le Sgar,
secrétaire général aux affaires
régionales, a bien boosté tous
les acteurs. » Et l’écosystème a
su se mettre en branle, sous la
présidence de François Mudry,
déjà président de l’IRT M2P,
autre plateforme travaillant sur
d’autres projets de recherche
industrielle.
Acier, cuivre, nickel,
aluminium et titane
Le principal étant bien que
personne ne se marche sur les
pieds mais, au contraire, joue la
complémentarité de la fameuse
Vallée européenne des matériaux et procédés industriels.
Axe retenu : le recyclage des
métaux – aluminium, acier,
titane, cuivre, nickel, etc. – sur
de nouvelles nuances finement
cuisinées dans un four capable
de produire des lingots de
350 kg. « Cet outil permettra
aux métallurgistes de monter en
gamme sur des produits nouveaux et savoir quel gain de
qualité et de productivité ils
peuvent obtenir », explique
Neill McDonald. Le but étant
bien de convaincre les industriels d’investir et porter des projets innovants, « tout en réduisant le risque industriel et
s’ouvrant de nouvelles possibilités de partenariats ».
Poudres directement
utilisables
Le bâtiment, structure idéale
sur feu Lorfonte à Uckange pour
accueillir des équipements de
cette envergure, est encore en
travaux. L’Etablissement public
foncier de Lorraine a procédé au
ravalement de façade. La communauté d’agglomération Val
de Fensch, nouveau propriétaire, a déboursé plus de 2 M€
pour l‘aménagement intérieur
des 2 500 m² et ses 17 mètres de
hauteur. « Tout devrait être
achevé d’ici mars. »
Ensuite, MetaFensch prendra
le relais et payera son loyer mensuel sans oublier sa facture
d’électricité ! Loin d’être anecdotique, l’électricité, source
principale d’énergie, est une
question industrielle d’importance. MetaFensch va tripler la
c o n s o m m a t i o n é l e c t r i qu e
d’Uckange. Ligne spéciale et
transformateurs sont déjà en
place. A terme, d’ici 2017, une
dizaine de personnes devraient
travailler sur place.
Les deuxième et troisième
axes concernent le titane et la
mise au point d’une filière pour
Haute
technologie
MetaFensch, c’est 100 %
public en partenariat avec
les industriels et laboratoires académiques.
Tr o i s é q u i p e m e n t s
majeurs lui permettront de
développer et tester des
procédés et produits pour
industriels. Sur l’échelle
TRL, qui évalue le niveau de
maturité d’une technologie
jusqu’à son industrialisation et va de 1 à 9, MetaFensch se situe à 6 et audelà.
1. Four VIM. La société
grenobloise ECM Technologies conçoit ce prototype.
2 M€ pour un four qui doit
permettre la montée en
gamme de tous les métallurgistes ; petits fondeurs
compris. Créer de nouveaux
alliages prenant en compte
des métaux recyclés et travaillant leur allégement, tel
est l’objectif. La fusion et la
coulée se font sous vide ou
sous atmosphère contrôlée,
permettant des ajustements
en cours d’expérience pour
des lingots de 350 kilos.
Livraison attendue en avril
pour être opérationnel l’été.
2. Four PAM. Prototype
unique au monde qui pratique la fusion par arc à
plasma et permettra la mise
en place d’une filière de
recyclage titane pour le
marché de l’aéronautique.
Les lingots produits seront
de taille industrielle. Un
partenariat a d’ores et déjà
été signé avec l’usine auvergnate Eramet et avec Safran,
groupe aéronautique français. En construction dans
une société allemande, le
four doit être livré au printemps 2017.
3. Tour d’atomisation.
La tour vient d’être commandée pour être opérationnelle fin décembre. Un
monstre de technologie de
dix mètres de haut pour
développer une poudre de
titane. La poudre a l’avantage d’être de parfaite composition et de s’utiliser dans
des procédés de fabrication
additive ou moules sous
pression pour des composants très spécifiques.
Laurence SCHMITT.
Le Canadien Neill McDonald
est l’homme du « made in Fensch »
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À 37 ans, le Canadien Neill McDonald a été recruté pour diriger Metafensch et jouer les catalyseurs pour concrétiser
la promesse du président de la République de relancer la recherche publique « made in Fensch ».
C’
Photo RL
Une idée ? Un reportage que vous souhaitez que nous réalisions ?
Vous pouvez contacter la rubrique Lundi Investigation à l’adresse
mail suivante : [email protected]
LA PAROLE À LA DÉFENSE
« Un discours aux morts
de la guerre, c’est un plaidoyer
hypocrite pour les vivants,
une demande d’acquittement.
C’est la spécialité des avocats.
Je ne suis pas assez sûr
de mon innocence… »
Citation de l’écrivain Jean Giraudoux
dans La guerre de Troie n’aura pas lieu.
est l’homme (des promesses) du Président.
Quand d’autres ploieraient sous ce fardeau, Neill McDonald semble tout à fait à
son aise sur le site de MetaFensch à Uckange.
Le trentenaire au costume impeccable, parka,
lunettes et casque de chantier, parle cash. A l’anglosaxonne. Recruté il y a plusieurs mois, il sera, à
terme, à la tête d’une équipe d’une dizaine de
personnes. « Ici, nous serons au quotidien une
vingtaine, entre partenaires industriels, personnel
académique et nos propres ressources de MetaFensch », rappelle celui qui est actuellement en
pleine phase de recrutement.
l’Irsid. C’était déjà le centre de recherche d’Arcelor à
Maizières-lès-Metz. J’y ai passé dix-huit mois. »
Nous sommes à la mi-2006 et Neill McDonald est
embauché par un autre fleuron de l’industrie lorraine, Saint-Gobain. « Je n’étais pas à Pont-à-Mousson mais à Paris, où j’ai occupé différents postes de
recherche et développement dans le domaine du
verre jusqu’à la fin de l’activité bouteilles, qui vient
d’être vendue. J’étais responsable de la fusion du
verre et des analyses de cycle de vie ainsi que de
l’économie circulaire. »
Arcelor, Saint-Gobain…
Le lien est fait entre son profil et le centre de
recherche publique MetaFensch dont l’un des
objets principaux sera justement l’économie circulaire et le recyclage des ferrailles, selon la lettre de
mission donnée par François Hollande lors de sa
venue le 26 septembre 2013. Celui dont les racines
familiales sont à Belfast et qui a déjà beaucoup
voyagé, enfant, en Europe a finalement assez rapidement posé ses valises en France. « C’était un
choix personnel aussi, puisque ma femme est Française. Mais il y avait des raisons très objectives : je
peux vous dire que la France est très solide en
matière de recherche et développement, dans les
matériaux haute température, ce qui est mon
domaine de compétence. L’écosystème français est
très intéressant et les grands groupes mondiaux ne
s’y trompent pas. Voyez ArcelorMittal et ses 500
chercheurs à Maizières-lès-Metz », analyse Neill,
qui vit entre Paris, Metz et Uckange.
Un chef de projet les a rejoints à la rentrée
dernière puis un technicien mi-novembre. « C’est
une embauche locale, un jeune qui a fait son BTS
fonderie au lycée Loritz à Nancy puis à l’université
de Lorraine. Maintenant, on recherche un autre
ingénieur qui sera chef de projet spécialisé sur le
titane, ainsi que deux ou trois techniciens supplémentaires en 2016 », détaille le natif de Toronto
dont l’accent anglais souligne en réalité un français
parfait. « Je travaille pour un institut de recherche
en France donc je mets un point d’honneur à
m’adapter. Même si ma langue fourche parfois un
peu en fin de semaine », rigole Neill McDonald, en
déroulant sa présentation Powerpoint, l’ordinateur
portable installé à la va-vite sur le capot de sa
voiture.
Après des études d’ingénieur en métallurgie à
Vancouver, cet anglophone part au Etats-Unis, à
Pittsburg, où il décroche une thèse en métallurgie et
sidérurgie. En 2005, il traverse l’Atlantique et fait ses
premiers pas en Lorraine. « Cela s’appelait encore
Economie circulaire et recyclage
des ferrailles
Alain MORVAN.
« La France est très solide en matière de recherche et développement dans les matériaux
haute température », estime Neill McDonald. Photo Alain MORVAN