Contribution n°5 au Synode sur la famille. Personnes
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Contribution n°5 au Synode sur la famille. Personnes
Contribution n°5 au Synode sur la famille. Personnes homosexuelles et morale chrétienne. Qui suis-je pour juger ? Claude BESSON Mars 2015 L’homosexualité est un fait qui existe dans l’histoire de toutes les sociétés et de toutes les cultures. On ne peut le nier. Ce fait, demeuré caché pendant des siècles, est aujourd’hui devenu public dans notre société. L’Église catholique a pris en compte cette réalité depuis de nombreuses années : « Un nombre non négligeable d’hommes et de femmes présentent des tendances homosexuelles foncières. Ils ne choisissent pas leur condition homosexuelle ; elle constitue pour la plupart d’entre eux une épreuve. Ils doivent être accueillis avec respect, compassion et délicatesse. » (Catéchisme de l’Église Catholique, n°2358) Ce respect, cette compassion, cette délicatesse ont beaucoup progressé ces dernières années dans certains diocèses et dans des communautés chrétiennes. En effet, à l’initiative de certains évêques, des équipes diocésaines « missionnées » naissent pour mieux prendre en compte le vécu des personnes homosexuelles. L’objectif de ces équipes n’est pas tant la mise en place d’une « pastorale » à part qui favoriserait l’accueil des personnes homosexuelles, ce qui serait une forme de stigmatisation positive, que la reconnaissance et l’estime de ce qui est vécu par chacun « pour que ces personnes puissent vivre une vie chrétienne ordinaire et engagée et tenir leur place dans l’Église comme toute personne baptisée » (Père Denis Trinez in La Croix, 19 mars 2014, page 17). Si des avancées naissent sur le terrain, des avancées également sont perceptibles dans plusieurs documents officiels, par exemple l’accueil inconditionnel de toute personne et sa place dans la communauté chrétienne : « Pour les communautés catholiques, l’accueil inconditionnel de toute personne est premier. Toute personne, indépendamment de son parcours de vie, est d’abord un frère ou une sœur dans le Christ, un enfant de Dieu. Cette filiation divine transcende tous les liens humains de famille. Chaque personne a droit à un accueil aimant, tel qu’il est, sans avoir à cacher tel ou tel aspect de sa personnalité. » (Poursuivons le dialogue, Conseil Famille et Société de la Conférence des Évêques de France, mai 2013, p.5) Pourtant, vivre son homosexualité et sa foi chrétienne, est-ce possible aujourd’hui sans avoir à se cacher ? Si des progrès sont perceptibles, je peux témoigner, à travers de nombreuses rencontres dans plusieurs diocèses de France, que la difficulté pour un bon nombre de personnes homosexuelles et leurs familles de trouver leur juste place dans l’Église est réelle. Et l’enquête de Martine Gross effectuée en 2008 demeure toujours actuelle, à savoir que les gays et lesbiennes chrétiens, ayant intériorisé les discours de l’Église institutionnelle, vivent souvent avec déshonneur et culpabilité la découverte de leur homosexualité. (Martine Gross, Être chrétien et homosexuel en France, Société Contemporaine, n°71, Paris, Presses de Sciences Po, mars 2008) Souffrance, déshonneur, culpabilité, honte sont encore le lot de beaucoup de personnes, dû entre autre chose au regard porté par leurs frères et sœurs dans la foi et par un discours de l’Église institutionnelle qui, s’il insiste sur l’accueil inconditionnel, condamne toujours les actes homosexuels en les qualifiant d’ « intrinsèquement désordonnés ». Si l’Église catholique a toujours réprouvé les actes homosexuels, c’est à partir de 1970 que l’expression doctrinale a cependant évolué en distinguant les actes et les personnes. Cette distinction apparaît pour la première fois dans la déclaration de 1975 ‘’Persona Humana, sur certaines questions d’éthique sexuelle’’, de la Congrégation pour la doctrine de la foi : « Selon l'ordre moral objectif, les relations homosexuelles sont des actes dépourvus de leur règle essentielle et indispensable. Elles sont condamnées dans la Sainte Écriture comme de graves dépravations et présentées même comme la triste conséquence d'un refus de Dieu. Ce jugement de l'Écriture ne permet pas de conclure que tous ceux qui souffrent de cette anomalie en sont personnellement responsables, mais il atteste que les actes d'homosexualité sont intrinsèquement désordonnés et qu'ils ne peuvent en aucun cas recevoir quelque approbation. » (article 8) Cette attention aux personnes sera reprise dans le catéchisme de l’Église catholique tout en réaffirmant la condamnation des actes contraires à la loi naturelle. (Catéchisme de l’Église catholique, 1992, n° 2357 et 2358) Nous y voilà… Cette fameuse loi naturelle qui nous vient de Thomas d’Aquin. « Dans l’interprétation des textes bibliques qu’il opère, Thomas d’Aquin considère comme “contre nature” (je prends les termes qui sont de l’époque, mais qui sont toujours en vigueur) tous les actes qui ne sont pas cohérents avec leur fin. En langage direct : la relation sexuelle a pour finalité la procréation. Donc toute relation sexuelle qui n’a pas pour finalité la procréation est “contre nature”. (…) Pour lui, la nature est ce qui est conforme à l’ordre de la création. Ce n’est pas simplement une sorte d’obsession naturaliste. Pour la tradition théologique, cela s’ancre dans le projet de création de Dieu. Pour Thomas d’Aquin, la loi naturelle, ce n’est pas la loi biologique contrairement à ce qu’on pense souvent, c’est la loi de la raison. Mais une raison qui est elle-même en harmonie avec la loi divine. L’acte doit être cohérent avec sa finalité, laquelle est rapportée au plan de Dieu. » (Véronique Margron, Conférence donnée à « Réflexion et Partage », 1er juin 2013) La 2e session du Synode de la famille d’octobre 2015 permettra-t-elle d’aller au-delà de cette compréhension immuable de la loi naturelle ? L’avenir le dira… Si le rapport intermédiaire de la 1 re session du Synode avait ouvert quelques brèches en exprimant par exemple que « les personnes homosexuelles ont des dons et des qualités à offrir à la communauté chrétienne », le rapport final les a complètement occultées, réaffirmant en quelques lignes ce qui a toujours été dit : accueil des personnes mais « aucun fondement pour assimiler ou établir des analogies, même lointaines, entre les unions homosexuelles et le dessein de Dieu sur le mariage et la famille » (Relatio Synodi, paragraphe 55). La boucle semble bouclée et pourtant … La notion de loi naturelle a été revisitée par une Commission Théologique Internationale, dont le travail a été publié en 2009 (À la recherche d’une étique universelle, nouveau regard sur la loi naturelle, éd. du Cerf, mai 2009). La doctrine de la loi naturelle « affirme en substance que les personnes et les communautés humaines sont capables, à la lumière de la raison, de discerner les orientations fondamentales d’un agir moral conforme à la nature même du sujet humain et de les exprimer de façon normative sous formes de préceptes et de commandements » (ibid, p. 22). Et cette C.T.I. reconnait elle-même qu’avec « l’essor des sciences humaines, la pensée occidentale a pris davantage conscience de l’historicité des institutions humaines et de la relativité culturelle de nombreux comportement qu’on justifiait parfois en faisant appel à l’évidence de la loi naturelle » (n° 33). Elle-même cite au n° 53 quelques exemples comme « l’esclavage, le prêt à intérêt, le duel ou la peine de mort ». La loi morale serait-elle donc évolutive ? Oui, répond la CTI : « Le droit naturel n’est jamais une mesure fixée une fois pour toutes. Il est le résultat d’une appréciation des situations changeantes dans lesquelles vivent les hommes. » (n° 90) Il est permis de rêver quand des théologiens, des cardinaux et bien d’autres s’expriment aujourd’hui pour que l’Église se situe comme « compagnon de route » et attendent du Synode autre chose qu’une réaffirmation de la doctrine : « Que ce ne soit pas un Synode platonique, qu’il ne se retire pas sur une île rassurante de discussions doctrinales ou de normes générales, mais qu’il ait l’œil ouvert sur la réalité concrète et complexe de la vie. » (Mgr Bonny, évêque d’Anvers, 1er septembre 2014) Dans le domaine de l’union homosexuelle, il est temps d’ouvrir la réflexion sur la relation entre deux êtres au lieu de la réduire à l’acte génital. « Il est certain que si l’on invoque exclusivement l’objectivité morale ou le “contra naturam” de la théologie médiévale, c’est l’impasse, d’autant que cette théologie est encore active dans tous les textes du Magistère. Ces portes-là étant fermées, s’ouvre le domaine tâtonnant d’une pastorale d’accueil vouée à faire connaître un message bien difficile à entendre, c’est-à-dire celui d’une personne scindée entre son être et son agir. Mais précisément, une personne ne se réduit pas à ses actes. On peut respecter la dignité d’un homme qui a commis un crime et condamner son acte ; en revanche, l’orientation sexuelle d’une personne, sa sexualité, ne fait-elle pas partie de son être incarné, relationnel ? La condamner, n’estce pas condamner l’être désirant ? » (Laurent Lemoine, Homosexualité et morale chrétienne in Revue Études, octobre 2014, p.67) Laurent Lemoine, dans la même ligne, souligne qu’ « une piste possible consisterait en une estimation éthique du comportement global du sujet pour se garder de polariser l’évaluation sur l’acte génital come si la personne ne s’appréciait réellement qu’à cette aune. » (Laurent Lemoine, Dictionnaire Encyclopédique d’éthique chrétienne, Éditions du Cerf, 2013, p. 1096) Dans la réflexion sur la sexualité hétérosexuelle, à juste titre, lorsque l’on veut donner à l’acte sexuel sa véritable dimension, on le situe dans le contexte plus vaste de la relation amoureuse. En effet, l’acte sexuel, s’il recherche une jouissance légitime bonne en soi, est aussi tendresse, découverte, respect et souci de l’autre. Lorsque l’on prend ainsi soin de l’autre dans une attention réciproque, la relation amoureuse devient le signe de la générosité de Dieu. N’en serait-il pas de même dans l’acte homosexuel ? Est-il impossible de le situer également dans la relation amoureuse ? Ne serait-il pas également accès à la générosité de Dieu ? C’est une des idées que développe le dominicain Gareth Moore dans une conférence donnée à la Communauté dominicaine de Froidmont, en Belgique : « L'Église parle toujours en termes d'actes homosexuels ; elle ne parle jamais de relations homosexuelles. C'est-à-dire qu'en traitant des actions homosexuelles des homosexuels, elle en parle comme si celles-ci se produisaient en dehors de toute relation humaine. Les actions sexuelles des hétérosexuels sont par contre toujours considérées dans le contexte du mariage, c’est-à-dire d'un don mutuel de deux personnes qui se consacrent l'une à l'autre. Dans ce contexte, l'acte sexuel peut avoir un sens évident : l'union physique des deux corps est apte à exprimer symboliquement l'unité des deux personnes unies par l'amour. Peut-être qu'elle exprime aussi, comme le prétend la doctrine de l'Église, l'unité de Dieu, du Père, du Fils et du Saint-Esprit dont le principe d'unité est l'amour. Mais l'amour homosexuel existe aussi. Les rapports homosexuels ne sont pas à traiter comme s'ils existaient sans contexte humain, comme le fait l'Église. » Bien sûr, les actes homosexuels peuvent se produire sans relation humaine, sans amour et cela est à déplorer. Mais dans le cas de deux personnes homosexuelles qui s’aiment, la relation sexuelle ne serait-elle pas signe aussi de l’unité de Dieu, poursuit Gareth Moore : « Dans le cas de deux homosexuels qui s'aiment mutuellement, qui partagent leur vie, qui se consacrent l'un à l'autre de manière permanente, l'union sexuelle peut également être l'expression physique de l'amour qui unit ; il n'est pas évident de dire qu'une telle union sexuelle ne pourrait pas être également, comme l'union physique de deux personnes mariées, un symbole de l'unité de Dieu. Certes, l'union sexuelle de deux personnes homosexuelles ne peut produire d'enfant, ne peut être féconde de la même manière que celle de deux personnes hétérosexuelles. L'union sexuelle de deux personnes mariées dont une est stérile ne peut l'être non plus. En plus, l'union sexuelle d'un couple marié est censée, selon la doctrine officielle, refléter l'unité de Dieu. Mais l'union des personnes de La Trinité n'est pas féconde comme l'union sexuelle d'un couple marié. Dieu n'est pas fécond, il est créateur. C'est-à-dire que le couple hétérosexuel fécond est une mauvaise image de Dieu. » (in Claude Besson, Homosexuels catholiques, sortir de l’impasse, Les éditions de l’Atelier, 2012, p.111-112) Qui sommes-nous pour ne pas reconnaître l’Esprit à l’œuvre quand nous voyons et nous entendons les personnes homosexuelles porter des fruits d’amour, de paix, de patience, de bonté, de bienveillance, de foi, de douceur, de maîtrise de soi ? (cf Galates 5, 22-23) La peur est mauvaise conseillère. Prendre soin des personnes, que nous avons vues et entendues, invite à prendre en compte les attentes et les interrogations nouvelles que la vie de ces personnes suscite : « L’opposé de la foi, ce n’est pas le doute, c’est la peur : la peur de changer, de bouger, d’innover, de faire confiance à l’Esprit Saint. L’Église de ce temps serait-elle habitée par le doute, non celui qui s’interroge sur les données essentielles de la foi chrétienne mais celui qui craint d’avancer sur des terres nouvelles ? […] Le peuple des baptisés reçoit, en permanence, une mission : celle de témoigner, au cœur du monde réel qui est aussi le sien, de la Nouvelle qui le fait vivre et le pousse hors de ses frontières : “ Nous ne pouvons pas, quant à nous, taire ce que nous avons vu et entendu.” (Actes des Apôtres 4, 20). » (Jean Rigal, L’Église en quête d’avenir) « N’ayons pas peur. Cathos homos et hétéros (prêtres, diacres, évêques, laïcs, religieux et religieuses), nous avons une responsabilité : celle d’aimer notre prochain comme nous-mêmes, dans la complémentarité et la richesse de nos différences pour édifier ensemble le Corps du Christ : “ Nous sommes appelés à devenir un seul corps, un seul esprit dans le Christ. Nous avons besoin les uns des autres si vous voulons ‘grandir de toutes manières vers Celui qui est la Tête, le Christ, dont le Corps tout entier reçoit concorde et cohérence par toutes sortes de jointures qui le nourrissent et l’actionnent selon le rôle de chaque partie, opérant ainsi sa croissance et se construisant lui-même dans la charité’ (Éphésiens 4, 1516). Bien que vous [qui êtes homosexuels] vous sentiez parfois découragés, blessés ou en colère, ne vous éloignez pas de vos familles, ni de la communauté chrétienne, ni de tous ceux qui vous aiment. En vous l’amour de Dieu se révèle. Vous êtes toujours nos enfants. ‘Il n’y a pas de crainte dans l’amour… le parfait amour bannit la crainte.’ (1Jean 4,18) ” (Ils sont toujours nos enfants, Conclusion du message pastoral des Évêques des États-Unis aux parents d’enfants homosexuels, in la Documentation Catholique n°2170 du 16 novembre 1997) Apprenons les uns des autres qu’aimer en vérité est une aventure qui se vit jour après jour. L’évènement d’amour est quotidien. Dans cette quête, nous ne sommes pas seuls. Ayons confiance. L’Esprit nous devance toujours. » (Claude Besson, op. cit., p.130) Claude Besson