philippe kateRine

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philippe kateRine
Renseignements généraux
philippe katerine
Il ne vote pas, il dessine maladroitement les politiciens de droite et vit
dans la même rue que Giscard d’Estaing dans le xvième arrondissement
de Paris. Un entretien avec Philippe Katerine, abstentionniste attentif.
propos recueillis par Arnaud Viviant
portrait Louis Canadas
place du trocadéro, lundi 30 avril 2012.
On attend tranquillement Philippe Katerine
à la terrasse d’un café tandis que, non loin, des
ouvriers montent le podium où, le lendemain,
Nicolas Sarkozy prononcera un grand discours
sur « le vrai travail ».
Difficile de parler de « vrai travail » à propos
de Comme un ananas, le livre que le chanteur
vient de publier aux Éditions Denoël, et issu
de l’exposition du même nom, présentée dans
l’espace culturel des Galeries Lafayette. Comme
ses disques, ses petits dessins sur post-it, ses
aquarelles qui font songer à un Sempé simplet,
et ses dessins représentant des personnalités
de l’UMP (Copé, Dati, Boutin, Raffarin, Juppé,
Villepin) sont traversés par un dilettantisme
amusé, un effroi à faire sens.
On est venu l’interviewer pour savoir pour
qui il votait. Mais son attachée de presse nous
avait d’ores et déjà prévenu : Katerine ne vote
pas.
Arnaud Viviant : On m’a dit que tu ne
votais pas. Mais je suis sûr que tu l’as fait, au
moins une fois, juste pour voir ce que ça fait.
Katerine : C’est vrai. J’ai voté une fois, à
19 ans, pour les cantonales en Vendée. Ça s’est
très mal passé. Je me suis senti un peu prétentieux, je suis arrivé dans le bureau de vote
en bombant le torse, et je n’ai pris qu’un seul
bulletin. Comme un point d’exclamation, tu
vois… J’ai tout de suite détesté mon arrogance.
Je me souviens. Il y avait deux candidats qui
portaient un peu le même nom. L’un s’appelait
8 Charles
Cavalier et l’autre Chevallier. J’ai pris Chevallier.
Ensuite, ma sœur m’a dit: « Mais tu as voté pour
le FN ! » (Il pourrait s’agir de Jean-Marie Le Chevallier qui deviendra maire de Toulon en 1995, mais
qui a commencé sa carrière politique en Ille-etVilaine). Humiliation totale ! Détestation de soi !
J’espère voter un jour, quand je serai majeur.
Pour l’instant, je ne me sens pas assez mûr…
Même en 2002, avec Chirac contre Le Pen, je n’y
suis pas allé. Ça me dégoûtait. Mes collègues
chantaient dans les rues, il y avait cette prise
de conscience que je ne trouvais pas très ragoûtante quand même. Je n’ai pas de grands élans…
Tu as déjà manifesté ?
Une fois. Juste avant ce vote calamiteux. C’était à la Roche-sur-Yon, contre les lois
Devaquet. Mais là non plus, je ne me suis pas
senti à ma place. Il y avait un esprit qui ne me
convenait pas, et je me souviens d’être revenu
chez mes parents en leur disant : « Qu’est-ce
qu’on avait l’air bête, moi y compris ! »
Tu te souviens de l’élection de Mitterrand
en 1981 ?
Oui, comme je le dis dans le livre, je l’ai vécue
en famille et plutôt mal vécue. J’ai eu un grandpère un peu syndicaliste, mais mes parents se
sont recentrés… à droite. Dans mes veines coule
le gaullisme, j’allais dire le pétainisme… Bref,
mes parents n’étaient pas très gais, ce soir-là,
et leurs amis non plus. Certains parlaient de
quitter la France et j’avais peur que mes parents
les imitent. Bref, j’étais penaud en débarquant
au collège le 11 mai au matin, le jour me parais-
sait la nuit, comme à la crucifixion
du Christ. En revanche, ma sœur
est de gauche. Prof, syndiquée, elle
ne loupe plus une seule manifestation. Je vois bien que dans son cœur
cela a grandi. Elle défend des cas,
des causes et je l’admire en douce.
Mais te sens-tu de gauche ?
Oui, j’ai quand même cette
prétention de me sentir plus à
gauche. C’est d’ailleurs pour ça
que je ne dessine que des gens de
droite. Le dessin arrondissant les
« Ma soeur
m’a dit:
"Mais tu as
voté pour
le FN !" »
angles, attendrissant le sujet, il
m’est facile de rendre plus humains
ceux qui me sont le moins sympathiques. D’ailleurs, le livre est né
d’une action de la droite. Un jour,
j’ai reçu un document (reproduit
au début du livre ) m’apprenant que
Frédéric Mitterrand m’avait nommé
Chevalier des arts et des lettres. J’ai
trouvé ça humiliant. J’ai commencé
à faire des cauchemars dont je ne
me suis libéré qu’en dessinant ces
gens de droite. Je ne suis pas allé à
la cérémonie. Après, j’ai appris que
Philippe Starck s’y était rendu en
armure ! J’ai trouvé ça classe…
Au fond, la politique t’intéresse ?
Cela me passionne. Je regarde des débats
politiques jusqu’au fond de la nuit, en pestant
contre les uns et les autres. Hier, j’ai vu Barack
Obama. Je l’avais déjà entendu clamer son programme éducatif avec le batteur des Roots. Mais
hier, il a fait un show à la Jamel, un véritable
stand-up avec une générosité, une autodérision
qui foutent une claque énorme aux politiciens
français qui nous humilient en flattant notre
médiocrité. Cette joie d’être sur terre que dégage
Barack Obama est tout simplement énorme !
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