L`année entre nos mains
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L`année entre nos mains
POINT DE VUE L’année entre nos mains Les économistes font du renforcement positif et espèrent :les indicateurs semblent s’aligner pour le mieux.Les populations des pays industrialisés continuent de vieillir et n’ont plus d’enfants, alors que les enfants meurent par millions dans les pays en voie de développement à cause de la pauvreté, des famines, des guerres. C’est surtout la guerre qu’il faudra surveiller,l’économie planétaire étant assise sur une marmite chauffée à blanc par trop d’humains qui n’ont pas de respect pour la vie. etit matin de décembre cristallin. Le ciel bleu glacier et le soleil qui irradie de sa lumière joyeuse nous annoncent une superbe journée. Je monte dans la voiture avec ma fille, et nous nous dirigeons vers son école. Soudain, son chat sort de nulle part, s’élance devant l’auto, je freine, l’évite. La fourgonnette dans la voie opposée roule vite, trop vite, et son jeune chat encore un peu fou se fait happer par la roue du véhicule qui continue son chemin. Je m’arrête, chaviré. Ma fille, qui n’a rien vu de la scène, me demande innocemment pourquoi je stoppe la voiture. Au loin, son chat, qui ronronnait encore hier dans ses bras, se convulse dans la rue, et je dois lui annoncer ce qui vient d’arriver. «Ton minou s’est fait frapper», lui dis-je, la voix éteinte par l’émotion. Nous sortons de la voiture, elle me dit que ça va aller. Elle pense que je peux faire quelque chose pour le ramener : après tout, un père peut toujours tout arranger dans l’esprit de sa fille, non? Nous marchons jusqu’à son chat qui gît sur le bas-côté de la rue, et je le prends. Le sang coule doucement de son museau, son œil gauche est exhorbité, il a l’air de dormir... Ma fille retient ses larmes le plus fort qu’elle peut, sa petite main serre la mienne. On ne dit plus rien, P on a tous les deux le même cœur gros. Je me sens totalement démuni et impuissant devant ce petit drame de quartier. Ça me prendra des heures avant de m’en remettre. Et puis ça m’a fait penser à la vie et à la mort. Mais pas comme celle que les médias nous montrent au bulletin de 22 heures. Parce que là j’avais un peu de sang sur mes doigts... J’ose à peine imaginer la mère afghane ou le père irakien qui tient dans ses bras son enfant mutilé par une mine, mourant. Ça m’a fait penser à la mort, à l’inéluctable mais aussi à l’évitable. Ce chat qui faisait partie de la famille, qui était si important aux yeux de ma fille, est-ce que j’aurais pu changer son destin, prolonger son existence? J’aurais pu klaxonner, faire de grands signes au conducteur qui croisait mon chemin. Un petit geste pour la vie, ne serait-ce que pour celle d’un petit chat. Et nous, collectivement, quels gestes posons-nous pour rendre l’existence des autres plus humaines pour ne pas que nos semblables se fassent exploiter, polluer, avilir, envahir. Quel geste posons-nous pour le respect de la vie? L’économie semble reprendre de la vigueur; nous allons continuer d’investir nos épargnes pour prendre nos retraites bien méritées loin des malJANVIER 2004 7 heurs du reste du monde. Nous sommes heureux, et insensibles... Pendant ce temps, les États-Unis sont en train d’engloutir la plus grande fortune de l’histoire dans un conflit économico-religieux qui prend des allures de vendetta personnelle. Les répercussions sur l’économie occidentale et sur les générations qui suivront sont extrêmement difficiles à prévoir. Chose certaine, ça prendra des décennies aux ÉtatsUnis pour se renflouer, et on n’a toujours pas parlé des «dommages collatéraux», comme les mouvements anti-Américains... Au lieu de se souhaiter bonne année sans conviction, faisons plutôt en sorte qu’elle soit bonne pour nos proches, bien sûr, mais aussi pour tous ceux avec qui on partage la planète. En cette nouvelle année, qui nous montrera à répétition le visage fardé de la guerre, qui nous présentera de nouveau ces injustices, peutêtre pourrions-nous faire un effort pour investir ailleurs que dans l’armement, dans les entreprises qui exploitent les gens et leur environnement. Il me semble que si chacun faisait un petit geste pour guider cette économie aveugle et sans cœur il y aurait moyen de changer des choses et des habitudes, de sauver des vies et des écosystèmes... et d’avoir un peu moins de sang sur les doigts. YVES BONNEAU, rédacteur en chef [email protected]