Chapître Mécanique Linéaire de la Rupture (MLR)

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Chapître Mécanique Linéaire de la Rupture (MLR)
Master MATERIAUX, MECANIQUE, STRUCTURES, PROCEDES
Mention SCIENCES POUR L’INGENIEUR
CONCEPTS FONDAMENTAUX
DE LA
MECANIQUE DE LA RUPTURE
Abderrahim ZEGHLOUL
2015-2016
Chapitre II
MECANIQUE LINEAIRE DE LA RUPTURE
La mécanique linéaire de la rupture s’applique aux matériaux ayant un comportement
élastique obéissant à la loi de Hooke. Elle est encore valable lorsqu’on est en régime de
plasticité confinée, c'est-à-dire lorsqu’il se développe dans une structure globalement
élastique, une faible plastification près de zones de concentration des contraintes de
types entaille ou fissure. Cependant, dans un matériau présentant une plastification plus
importante près de ces zones, les analyses reposant sur l’hypothèse de plasticité confinée
ne sont plus valables malgré toutes les corrections qu’il est possible d’y apporter.
Depuis les années 60, les concepts de la mécanique de la rupture se sont développés
pour mieux tenir compte des différents types de comportement non linéaire des
matériaux (plasticité étendue, viscoplasticité …) ainsi que des effets dynamiques. Il
s’agit pour la plupart, d’extensions de la mécanique linéaire de la rupture (MLR). Pour
ces raisons, nous nous attachons ici à présenter clairement les équations fondamentales
de la MLR. Ceci pour permettre une meilleure compréhension des concepts plus
avancés de la mécanique de la rupture exposés dans le chapitre suivant.
Dans le présent chapitre, l’analyse apportée offre aussi bien une approche énergétique
qu’une étude par les contraintes de la rupture fragile. L’annexe A présente l’essentiel
des développements mathématiques de la MLR.
II.1 APPROCHE ATOMIQUE DE LA RUPTURE FRAGILE
• La rupture fragile s’accompagne de très peu de déformation plastique. Dans les
alliages métalliques, elle est de type soit :
- transgranulaire : rupture par clivage ou par glissement dans un grain ;
- intergranulaire : rupture par glissement le long des joints de grains.
L’approche atomique consiste à étudier une rupture par clivage en considérant les forces
des liaisons atomiques ; la figure II.1 présente schématiquement ce type de rupture
fragile qui se développe en mode d’ouverture, ou mode I selon la classification de la
MLR.
Le clivage opère par rupture des liaisons inter atomiques dans
perpendiculaire au plan de rupture. Il se produit préférentiellement le
atomiques bien définis qui dépendent des matériaux. Par exemple,
cubiques centrés clivent selon les plans (100) alors que les cubiques
clivent difficilement.
une direction
long de plans
les matériaux
faces centrées
Pour calculer la contrainte de liaison atomique, il est nécessaire d’introduire la distance
inter atomique r , puis de considérer la relation entre le déplacement des atomes, autour
de leur position d’équilibre r0 , et la force appliquée. Cette force est la somme d’une
17
composante d’attraction (en 1 r 2 ) et d’une composante de répulsion (en − 1 r 9 ). La
contrainte de liaison est donc de la forme :
LMFG r IJ − FG r IJ OP
MNH r K H r K PQ
2
σ= A
9
0
0
II.1
Figure II.1 : rupture par clivage (mode I de rupture)
Par la suite, nous entendons par contrainte théorique de clivage la valeur maximale,
notée σ C , de la fonction r ֏ σ (r ) dont la courbe est représentée sur la figure II.2 .
Afin de mieux comparer les valeurs théorique et expérimentale de la contrainte de
rupture par clivage, nous allons donner une approximation de la valeur théorique par
deux méthodes différentes.
Première méthode
La déformation étant donnée par ε = log
E=
dσ
dε
IJ
K
r
, le module d’Young E s’écrit :
rO
= r0
r = r0
dσ
dr
IJ
K
II.2
r = r0
soit en utilisant la relation II.1 :
E = 7A
II.3
18
La contrainte théorique de clivage σ C est définie par la condition
dσ
= 0 soit
dr
r0
= 0,81 .
r
σC ≈
Il vient finalement :
E
14
II.4
σ
Force attractive en 1/ r 2
σC
r0
r
Force répulsive en −1/ r 9
Figure II.2 : Courbe représentative de la fonction r ֏ σ(r)
Seconde méthode
Pour simplifier les calculs, on choisit parfois d’identifier la portion de la courbe
représentative de la fonction r ֏ σ (r ) correspondant aux abscisses supérieures ou
égales à r0 , à une sinusoïde (figure II.3). La quantité α est alors définie de sorte que le
produit αr0 soit l’abscisse en laquelle le maximum de la contrainte est atteint.
Sous cette hypothèse, la contrainte de liaison pour r > r0 s’écrit :
σ = σ C sin
LM π F r − 1I OP
N 2bα − 1g GH r JK Q
II.5
0
si bien que le module d’Young devient :
E = r0
dσ
dr
IJ
K
=σC
r = r0
19
π
2(α − 1)
II.6
D’autre part, on appelle énergie de cohésion par unité de surface, la quantité notée W,
et définie par : W =
z
( 2α − 1) r0
r0
σdr (aire hachurée – figure II.3), soit :
W=4
α −1
rσ
π 0 C
II.7
σ
σC
W
r0
r
α r0
(2α − 1)r0
Figure II.3 : approximation sinusoïdale de la contrainte de liaison σ .
Or lors de la rupture, deux surfaces sont créées : on décide donc de poser W = 2γ S où γ S
est appelée l’énergie de création de surface. Ce qui nous permet d’écrire la nouvelle
formule :
α −1
γS =2
r0σ C
II.8
π
La comparaison des égalités II.6 et II.8 permet d’éliminer le coefficient α et d’obtenir
l’expression γ S =
σC
E
r0σ C , soit :
σC =
Eγ S
r0
II.9
Comme l’énergie de création de surface dans les matériaux métalliques est reliée au
module d’Young par une relation empirique de la forme γ S ≈ Eb / k où b ≈ r0 est appelé
vecteur de Burgers et k est une constante comprise entre 16 et 100, nous obtenons un
encadrement de la contrainte théorique de clivage :
E
E
≤σC ≤
10
4
II.10
20
Conclusion
La contrainte théorique de clivage donnée par II.4 ou II.10 est plus grande de plusieurs
ordres de grandeur que la contrainte de rupture par clivage mesurée expérimentalement.
Cette différence entre valeurs théorique et expérimentale s’explique ainsi : dans les
matériaux, les défauts sous forme de fissure ou d’entaille aiguë concentrent les
contraintes dans leur voisinage et provoquent ainsi des mécanismes d’amplification : la
contrainte locale σ L au voisinage d’un défaut est bien plus grande que la contrainte
appliquée σ a ( σ L ≫ σ a ).
II.2 CONCENTRATION DES CONTRAINTES PRES D’UN DEFAUT
Si on considère un défaut de forme elliptique de longueur 2a et de rayon à fond
d’entaille ρ (figure II.4), la contrainte locale à l’extrémité A est d’après les calculs de
l’annexe A :
FG
H
σ L ( A) = σ a 1 +
IJ
K
F
GH
2a
a
= σ a 1+ 2
ρ
b
I
JK
II.11
Dans le cas d’une entaille très aiguë, ρ<<a si bien que :
σ L ( A) ≈ 2σ a
a
II.12
ρ
Le facteur amplifiant la contrainte, c’est à dire le rapport K t = 2 a / ρ , est appelé le
facteur de concentration de contrainte. Il peut être très grand pour des entailles aiguës
dont la forme s’apparente à des fissures.
σa
ρ
2b
2a
2a
Figure II.4 : défaut elliptique dans une plaque infinie.
21
A
Si on prend par exemple le rayon à fond d’entaille ρ de l’ordre d’une distance inter
atomique, la contrainte locale devient :
σ L ( A) ≈ 2σ a
a
r0
II.13
La comparaison des relations II.9 et II.13 ( σ L ( A) = σ C ) permet d’établir que la
contrainte de rupture par clivage σ a (macroscopique) mesurée expérimentalement est
donnée par :
Eγ S
σa ≈
II.14
4a
Comme l’expression de l’énergie de création de surface γ S ≈ Er0 / k (16 < k < 100) , il
vient aussi :
σa ≈
E
ρ
2 k
a
II.15
ρ / a est suffisamment petit, les valeurs obtenues pour la contrainte de
rupture par clivage σ a sont comparables aux résultats expérimentaux.
Si le rapport
En fait, l’approximation II.14 n’est qu’une estimation de la contrainte de rupture
expérimentale par clivage puisqu’à l’échelle atomique, le milieu ne peut plus être
supposé continu. Des simulations numériques où les liaisons entre atomes sont
modélisées par des ressorts non linéaires, montrent que cette contrainte de rupture par
clivage est de la forme :
σa = β
Eγ S
a
II.16
où β est une constante, proche de 1, qui dépend de la rigidité des ressorts simulant les
liaisons atomiques ( β = 1/ 2 dans la relation II.14).
II.3 ENERGIE DE GRIFFITH
Dans un matériau (figure II.5), une extension ∆a d’une fissure de longueur a
s'accompagne des variations d'énergie suivantes :
∆Wext = ∆Welast . + ∆U
avec
22
II.17
∆Wext Variation d'énergie appliquée (due aux forces extérieures),
∆Welast . Variation d'énergie élastique (emmagasinée),
∆U
Energie dépensée lors de la propagation de la fissure sur la longueur ∆a.
e
∆a
∆A
a
a
Figure II.5 : Propagation de la fissure sur une longueur ∆a
Pour la théorie initiale de Griffith – théorie qui s’applique à une rupture fragile
seulement, l’énergie ∆U correspond à l’énergie nécessaire pour créer de nouvelles
surfaces dans le matériau ( ∆U = ∆Wsép avec ∆Wsép l’énergie de séparation des
surfaces). On appelle ensuite énergie de Griffith G la quantité ∆U rapportée à l’unité de
surface :
∆U ∂U
=
∆A→ 0 ∆A
∂A
G = lim
II.18
où ∆A= e∆a est la surface fissurée lors de la propagation de la fissure sur la longueur ∆a
dans une éprouvette d’épaisseur e.
Généralement, on suppose l’épaisseur unité ( e = 1) si bien que l’expression de l’énergie
G rapportée à l’unité d’épaisseur devient :
∆U ∂U
=
∆a → 0 ∆a
∂a
G = lim
Si on considère à présent γ
précédente devient :
S
II.19
l’énergie spécifique de création de surface, la formule
G=
∂U
= 2γ
∂A
S
II.20
Comme d’après la relation I.1 G = π (σ R ) a / E , la contrainte à rupture σ R est donnée
2
via II.20 par :
23
2Eγ S
πa
σR =
II.21
On retrouve ainsi une expression du type II.16 avec β = 2 π .
Pour bien comprendre la signification de l’énergie de Griffith G (encore appelée taux de
restitution d’énergie), on va examiner la propagation (dans une éprouvette d’épaisseur
unité) dans les deux cas classiques suivants :
• Propagation à déplacement x imposé (figure II.6b)
• Propagation à force F imposée (figure II.6c)
∆a
a
∆a
a
a
x
a) avant chargement
x
F
b) Déplacement imposé
c) Force imposée
Figure II.6 : Propagation stable à Force imposée ou à Déplacement imposé
a- Propagation à déplacement imposé ( x =constante)
∆ x = 0 ⇒ ∆Wext = 0 ; Wélast = Fx / 2 , soit en introduisant la complaisance (c’est-àdire l’inverse de la rigidité) C = x / F :
Wélast =
1
x2
CF 2 =
2
2C
⇒
∆Wélast = −
FG IJ
H K
x2 ∂ C
2C 2 ∂ a
∆a
x
On constate ainsi que l'énergie élastique emmagasinée décroît.
Comme ∆Wext = 0 = ∆U + ∆Wélast
⇒
∆U = − ∆Wélast et G = lim
∆a → 0
24
FG ∆ U IJ , soit :
H ∆a K
G=
FG IJ
H K
x2 ∂ C
2C 2 ∂ a
=
x
F2
2
FG ∂ C IJ
H ∂ aK
II.22a
x
b- Propagation à force imposée ( F =constante)
FG x IJ = 0 , soit ∆ x = ∆ C
H CK
x
C
F ∂ C IJ ∆a
Fx
= F . ∆x =
. ∆C ≈ F G
C
H ∂aK
1
F
F F ∂ CI
= Fx =
C d’où ∆W =
G J
2
2
2 H ∂aK
∆F = 0 ⇒
∆ Wext
∆
2
F
2
Wélast
∆U = ∆Wext − ∆Wélast
2
∆a
élast
FG IJ
H K
F2 ∂ C
=
2 ∂a
F
∆a , et l’énergie de Griffith s’écrit alors :
F
FG IJ
H K
F2 ∂ C
G=
2 ∂a
II.22b
F
Remarques
1/ L’expression de l'énergie de Griffith G est la même dans les deux situations (cf.
II.22a & II.22b) alors qu elle provient de sources différentes :
- dans la relation II.22a, c'est la diminution d'énergie élastique qui favorise la
propagation de la fissure (aire hachurée de la figure II.7a)
- dans la relation II.22b, l'énergie élastique augmente mais moins que le travail des
forces extérieures : c'est la différence entre ces deux variations qui favorise la
propagation de la fissure (aire hachurée de la figure II.7b).
En fait, les deux aires hachurées de la figure II.7 diffèrent de la quantité ∆F ∆x / 2 , qui
est négligeable (car infiniment petite d’ordre 2).
2/ Les relations II.22a et II.22b avaient été obtenues sous l’hypothèse que l’épaisseur
« e » est égale à l’unité. En l’absence de cette condition, il convient de modifier les
relations comme suit :
G=
FG IJ
H K
F2 ∂ C
2e ∂ a
II.23
x ou F
25
Propagation
F
F
∆U
Propagation
∆U
a
a
a+∆
∆a
a+∆
∆a
∆x
x
x
x
x
a) Propagation à x imposé
b) propagation à F imposée
Figure II.7 : Variation de la force lors d’une propagation de fissure
à déplacement imposé ou à force imposée
II.4 DESCRIPTION DU CHAMP DES CONTRAINTES A L’EXTREMITE D’UNE
L’AIDE DU FACTEUR D’INTENSITE DES CONTRAINTES
FISSURE A
Dans un matériau dont le comportement est élastique et linéaire, la forme générale du
champ des contraintes au voisinage de l’extrémité d’une fissure est de la forme :
σ ij =
∞
K
f ij (θ ) + ∑ α m r 2 g ij( m) (θ )
2πr
m= 0
m
II.24
où les coordonnées ( r , θ ) sont repérées par rapport à l’extrémité de la fissure (figure
II.8). La fonction adimensionnelle fij dépend du mode de sollicitation, l’autre fonction
adimensionnelle gij dépend à la fois du mode de sollicitation, de l’état de contrainte et
de la géométrie du corps fissuré.
σ yy
τ xy
y
r
Fissure
θ
σ xx
x
Figure II.8 : Définition des axes (x,y) et des coordonnées ( r , θ )
au voisinage de l’extrémité d’une fissure
26
Au voisinage immédiat de l’extrémité de la fissure, les contraintes présentent une
singularité en 1 r (c’est à dire lorsque r → 0, le produit rσ ij tend vers une
constante). Comme les termes d’ordre plus élevé r m / 2 (avec m ≥ 2) de la relation II.24
sont négligeables devant 1/ r , la zone la plus critique est bien le voisinage immédiat
de l’extrémité de la fissure. Pour ces raisons, seuls les termes en 1/ r sont considérés.
On dit que les champs de contraintes asymptotiques sont de la forme :
K
f ij (θ )
2πr
σ ij =
II.25
Dans l’approche de Westergaard (annexe A), ces champs asymptotiques sont décrits et
exprimés à l’aide des facteurs d’intensité des contraintes K I , K II ou K III (selon le mode
de sollicitation considéré - mode I, II ou III : figure II.9) :
y
x
2a
Figure II.9 : Définition des modes de sollicitation
R|σ = K cos θ FG 1 − sin θ sin 3θ IJ
2H
2
2K
2πr
||
S|σ = K2πr cos θ2 FGH 1 + sin θ2 sin 32θ IJK
|| τ = K cos θ sin θ cos 3θ
2
2
2
2πr
T
R|σ = − K sin θ FG 2 + cos θ cos 3θ IJ
2H
2
2K
2πr
||
K
θ
θ
3θ
S| σ = 2πr sin 2 cos 2 cos 2
|| τ = K cos θ FG 1 − sin θ sin 3θ IJ
2H
2
2K
2πr
T
I
xx
Mode I
I
yy
II.26
I
xy
II
xx
Mode II
II
yy
II
xy
27
II.27
R|σ
S|
|T σ
13
Mode III
23
=−
K III
sin
θ
2
2πr
K III
θ
=
cos
2
2πr
II.28
Remarque : Lorsque la structure fissurée est simultanément sollicitée dans les trois
modes, le principe de superposition en élasticité linéaire donne :
σ ij( total ) = σ ij( I ) + σ ij( II ) + σ ij( III )
II.29
Considérons dans un premier temps une structure sollicitée dans le mode I seulement.
Lorsque θ = 0 , c’est à dire lorsqu’on se place dans le plan de la fissure, les contraintes
au voisinage immédiat et en aval de l’extrémité de la fissure, sont décrites, via les
relations II.26, par :
KI
σ xx (θ = 0) = σ yy (θ = 0) =
II.30
2πr
Le plan (x,y) de la fissure est donc principal pour le mode I. La figure II-10 donne la
représentation graphique de la fonction de r ֏ σ ij (r ) à θ = 0 .
σ yy
Champ asymptotique
KI
2πr
Champ réel
σ∞
r
Zone où la singularité domine
Figure II.10 : Contrainte σ yy (θ = 0) perpendiculaire au plan de fissuration
Cette figure met en évidence la zone où la singularité domine (c’est-à-dire lorsque la
contrainte varie comme 1/ r (relation II.30)). Au delà de cette zone, on retrouve les
conditions limites loin de la zone fissurée et la contrainte σ yy tend progressivement vers
la contrainte appliquée σ ∞ .
28
Le facteur d’intensité des contraintes (FIC), noté K I en mode I, est proportionnellement
attachée à l’amplitude de la zone de singularité : autrement dit, le FIC et les contraintes
augmentent proportionnellement. Il s’agit donc d’un procédé de caractérisation des
conditions à l’extrémité de la fissure : lorsque le FIC est connu, les champs des
contraintes, des déformations et des déplacements le sont aussi.
Le facteur d’intensité des contraintes est un des concepts les plus importants de la
mécanique linéaire de la rupture.
II.5 RELATION ENTRE LE FACTEUR D’INTENSITE DES CONTRAINTES ET L’ENERGIE DE
GRIFFITH
Nous allons plus particulièrement étudier le cas d’une fissure élastique sollicitée en
mode I (figure II.11), puisque les situations en mode II et III se traitent de façon
analogue.
1- mode I :
σ (ya + ∆a )
σ (ya )
x
r
A
A'
a
x
r'
a + ∆a
Figure II.11 : Fissure sollicitée en mode I
Comme la fissure a pour longueur initiale a et se propage sur une distance ∆a , son
extrémité se déplace de la position A( x = a ) à la position A' ( x = a + ∆a ) .
Dans cette situation, le champ de contrainte en aval de l'extrémité de la fissure (θ = 0)
est donnée par :
KI
σ y r ,θ = 0 =
2πr
b
g
alors que le champ des déplacements des lèvres en amont de l'extrémité de la fissure
(θ = π ) s'écrit selon les cas :
29
b
R| λ = λ en déformations planes
2 λµ
avec S
|Tλ = λ + 2µ en contraintes planes
R| υ = υ en déformations planes
2r
c1 − υ h avec Sυ = υ en contraintes planes
π
|T 1 + υ
FG
H
2r λ* + 2 µ
π λ* + µ
g
K
u y r ,θ = π = I
2µ
ou
b
g
IJ
K
*
*
*
u y r ,θ = π =
KI
*
µ
*
Pour déterminer l'énergie de propagation de la fissure, appelée aussi taux de restitution
d'énergie et notée G , il est plus pratique de calculer le travail de régression de la fissure
de la position A ' à la position A , autrement dit de considérer le travail nécessaire pour
refermer les lèvres de la fissure.
Dans une structure d’épaisseur unité, la force appliquée aux lèvres d’une fissure est (cf.
figure II.11) σ y r edx avec r = x − a .
bg
Comme le déplacement d’un point d'abscisse x est u y (r' ) avec r ' = a + ∆a − x (figure
II.11), le travail de régression s'écrit donc :
∆W ' = − ∆U = 2
z
σ y (r )u y (r ' )
a
a + ∆a
2
dx =
KI
µ
2
.
1 − v*
π
z
a
a + ∆a
a + ∆a − x
dx
x−a
(I)
Pour calculer l’intégrale (I), on effectue le changement de variables suivant :
⇒ X =∞
RS x = a
T x = a + ∆a ⇒ X = 1
F dX IJ que l’on intègre par parties en
X − 1G −
H XK
∆a
dX
= X ⇒ dx = − 2 ∆a et
x−a
X
L'intégrale
(I)
devient alors Ι = ∆a
z
∞
2
1
posant :
dX


  X − 1  ∞
α = X − 1 ⇒ dα = 2 X − 1
∞
dX

⇒ Ι = ∆a  


 − ∫1
2 X X −1 
d β = − dX ⇒ β = 1
  X 1
2


X
X
=0

Soit Ι = ∆a − Arctg X − 1
∞
1
=−
π
2
∆a et ∆U = − ∆W ' =
d'où finalement :
∆U
GΙ = Lim
∆a → 0 ∆a
⇒
FG
H
K I2 1 − υ *
GΙ =
µ
2
30
KI
µ
IJ
K
2
c1 − υ h ∆a
*
2
2
c
KI
1− υ2
E
2
KI
υ
*
υ =
et G I =
1+ υ
E
υ * = υ et G I =
En déformations planes :
En contraintes planes :
h
II.31
II.32
Remarque : Naturellement, des calculs analogues peuvent être effectués en modes II et
III pour une fissure de longueur a se propageant sur une distance ∆a .
2- mode II :
Les champs des contraintes en aval et des déplacements en amont de l'extrémité d’un
fissure sollicitée en mode II, s’écrivent :
R| σ br ,θ = 0g = K
2π r
|S
||u br ,θ = π g = K 2r c1 − υ h
µ π
T
II
xy
*
II
x
Ces expressions étant les mêmes que pour le mode I, les calculs précédents conduisent
à:
G II
R|G = K (1 − υ ) en déformations planes
K
E
=
(1 − υ ) ⇒ S
2µ
|| G = K
en contraintes planes
E
T
2
II
2
II
2
II
*
2
II
II.33
II
3- Mode III :
Cette fois-ci, les champs des contraintes en aval et des déplacements en amont de
l'extrémité de la fissure s’écrivent :
R| σ br ,θ = 0g = K
2π r
|S
||u br ,θ = π g = K 2r
µ
π
T
III
yz
III
3
si bien qu’il est possible d’établir que l’énergie de Griffith en mode III est :
G III =
2
K III
2µ
II.34
31
4- Cas général :
Dans le cas général, c’est-à-dire lorsque les trois modes de sollicitation coexistent,
l'énergie de Griffith s'écrit :
G = G I + G II + G III soit G =
c
hc
c
hc
h
h + b1 + vg K
1
2
1 − υ * K I2 + K II2 + K III
2µ
En déformations planes :
G=
1
1 − v 2 K I2 + K II2
E
En contraintes planes :
G=
1
2
K I2 + K II2 + 1 + v K III
E
2
III
II.35a
II.35b
b g
II.35c
II.6 PRINCIPE DE SUPERPOSITION EN MECANIQUE LINEAIRE DE LA RUPTURE
Le principe de superposition affirme que dans un matériau élastique linéaire, les
composantes des contraintes, des déformations et des déplacements sont « additives ».
Cette superposition est cependant soumise à certaines règles : par exemple, deux
contraintes normales selon la direction x peuvent s’ajouter entre elles, alors qu’une
contrainte normale ne peut être additionnée à une contrainte de cisaillement. Il en est de
même pour les facteurs d’intensité des contraintes (FIC) : on ne peut additionner des
FIC que s’ils concernent le même mode de sollicitation (mode I, II ou III). On a ainsi :
K I( total ) = K I( A ) + K I( B ) + K I( C ) +…
mais
K ( total ) ≠ K I + K II + K III
Dans de nombreux cas, le principe de superposition permet de déterminer le FIC d’une
configuration de chargement relativement complexe. L’idée, qui est naturelle, est de
décomposer ce chargement en chargements simples : le FIC attaché à la première
configuration est alors la somme des FIC de chacun des chargements.
L’exemple de la figure ci-dessous illustre le principe de superposition.
L
a
L
a
Figure II.12 : Fissure sollicitée en mode I dû à une traction puis à une flexion
32
Les FIC K I sont connus pour les chargements de traction et de flexion (voir manuels
spécialisés). Et comme ces deux chargements conduisent à des sollicitations de la
fissure en mode I, la solution est :
K I( total ) = K I( traction ) + K I( flexion )
Il est parfois aussi possible d’imaginer un chargement donné dont la solution est
inconnue, comme somme de chargements qui auraient en revanche l’avantage
d’admettre des solutions connues. Le principe de superposition permet alors d’obtenir
par combinaison linéaire la solution du problème.
Pour illustrer nos propos, nous allons examiner le cas particulier de la figure II.13 : pour
déterminer le facteur K I correspondant au chargement de la figure II.13a, nous
considérons les chargements II.13b (son FIC est connu) et II.13c (son FIC est nul
puisque la fissure reste fermée et que l’intensité des contraintes ne peut donc être
transmise), si bien que :
K I( a ) = K I( b ) − K I( c ) avec K I( c ) = 0 ⇒
K I( a ) = K I( b )
σ0
σ0
σ0
_
=
(a)
(b)
−σ 0
(c)
Figure II.13 : Détermination du FIC K I pour une fissure dont les lèvres
sont soumises à une traction σ 0 .
Cet exemple illustre le résultat plus général suivant : les contraintes de traction
appliquées sur la frontière d’un solide fissuré (cas de la figure II.13b) peuvent être
déplacées sur les lèvres de la fissure (figure II.13a) sans que cela change le FIC.
La figure II.14 représente un solide non fissuré soumis à un chargement de traction
σ ∞ ( x ) qui se traduit par une répartition des contraintes σ ( x ) sur le plan A-B.
Supposons maintenant que ce solide se fissure le long du plan A-B. Maintenir ce corps
sous la contrainte σ ∞ ( x ) (cf. figure II.15a) revient, via le principe de superposition, à
enlever le chargement σ ∞ ( x ) pour le remplacer par le chargement σ ( x ) aux lèvres de la
fissure. Le FIC K I est alors inchangé :
33
K I( a ) = K I(b ) + K I( c ) = K I(b ) puisque K I( c ) = 0
Remarque : Le chargement σ ( x ) qui apparaît sur la figure II.15 est celui qui
s’appliquait sur le plan A-B lorsque la structure n’était pas fissurée (voir figure II.14).
σ ∞ ( x)
y
σ ( x)
A
x
B
Figure II.14 : Solide non fissuré soumis au chargement σ ∞ ( x)
conduisant à une répartition σ ( x ) sur le plan A-B.
σ ∞ ( x)
σ ∞ ( x)
−σ ( x )
σ ( x)
=
+
(a)
(b)
(c)
Figure II.15 : Application du principe de superposition
II.7 FONCTIONS POIDS
Lorsqu’on cherche à déterminer le FIC K d’une structure fissurée, on s’aperçoit que la
valeur trouvée dépend des conditions limites données : différentes conditions limites
conduisent à différentes valeurs de K pour une même géométrie de la structure.
34
Toutefois, la solution attachée à certaines conditions limites contient suffisamment
d’informations pour permettre la détermination du FIC quelles que soient les conditions
limites. C’est ce que nous allons à présent expliquer.
Pour une structure fissurée donnée, Rice considère deux conditions de chargement
arbitraires. Il supposa dans les deux cas, la fissure sollicitée en mode I, avec la solution
K I(1) connue pour le chargement (1). Finalement, il établit, en considérant des intégrales
indépendantes des contours d’intégration, que la solution pour le chargement (2)
s’exprime en fonction de la solution (1) :
K I( 2 ) =
E
2 K I(1)
LM T ∂u
N z ∂a
(1)
i
i
Γ
z
dΓ + Fi
A
∂ui(1)
dA
∂a
OP
Q
II.36
où Γ et A sont respectivement le périmètre et l’aire de la surface fissurée, ui , Ti et Fi les
composantes, selon x et y, du vecteur déplacement, du vecteur contrainte sur le contour
Γ et des forces de volume. Le chargement (1) étant choisi de façon arbitraire, la
fonction de dimension ( Longueur ) −1/ 2 :
h( x i ) =
E ∂ui(1)
2 K I(1) ∂a
II.37
où xi sont les coordonnées x et y, est indépendante des conditions de chargement. On
l’appelle la fonction poids.
En fait, les fonctions poids sont des torseurs d’ordre 1, qui dépendent uniquement de la
géométrie de la structure fissurée. Dès lors que la fonction poids est connue pour une
géométrie donnée, il est possible de calculer le FIC K I quelles que soient les conditions
limites.
Comme le principe de superposition (§ II.6) montre que toute configuration de
chargement en mode I, peut être représentée par un chargement de traction p(x) appliqué
directement sur les lèvres de la fissure, le K I d’une structure 2D peut être calculé, en
l’absence de forces de volume, à partir de l’expression :
KI =
z
p( x )h( x )dx
II.38
Γ
où Γ est le périmètre de la fissure – nous rappelons que le chargement p(x) est la
contrainte de traction normale au plan de la fissure, c’est-à-dire la composante normale
du vecteur contrainte lorsque la structure n’est pas fissurée.
Le concept de fonction poids ne se restreint pas aux structures 2D chargées en mode I ou
aux matériaux isotropes : Rice étendit le principe au cas 3D, et Bueckner à des
chargements mixtes (modes II/III) avec anisotropie des propriétés élastiques. Des études
35
plus récentes ont permis une extension de ce concept à tous les matériaux linéaires
élastiques contenant un nombre arbitraire de fissures.
Pour les chargements mixtes, il est nécessaire de définir des fonctions poids
correspondant à chaque mode : hI , hII et hIII . Comme le FIC peut varier le long d’un
front de fissure 3D, il en est de même des fonctions poids, il convient donc de poser :
h J = h J ( xi , β )
II.39
Où J = I , II ou III indique le mode de sollicitation et β est un paramètre définissant la
position le long du front de fissure.
Par conséquent, puisque, nous le rappelons, toute configuration de chargement peut être
représentée par un chargement équivalent s’appliquant sur les lèvres de la fissure, le FIC
en mode mixte 3D est donné par :
z
K J ( β ) = Ti h J ( xi , β )dS
II.40
S
où Ti sont les composantes du vecteur contrainte qui s’exerce sur la surface fissurée S.
II.8 RELATION ENTRE LE
COMPORTEMENT GLOBAL
D’INTENSITE
FACTEUR
DES
CONTRAINTES
ET
LE
La fonction de Westergaard (cf annexe A) permet de calculer le FIC pour un certain
nombre de configurations de chargement. Dans le cas d’une petite fissure de longueur
2a, transperçant une plaque chargée dans son plan (figure II.16), cette fonction, notée
Z ( z ) , est définie par :
Z ( z) =
σ ∞z
z2 − a2
II.41
Pour simplifier les calculs, nous munissons l’espace d’un repère dans lequel le plan de
la fissure admet y = 0 comme équation cartésienne. Le FIC K I à l’extrémité x = a , est
alors défini par (voir annexe A) :
K I = Lim 2π ( x − a ) Z ( x )
x→ a
Ce qui donne finalement :
K I = σ ∞ πa
36
II.42
Nous attachons ainsi une quantité (le FIC K I ) liée au comportement local1 à deux
quantités liées au comportement global ( σ ∞ et a ) de la structure.
σ∞
r
θ
a
2a
Figure II.16 : Fissure de longueur 2a dans une plaque de grandes dimensions
Lorsque les dimensions de la plaque peuvent être considérées infinies par rapport à la
longueur de la fissure, les lignes de forces ont une composante selon x (cf. figure
II.17a). En revanche, en dimensions finies, les effets de bord interviennent : les
conditions limites sur les bords de l’éprouvette imposent que les lignes de force aient
une composante nulle selon x (cf. figure II.17b) ; ce qui conduit à une intensification
plus importante des contraintes aux extrémités de la fissure.
Pour étudier ce problème des dimensions finies, Westergaard considéra une plaque
infinie contenant une infinité de fissures, périodiquement espacées d’une longueur 2L
(figure II.18). Situation qu’il modélisa en introduisant des termes en sinus dans la
fonction Z(z) :
Z ( z) =
F I
1 − sin G J
H 2 LK
2
Naturellement,
lorsque
a<<L
σ∞
πa
z << L ,
et
F πz I
sin G J
H 2 LK
II.43
2
on
retrouve
l’expression
Z ( z ) = σ ∞ z / z 2 − a 2 correspondant au cas d’une fissure unique.
1
Le FIC caractérise la répartition des contraintes au voisinage immédiat de l’extrémité de la fissure
x − a << a
37
σ
σ
∞
2L
∞
2L
Fy
Fx
(a) Eprouvette infinie
(b) Eprouvette de dimensions finies
Figure II.17 : Lignes de forces dans une éprouvette fissurée de grandes dimensions et de
dimensions finies
σ∞
σ∞
2L
2L
σ∞
σ∞
2L
2L
σ∞
2L
2a
Figure II.18 : Fissures de longueur 2a , distantes de 2L dans une éprouvette infinie.
En se plaçant dans le plan de la fissure (on suppose donc y = 0 et z = x ), le FIC à
l’extrémité x = a est défini par :
K I = Lim 2π ( x − a ) Z ( x )
x→ a
En posant a * =
πa
2L
et x * =
πx
2L
, on a Z ( x ) =
38
σ∞
1 − sin 2 a * sin 2 x *
=
σ ∞ sin x *
sin 2 x * − sin 2 a *
soit
Z ( x)
≈
x→ a
σ ∞ sin a *
sin x * − sin a *
1
1
≈
2
2
σ ∞ sin a *
( x * − a * ) cos a *
et
K I = σ ∞ 2 L tg
πa
2L
qu’on peut encore écrire sous la forme :
KI = σ
∞
F 2 L tg πa IJ
πa G
H πa 2 L K
1/ 2
(1*)
Plus tard, toujours pour le même chargement, des calculs par éléments finis ont permis
une détermination plus précise de la solution :
KI = σ
L πa O L
F aI
πa M cos P M1 − 0,025G J
H LK
N 2 L Q MN
−1/ 2
∞
2
F aI O
+ 0,06G J P
H L K PQ
4
(2*)
où le polynôme en a/L est un terme d’ajustement numérique issus des méthodes de
calcul par éléments finis.
Remarques
1/ Ces deux dernières expressions du FIC sont de la forme :
K I = σ ∞ πa f
FG a IJ
H LK
où f ( a / L ) est une fonction adimensionnelle qui dépend à la fois de la géométrie
de la structure fissurée et du chargement.
2/ La figure II.19 est une représentation des variations du FIC K I données par
les deux relations (1*) et (2*) : on peut constater que les différences entre les
a
deux expressions restent inférieures à 7% pour < 0,6 .
L
39
Figure II.19 : Comparaison des résultats des formules (1*) et (2*)
II.9 PROPAGATION BRUTALE DES FISSURES – TENACITE DES MATERIAUX
Etant donnés une fissure et un mode de sollicitation, l’expérience montre que la
propagation brutale de la fissure intervient lorsque l’énergie de Griffith G atteint une
valeur critique notée GC . La valeur d’intensité des contraintes correspondante est
appelée ténacité et est notée K C . Elle caractérise la capacité d’un matériau à résister à
la propagation d’une fissure.
Les formules II.31, II.32 et II.33 qui permettent d’attacher les quantités K C et GC selon
le mode de sollicitation s’étendent dans le contexte général de sollicitations simultanées
dans les trois modes par :
GC =
K Ι2C + K ΙΙ2C
E'
+
K ΙΙΙ2 C
2µ
en contraintes planes
 E ' = E
avec 
2
 E ' = E (1 − υ ) en déformations planes
En ce sens, on dit que GC est aussi une mesure de la ténacité K C .
En pratique, c’est souvent la valeur critique K IC qui est retenue pour caractériser un
matériau puisque le mode le plus endommageant est le mode d’ouverture.
Le rôle de la ténacité K IC en MLR est analogue à celui de la limite d’élasticité σ E en
mécanique classique. K IC dépend comme σ E de la température d’essai et de la vitesse
de déformation, mais aussi de l’épaisseur du matériau testé.
40
Les évolutions caractéristiques de K IC , qui ont été obtenues à partir d’essais
normalisés, sont représentées schématiquement sur la figure II.20.
K IC
Contraintes
planes
K IC
Fragile
Déformations
planes
εɺ
A
Ductile
K IC
Epaisseur
Température
Figure II.20 : Variations caractéristiques de la ténacité K IC .
L’épaisseur influe sur l’état de contrainte. Dans les éprouvettes d’essais de faible
épaisseur (plaques), chargées en mode I dans leur plan, l’état de contraintes planes est
prédominant et la valeur critique du FIC est élevée, notamment dans les matériaux
ductiles. Lorsque l’épaisseur augmente, on observe une transition vers un état de
déformations planes, le FIC critique diminue et n’évolue plus au-delà d’une certaine
épaisseur - c’est cette valeur minimale stabilisée du K IC qui définit la ténacité du
matériau.
Les mesures de ténacité sont faites sur des éprouvettes normalisées pré fissurées en
fatigue. Les normes ASTM (American Society for Testing and Materials) d’essais
préconisent, pour une bonne mesure de la valeur stabilisée du K IC :
F K IJ
a , e, ( L − a ) ≥ 2,5G
Hσ K
2
IC
E
où a, e, L, σE sont respectivement la limité d’élasticité du matériau, la longueur de la
fissure, l’épaisseur et la largeur de l’éprouvette.
Dans les alliages métalliques tels que les aciers, l’influence de la température se
caractérise par une transition très significative entre un domaine fragile à basse
température et faible ténacité, et un domaine ductile à haute température et forte
ténacité. Par ailleurs, la zone de transition ductile fragile se déplace vers les
températures plus grandes lorsque la vitesse d’essai εɺ augmente. Lorsqu’il y a des
risques d’explosion, ce comportement rend très délicat le dimensionnement des
structures – tout simplement, parce qu’une explosion provoque une augmentation
brutale de la vitesse de déformation de la structure (cas notamment des centrales
nucléaires).
41
Remarque :
Le vieillissement des matériaux influe, comme la vitesse de déformation, sur la
ténacité : à mesure que les matériaux vieillissent, le domaine fragile s’étend aux dépens
du domaine ductile avec translation de la zone de transition vers les températures plus
grandes. Pour cette raison, certains vieux ponts de structure métallique sont fermés en
périodes de gel, puisqu’ils deviennent alors très fragiles (un peu comme le verre) et
menacent à tout moment de rompre.
II.10 PROPAGATION INSTABLE - COURBE R DE RESISTANCE A LA RUPTURE
Pour les matériaux fragiles, la théorie de Griffith prévoit l’extension ∆a d’une fissure
de longueur a présente dans une structure d’épaisseur e , lorsque :
∆U
= 2γ
∆a → 0 e∆a
G = Lim
S
avec
RS∆U
T2γ
l' énergie dépensée lors de l' extension ∆a
S
l' énergie spécifique de création de surface
L’expression du champ de contraintes à l’extrémité d’une fissure présente une
singularité : la MLR prévoit des contraintes infinies. Ce qui est une situation irréaliste
dans la mesure où les matériaux ont une limite d’élasticité au delà de laquelle une
plastification se développe. C’est précisément ce qui se produit à l’extrémité d’une
fissure.
Dans les matériaux ductiles, l’énergie dépensée pour plastifier l’extrémité de la fissure
peut devenir très importante par rapport à l’énergie de création de surface. Il convient
dans ces conditions, de réécrire le bilan des variations d’énergie qui accompagnent une
extension ∆a d’une fissure :
∆Wext = ∆Welast . + ∆U
avec ∆U la variation d’énergie dépensée lors de l’extension, qui se décompose en :
∆U = ∆Wsép + ∆Wplast avec
RS∆W
T ∆W
sép
l'énergie de séparation des surfaces fissurées
plast
l'énergie dissipée dans la plastification
où la quantité ∆Wsép peut devenir négligeable devant ∆Wplast en cas de forte ductilité.
L’extension ∆a de la fissure se produit donc lorsque l’énergie de Griffith atteint la
valeur :
b
G = 2 γ S +γ
P
g avec 2γ
P
l' énergie spécifique de plastification
Comme l’extension de fissure n’est pas forcément stable, on convient, pour étudier la
stabilité, de poser pour une épaisseur unité de la structure :
42
∆U = R∆a
II.44
où R est la force de résistance à l’accroissement de la fissure, encore plus simplement
appelé, la force de résistance à la rupture. Il s’ensuit que la quantité R est, comme
l’énergie de Griffith, homogène à une énergie par unité de surface ou à une force par
unité d’épaisseur. Le tracé des variations de R en fonction de la longueur de fissure est
appelé la courbe R .
A présent, considérons une fissure de longueur initiale 2a 0 sur une plaque de grandes
dimensions, soumise à une contrainte σ ∞ (figure I.2). A σ ∞ fixée, l’énergie de Griffith
varie proportionnellement à la longueur de fissure puisque (relations I.1 et I.2) :
G=
c h
2
π σ∞ a
E
, et GC =
πσ 2R a
E
à la rupture
La figure II.21 présente schématiquement l’allure de la courbe R pour deux types de
matériaux.
G, R
σR
G, R
σR
R
σ 1∞
GC
GC
∞
R
∞
σ < σ1
σ <σR
∞
a
a
a0
a0
(a) matériau fragile
(b) matériau ductile
Figure II.21 : Types de courbes R
La figure II.21a, est typique de la résistance à la fissuration dans un matériau fragile.
-
Lorsque σ ∞ < σ R , la fissure reste stable.
-
Lorsque σ ∞ = σ R , la fissure se propage brutalement.
L’instabilité se produit puisque l’énergie G croît avec la longueur de fissure alors que la
résistance à la fissuration du matériau demeure constante. La valeur critique GC est
alors mesurée sans ambiguïté.
La figure II.21b représente la courbe R dans un matériau ductile.
43
-
Lorsqu’on charge jusqu’à σ ∞ < σ 1∞ , la fissure reste stable.
-
Lorsque σ 1∞ < σ ∞ < σ R , la fissure se propage de façon stable.
-
Lorsque σ ∞ = σ R , l’énergie G devient tangente à la courbe R et la propagation
est alors brutale.
Dans ces conditions, la détermination de GC est plus délicate car la propagation instable
est précédée d’une propagation stable correspondant à une déchirure ductile à fond de
fissure.
-
Au delà de σ 1∞ , la résistance à la rupture augmente ; ce comportement s’explique
par l’existence d’une zone plastique à l’extrémité de la fissure qui concentre une
énergie de résistance bien plus grande que l’énergie nécessaire pour provoquer
les micro ruptures à fond de fissure.
Finalement, on retiendra que l’étude du comportement des courbes R permet d’énoncer
la condition de stabilité suivante : la fissuration est stable tant que
G = R et
dG dR
≤
da da
II.45a
Autrement dit, la propagation instable intervient lorsque :
dG dR
.
>
da da
II.45b
La ténacité K IC d’un matériau et l’énergie de Griffith correspondante, sont deux
grandeurs qui caractérisent la capacité d’un matériau à résister à la propagation d’une
fissure. Le lien entre ces deux grandeurs est bien établi par la MLR. Le K IC ,
généralement connu pour un matériau donné, peut permettre de définir une dimension
critique de défaut dans les opérations de contrôle.
Les expérimentations montrent que la ténacité augmente lorsque l’épaisseur de la
structure diminue (figure II.20), et que l’état de contraintes planes - qui prédomine dans
les plaques minces - conduit à une plastification bien plus importante que l’état de
déformations planes - qui prévaut dans les structures épaisses ; la courbe R présente
alors pour les structures minces une allure très marquée du type de la figure II.21b. Pour
prévoir la rupture des plaques minces, il faut donc déterminer à la fois la déchirure
stable et le critère d’instabilité. Le concept de courbe R , également utilisé pour relier
l’accroissement ∆a de la fissure au FIC, permet de prévoir la déchirure ductile qui
précède l’instabilité.
44
II.10.1 Procédure de détermination des courbes R
En général, les courbes R exprimées en termes de FIC - on les appelle les courbes K R sont expérimentalement déterminées par deux méthodes : mise en charge effectuée ou
bien par déplacement imposé, ou bien par force contrôlée. La figure II.6 illustre ces deux
approches.
a- Déplacement imposé
Supposons que l’ensemble « éprouvette - machine de traction » soit en équilibre au point
A, c’est-à-dire que K I = K R (cf. figure II.22a). Lorsqu’on augmente légèrement le
déplacement, un accroissement de charge suivant le trajet AB s’ensuit. L’écartement ∆
étant maintenu constant sur un certain palier, ∆ = ∆ 3 , l’éprouvette se fissure par
déchirure ductile suivant la direction BC.
Au point C, l’ensemble est à nouveau stable. La courbe K R est constituée des points
obtenus à stabilité de la fissure ( K I = K R ) pour une succession de paliers à déplacement
donné dont la durée est fixée par l’arrêt de la déchirure ductile. Cette méthode permet de
déterminer notamment la partie supérieure de la courbe K R .
KI, KR
KI, KR
KR
KR
F3
B
∆3
C
F2
K IC
F1
∆2
A
∆1
a/L
a/L
a0 / L
a0 / L
(a) Courbes K I (a )
à déplacement ∆ imposé
(b) Courbes K I (a )
à force F imposée
Figure II.22 : Méthodes de détermination de la courbe K R
b- Force imposée
Le principe de cette seconde méthode (figure II.22b) est similaire : cette fois-ci, au
point K IC l’instabilité de l’ensemble provoque la rupture brutale de l’éprouvette. Par
45
suite, lorsqu’on opère à force imposée, la détermination de la partie supérieure de la
courbe R est impossible.
Parce que la courbe R (ou KR) est constante pour un matériau donné à épaisseur donnée,
sa représentation graphique - tracée en choisissant pour ordonnée la contrainte à
l’infini σ ∞ , présente un intérêt pratique pour les bureaux d’études. La figure II.23
illustre le type de courbes obtenues.
σ∞
Matériau
fragile
II
I
σ∞
Matériau
ductile
II
σ∞ =
K IC
πa
III
I
a
a
(a)
(b)
Figure II.23 : Courbe R avec la contrainte appliquée en ordonnée
(a) comparaison des comportements fragile et ductile
(b) courbes pour différentes longueurs de fissures
Le domaine I de la figure II.23a représente la montée en charge sans fissuration alors
que le domaine II correspond à la fissuration sous charge croissante, et que le domaine
III, observé uniquement lors d’essais sur matériau ductile, illustre la fissuration en
accélération sous charge constante.
La figure II.23b est une représentation schématique des courbes obtenues pour
différentes longueurs de fissures initiales. On détermine ainsi le lieu des points σ ∞ en
fonction de la longueur initiale de fissure , lorsque σ ∞ = K IC / π a ).
II.10.2 Structure à complaisance finie
Les structures en service sont généralement chargées sous des conditions limites qui se
situent entre le déplacement et la force imposés. Cette situation intermédiaire peut être
assimilée à un ressort monté en série avec la structure fissurée (figure II.24), structure
alors soumise à un déplacement ∆ X . Quant au ressort, il permet de représenter la
complaisance du système (c’est-à-dire l’inverse de la rigidité), de sorte qu’un
déplacement pur corresponde à une complaisance C nulle (autrement dit à une rigidité
46
infinie), et qu’un chargement en contrôle de force implique un ressort de très faible
rigidité (autrement dit C → ∞ ).
∆X
F
a
Figure II.24 : Structure fissurée de complaisance finie représentée par un
ressort monté en série avec l’éprouvette
Lorsque la complaisance de la structure est finie, la détermination du point de rupture,
qui se situe entre les limites correspondant au contrôle de force ou au déplacement
imposé, nécessite une analyse un peu plus complexe.
Rappelons qu’à l’instabilité, les conditions suivantes sont satisfaites :
G = R et
FG dG IJ
H da K ∆
=
X
dR
da
et tentons de calculer le membre de gauche de la dernière égalité.
La structure étant soumise au déplacement ∆ X défini par :
∆ X = ∆ + C. F
II.46
où ∆ = ∆ (a , F ) est le déplacement au point d’application de la charge F , et C la
complaisance du ressort.
Comme ∆ X est fixé, on a évidemment :
47
d∆ X =
FG ∂∆ IJ
H ∂a K
da +
F
FG ∂∆ IJ
H ∂F K
dF + C. dF = 0
a
ce qui donne aussi :
FG dF IJ LMC + FG ∂∆ IJ OP = − FG ∂∆ IJ
H da K N H ∂F K Q H ∂a K
∆X
a
II.47
F
La relation liant l’énergie de Griffith G aux paramètres a et F , G = G (a, F ) , devient
par passage aux différentielles :
dG =
FG ∂G IJ
H ∂a K
da +
F
FG ∂G IJ
H ∂F K
dF
a
soit en divisant le tout par da à ∆ X fixé :
FG dG IJ
H da K
∆X
=
FG ∂G IJ + FG ∂G IJ FG dF IJ
H ∂a K H ∂F K H da K
F
a
∆X
Compte tenu de l’Equation II47, nous écrivons :
FG dG IJ
H da K
-
F
a
F
−1
II.48
a
A force imposée, on a C → ∞ et l’équation précédente devient :
FG dG IJ
H da K
-
∆X
F ∂G IJ − FG ∂G IJ FG ∂∆ IJ LMC + FG ∂∆ IJ OP
=G
H ∂a K H ∂F K H ∂a K N H ∂F K Q
∆X
=
FG ∂G IJ
H ∂a K
F
A déplacement imposé, on a C → 0 , le système est donc infiniment rigide et
∆ X = ∆ (relation II.46).
II.10.3 Modélisation des courbes R
Sous l’hypothèse que la courbe R puisse être assimilée à une loi de comportement, un
certain nombre de modèles plus ou moins empiriques de description de la courbe
expérimentale furent proposés. On cite notamment le modèle de Broek ; ce dernier,
ayant observé que la longueur critique à rupture aC est proportionnelle à la longueur
initiale a0 ( aC = α a0 ) posa :
48
b
R = β a − a0
g
α − 1/α
Pour une autre modèlisation, Wang et McCabe proposèrent une formule de type
polynomial du second ordre :
R = R0 + C1 (a − a 0 ) + C2 (a − a 0 ) 2
La représentation de Broek, plus simple que celle de Wang et McCabe, apparut
insatisfaisante puisqu’en ∆a = 0, elle estime que R = 0 . Ce qui n’est pas le cas : il est en
effet expérimentalement prouvé que dans ces conditions, une valeur finie R = R0 existe,
en raison de la formation d’une zone plastifiée avant le début de la fissuration. Pour ces
raisons, Mai proposa un modèle à trois paramètres :
R = R0 + Q ( a − a 0 ) p
Ce modèle permet l’analyse des résultats expérimentaux sur les courbes R , en
R0 , Q et p
à
l’aide
d’une
représentation
bilogarithmique
déterminant
LogR = f [ Log ∆a ] .
La situation p = 0 correspond à une configuration de chargement en déformations
planes donc plutôt de type fragile, alors que le cas p = 1 est associé à une configuration
de contraintes planes où les effets de plastification sont généralement beaucoup plus
marqués. La figure II.25 illustre les résultats obtenus en faisant varier le paramètre p .
R
p
B
∆a
Figure II.25 : Modèle de Mai pour les courbes R
49
II.11 ZONE PLASTIQUE A FOND DE FISSURE
La mécanique linéaire de la rupture prédit des contraintes infinies1 à l’extrémité d’une
fissure aiguë (c’est-à-dire avec une singularité en 1 / r ), alors que pour les matériaux
réels, nous savons que les contraintes à l’extrémité d’une fissure restent finies - puisque
dans ce cas, le rayon à fond de fissure n’est pas nul.
Au fur et à mesure que la taille de la zone plastifiée, qui se forme à l’extrémité de la
fissure, devient importante, la MLR devient progressivement imprécise. Des
remédiations basées sur de simples corrections à la MLR sont toutefois possibles, du
moins lorsque la taille de la zone plastifiée reste raisonnable. En revanche, au delà d’une
certaine plastification, le FIC K n’est plus adapté à la description des champs des
contraintes et des déplacements à l’extrémité de la fissure ; d’autres paramètres doivent
alors être introduits (cf. chapitre III).
Compte tenu de ces limites d’application de la MLR, la détermination de la taille de la
zone plastique à fond de fissure devient essentielle. Pour cela, deux approches sont
possibles : celle d’Irwin et celle de Dugdale-Barenblatt. Elles conduisent toutes les deux
à des corrections simples du FIC.
Le terme de zone plastique, usuellement utilisé pour les métaux, est employé par la suite
dans un sens plus général ; il permet de caractériser une zone de déformations
inélastiques (métaux, polymères, ...).
II.11.1 Approche d’Irwin
Dans le plan d’une fissure et en aval de l’extrémité de celle-ci, la contrainte normale σ y
est donnée, par exemple dans la cas d’une sollicitation en mode I (relation I.4 avec
θ = 0 ), par :
σy =
KI
2πr
Irwin considère, en première approximation, que la frontière entre zones élastique et
plastique correspond au lieu des points où les contraintes atteignent la limite d’élasticité
du matériau. Pour la détermination du rayon rE pour lequel cette frontière coupe le plan
d’une fissure en contraintes planes, il pose σ y = σ E où σ E est la limite d’élasticité en
traction simple ; ce qui conduit à :
1
Il est à noter que les contraintes à l’extrémité d’une fissure dépassent la limite d’élasticité du matériau, si
bien que la déformation plastique qui en résulte conduit à une relaxation des contraintes.
50
FG IJ
H K
1 KI
rE =
2π σ E
2
Pour représenter la longueur rE (cf. figure II.26), on suppose que le comportement du
matériau est élastique plastique parfait, pour ensuite tout simplement tronquer le champ
des contraintes à σ y = σ E .
σy
Répartition
élastique
σE
Répartition
élasto plastique
rE
r
rP
Figure II.26 : Répartition des contraintes élastiques et élasto plastiques
dans le plan de la fissure et en aval de son extrémité
Cette analyse fait cependant abstraction des forces non transmises représentées par l’aire
hachurée de la figure II.26. Pour tenir compte de ces forces, il convient d’assurer
l’équilibre entre les deux répartitions (élastique et élastoplastique) des contraintes.
Comme la taille rP de la zone plastique doit donc être supérieure au rayon rE ,
l’équilibre des forces entre les deux configurations conduit à :
z
∞
0
σ y dr = σ E . rP +
z
∞
rE
σ y dr ⇒ σ E . rP =
z
rE
0
σ y dr
Soit, compte tenu de l’expression de σ y :
rP
F IJ
= G
π Hσ K
1 KI
2
= 2rE
II.49
E
La distribution des contraintes dans la répartition élasto plastique pour r > rP , est
obtenue par une translation d’une distance rE de la répartition élastique (figure II.26).
Irwin rend compte de cette translation en définissant un FIC effectif qu’il obtient en
augmentant la longueur de fissure de rE . Ce qui revient à considérer non pas la longueur
réelle a de la fissure mais une longueur effective aeff = a + rE .
51
C’est ainsi que, dans le cas d’une fissure traversant une plaque infinie chargée en mode
I, le FIC sans correction K I = σ ∞ πa devient après correction :
K eff = σ
∞
π (a + rE ) = σ
∞
L 1Fσ
πa M1 + G
MN 2 H σ
∞
E
IJ
K
2
OP
PQ
12
II.50
II.11.2 Approche de Dugdale-Barenblatt
Dugdale et Barenblatt considèrent une fissure de longueur a + ρ avec des contraintes de
compression, d’intensité la limite d’élasticité σ E , qui s’exercent sur la longueur ρ près
de chacune des extrémités (cf. figure II.27) ; la longueur ρ représente alors la taille de
la zone plastique.
−σ E
2a + 2 ρ
ρ
Figure II.27 : Modèle de Dugdale-Barenblatt
Lorsqu’on charge une structure fissurée, une zone plastique se forme à l’extrémité de la
fissure. Lors de la décharge, et si on suppose le comportement du matériau élastique
plastique parfait, la structure reste élastique et exerce sur la zone plastique des
contraintes de compression −σ E .
La taille ρ de la zone plastique est ensuite calculée pour une fissure traversant une
plaque infinie ( K I = σ ∞ π (a + ρ ) ).
Pour effectuer ce calcul, Dugdale et Barenblatt utilisent la fonction de Westergaard,
préalablement déterminée par Irwin dans le cas du chargement indiqué sur la figure
II.28a.
F
F
F
X
X
X
2a
2a
a)
b)
Figure II.28 : Fissure chargée en mode I par une paire de forces F appliquée
sur les lèvres à la distance X du centre de la fissure
52
Dans le cas du chargement indiqué sur la figure II.28a, la fonction de Westergaard a
pour expression :
Z ( z) =
F
π z− X
b
g
a2 − X 2
z2 − a2
où F est une force par unité d’épaisseur.
L’étude du cas du chargement associé à la figure II.28b s’en déduit facilement en
remplaçant X par − X et en tenant compte des deux contributions. L’expression
obtenue s’écrit finalement :
Z ( z) =
c
2 Fz
π z2 − X 2
h
a2 − X 2
z2 − a2
A partir de là, le calcul du FIC à l’extrémité + a (qui est analogue à celui du FIC à
l’extrémité −a ) est possible :
K I ( + a ) = lim 2π ( z − a ) Z ( z) = 2 F
z→ a
a
π a − X2
c
2
h
Dans le modèle de Dugdale-Barenblatt, le chargement est réparti sur la longueur ρ
(figure II.27) et le calcul du FIC, alors noté K I( DB ) , s’effectue, via les résultats
précédents, en remplaçant F par − σ E dx et a par a+ρ, puis en sommant sur x variant
de a à a + ρ . Il vient :
K I( DB ) = −2σ E
a+ρ
π
z
a+ρ
dx
(a + ρ ) 2 − x 2
a
soit après intégration :
K I( DB ) = −2σ E
a+ρ
π
FG a IJ
H a + ρK
Arc cos
Le calcul de la taille ρ de la zone plastique s’effectue ensuite par une application
classique du principe de superposition (figure II.29).
On obtient :
K I( DB ) + σ ∞ π (a + ρ ) = 0
soit
53
 πσ ∞ 
a
= cos 

a+ρ
 2σ E 
La taille ρ de la zone plastique devient très grande lorsque la contrainte appliquée σ ∞
tend vers la limite d’élasticité σ E du matériau. A l’inverse, quand cette contrainte est
faible par rapport à σ E , un développement limité simple des membres de la relation
précédente donne :
FG IJ
H K
π KI
ρ=
8 σE
2
σ∞
−σE
σ∞
−σE
=
-
Figure II.29 : Principe de superposition pour le modèle de Dugdale-Barenblatt
Remarque
Si on compare le coefficient π 8 = 0,393 de cette nouvelle relation au coefficient
1 π = 0,312 de la formule II.49, les approches d’Irwin et de Dugdale-Barenblatt
donnent des valeurs assez proches de la longueur ρ .
Le modèle de Dugdale-Barenblatt conduit, après la correction de zone plastique, au FIC
effectif suivant :
K eff =
σ ∞ πa
F πσ IJ
cosG
H 2σ K
∞
II.51
E
Cette relation tend toutefois à surestimer la valeur du FIC. Pour solution, Burdekin et
Stone proposent une estimation plus raisonnable (toujours pour le même type de
modèle) ; la nouvelle expression du K eff est ainsi formulée :
54
K eff = σ E πa −
8
π
2
F F πσ
GH GH 2σ
∞
Log cos
E
IJ I
K JK
II.52
II.11.3 Comparaison des corrections de zone plastique
La comparaison des différentes corrections de zone plastique examinées précédemment
avec l’analyse de MLR sans correction, est représentée, pour un état de contraintes
planes, sur la figure II.30.
2
K eff
σ E πa
Burdekin-Stone
1.5
Dugdale-Barenblatt
1
Irwin
0.5
Sans correction
0
0
0.2
0.4
0.6
0.8
1
σ∞ σE
Figure II.30 : Comparaison des corrections de zone plastique
Sur cette figure, le FIC K eff normalisé par σ E πa est reporté en fonction de la
contrainte normalisée σ ∞ σ E ). Tant que σ ∞ < 0,5σ E , les corrections apportées restent
proches. Par contre, dès que la contrainte appliquée σ ∞ > 0,5σ E , les corrections sont
significatives : la correction de Dugdale-Barenblatt devient excessive alors que celles
d’Irwin et de Burdekin & Stone sont équivalentes jusqu’à σ ∞ = 0,7σ E .
II.11.4 Formes de la zone plastique
Les modèles précédents donnent des estimations de la taille de la zone plastique rP en
θ = 0 , notée rP (θ = 0) . Pour déterminer rP (θ ) selon les valeurs de l’angle θ , les deux
critères de plasticité les plus utilisés sont ceux de Von Mises et de Tresca. Ils s’écrivent
dans l’espace des contraintes principales :
55
bσ
Critère de Von Mises
1
g + bσ − σ g + bσ
Max dσ − σ i = σ
−σ2
Critère de Tresca
2
2
2
3
i
j
3
−σ1
g
2
= 2σ 2E
E
Après calculs, la forme de la zone plastique rP (θ ) est, en mode I, donnée par :
i) en contraintes planes
Von Mises
rP (θ ) =
Tresca
rP (θ ) =
K I2
2πσ
2
E
K I2
2πσ 2E
cos 2
FG θ IJ FG 1 + 3 sin FG θ IJ IJ
H 2K H
H 2K K
II.53
cos 2
FG θ IJ FG 1 + sin θ IJ
H 2K H 2K
pour 0 < θ < π
II.54
cos 2
FG θ IJ FG b1 − 2υ g
H 2K H
FG θ IJ IJ
H 2KK
II.55
2
2
ii) en déformations planes
rP (θ ) =
Von Mises
R|r (θ ) = K
|
2πσ
Tresca S
|| r (θ ) = K
2πσ
T
2
I
P
2
E
2
I
2
E
P
K I2
2πσ
2
E
2
θI
FθIF
cos G J G 1 − 2υ + sin J
H 2K H
2K
2
sin (θ )
+ 3 sin 2
2
si 0 ≤ θ ≤ 2 Arc sin(1 − 2υ )
II.56
pour 2 Arc sin(1 − 2υ ) < θ ≤ π
2
La figure II.31 permet de visualiser, pour υ = 0,3 , les formes des zones plastiques qui se
forment à l’extrémité d’une fissure sollicitée en mode I. L’étendue de la zone plastifiée
est plus importante en contraintes planes qu’en déformations planes, et ce pour les deux
critères. Le critère de Tresca conduit, en contraintes planes comme en déformations
planes, à des zones plastifiées légèrement plus étendues que celles prévues par le critère
de Von Mises. Les observations expérimentales des zones plastiques sont cependant
plus proches du critère de Tresca, notamment en contraintes planes.
En mode II et III, les contours des zones plastiques peuvent être déterminés : il suffit,
par exemple, d’appliquer le critère de Von Mises qui s’écrit dans l’espace des
contraintes non principales :
dσ
xx
+ σ yy + σ zz
i − 3dσ
2
xx
i
σ yy + σ yy σ zz + σ zz σ xx − τ 2xy − τ 2yz − τ 2xz = σ 2E
56
Figure II.31 : Contours des zones plastiques en mode I,
prévus par les critères de Mises (trait continu) et de Tresca (trait pointillé),
en contraintes planes (CP) et en déformations planes (DP).
Le calcul des zones plastiques pour ces deux modes donne :
i) Mode II en contraintes planes
LM4 sin FG θ IJ + 3 sin FG θ IJ FG cos θ cos 3θ IJ FG 2 + cos θ cos 3θ IJ OP
H 2K H 2 2 K H
2
2K
MM H 2 K
PP
3θ I
θIF
θ
F
MN+3 cos GH 2 JK GH 1 − sin 2 sin 2 JK
PQ
2
rP (θ ) =
K
2
II
2πσ 2E
2
II.57
2
ii) Mode II en déformations planes
LM4(1 + υ ) sin FG θ IJ + 3 sin FG θ IJ FG cos θ cos 3θ IJ FG 2 + cos θ cos 3θ IJ OP
H 2K
H 2K H 2 2 K H
2
2K
MM
PP II.58
θI
θIF
θ
3θ I
F
F
MN−12υ sin GH 2 JK + 3 cos GH 2 JK GH 1 − sin 2 sin 2 JK
PQ
2
rP (θ ) =
K
2
II
2πσ 2E
2
2
2
2
iii) Mode III
rP (θ ) =
2
3K III
2πσ 2E
57
II.59
Les figures II.32 et II.33 représentent les contours de ces zones plastiques.
4
rp
LM PO
N Q
1 K II
2π σ E
2
DP
0
CP
-4
0
Figure II.32 : Contours des zones plastiques en mode II
4
rp
LM OP
N Q
1 K III
2π σ E
2
Figure II.33 : Contour de zone plastique en mode III
Les contours de zones plastiques, auparavant déterminés, correspondent aux frontières
où la limite d’élasticité du matériau est atteinte. Mais en réalité, les choses sont un peu
plus complexes : le champ des contraintes élastiques est translaté pour prendre en
compte les forces non transmises comme on l’a vu dans l’approche d’Irwin, avec pour
conséquence une nouvelle répartition des contraintes et une zone plastifiée plus étendue
du fait de la ralaxation. Par ailleurs, le comportement des matériaux n’est pas élatique
plastique parfait commme on en a fait l’hypothèse dans les approches précédents, mais
présente souvent une consolidation dont l’influence sur les tailles des zones plastiques
est significative.
58
II.12 ETATS DE CONTRAINTES OU DE DEFORMATIONS PLANES
La plupart des solutions classiques en mécanique linéaire de la rupture, réduisent les
configurations de chargement étudiées à des problèmes bidimensionnels. Autrement dit,
elles supposent qu’une contrainte ou une déformation principale est nulle.
En général les conditions en aval de l’extrémité d’une fissure ne correspondent ni à
l’état de contraintes planes pur ni à celui de déformations planes pur. Il y a cependant
certains cas où l’approximation 2D donne des résultats tout à fait acceptables.
Considérons une plaque d’épaisseur e , fissurée et soumise à un chargement plan
comme indiqué sur la figure II.34. La taille de la zone plastique est supposée
suffisamment faible pour que l’analyse en mécanique linéaire de la rupture reste valable.
e
σx
σy
r
σz
e
Fissure
Figure II.34 : Etat des contraintes près de l’extrémité d’une fissure
En l’absence de fissure, la plaque mince est en état de contraintes planes. C’est donc
dans cet état de sollicitation que se trouvent les régions suffisamment éloignées de
l’extrémité de la fissure. Au voisinage immédiat de cette extrémité, les contraintes sont
en revanche très élevées, si bien que dans le plan de la fissure et en aval de son
extrémité, le matériau tend à se contracter dans les directions x et z , déformation
toutefois restreinte par le reste du matériau. C’est cette restriction de la déformation qui
suscite le développement d’une triaxialité des contraintes près de l’extrémité de la
fissure. Pour r << e , des conditions de déformations planes existent au cœur de la
plaque, alors qu’en surface (c.a.d. à peau de la plaque) le matériau est dans un état de
contraintes planes.
La figure II.35a illustre schématiquement le changement d’état de sollicitation
apparaissant toujours à proximité de l’extrémité de la fissure (r << e) , du cœur jusqu’à
la peau de la plaque. Au cœur de la plaque, la contrainte σ z est maximale alors que la
59
déformation ε z est nulle. Et à l’inverse, à peau de la plaque, la contrainte σ z est nulle
alors que la déformation − ε z est maximale. Enfin, notons qu’il existe une région
voisinant la surface de la plaque, où l’état de sollicitation n’est ni l’état de contraintes
planes ni celui des déformations planes.
La figure II.35b montre l’évolution de la contrainte σ z lorsque le rapport x / e
augmente, (autrement dit lorsqu’on s’éloigne de l’extrémité de la fissure) : on observe
que l’état de contraintes planes est progressivement prédominant. En effet, l’état de
contraintes à la frontière de la zone plastique dépend de la taille de cette zone comparée
à l’épaisseur de l’éprouvette : pour les faibles tailles de zone plastique, l’état de
déformation plane existe à la frontière, alors que lorsque la taille de zone plastique est
proche de l’épaisseur de l’éprouvette, l’état de contraintes planes devient prédominant.
σz
−ε z
r<<e
σz
x
z
y
Déformations
planes
−ε z
a)
0
σz
z
e
0,5
x
= 0,005
e
x
= 0,025
e
x
= 0,125
e
x
= 0,250
e
b)
z
0,5
e
Figure II.35 : Variations schématiques de l’état de sollicitation lorsqu’on se déplace
du cœur vers la surface de l’éprouvette
a) Evolutions de la contrainte σ z et de la déformation ε z ,
b) Evolution de la contrainte lorsqu’on s’éloigne de l’extrémité de la fissure
0
60
II.13 MODE DE RUPTURE MIXTE
La figure II.36a représente une fissure inclinée traversant une plaque soumise à une
traction simple. Si la fissure n’était pas inclinée ( β = 0° ), le chargement appliqué
conduirait à du mode I pur.
Lorsque deux, voire trois modes de sollicitation sont présents, l’énergie de propagation
G est additive :
G = G I + G II +…
Cette équation suppose cependant que la fissure se propage en restant dans son plan.
Ainsi dans le cas de la figure II.36a, le taux de restitution d’énergie G s’écrit :
cσ h πa
β
∞ 2
G = G I + G II = cos 2
E'
tant que la fissure ne dévie pas.
σ∞
σ∞
y
β
β
n
n
x
2a
2a
a)
b)
Figure II.36 : Fissure inclinée dans une plaque en traction
La figure II.36b est une illustration d’un scénario plus proche de la réalité. La fissure
initialement inclinée, a tendance à se propager dans le plan de plus grande sollicitation :
elle revient donc en mode I. En d’autres termes, la fissure suit le chemin de propagation
de moindre résistance (ou le chemin de propagation de plus forte intensité des
contraintes) – elle ne reste donc pas nécessairement dans son plan initial.
61
Si le matériau est isotrope et homogène, la fissure se propage de sorte que son énergie
G soit maximale.
Dans la section suivante, nous exprimons, dans le cas d’une sollicitation mixte,
l’énergie G en fonction de la direction de propagation. Pour alléger la rédaction, nous
nous restreignons à l’étude d’une fissure sollicitée en modes I et II. Bien entendu, le
raisonnement peut être étendu au cas plus général de coexistence des trois modes.
II.13.1 Propagation d’une fissure inclinée
Les expressions des FIC peuvent être simplifiées sous la forme :
K I = K I( 0) cos2 β et K II = K I( 0) sin β cos β
II.60
où K I(0) = σ ∞ π a est le FIC en mode I pur lorsque l’inclinaison est nulle ( β = 0° )
A l’extrémité de la fissure sollicitée en modes I et II, les champs de contraintes
asymptotiques s’expriment (en coordonnées polaires – voir annexe A) respectivement
par :
R|σ
||
S|σ
|| τ
T
R|σ
||
S|σ
|| τ
T
rr
=
θθ
=
rθ
=
rr
=
θθ
=
rθ
=
LM 5 cos θ − 1 cos 3θ OP
2 4
2Q
2πr N 4
K L3
θ 1
3θ O
cos + cos P
2 4
2Q
2πr MN 4
K L1 θ 1
3θ O
sin + sin P
M
2 4
2Q
2πr N 4
K L 5 θ 3
3θ O
− sin + sin P
M
2 4
2Q
2πr N 4
K L 3 θ 3
3θ O
− sin − sin P
2 4
2Q
2πr MN 4
K L1
θ 3
3θ O
cos + cos P
2 4
2Q
2πr MN 4
KI
I
II.61
I
II
II
II.62
II
Supposons une propagation infinitésimale d’une fissure initialement inclinée d’un angle
β par rapport à la direction de chargement, selon le chemin indiqué sur la figure II.37a.
En se plaçant dans le plan de la fissure, on a en début de propagation, la situation
représentée sur la figure II.37b.
62
y
x
α
a)
b)
Figure II.37 : Fissure inclinée :
propagation selon un angle α par rapport au plan de la fissure
Les FIC locaux existants à l’extrémité de la déviation d’angle α, diffèrent des FIC K I et
K II de la fissure initiale. Si nous définissons un repère local (x,y), et sommons les
contraintes normales et tangentielles, les FIC en mode I et II à l’extrémité de la
déviation, sont donnés par :
k I (α ) = σ yy 2πr = C11 K I + C12 K II
II.63
k II (α ) = τ xy 2πr = C21 K I + C22 K II
II.64
où K I et K II proviennent des relations II.60 et les coefficients Cij s’expriment, via les
formules II.61 et II.62, par :
R| C = 3 cos α + 1 cos 3α
||C = −43 sin2α −43 sin 32α
|S
4
2 4
2
1
α 1 3α
|| C = 4 sin 2 + 4 sin 2
|| C = 1 cos α + 3 cos 3α
T 4 2 4 2
11
12
II.65
21
22
L’énergie de Griffith G(α ) à l’extrémité de la déviation s’exprime ainsi :
G (α ) =
k I2 (α ) + k II2 (α )
E
Fonction dont les variations en fonction de α et β sont représentées ci-dessous.
63
II.66
Figure II.38 : Variations de l’énergie de Griffith en fonction de α ,
pour diverses valeurs de β .
Les maxima de G(α ) pour une valeur de β fixée correspondent aux points où k I est
optimal. Ainsi, le maximum de l’énergie de Griffith est donné par :
G max =
k I2 (α *)
E
II.67
où α* est l’angle pour lequel les valeurs de l’énergie G et de k I sont maximales et
k II .est nul.
Dans un matériau homogène, une fissure initialement inclinée d’un angle β se propagera
selon une direction formant un angle α* avec le plan initial de la fissure.
II.13.2 Mode I équivalent
Le cas de la fissure de longueur 2a traité au paragraphe précédent (avec inclinaison
initiale d’un angle β et propagation dans la direction α*) équivaut à une fissure de
longueur a eq sollicitée en mode I pur, et à même intensité de contraintes. On écrit donc :
64
K I (a eq ) = k I (α *, β , a )
II.68
Pour une fissure de petite dimension traversant une plaque, il vient :
σ ∞ π aeq = σ ∞ π a cos 2 β ⋅ C11 (α *) + sin β cos β .C12 (α *) 
soit
a eq
a
= cos 2 β ⋅ C11 (α *) + sin β cos β . C12 (α *)
65
2
II.69
II.14 APPLICATION DE LA MLR – FATIGUE DES MATERIAUX
La fatigue est la modification des propriétés des matériaux consécutive à l’application
de sollicitations cycliques. Elle produit en général des défaillances des structures qui
conduisent à la fissuration et à la ruine des matériaux. Les composants mécaniques tels
que les vilebrequins, les bielles, les pignons pour l’industrie automobile ou encore les
trains d’atterrissage, les aubes de turbines et de compresseurs pour l’industrie
aéronautique, se détériorent souvent par fatigue.
L’endommagement par fatigue, associé à plus de 50% des cas de défaillances des
systèmes mécaniques, se manifeste en général par l’amorçage et la propagation de
fissures.
Dans la pratique des procédures de caractérisation du phénomène de fatigue, la période
de l’amorçage (apparition de fissure) est traitée à l’aide d’essais sur des éprouvettes
lisses (parfois entaillées) et l’on détermine alors une durée de vie en fonction d’une
amplitude de contrainte ou de déformation.
La phase de propagation est quant à elle essentiellement étudiée à partir d’essais de
fatigue sur des éprouvettes entaillées, la vitesse de fissuration est ensuite décrite en
fonction de l’amplitude du facteur d’intensité des contraintes ∆K. C’est une des
applications majeures du concept de FIC.
II.14.1 Définitions des courbes d’endurance et de l’endommagement
Cycle de contrainte
Un cycle de contrainte est caractérisé par une amplitude de contrainte ∆σ et par une
contrainte moyenne σ m (figure II.39). On utilise souvent pour décrire les résultats de
fatigue l’amplitude de contrainte et le rapport, noté R , de la contrainte minimale sur la
contrainte maximale :
Contrainte
σ min
R = max < 1
σ
∆σ = σ max − σ min = σ max (1 − R )
∆σ
R∆σ
σ max =
, σ min =
σ moy
σ max
σ moy
1− R
1− R
1+ R
=
∆σ
2 (1 − R )
∆σ
σ min
Temps
Figure II.39 Caractéristiques d’un cycle de contrainte
66
Les courbes de fatigue sont souvent présentées en fonction de la demi amplitude de
contrainte, ou contrainte alternée σ a :
σa =
∆σ 1 max
= (σ − σ min )
2
2
Courbes d’endurance
L’essai de fatigue le plus simple consiste à soumettre un lot d’éprouvettes non
entaillées, à des cycles d’efforts périodiques, d’amplitude et de fréquence fixées, et à
noter le nombre de cycles à rupture NR pour chaque éprouvette. On obtient alors une
courbe en échelle semi-logarithmique qui a l’allure représentée sur la figure II.40.
σa
Zone 1
Zone 2
Zone 3
σD
σ m = 0 ou R = −1
Log( N R )
Figure II.40. Courbe d’endurance ou de Wöhler
On peut distinguer sur cette courbe, connue sous les noms de courbe d’endurance, de
Wöhler ou encore courbe S-N (Stress - Number of cycles), trois domaines :
-
une zone à faible nombre de cycles ou zone de fatigue oligocyclique (zone 1), sous
forte contrainte, où la rupture qui intervient après un faible nombre de cycles, est
précédée d’une déformation plastique significative ;
-
une zone de fatigue ou d’endurance limitée (zone 2), où la rupture est atteinte après
un nombre de cycles plus important, nombre qui croît lorsque la contrainte décroît ;
-
une zone d’endurance illimitée ou zone de sécurité (zone 3), sous faible contrainte,
pour laquelle la rupture ne se produit pas avant un nombre donné de cycles
généralement supérieur à 106 cycles pour les aciers et 107 cycles pour les alliages
légers.
67
i.
Zone d’endurance illimitée
Dans de nombreux cas, on peut tracer une branche asymptotique à la courbe
d’endurance (zone 3 de la figure II.40). Cette asymptote donne la limite de fatigue ou
limite d’endurance à N R ≥ 107 cycles , notée σ D pour des essais à σ m = 0 ou R = −1 .
Cependant, dans certains cas, il ne semble pas qu’il y ait d’asymptote horizontale : c’est
par exemple ce qui se produit lorsqu’il y a simultanément fatigue et corrosion.
La limite de fatigue σ D peut être définie comme l’amplitude de contrainte en dessous
de laquelle une microfissure créée par fatigue dans un matériau, n’arrive plus à passer
une barrière métallurgique telle un joint de grain par exemple.
Zone d’endurance limitée
ii.
C’est le domaine (zone 2 de la figure II.40) de la fatigue habituellement considéré, où la
rupture apparaît après un nombre limité de cycles (compris entre 104 et 107), sans être
accompagnée d’une déformation plastique d’ensemble mesurable. Le nombre de cycles
à rupture N R croît quand l’amplitude de la contrainte cyclique σ a décroît. Parmi les
nombreuses expressions empiriques proposées pour relier N R à σ a pour des contraintes
σ a > σ D , on peut citer celle de Weibull :
b
NR. σ a −σ D
g
n
=A
ou celle de Basquin :
NR =
A
σ an
ou encore celle de Bastenaire :
NR + B = A
e
− C (σ a −σ D )
σa −σ D
Les constantes n, A, B et C sont caractéristiques de l’alliage métallique et des conditions
d’essais.
iii.
Domaine de fatigue oligocyclique
Il est généralement admis que ce domaine (zone 1 de la figure II.40) correspond à des
contraintes élevées supérieures à la limite d’élasticité du matériau. Le nombre de cycles
à rupture s’étend d’une alternance à 104 cycles.
Sous l’effet de la sollicitation cyclique en déformation imposée, la courbe contraintedéformation prend la forme d’une boucle d’hystérésis ouverte qui se stabilise et se
ferme au bout d’un nombre de cycles, au cours duquel le matériau s’adapte aux
68
sollicitations cycliques ; la figue II.41 représente une boucle stabilisée. Cette
accommodation en fatigue peut se produire de deux manières : il y a durcissement ou
adoucissement suivant l’état initial du matériau. Souvent, pour des sollicitations
alternées, un matériau initialement écroui, s’adoucit en fatigue. Alors qu’inversement,
un matériau initialement, mou durcit.
R = −1
∆ε p
∆σ
∆ε t
Figure II.41. Courbe contrainte-déformation en fatigue oligocyclique
La figure II.42a est une illustration de ces deux types de comportement : lorsque
l’amplitude de contrainte cyclique augmente avec l’amplitude de la déformation, le
matériau durcit ; dans le cas contraire il s’adoucit. Cependant, on observe souvent dans
les deux cas une stabilisation de la réponse du matériau dès les premiers cycles. En
joignant les sommets des boucles stabilisées obtenues pour différentes valeurs de
déformation ∆ε imposée, on trace une courbe dite de traction cyclique qui caractérise
l’état stable des déformations sous sollicitations cycliques. Chacun des deux
comportements possibles d’un matériau est mis en évidence par la position de la courbe
de traction cyclique par rapport à la courbe de traction monotone comme le montre la
figure II.42b.
Les lois empiriques les plus utilisées pour décrire la fatigue oligocyclique à température
ambiante, c'est-à-dire le nombre de cycles pour différentes déformations plastiques ou
totales imposées, sont :
-
la loi de Manson-Coffin de résistance aux déformations plastiques :
∆ε p
c
= ε 'f . ( 2 N R )
2
où c est l’exposant de ductilité en fatigue et ε 'f le coefficient de ductilité en fatigue.
-
la loi de Basquin de résistance aux déformations élastiques :
'
∆ε e σ f
b
=
( 2 N R ) avec ∆ε e = ∆ε t − ∆ε p
2
E
'
où b et σ f sont respectivement l’exposant et le coefficient de résistance à la fatigue.
69
On a pour les matériaux courants tels les aciers ou les alliages légers,
c ≈ −0.5 et b ≈ c 10 .
σ
σ
Durcissement cyclique
Adoucissement cyclique
σ −ε
σ
Figure II.42a Boucles contrainte-déformation cycliques correspondant
aux deux comportements a- durcissement cyclique et b- adoucissement cyclique
σ
Traction
 statique
Durcissemen
t
cyclique
Adoucissement
ε
Figure II.42b. Adoucissement ou durcissement cyclique par fatigue
70
La figure II.43 est une représentation schématique des résultats de fatigue oligocyclique
ajustés aux relations empiriques de Manson-Coffin et Basquin.
Log∆ε
∆ε p
∆ε t = ∆ε e + ∆ε p
∆ε e
LogN R
Figure II.43 Courbes de fatigue oligocyclique
Endommagement par fatigue
Lorsqu’un élément de structure est soumis à un chargement d’amplitude constante, de
contrainte ∆σ ou de déformation plastique ∆ε p , les courbes de Wöhler ou de MansonCoffin fournissent directement sa durée de vie.
Si en revanche l’amplitude de chargement varie au cours du temps, la façon classique
d’aborder le problème consiste à définir l’endommagement associé à chaque amplitude
et à utiliser ensuite une loi de cumul de l’endommagement : la loi à la fois la plus
simple et la plus utilisée dans les bureaux d’études est la règle de cumul linéaire
proposée par Miner.
Le dommage élémentaire Di sous amplitude constante ( ∆σ i ou ∆ε i ) est défini par la
relation suivante :
Di =
ni
Ni
Avec comme le montre la figure II.44 :
ni le nombre de cycles effectué à l’amplitude ∆σ i ou ∆ε i
N i le nombre de cycles à rupture correspondant (déduit de la courbe de Wöhler
ou de celle de Manson-Coffin)
71
σa
Log∆ε
Courbe de Wöhler
∆σ i
Courbe de Manson-Coffin
∆ε i
2
σD
ni
Ni
ni
Log( N R )
Ni
LogN R
Figure II.44 Définition de l’endommagement élémentaire Di = ni / N i
La règle de cumul linéaire de Miner suppose que l’endommagement total est la somme
algébrique des endommagements élémentaires. L’endommagement total D est donné
par :
D = ∑ Di = ∑
i
i
ni
Ni
La rupture se produit lorsque D = 1 .
L'expérience montre que la sommation des fractions de durée vie ni / N i dépend de
l'histoire du chargement. Pour des amplitudes (de contrainte ou de déformation
plastique) décroissantes ∑ ni / N i < 1 au moment où la rupture intervient, alors que pour
les niveaux croissants
∑n / N
i
i
> 1 à la rupture.
La règle de Miner bien que peu précise dans certains cas ( ±20% ), est néanmoins très
utilisée en calcul de structure à cause de sa simplicité.
II.14.2 Courbes de fissuration par fatigue
Le paragraphe précédent II.14.1 a abordé essentiellement l’amorçage qui englobe la
propagation de microfissures : c’est un phénomène qui se produit essentiellement en
surface. Le présent paragraphe traite de la propagation au-delà de la phase d’amorçage
lorsque les fissures pénètrent à l’intérieur du matériau.
Dans quelles conditions la propagation des fissures de fatigue présente un intérêt ? Les
spectres de charge subis par les structures en service peuvent contenir des contraintes de
niveau supérieur à la limite de fatigue et provoquer donc la propagation des fissures. Par
ailleurs certaines structures contiennent des fissures inhérentes aux procédés de
fabrication, et la maîtrise de leur propagation devient alors importante pour l’intégrité
de la structure. C’est ce qu’on appelle le concept de tolérance au dommage qui peut
s’énoncer ainsi : puisque certaines structures contiennent inévitablement des fissures,
leur dimensionnement et/ou leur durée de vie doivent être tels que ces fissures
72
n’atteignent pas une taille critique conduisant à la rupture brutale. C’est notamment le
cas des structures aéronautiques : les avions par exemple, où des fissures sont présentes
un peu partout dans le carénage, ont une durée de vie limitée. Ils sont régulièrement
inspectés à des périodes fixées par la vitesse de propagation des fissures, de sorte que
les tailles de celles-ci ne deviennent pas critiques.
La présence de fissures dans les structures est donc tolérée. Lorsque la sécurité n’est pas
essentielle comme par exemple les essieux des roues de tracteur qui rompent le plus
souvent en fatigue, on remplace alors l’essieu quand il est hors usage. Mais lorsque ce
n’est pas le cas, comme par exemple les réservoirs sous pression qui peuvent exploser et
provoquer des catastrophes, il faut des inspections régulières pour éviter la rupture
brutale.
Essai de fissuration par fatigue
Un essai de propagation de fissure de fatigue peut être conduit sur une simple plaque
percée d’un trou central prolongé d’entailles aigues pour faciliter l’amorçage (zoom de
la figure II.45). Si W est la largeur de la plaque, des bonnes conditions d’essai exigent
que son épaisseur soit environ égale à W / 20 , le diamètre du trou central de l’ordre de
W / 30 et la longueur initiale 2a0 (trou et entailles) d’environ W /10 . Ce type
d’éprouvette est appelé éprouvette CCT.
La photo sur la figure II.45 montre le dispositif de fixation de l’éprouvette CCT entre
les mors de la machine de fatigue. La longueur de fissure est mesurée régulièrement à
l’aide de méthodes optique ou électrique.
σ∞
2a0
W
2
2a
2W
2a
W
σ∞
73
Figure II.45. Eprouvette CCT pour essais de propagation de fissure de fatigue
Pour décrire la progression des fissures, on peut représenter la longueur a en fonction
du nombre de cycles N subi par l’éprouvette d’essai (figure II.46), ou la vitesse de
fissuration da / dN en fonction de a (figure II.47), ou encore da / dN en fonction de
l’amplitude de l’intensité des contraintes ∆K (figure II.48).
La figure II.46 représente deux essais sur des éprouvette CCT ( W = 100mm ) sollicitées
à des niveaux de chargements cycliques différents mais à même rapport de charge : la
progression de fissure est tout naturellement plus rapide à l’amplitude de contrainte, σ 1 ,
la plus forte. L’essai à amplitude σ 2 < σ 1 , conduit à une rupture de l’éprouvette pour un
nombre de cycles plus élevé.
La figure II.47 représente la variation de la vitesse de propagation da / dN en fonction
de la longueur de fissure a . Cette vitesse est plus élevée à l’amplitude de contrainte
σ1 > σ 2 .
La figure II.48 montre l’évolution de la vitesse de propagation en fonction de
l’amplitude de l’intensité des contraintes ∆K = K max − K min : on aboutit à une courbe
unique ce qui montre que le paramètre ∆K est le plus approprié pour décrire la
fissuration en fatigue. Ce point est développé dans les paragraphes qui suivent.
74
50
σ 2 < σ1
σ1
40
a (mm)
30
20
Pente
da / dN
10
a0
0
0
20000
40000
60000
80000
N (cycl es)
Figure II.46 Variations de la longueur de fissure a en fonction
du nombre de cycles N pour deux amplitudes de contraintes σ 1 et σ 2 .
-4
2.10
da/dN (mm/cycle)
σ1
10-4
σ 2 < σ1
0
10
20
30
40
a (mm)
Figure II.47 Variations de la vitesse de fissuration da / dN en fonction de la longueur
de fissure a pour deux amplitudes de contraintes σ 1 et σ 2 .
75
-4
2.10
• σ1
da/dN (mm/cycle)
σ2
K
K max
10-4
∆K
K min
t
0
15
25
35
45
1 /2
∆K∆Κ
( MPa
(MPa.mm ))
Figure II.48. Variations de la vitesse de fissuration da / dN en fonction de l’amplitude
du FIC ∆K pour deux amplitudes de contraintes σ 1 et σ 2 .
Facteur d’intensité des contraintes et principe de similitude
Comme le montre la figure II.48, les vitesses de fissuration en fonction de l’amplitude
du facteur d’intensité des contraintes ∆K , sont décrites par une courbe unique pour les
deux essais effectués à même rapport de charge mais à des amplitudes de contraintes
différentes σ 1 et σ 2 . Ce résultat permet d’énoncer le principe de similitude relatif au
facteur d’intensité des contraintes : lorsque deux fissures sollicitées à même rapport de
charge, sont soumises à la même amplitude du facteur d’intensité des contraintes, les
vitesses de propagation sont alors les mêmes. Ce principe est néanmoins violé lorsque
les fissures sont de petites tailles : la problématique des fissures courtes sera abordée à
la fin de ce paragraphe.
Le rapport de charge R est défini par :
R=
σ min K min
=
avec K max = σ max π a f (a / W ) et K min = σ min π a f (a / W )
σ max K max
où
f (a / W ) est la fonction complaisance définie au chapitre 3.
On a ainsi :
∆K = K max − K min = K max (1 − R ) ⇒ K max =
76
∆K
R
et K min =
∆K
1− R
1− R
On peut donc écrire :
da
= f ( K max , K min )
dN
II.70a
da
= f (∆K , R )
dN
II.70b
ou
En général, une courbe de fissuration comme celle de la figure II.48 est représentée en
échelle bi-logarithmique ( log(da / dN ) − log(∆K ) ) . La courbe II.49 montre un exemple
de courbes de fissuration obtenues sur un alliage d’aluminium1. Celles-ci sont issues
d’essais sur éprouvettes CCT, sollicitées avec deux rapports de charge R et deux
amplitudes de contrainte pour chaque valeur de R . Ces résultats montrent bien que les
courbes de fissuration dépendent du rapport de charge comme le prévoit la relation
II.70b ; à même ∆K , la vitesse de propagation da / dN croit avec R , autrement dit
da / dN est plus rapide lorsque σ m , le niveau moyen de la contrainte cyclique,
augmente.
∆σ ( MPa )
Figure II.49. Courbes da / dN − ∆K à deux rapports de charge
et pour deux niveaux de contraintes à chaque rapport
1
J. Schijve, Fatigue of Structures and Materials, Kluwer Academic Publishers, 2001
77
Courbes de fissuration en fatigue
La figure II.49 montre des courbes de fissurations partielles. L’allure d’une courbe de
fissuration (ou courbe de propagation en fatigue) complète est indiquée sur la figure
II.50. Ce type de courbe est obtenu pour un rapport de charge R fixé ; on observe un
déplacement de la courbe vers la gauche, lorsque R augmente.
Pour un matériau donné, on distingue généralement trois domaines dans la courbe de
propagation par fatigue :
-
Le domaine
des faibles vitesses, obtenu par des essais à ∆K décroissant : cette
procédure permet de déterminer la valeur seuil de l’amplitude du FIC, ∆K seuil , en
dessous de laquelle, une fissure, présente dans un matériau, ne se propage plus.
Compte tenu de la procédure, la longueur de fissure est relativement longue lorsque
le ∆K seuil est atteint. La connaissance de ∆K seuil est d’une grande importance pour
les structures nécessitant une grande fiabilité. Elle varie avec le rapport de charge R
et le milieu environnant. La relation empirique de Klesnil et Lukas2, la plus utilisée
pour décrire ces variations, est de la forme :
∆K seuil = (1 − R ) ∆K 0
γ
II.71
où ∆K 0 est la valeur seuil pour R = 0 . L’exposant γ est compris entre 0 et 1 : il est
proche de 1 lorsque l’essai de fatigue est conduit dans des environnements agressifs
et proche de 0 pour des milieux inertes tel que le vide, ou tout environnement
gazeux dont les molécules ne d’adsorbent pas sur les surfaces fraîchement créées
lors de la fissuration.
-
Le domaine
des vitesses moyennes, obtenu par des essais à ∆K croissant : la
vitesse de fissuration dans ce domaine est le plus souvent décrite par la relation
empirique de Paris :
b g
da
= C ∆K
dN
m
II.72
C et m sont des constantes qui dépendent du matériau, du milieu environnant et du
rapport de charge R .
-
Le domaine
des vitesses très élevées où les valeurs de K max se rapprochent de la
ténacité K C du matériau.
L’influence du rapport de charge R sur l’ensemble de la courbe de fissuration est
schématisée sur la figure II.50b.
2
M. Klesnil and Lukas, The influence of strength and stress history on growth and stabilization of fatigue
cracks, Engineering Fracture Mechanics, 4, pp. 77-92, 1972
78
Log
da
dN
Log
da
dN
Rր
Pente
m
a-
b-
Log ∆K
∆K seuil
∆K seuil
Log ∆K
Figure II.50 Courbes de propagation da / dN − ∆K en fatigue
a- à rapport de charge fixé, b- pour des rapports de charge différents
Dans les bureaux d’étude, on considère en première approximation que la courbe de
propagation peur être décrite par une relation de Paris étendue au domaine et selon
la procédure indiquée sur la figure II.51.
Log
da
dN
Courbe de propagation
Approximation BE
da
m
= C ( ∆K )
dN
∆K seuil
Log ∆K
K max = K c
Figure II.51 Extension du domaine de Paris da / dN = C (∆K ) m
entre ∆K = ∆K seuil et K max = K c
La durée de vie est alors calculée par intégration de la relation suivante :
79
Nf = ∫
ac
a0
da
C ∆K m
II.73
avec les longueurs a0 et ac déterminées à partir des égalités suivantes :
∆K seuil = ∆σ π a0 f (a0 / W ) et K c = σ max π ac f (ac / W )
Cumul de l’endommagement en propagation
Lorsqu’un élément de structure fissuré est soumis à un chargement d’amplitude de
contrainte constante ∆σ , la durée de vie est calculé par une relation de type II.73 où
l’amplitude de l’intensité des contraintes ∆K dépend de la longueur fissurée.
Si l’élément est soumis à un spectre de charge comportant plusieurs amplitudes ∆σ i , on
procède de la façon suivante :
-
On calcule l’accroissement de longueur de fissure ∆ai dû à chaque amplitude ∆σ i
appliquée pendant ∆N i cycles, soit :
(
∆ai = C ( ∆K i ) ∆N i = C ∆σ i π ai f ( ai / W )
m
)
m
∆N i
Le nombre de cycle ∆N spectre subis pendant une période du spectre de charge et
l’accroissement de longueur de fissure ∆aspectre correspondant, sont donnés par :
∆N spectre = ∑ ∆N i
i
∆aspectre = ∑ ∆ai
i
L’accroissement de longueur de fissure ∆aspectre reste en général faible par rapport à la
longueur de fissure a , si bien que l’on peut déterminer la vitesse moyenne da / dN spectre
sur le spectre de charge :
da / dN spectre =
∆aspectre
∆N spectre
∑ ∆a ∑ C ( ∆σ π a f ( a / W ) )
=
=
∑ ∆N
∑ ∆N
i
i
i
i
i
i
i
i
soit
∑ ( ∆σ ) ∆N
π a f ( a / W ) 
∑ ∆N
m
da / dN spectre = C 
m
i
i
i
i
80
i
m
∆N i
Ce calcul repose sur l’utilisation d’une loi de cumul linéaire (de type Miner) des
accroissements élémentaires ∆ai de fissure.
-
On calcule ensuite la durée de vie en nombre de spectres ( N spectre ) en intégrant une
relation de type II.73.
Lorsque le spectre de chargement n’est pas décomposable en cycles à ∆σ fixée, on
utilise une approche, proposée par Barsom3, qui consiste à relier la vitesse de
propagation da / dN à une amplitude du facteur d’intensité des contraintes ∆K mS
moyennée (moyenne des carrés des contraintes) sur une période du spectre de N S
cycles :
∆K mS = ∆σ mS π a f ( a / W )
σ
↑
où
σ max
σ min
max
min
∆σ mS = σ mS
− σ mS
avec
NS
max
σ mS
=
1
NS
∑σ
σ
1
NS
NS
i =1
2
max
et
min
mS
=
∑σ
i =1
2
min
,
NS
On détermine, à partir de ces contraintes, RmS le rapport de charge moyen sur le
spectre :
RmS =
min
σ mS
max
σ mS
La vitesse est alors déterminée par une relation de type Paris :
da
m
= C ( ∆K mS )
dN
La durée de vie est ensuite calculée par intégration d’une relation de type IV.20.
Effet de fermeture de fissure
On a vu au paragraphe II.11, que le fond de fissure se plastifie. Lorsqu’une fissure de
fatigue se propage, elle entraîne avec elle la zone plastifiée qui se forme à son extrémité.
Il se forme ainsi au fur et à mesure que la fissure progresse, un sillage plastique autour
3
J.M. Barsom, ASTM STP 595, p. 217, 1976
81
de la fissure. Il s’ensuit alors qu’au cours d’un cycle de chargement, la décharge
élastique du matériau entraîne des contraintes de compression sur le sillage plastique :
c’est le phénomène de fermeture induite par la plastification. Elber4 fut le premier a
observé un contact prématuré des lèvres de la fissure pendant la décharge lorsque la
contrainte nominale n’est pas encore nulle. La fissure reste ensuite fermée pendant toute
une partie du bas de cycle. Ainsi, alors que l’éprouvette d’essai est globalement en
traction, la fissure peut rester fermée jusqu’à une contrainte appelée contrainte
d’ouverture σ ouv (figure II.52). Comme l’intensité de contrainte n’est pas transmise à
l’extrémité de la fissure tant que celle-ci reste fermée, l’amplitude de contrainte ∆σ eff
qui contribue effectivement (ou efficacement) à la propagation est :
∆σ eff = σ max − σ ouv
L’effet de la fermeture de fissure sur les courbes de propagation se traduit donc par une
réduction de l’amplitude du facteur d’intensité des contraintes ∆K = K max − K min . Seule
l’amplitude ∆K eff = K max − K ouv est effectivement transmise à l’extrémité de la fissure.
Contraintes de compression
Sillage plastique
σ max
σ ouv < σ < σ max
σ
σ ouv
σ min
↑
Fissure ouverte
→t
σ min < σ < σ ouv
Fissure fermée
Figure II.52 Représentation schématique de la fermeture de fissure induite par la
plasticité
Elber a proposé de décrire les courbes de propagation, non pas en termes de ∆K mais
en termes de ∆K eff , soit pour le domaine de Paris :
da
m
= C ( ∆K eff )
dN
avec
∆K eff = ∆σ eff π a f ( a / W )
La figure II.53 reprend les courbes de propagation de la figure II.49 en termes de ∆K eff .
On obtient alors une courbe unique da / dN − ∆K eff pour les deux rapports de charge.
4
W. Elber, ASTM STP 486, p. 230-242, 1971
82
Autrement dit, l’influence du rapport de charge sur les courbes de propagation
da / dN − ∆K est directement liée à la fermeture de fissure qui intervient en bas de
cycle de fatigue.
Lorsqu’on opère sous environnement oxydant, les contraintes de fermeture sont plus
élevées du fait de la présence de débris d’oxyde sur les surfaces fraîchement rompues.
La fermeture peut être également accentuée si le chemin de fissuration est sinueux avec
des déplacements en mode II à l’extrémité de la fissure. Ces deux types de fermeture
induite par l’oxydation ou la rugosité des surfaces rompues, sont schématisés sur la
figure II.54.
R
0,52
-0,05
∆σ ( MPa )
34
53
•
118,7
182,5
da/dN ↑
(μm/cycle)
Figure II.53 Courbes de propagation de la figure II.49 représentées en termes de ∆K eff
oxydes
rugosité
Déplacement en mode II
Figure II.54 Accentuation de la fermeture de fissure par
les dépôts d’oxyde et la rugosité des surfaces rompues
83
Le développement de toutes ces fermetures (plasticité, plasticité+corrosion et ou
déplacements en mode II) est lié à l’existence d’un sillage plastique. L’évolution du
paramètre K ouv = σ ouv π a f ( a / W ) , est représentée schématiquement en fonction de la
longueur de fissure sur la figure II.55. Il apparaît qu’en dessous d’une taille de fissure
a0 (et donc d’une longueur de sillage plastique), on observe une diminution de K ouv . La
longueur a0 ainsi déterminée, est de 1 à 2 mm selon les matériaux.
K ouv ↑
a→
a0
Figure II.55 Evolution de la fermeture en fonction de la longueur de fissure
Propagation des fissures courtes
L’examen de la figure II.55, montre qu’une fissure dont la longueur est inférieure à a0
(que l’on appelle fissure courte) a une intensité de contrainte effectivement transmise à
son extrémité plus élevée comparée à celle d’une fissure de longueur supérieure à a0
(fissure longue) et soumise au même chargement. Ce résultat met en défaut le concept
de similitude en mécanique de la rupture, selon lequel deux fissures de tailles différentes
soumises au même chargement ∆K − R dans un système matériau-environnement
donné, auront la même propagation dès lors que ∆K > ∆K seuil . Or l’expérience montre
que les fissures courtes se propagent non seulement plus vite mais parfois à des niveaux
d’intensité des contraintes inférieurs à ∆K seuil . Ce seuil de non fissuration est déterminé
selon une méthodologie de décroissance par paliers du ∆K qui conduit à des fissures
dont la longueur est de plusieurs millimètres, autrement dit des fissures longues. La
figure II.56 présente schématiquement le comportement en propagation des fissures
courtes de fatigue comparé en termes de ∆K à celui des fissures longues. Pour le calcul
des durées de vie en bureau d’études (BE), on utilise en général une loi type Paris pour
FL
FC
les fissures longues ( da / dN ) et une pour les fissures courtes ( da / dN ) tronquée à
FL
∆K seuil
.eff = ( K max − K ouv ) seuil (figure II.56).
FL
La propagation des fissures courtes se situe en fait dans un domaine intermédiaire entre
l’amorçage des toutes petites fissures de la taille d’un grain et le domaine de
84
propagation des fissures longues ; il faut se rappeler que limite de fatigue σ D est
l’amplitude de contrainte en dessous de laquelle une microfissure créée par fatigue dans
un matériau n’arrive plus à passer un joint de grain. Il est clair qu’à l’échelle de ces
toutes petites fissures, l’application de la mécanique linéaire de la rupture et plus
précisément du concept de facteur d’intensité des contraintes, devient problématique car
les hypothèses sur lesquelles elle repose ne sont pas vérifiées dans le cas des
microfissures. Ces hypothèses supposent une taille de fissure grande par rapport d’une
part à la zone plastifiée de la fissure et d’autre part aux dimensions microstructurales
pour que le milieu soit considéré comme continu.
da
↑
dN
Calcul en BE
da
Fissures Courtes
dN
( da / dN )
FC
( da / dN )
da
Fissures Longues (FL)
dN
∆K seuil
FL
FL
∆K seuil
.eff
∆K →
Figure II.56 Comportement en propagation des fissures courtes
85
FL

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