VigIE fevrier

Transcription

VigIE fevrier
Sommaire
Edito...................................................................1
Billet d'humeur : IE et recherche
universitaire par Chritsian Harbulot ..............2
Agenda................................................................2
Dossier du mois : l’IE dans l’histoire............3
Le site du mois : Infoguerre...........................7
Zoom sur : le lobbying....................................7
Actualité : les lobbies du vin...........................8
Retour sur la conférence “les affrontements
économiques entre les grandes puissances”...9
Lumière sur : la conférence “IE & innovation”.....................................................................9
A lire : Les Secrets de la guerre
économique d’Ali Laïdi et Eric Denécé.........1 0
Invitation : Conférence IE & Innovation.....1 1
VigIE
Directeurs de la publication :
Nicolas Moinet, Directeur du Master IECS
Vincent Filliat, Responsable du projet VigIE
Directrice de la rédaction :
Charlotte Couffrant
Comité rédactionnel :
Lydie Boret, Charlotte Couffrant, Annelyse Daumain,
Ambroise Fensterbank, Vincent Filliat, Eugénie Le
Moulec, Claire Léquipé, Marie Tardieux.
Conception graphique :
Ambroise Fensterbank, Claire Léquipé
[email protected]
Edito
L'intelligence économique semble être un concept nouveau, une
découverte du 20ème siècle... Pourtant, sans être définie en tant que
telle, elle possède une histoire beaucoup plus ancienne et a existé de
tous temps, à travers la stratégie militaire d'Attila ou encore les préceptes de Sun Tzu. L'Histoire de l'IE est ainsi le thème du dossier du
mois. Ecrit par Jean-Pierre Bernat, il nous permet de mieux comprendre quelles sont les origines de ce concept et comment il a évolué
vers le monde économique. Il est notamment important de constater
que la la civilisation asiatique est pionnière en la matière.
L'exemple du penseur Musashi, développé dans ce dossier, montre à
quel point les asiatiques ont influencé le développement des concepts
stratégiques. Ce contemporain de d'Artagnan a rédigé le fameux "Gorinno-Sho". Il y décrit sa vision de la tactique fondée sur la pratique de l'escrime et du combat armé. Ce livre révèle "le secret d'une stratégie victorieuse" qui reste encore aujourd'hui une référence pour les managers
japonais.
Cette anecdote parmi d’autres illustre parfaitement l'intérêt de se plonger dans cette histoire de l’IE, riche en apprentissages et en références.
Rapportant de manière exhaustive cette trame de l'antiquité à nos jours,
ce dossier vous sera présenté en deux épisodes, dont le prochain sera
publié dans la lettre du mois de mars.
L'Histoire de l'IE s'écrit aussi et surtout aujourd'hui, notamment à travers sa reconnaissance étatique et universitaire. En effet, si les asiatiques ont une culture favorisant ce concept, les européens commencent aujourd'hui à prendre en compte les enjeux stratégiques que la
guerre économique implique. Nous publions ainsi ce mois-ci un billet
d'humeur de Christian Harbulot décryptant la relation délicate entre
l'intelligence économique et la recherche universitaire.
Dans l'esprit de construire et de confirmer une véritable évolution de
l'histoire de l'IE en France, nous vous proposons également le compte-rendu de la conférence tenue par le même Christian Harbulot au
sujet des affrontements économiques entre les grandes puissances.
L'IE fait donc de plus en plus parler d'elle. C'est dans cette optique que
le Master IECS de Poitiers organise une conférence à ne manquer sous
aucun prétexte ! Rassemblant étudiants, universitaires et professionnels
autour des différentes problématiques actuelles de l'IE appliquées à
l’innovation, cet évènement a pour but de faire se rencontrer ces différents acteurs et de favoriser la richesse de leurs échanges. Vous trouverez d’ailleurs un coupon d’invitation à cette conférence à la fin de la
lettre !
Enfin, à travers les rubriques habituelles de VigIE, vous découvrirez le
site infoguerre, les enjeux des lobbies du vin et une présentation de
l'ouvrage d'Eric Denécé et Ali Laïdi "Les Secrets de la guerre économique".
En vous souhaitant une bonne lecture, nous vous donnons rendez vous
le mois prochain pour les 10 ans de l'Icomtec !
Charlotte Couffrant (P10) - Rédactrice en chef
VigIE
Fevrier 2006
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Billet d’humeur : Intelligence
économique et recherche universitaire
Si l'intelligence
économique est
une discipline
qui est encore
en devenir, le
référentiel en
intelligence économique, rédigé
en 2004/2005
par une équipe
d'universitaires
et de formateurs
sous la direction
d'Alain Juillet, est une étape très importante dans la clarification du concept.
Avant cette date, il existait une certaine
confusion théorique qui nuisait au développement de la discipline, aussi bien sur
le plan universitaire que dans le monde
des entreprises. Désormais, le référentiel
donne une idée précise des différents
champs couverts par l'intelligence économique, en ne la réduisant pas à une
vision purement documentaire, en établissant un lien entre les notions de
développement et d'affrontement économique, et en intégrant le management
de l'information à la stratégie globale
d'un acteur économique. La transdisciplinarité imposée par la mise ne œuvre
de ce concept est sans aucun doute
l'obstacle le plus difficile à franchir par
les universitaires.
Mais, à l'image de ce qui s'est passé en
médecine au cours des années 1990 (le
corps médical français qui s'était longtemps opposé au principe d'une étude
globale et transdisciplinaire du corps
humain, a dû changer d'attitude sous
peine de sombrer dans le ridicule), l'université devra progressivement s'accoutumer à cet exercice de croisement des
connaissances.
Dans le monde, la discipline est encore
embryonnaire dans de nombreux pays,
exceptés aux Etats-Unis, au Japon et
dans quelques pays nord européens. En
revanche, l'intérêt croît dans la plupart
des pays pour des raisons évidentes :
compétition durcie par le nombre croissant de pays industrialisés, tensions économiques provoquées par les crises
pétrolières et les spéculations autour de
l'énergie, diminution des ressources
mondiales accentuées par la demande
des nouvelles puissances, régénérescence des patriotismes économiques. Il
demeure cependant une ambiguïté très
importante qui limite la portée de l'intelligence économique : si la nécessité
d'étudier l'utilité de l'information dans la
dynamique économique s'impose peu à
peu comme une nécessité, les entreprises se réfugient derrière le non-dit
afin de dissimuler leurs actes lors d'un
affrontement de nature informationnelle avec la concurrence.
Cette contrainte objective rend la tâche
particulièrement difficile aux chercheurs
qui étudient les pratiques de management de l'information sous l'angle
conflictuel. En effet, ils ne disposent pas
d'éléments statistiques de source étatique ou patronale et se heurtent au
silence des protagonistes lorsqu'ils cherchent à réaliser des études de cas. Si les
guerres militaires laissent des traces
visibles (batailles, destructions, témoignages des combattants), les affrontements économiques sont parfois aussi
opaques que les manipulations financières en usage dans les paradis fiscaux.
L'élaboration du savoir dans cette discipline implique donc une méthode d'enseignement qui prenne en compte ces
difficultés dans le processus de
recherche universitaire.
Christian Harbulot
Directeur de l'Ecole de Guerre Economique
Agenda
Conférence
Séminaire
Conférence
“Innovation & Intelligence
Economique”
“La veille et la gestion de l'information au service d'une stratégie
d'influence”
“De la veille Technologique à
l’Intelligence Economique”
Le jeudi 2 mars 2006 de 9h à 12h30 à la
Présidence de l’Université de Poitiers :
15, rue de l’Hôtel Dieu.
Avec la participation d’Edith CRESSON,
ancien Premier Ministre.
Thèmes : stimulation de l’innovation,
génération des activités nouvelles, état
d’esprit et mode d’action... L’intelligence
économique est un levier efficace pour
répondre à ces défis.
Organisé par le Master IECS de Poitiers et
l’Incubateur Régional Poitou-Charentes
Contact : [email protected]
Tél. : 05 49 49 46 50
VigIE
Les 23 et 24 février 2006 à la Résidence
Maxim’s - Paris
Objectifs
:
Maîtriser la collecte, le traitement, la distribution et les analyses des informations
pertinentes
Gérer les réseaux humains : identifier et
suivre les acteurs clefs
Mettre en place un dispositif de veille au
service d'un projet de lobbying
le 23 février 2006 de 19h30 à 22h, organisée par le Club IES, l’AA ESIEE et l’IFIE,
à l’IAE de Paris (21, rue Broca Paris
5eme).
Sujet : présentation des facteurs clés de
succès pour la mise en place d’une veille
technologique et d’une dynamique
d’intelligence économique.
Contact : [email protected]
Site : www.ifie.net
Tél. : 01 55 34 35 94
Contact : [email protected]
Programme, tarifs et détails sur :
www.lesechosformation.fr
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Petite histoire de l’IE par Jean-Pierre Bernat
Chargé de mission en veille stratégique au CIRAD et intervenant professionnel en knowledge management
et en stratégie des entreprises pour le Master IECS de l'ICOMTEC, Jean-Pierre Bernat retrace l’évolution de
la stratégie au fil du temps.
L'intelligence économique (et ses
nombreux avatars)
semble avoir enfin
pris racine dans
notre culture nationale. Passant du
"Rapport Martre" 1
au
"Rapport
Carayon" 2, elle
passe d'une phase
descriptive et prospective à une phase
structurante et proactive.
Dès lors apparaît la question logique : à
quand remonte le concept même d'intelligence économique et qui peut logiquement en revendiquer la paternité ?
Pour ce que nous conviendrons d'appeler "l'intelligence économique moderne"
(par référence à la maintenant célèbre
définition du rapport Martre) il semble
que la réponse soit relativement simple à
formuler. On trouve en effet trace des
premières considérations sur l'importance de l'information de type décisionnel
dans les travaux des économistes américains comme Peter Drucker ou J.F
Rockart vers le milieu du siècle passé.
Elle semble beaucoup plus ardue pour
ce qu'il en est de la philosophie même de
la décision stratégique, puisque force est
de constater que l'application au monde
de l'économie - et plus particulièrement
à celui de l'économie industrielle - est
une dérive des théories militaires sur la
notion même de l'utilisation stratégique
de l'information comme facteur visant à
réduire un risque et par là comme outils
d'accompagnement d'une tactique basée
sur le mouvement.
Sun Tzu : l'ancêtre commun
A tout seigneur, tout honneur, on ne
peut aborder le monde de l'intelligence
économique sans entendre parler de Sun
Tzu (parfois orthographié Sun Zi, voire
Sun Tsé), et de son ouvrage de référence "L'art de la guerre" dont la principale
traduction française est due à JeanJacques Amiot. Parmi ceux-ci, le plus
ancien semble être un manuel de stratégie en "treize articles" (comprendre chapitres) rédigé vraisemblablement entre le
Ve et le IVe siècle et attribué à un certain
Sun Zi. Comme c'était alors l'usage, ce
"document de base" a été maintes fois
repris pour faire l'objet de commentaires, de développements, etc. Il migra
ainsi vers la Corée, le Japon,… puis
l'Europe (dont la France au XVIIIe siècle)
acquérant au fil du temps et de ses pérégrinations une notoriété qui lui vaut
aujourd'hui d'être reconnu comme l'un
des tous premiers manuels de stratégie.
Partant du fait que la guerre n'est pas un
fait du au hasard mais l'aboutissement
logique d'une évolution de situations,
Sun Tzu propose de s'y préparer en utilisant tous les moyens à notre disposition : connaissance du terrain, connaissance des forces et de la psychologie de
l'ennemi, utilisation d'espions, désinformation,… L'idéal étant de vaincre sans
avoir même à
mener
de
combat ! On
peut voir dans
ces
techniques
les
prémices de
ce que l'on
nommera
beaucoup
plus
tard,
veille et intelligence économique.
Et quelques retombées asiatiques de
cette approche
On doit tout d'abord citer Han-Fei-Tsé
ou "Le Tao du Prince" qui réunit les
œuvres du philosophe chinois Han Fei
du IIIe siècle avant notre ère et qui
constitue l'un des textes les plus importants de l'histoire de la pensée politique
chinoise et sans doute mondiale. Il a sa
place aux cotés des grands classiques
que sont la République de Platon ou le
Prince de Machiavel. Le programme
qu'il contient a été appliqué à la lettre par
un empereur, Qin Shihuang au IIIe
siècle aussi vaste que l'Europe.
Dans le même esprit, mais de façon un
peu plus tardive, on trouve les "Trente-six
Stratagèmes". Traduits, interprétés et enrichis de multiples exemples, ces
Stratagèmes" sont au cœur de la sagesse
chinoise et montrent qu'ils sont bien
autre chose que de simples ruses militaires. Selon la coutume, en Chine,
lorsque les dieux veulent aider un mortel
qui a eu l'heur de leur plaire, ils lui
offrent parfois un livre de stratégie. Les
"Trente-six Stratagèmes" en font partie. Ils
résument les principes essentiels de l'art
politique chinois. Organisé en six
recueils consacrés à chaque type de
batailles - offensives, indécises ou même
perdues - il sert également de guide dans
le labyrinthe de la vie quotidienne et
dans toutes les situations de conflit.
Cette petite encyclopédie composée
sous la dynastie des Ming (1368-1644)
fut retrouvée par hasard en 1941 dans la
province de Shaanxi. Après avoir été
interdit par Mao Zedong, le livre est
devenu dans les années 70 un best-seller,
utilisé comme manuel de stratégie dans
le monde des affaires et comme bréviaire de l'art de vivre.
Attila : le bouillant conquérant
On ne sait rien de sûr au sujet des Huns
avant la fin du IIe siècle. Ce peuple
nomadise alors dans la steppe au nord
du Caucase. Après 425, un empire hunnique commence à prendre consistance
sur le Danube moyen, quelques scribes
romains passent à son service. C'est surtout l'œuvre d'Attila dont le nom est germanique, et qui règne de 434 à 453 qui
marque cette civilisation. Ce souverain,
loin d'être le barbare sans frein que l'on
a souvent décrit, exploite avec une
remarquable intelligence les dissensions
du monde romain, dont il est bien informé.
Attila est surtout connu
dans l'historiographie et
dans la tradition chrétienne occidentale pour avoir
été le fléau de
Dieu, ce qui
lui a conféré
une
image
des
plus
1 Rapport commandé par le Commissariat Général du Plan en paru en février 1994 sous le titre "Intelligence économique et stratégie des
entreprises" (sous la présidence de M. Henri Martre).
2 Rapport commandé par le Premier Ministre et paru en juin 2003 sous le titre "Intelligence économique, compétitivité et cohésion sociale"
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sombres.
En réalité, ce fils du roi d'un des peuples
les plus puissants de son temps est devenu, aux yeux des Européens occidentaux, l'image emblématique du souverain-guerrier nomade, se confondant
dans l'imaginaire
populaire avec les
traits que l'on prêtera plus tard à
Gengis Khan : sanguinaire, aimant la
guerre et les pillages
par-dessus
tout,
cruel et rusé.
Cependant,
l'époque à laquelle
vécut Attila (vers la
fin de l'empire
d'Occident)
son
opposition avec le
général Aetius (par
ailleurs nommé le
dernier des Romains)
et l'origine de son
peuple ont frappé
l'imaginaire collectif
et contribué à faire
d'Attila la figure
typique du barbare
s'opposant à la civilisation.
pour favoriser le développement de son
commerce. Du fait de sa position géographique à la limite de l'Atlantique nord
et du nord-ouest de la Russie, elle a dû
forger une stratégie économique tenant
La Ligue hanséatique
Les commerçants de villes telles que
Hambourg, Brême, Lubeck colportent
dans ces régions laines et peaux de
Russie, dentelles et draps d'Angleterre,
huiles scandinaves. Ils se regroupent
vers 1250 pour former la puissante
Ligue hanséatique, un syndicat professionnel chargé d'assurer la défense commune des villes membres contre les
"pillards de mer et de terre" et qui
acquiert de fait une indépendance quasitotale vis-à-vis des autorités terrestres
(autorité qu'elle conservera jusqu'au
XVe siècle).
compte de la fragilité de sa position
géoéconomique. Comme elle ne pouvait
avoir un rapport de forces direct avec
des puissances mondiales comme les
Etats-Unis ou l'ex-URSS, ni même avec
ses voisins allemands, c'est dans la perspicacité et la diplomatie que résidait
pour ce pays une voie de développement
adaptée. La Suède a tiré de cette attitude
le surnom de "petit Japon d'Europe", en
compensant les handicaps géoéconomiques par un développement fondé sur
une ingénierie stratégique de l'information. 35 des 100 premières sociétés suédoises concentrent plus de 80 % de leur
chiffre d'affaires à l'Export. Une immense partie de la population parle deux,
voire trois langues et l'éducation nationale y est performante (3 % d'illettrés en
Suède contre 20 % aux Etats-Unis). Un
tiers de la population adulte suit des
cours de formation permanente.
L'existence de plus de 100 journaux
paraissant au moins quatre fois par
semaine participent à une circulation
rapide de l'information. Ce qui comparativement représente le triple du marché américain pour un pays de la taille de
la Floride, a donc constitué en matière
d'information un marché trois fois plus
important que celui des Etats-Unis.
Cette association commerciale fournit
donc une première organisation et
obtient de nombreux privilèges au profit
des marchands des villes de la future
ligue hanséatique. On peut dater le passage de la Hanse des marchands à la
Hanse des villes à 1280, lorsqu'une opération de blocus contre Bruges est organisée dans le but de protéger les privilèges acquis (suivi en 1284 du même
type d'opération contre la Norvège).
Si la Suède a réussi assez tôt à se libérer
du joug de la Ligue hanséatique, elle a su
en garder l'approche méthodologique
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Au lendemain de la Seconde Guerre
Mondiale, la Suède, favorable à une
approche pragmatique de la situation
internationale, choisit une politique globale de défense. Ce pays à la charnière
des deux blocs a
donc développé
un modèle de
compromis fondé
sur l'hégémonie de
la social-démocratie, où 30 % de la
population active
appartient au secteur public et où la
sécurité économique est considérée comme une
priorité.
Pour
atteindre
cet
objectif, les autorités suédoises ont
pratiqué une politique de concertation entre les
milieux politiques,
sociaux et économiques. En outre,
le nombre de
citoyens nés en
dehors de Suède
est encore aujourd'hui très marginal. Cette caractéristique renforce la cohésion culturelle
de la population. Les nombreuses
conquêtes, reprises et pertes de territoires, favorisent le développement
d'une certaine culture du secret. Ces
fondements historiques et culturels facilitent la formation de partenariats d'entreprises ainsi qu'une coopération entre
patronat et syndicats devenue légendaire
dans les années soixante-dix. L'exiguïté
du territoire fait que les chefs d'entreprises connaissent souvent leurs homologues pour avoir été à l'armée avec eux
ou pour avoir partagé les mêmes bancs
universitaires.
Musashi : le penseur
Escrimeur le plus célèbre du Japon,
Miyamoto Musashi (1584-1645) est
contemporain de d'Artagnan et aussi
sinon plus célèbre que ce mousquetaire.
Pour information, sa biographie romancée s'est vendue au Japon à plus de 120
millions d'exemplaires. Durant sa jeunesse tumultueuse, ce samouraï rédige
ses "Trente cinq leçons de tactique". Mais
c'est à la fin de sa vie qu'il se retire sur la
montagne Kimpô et trouve le calme
nécessaire pour écrire son fameux
"Gorin-no-Sho" (Ecrits sur les cinq roues).
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Le titre de cet ouvrage se réfère à une
symbolique d'origine bouddhiste : la
roue, symbole traditionnel, le nombre
cinq, renvoyant aux cinq éléments de la
cosmologie bouddhiste qui représentent
la nature entière et figurent les étapes du
progrès spirituel. Il y développe sa philosophie de la tactique fondée sur une
vie basée sur la pratique de l'escrime et
du combat armé. L'escrime y est analysée comme exercice d'habileté, de vitesse et de maîtrise de soi et vise à obtenir
cette libération de l'esprit qui seule
garantit le succès, non seulement dans
les arts martiaux, mais dans tous les
domaines des arts, y compris dans celui
des arts du management. Ce traité porte
sur les arts martiaux et plus particulièrement l'escrime. Mais les principes qu'il
énonce trouvent aussi à s'appliquer à
toutes les activités de nature stratégique,
à tous les gestes de la vie quotidienne :
"Je comprenais bien, écrit Musashi, comme il
est difficile de maintenir une position face aux
événements. [...] J'ai appliqué les principes
(avantages) de la tactique à tous les domaines
des arts. En conséquence, dans aucun domaine
je n'ai de maître."
Le Traité des Cinq Roues n'est donc pas
seulement un livre de stratégie guerrière
ou pour l'action. C'est aussi un guide sur
la Voie, qui énonce les principes d'un art
de vivre. Livre à la fois d'action et de
sagesse, ou plutôt de sagesse dans l'action, il révèle le secret d'une stratégie
victorieuse, d'un trajet initiatique qui
passe par la maîtrise de soi. C'est pour
cette approche qu'il demeure une référence des managers japonais.
Venise la sérénissime
Venise, et par delà l'Italie, sont restées
présentes dans l'esprit des gens par des
œuvres majeures dont la plus accomplie
reste "Le prince" ouvrage écrit de juillet à
décembre 1513, alors qu'exilé en ses
terres de San Casciano à une dizaine de
kilomètres de Florence il supporte difficilement cet isolement et qu'il dédie cet
ouvrage à son maître Laurent de
Médicis. Dans cette vision et après avoir
classé les Etats selon leurs types (démocraties,..) Machiavel examine comment
les conquérir et surtout les conserver.
C'est d'ailleurs le principal mérite de cet
ouvrage. Il s'éloigne des traités utopiques, qui dans la lignée de "La
République" de Platon ne cessaient de
décrire un Etat idéal. Il essaye de développer une vision lucide faite de tensions, de compétitions et de luttes plus
ou moins loyales entre les différents
princes italiens et développe une suite de
méthodologies propres à rendre plus
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efficaces les visées de ce prince. Ces
"théories" furent reprises et mises en
application par la sérénissime république
de Venise où les doges organisèrent la
collecte et le traitement de l'information
- via une cohorte de prostituées dont
l'objectif assigné était de capter le maximum d'information auprès des marchands étrangers de passage pour affaire
dans la capitale - en une quasi religion
d'Etat au seul but de conforter et
d'étendre la puissance commerciale de
l'empire vénitien sur l'ensemble des territoires alors connus.
Richelieu et le Père Joseph
Progressons dans le temps pour parvenir vers les années 1600. En France, elles
virent la montée en puissance d'Armand
Jean du Plessis, plus communément
connu sous son titre de Cardinal de
Richelieu. Cette irrésistible ascension
s'appuya sur deux outils efficaces. D'une
part une "brigade de courtisanes" (à
l'image de ce qui avait merveilleusement
fonctionné à Venise) mais ici non pas
orientée vers le domaine du commerce
mais plutôt vers celui de la politique ; et
l'établissement d'une "éminence grise",
le fameux Père Joseph.
Né en 1577 dans une vieille famille de
robe, François Le Clerc du Tremblay
porte le nom de Père Joseph de Paris
depuis son entrée chez les frères
mineurs capucins en 1599 et son ordination en 1604. Après une éducation très
poussée, notamment au collège de
Boncourt où il fut le condisciple de
Bérulle, un séjour à la cour et une campagne militaire qui le conduisit au siège
d'Amiens, il fut introduit par Bérulle
dans un des foyers religieux de la capita-
le, l'hôtel de Mme Acarie, centre d'une
effervescence spirituelle qui joua un rôle
décisif dans sa rupture avec le monde. A
la fois mystique et homme d'action, il
manifesta une activité débordante, organisant des missions dans les provinces
de l'Ouest gagnées au calvinisme, réformant l'abbaye de Fontevrault et l'ordre
tout entier, fondant en 1606 la
Congrégation des filles du Calvaire.
Mais sa préoccupation centrale fut la
croisade contre les Turcs, qu'il célébra
dans un long poème en vers latins, la
Turciade. Cette croisade de toute la
chrétienté, unie sous les auspices et la
direction de la France pour chasser
d'Europe le Musulman et reprendre les
Lieux Saints, fut le but principal de sa
vie publique entre 1616 et 1625. Cela
l'amena à conduire maintes missions
diplomatiques et à s'associer au duc de
Nevers, héritier des Paléologues, pour
lancer une alliance chrétienne. Ce projet
échoua, mais l'idée persista sous une
autre forme, et la création des missions
capucines dans l'Empire ottoman en
1625 marqua le passage de l'action militaire à l'action pacifique de l'apostolat.
Dès l'année précédente et jusqu'à sa
mort en 1638, il fut le collaborateur attitré de Richelieu et partagea avec lui le
pouvoir tout en restant dans l'ombre, ce
qui lui valut le surnom d'Eminence
grise. En charge principalement de la
diplomatie, il s'appuya sur un service de
renseignements bien organisé, préparant
les projets, conduisant les négociations,
intervenant dans les différents épisodes
de la "guerre couverte" qui opposait la
France aux Habsbourgs dans les années
1620.
L'Angleterre victorienne
La Grande-Bretagne a été la première
puissance économique mondiale de la
révolution industrielle. Cette place historique dans le groupe des pays industrialisés rend son étude d'autant plus intéressante. Dès la création des manufactures textiles, l'intelligence économique
a joué un rôle fondamental dans la maîtrise de l'innovation technique. Ainsi,
pour protéger la machine à filer le coton,
les manufactures du Lancashire faisaient
peser sur les ouvriers des métiers des
menaces de sanctions draconiennes au
cas où ils dévoileraient les caractéristiques de cette invention à des marchands étrangers (amputation de la
main).
L'information tient aussi un rôle central
dans les conflits d'influence autour de la
commercialisation des produits pétroliers. A la fin du siècle dernier, les autorités britanniques placèrent un ancien
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responsable des services secrets à la tête
de l'Anglo Persan Oil pour contenir les
ambitions européennes de la multinationale américaine Standart Oil. Cette
synergie entre le monde du renseignement et le monde industriel correspondait à une tentative de réponse aux multiples facettes du problème pétrolier au
Moyen-Orient :
- Coloniales avec la défense des intérêts
de l'empire face aux autres empires coloniaux
- Géostratégiques avec l'interdiction à la
Russie tsariste de contrôler l'Iran
- Culturelles et ethniques avec la gestion
des contradictions interarabes
- Economiques enfin, avec le contrôle
des gisements et des concessions.
A cette même époque, la GrandeBretagne obtint pendant un demi-siècle
l'exclusivité des gisements du pétrole iranien grâce à une opération de ses services de renseignement. Les autres pays
concurrents n'arrivèrent pas à une telle
mobilisation des forces. Cela s'explique
par le fait que la Grande-Bretagne était
alors la seule puissance dont les élites
avaient intégré la fonction "intelligence
économique" dans leur système de décision. La culture de l'intelligence britannique trouve ses origines dans le développement de l'empire. Il existe une
continuité historique dans l'application
de ce principe. Le commerce triangulaire entraîna un affrontement avec le
royaume d'Espagne. Pour briser le
monopole des compagnies des Indes
hollandaises et s'assurer la maîtrise des
mers, les Anglais ont vaincu la flotte hollandaise et sont devenus les apôtres du
mercantilisme. Face à la France révolutionnaire, le Premier Ministre Pitt estima
que la sécurité de l'empire maritime
dépendait d'un service secret organisé à
l'échelle mondiale et renforcé par des
institutions à but scientifique comme la
Royal Society of Geography qui par le
financement de très nombreuses expéditions d'exploration contribuait à une cartographie mondiale des nouvelles colonies et à une meilleure connaissance des
contraintes géographiques sur le flux de
matières premières (ex: cartographie du
Nil visant à analyser les possibilité de
régulation pour améliorer le fonctionnement via l'Egypte de la route de la soie
et des épices). Hormis quelques
périodes d'activité moins intenses, les
systèmes d'information étatiques ont
constamment soutenu les intérêts économiques de l'empire.
Après la Seconde Guerre Mondiale, cet
atout culturel s'est dilué avec la perte de
compétitivité de l'industrie d'OutreManche. Aujourd'hui, la force de la culture de l'intelligence britannique se
concentre surtout à la City. Les compagnies d'assurances, les institutions financières et les banques font appel à ce type
de savoir-faire dans la conduite de leurs
affaires. Un certain nombre de grandes
entreprises pratiquent aussi le "business
intelligence". Elles ont créé des postes
spécifiques consacrés à cette activité. Il
existe enfin un marché privé de l'information qui constitue une source de
diversification pour la presse économique. Les lettres spécialisées, les bases
de connaissance ciblées sur les entreprises et sur leurs opérations commerciales constituent un des points forts
d'un marché jusque-là dominé par les
opérations de conseil.
Cette continuité historique a progressivement amené la création de départements "marketing intelligence" dans les
entreprises, et ce dès la fin des années
cinquante. Le "marketing intelligence"
dans la culture britannique se traduit par
renseignement économique. Si la
Grande-Bretagne a réussi partiellement
un transfert de ce savoir "intelligence"
(dans le sens anglo-saxon) vers le marke-
ting, elle a en même temps transposé sa
forte spécialisation et compartimentalisation liée à ce savoir. Le "marketing
intelligence" est toutefois devenu une
discipline tout à fait acceptée comme
toute autre discipline de gestion.
L'émergence précoce de cette discipline
en Grande-Bretagne, orientée vers une
collecte intensive de l'information sur
les marchés extérieurs, a favorisé l'apparition de cabinets privés en "business
intelligence", discipline proche de l'intelligence économique, voire identique. On
se souviendra que le mode de fonctionnement du British External Trade Office
(BETRO) a servi de modèle aux japonais lorsqu'ils créèrent le JETRO (Japan
External Trade Organization). En
France, ce concept a été ignoré dans les
années 1970-1980.
Lier l'histoire géopolitique et géoéconomique d'un pays comme la GrandeBretagne à l'évolution de sa pratique de
l'intelligence économique, permet de
comprendre pourquoi elle bénéficie de
la plus forte concentration en Europe de
cabinets de conseil en intelligence économique. Le rôle joué par la GrandeBretagne comme tête de pont de
groupes américains en Europe a également contribué à la progression rapide
de ces sociétés de conseil dans le pays.
Ce n'est pas un hasard si la présidence
de l'Association des professionnels de
l'intelligence économique en Europe
(Society of Competitive Intelligence
Professionals - Europe) se situe en
Grande-Bretagne et si elle fut longtemps
présidée par le directeur "business intelligence" de la société américaine 3M...
Jean-Pierre Bernat
Suite et fin de ce passionnant voyage
dans le prochain numéro de VigIE !
Sources : les principales idées émises dans cet article sont extraites des ouvrages suivants :
Sun Tse : L'art de la guerre (traduit par Jean-Jacques Amiot) - Le Grand Livre du Mois Editeur.
M. Musashi : Ecrits sur les cinq roues (traduit par M et M Shibata) - Le Grand Livre du Mois Editeur.
N. Machiavel : Le Prince (traduit par Jean-Vincent Périès) - Le Grand Livre du Mois Editeur.
Les Trente-Six Stratagèmes (traduit par François Kircher) - Rivages poche/Petite Bibliothèque éditeur.
Han-Fei-tse ou le Tao du Prince (traduit par Jean Lévi) - Editions du Seuil.
J-M Mathey : Comprendre la stratégie - Editions Economica.
B Castiglione : Le livre du courtisan (traduit par Alain Pons) - Editions Gérard Lebovici.
B Gracian : L'art de la prudence (traduit par Amelot de la Houssaie) - Le Grand Livre du Mois Editeur.
A et H Toffler : Guerre et contre-guerre (traduit par Pierre-Emmanuel Dauzat) - Fayard Editeur.
Ainsi que différents sites Internet dont :
http://www.algerie-dz.com/article1538.html
http://www.infoguerre.com
http://c.asselin.free.fr/french/guerre_info_ihedn.htm
http://www.internetactu.net/?p=622
VigIE
Page 6
Le site du mois : Infoguerre
Ce mois-ci, VigIE teste un site bien connu des professionnels de l'intelligence économique : Infoguerre. Un site,
qui, comme son nom l'indique, diffuse largement les théories de la guerre économique.
Né en 1999 "de la collaboration de journa- grâce à un moteur de recherche interne. dénoncer les traîtres ou bien encore la
listes, consultants, universitaires" mais Cet outil permet donc aux nouveaux visi- page "Give me information", inaugurée à
aussi des spécialistes des questions de ren- teurs et aux "non-experts" de rechercher la suite de l'Appel du 18 juin. Cet appel
seignements, Infoguerre avait alors pour l'information utile grâce aux traditionnels invite les internautes à être vigilants voire
ambition d'observer et d'analyser la guerre mots-clés sur un site qui peut parfois à mener l'enquête s'ils détiennent ou interde l'information relative au domaine éco- sembler illisible.
ceptent une information indiquant qu'une
nomique mais aussi politique et militaire. Toutefois, le site offre une particularité entreprise se prépare à "attaquer un
Désormais, le site se fixe pour objectif de tout à fait intéressante : il aborde la ques- concurrent de manière déloyale". En effet,
"décrypter l'information et analyser les tion de la guerre économique sous les "l'information est aujourd'hui une arme
stratégies de puissance". Un positionne- angles de l'environnement, de la démocra- terriblement efficace pour déstabiliser un
ment fort pour le site d'information du tie, de la santé et de la culture. concurrent" et "lorsqu'une entreprise en
cabinet C4ifr dirigé par Christian Harbulot Parmi les grandes rubriques, la première attaque une autre, elle laisse des traces".
et intégré à Spin Partners.
est entièrement consacrée à définir les La rubrique "Pages" concerne des biblioprincipes fondateurs de la guerre écono- graphies et autres notes de lecture.
mique mais aussi l'origine et les applica- Classées selon les différentes thématiques
La philosophie d'Infoguerre est plus tions de la guerre de l'information. Cette et concepts propres à la guerre éconoqu'explicite : l'information est aujourd'hui rubrique est à rapprocher de celle intitulée mique, l'internaute retrouve des ouvrages
une arme décisive dans la lutte qui oppose "doctrines" qui "souhaite donner à tout un clés. Le site offre également la possibilité
les entreprises mais aussi les Etats pour chacun les moyens de mieux décrypter les de télécharger librement l'ouvrage de
assurer leur sécurité et leur compétitivité. menaces et les enjeux de la guerre de l'in- Christian Harbulot, la France doit dire
Pour illustrer ces concepts, le site fournit formation" et regroupe les doctrines de la non.
donc de nombreuses ressources structu- guerre de l'information selon les Etats
rées autour d'une page d'accueil et de neuf (France, Japon, Allemagne, Chine, A noter enfin, Infoguerre dispose depuis
rubriques principales. La page d'accueil se Etats-Unis, etc.)
juillet 2004 d'un blog, nouvel outil de
compose d'un éditorial mensuel et met en
communication indispensable sur la toile.
avant quelques lignes des derniers articles
publiés ainsi qu'une revue de presse inter- Les rubriques suivantes traitent de l'actuaClaire Léquipé (p11)
nationale, sobrement intitulée "La presse lité, proposent des interviews, annoncent
en parle…" Concernant la navigation, les des événements ou bien compilent le
articles sont classés selon leurs dates de courrier des lecteurs.
parution, accessibles grâce à un système Des rubriques "classiques", comparées à la http://www.infoguerre.com
de rubriques précises, ils le sont également page "Transfuge", qui n'hésite pas à http://infoguerre.blogspot.com
Le lobbying en quelques mots…
Souvent mal perçu, parfois décrié, le lobbying est une pratique de plus en plus
répandue et qui touche des secteurs divers
et variés. Néanmoins, on remarque bien
souvent que les malentendus provoqués
par la discipline sont liés à une mauvaise
connaissance de ce qu'est réellement le
lobbying. VigIE vous propose donc un
bref rappel de ce qu'est le lobbying et
vous livre quelques conseils pour mener
une action performante.
Le lobbying, c'est avant tout une discipline, mais aussi et surtout un "état d'esprit"
(Edith Cresson). Il permet d'analyser et de
comprendre un problème, afin d'en expliquer la teneur et les conséquences, à ceux
qui détiennent le pouvoir de décider.
Contrairement aux Etats-Unis où cette
pratique est un sport national, en France,
le règlement de l'Assemblée Nationale
interdit toute expression des groupes d'intérêts. Cependant, le lobbying est aujour-
VigIE
d'hui de plus en plus toléré et employé car
il permet d'engager le dialogue entre la
sphère politique et la sphère économique
dans un environnement mondialisé et
complexe. Malgré tout, de nombreux
exemples témoignent du retard accumulé
par la France dans ce domaine.
L'attribution des Jeux Olympiques 2012 à
la ville de Londres en est une parfaite illustration. Chacun a mené son combat d'influence mais les Britanniques ont une fois
de plus démontré leur habilité et leur
savoir-faire. Cet exemple prouve aussi que
le lobbying est une démarche de professionnels et qu'il réclame des compétences
particulières et l'adoption d'une certaine
méthodologie.
Avant de se lancer, quelques conseils à
retenir. Il est tout d'abord essentiel de bien
connaître le dossier à défendre : ses forces
mais aussi ses faiblesses. Il est également
impératif de s'informer sur le dossier de la
partie adverse afin d'anticiper les éventuelles attaques. Ensuite, il s'agit de
s'adresser à l'interlocuteur adéquat et de
mettre en œuvre sa stratégie d'influence.
Car le lobbying est avant tout une affaire
d'influence et implique d'avoir une véritable culture du réseau (réseaux professionnels, syndicaux, etc.). Finalement, les
qualités essentielles d'un bon lobbyiste
sont une grande disponibilité, une bonne
capacité d'analyse, une aptitude au compromis, de la persévérance, du tact, de la
patience et une certaine ouverture d'esprit.
En effet, aujourd'hui, le lobbying tend à
s'internationaliser et à se développer par
delà nos frontières. Par exemple, ses
actions sont menées auprès de la
Commission Européenne à Bruxelles ou
auprès du Parlement de Strasbourg.
Claire Léquipé & Marie
Tardieux (p11)
Page 7
Crise viticole : lobbying sans modération !
En cet hiver rigoureux, il existe une tradition vieille de 15 siècles, la saint Vincent. Ce jour-là, les vignerons fêtent
leur saint patron. De nos jours, c'est l'occasion pour les vignerons de se rassembler autour d'une grande tablée
et de quelques bonnes bouteilles pour parler de l'époque où la France était réputée pour ses grands crus, où les
vins français s'exportaient sans difficulté et chaque français consommait 100 litres de ce breuvage par an.
Depuis quelques années, pour faire face à la crise, les professionnels du secteur viticole tentent de réagir en s'organisant et en faisant, eux aussi, du lobbying.
Lobby du vin
contre lobby
Communication et publicité sur le
D’après l'Association Nationale de
anti-vin
vin : la bataille du lobbying viticole
Prévention en Alcoologie et Addictologie,
R é c e m m e n t , En janvier 2004, les viticulteurs perdent la cet amendement revient à "mettre la santé
France 2 consa- première manche pour l'assouplissement publique sous tutelle de la viticulture".
crait une de ses de la loi Evin qui réglemente la publicité Certains redoutent d'ailleurs que cet amenémissions, Mots pour l'alcool et le tabac. En effet, d'après dement fasse jurisprudence et qu'il puisse
Croisés, aux lob- Philippe Douste-Blazy, ancien ministre de être décliné sur d'autres enjeux de santé
bies alcooliers, en la santé, il était "absolument nécessaire de publique tels que la lutte contre le tabac, la
particulier
les ne pas modifier l'esprit de la loi Evin dans lutte contre l'obésité etc. Les plus virulents
lobbies du vin. Le un pays qui compte 45 000 décès annuels parlent déjà d'un "conseil de modération et
sujet, "Alcool : santé contre lobby", oppo- dus à l'alcool et 5 millions de personnes de prévention avec l'industrie agroalimensait Hervé Chabalier, journaliste, ancien exposées à des difficultés médicales, psy- taire qui contrôlerait les campagnes de
alcoolique et auteur du rapport sur la lutte chologiques et médico-sociales du fait de lutte contre l'obésité".
contre l'alcoolisme, aux défenseurs du leur consommation d'alcool".
monde viticole. A la suite de l'émission, les
D'où vient la puissance du lobby vitiréactions ne se sont pas faites attendre, En octobre 2004, l'amendement 69 au cole ?
notamment face aux mesures proposées projet de loi sur le développement des ter- L'unanimité politique obtenue sur cet
par la MILDT (Mission Interministérielle ritoires ruraux est adopté, il autorise la amendement montre le premier point fort
de Lutte contre la Drogue et la publicité à faire référence aux caractéris- du lobby viticole représenté par des proToxicomanie) concernant l'augmentation tiques organoleptiques du vin à travers "sa ducteurs, des négociants, des emboudes avertissements sanitaires sur les éti- robe", "son nez" etc.
teilleurs et des distributeurs : il transcende
quettes. Pierre Torres, expert viticole et Au mois d'octobre 2005, les lobbies viti- le clivage droite - gauche en regroupant
auteur du livre "Vigneron, sois fier de coles obtiennent finalement un droit de plus d'une centaine de députés qui relayent
l'être" réagit vivement à ce projet : "je ne regard systématique sur les campagnes de les revendications de la filière.
parle pas de l'impact de ces étiquettes, dites publicité contre l'alcoolisme préparées par
"informatives", sur le tourisme viticole les pouvoirs publics. Dans une belle unani- L'autre force de ce lobby est son réseau
français... Venez découvrir nos terroirs et mité politique, et avec le soutien du gou- géographiquement réparti sur tout le terrises
produits vernement, l'Assemblée Nationale adopte toire français. Réseau qui entretient des liens
étroits avec le groupe d'étude parlementaidangereux !"
un amendement créant un "Conseil de re sur la viticulture qui compte 80 élus.
Il est vrai que depuis quelques années, la modération et de prévention". Cette inspublicité et la communication constituent tance sera consultée sur "les projets de Le premier argument mis en avant par les
le sujet de polémique principal entre les campagne de communication publique groupes de pression tels que l'Association
lobbies du vin et les partisans d'une lutte relative à la consommation des boissons Nationale des Elus de la Vigne et du Vin
sans concession contre l'alcoolisme. Ce alcoolisées et sur les projets de textes légis- (ANEV) ou encore l'association Vin et
bras de fer se déroule sur fond de crise du latifs et réglementaires intervenant dans Société repose sur la précarité de la situasecteur viticole. La France est toujours le son domaine de compétence". Il sera com- tion du vin français, fleuron de notre culpremier producteur mondial de vin, mais posé des professionnels des filières ture. En effet, selon eux, c'est tout un pan
le vignoble français gronde. Plus grave : à concernées "et notamment des filières viti- de l'économie française qui serait
l'étranger, les vins français perdent pro- vinicoles", de représentants d'associations concerné par la crise du milieu viticole.
de santé et de la sécurité routière, de parlegressivement des parts de marchés.
mentaires et de représentants des Face aux militants de la santé publique, le
lobby viticole évoque un argument plus
Tant que la crise n'existait pas, les diffé- ministères et des organismes publics.
contesté : le vin, consommé en quantité
rentes régions viticoles n'agissaient pas
En
d'autres
termes,
le
lobby
viticole,
relayé
raisonnable, serait un bon moyen de préensemble. Il était hors de question pour un
bourguignon de travailler avec un bordelais! par des députés de tous bords, vient d'ob- vention contre les accidents cardio-vascuMais, confronté à une crise des débouchés, tenir un droit de contrôle sur les cam- laire. C'est le fameux "French paradox".
les viticulteurs adoptent la stratégie du lob- pagnes de prévention contre l'alcoolisme. Reste à savoir si le lobbying est la réponse
bying en s'efforçant d'influencer les pou- On imagine que les membres de la filière adéquate pour faire face à la crise ? La
voirs publics et les décideurs pour viticole qui participeront au "conseil de publicité sur le vin est-elle la véritable
défendre leurs intérêts. Leur stratégie modération et de prévention" feront leur cause de la baisse des ventes ? Ce sont les
consiste à faire pression sur les parlemen- maximum pour qu'il n'y ait plus de publici- doutes émis par les partisans de la lutte
taires afin que le vin puisse, à travers la tés qui "diabolisent le vin", selon les contre l'alcoolisme en réponse au lobby
communication, bénéficier d'une meilleure termes du ministre de l'agriculture, viticole.
image auprès des consommateurs réels et Dominique Bussereau.
potentiels.
Lydie Boret (P10)
VigIE
Page 8
Retour sur la conférence “les affrontements économiques
entre les grandes puissances” de Christian Harbulot
Le 26 janvier dernier se déroulait à
Chasseneuil du Poitou l'assemblée
Générale de FuturExport, le club des
exportateurs de la Vienne 1. A cette occasion, les organisateurs avaient invité
Christian Harbulot - doit-on encore le
présenter ? - afin que ce dernier explique
aux entrepreneurs poitevins l'affrontement entre les grandes puissances économiques et les types de stratégie permettant de gagner cette guerre. Une équipe
VigIE s'est rendue sur place…
de véritables guerres. Des conflits insidieux qui utilisent non-plus les armes et la
force, mais font appel à des techniques et
des stratégies nouvelles basées sur l'influence, la maîtrise des connaissances et
la richesse. Des stratégies qui, en France,
contrairement aux Etats-Unis ou au
Japon, sont mal maîtrisées. En effet, pour
le Directeur de l'Ecole de Guerre
Economique, la France se contente trop
souvent de réagir en se limitant à la
défense.
Christian Harbulot a débuté son intervention par des définitions de concepts
fondamentaux de l'intelligence économique et plus particulièrement les
notions chères aux théories de la guerre
économique. Très rapidement, il est entré
dans le vif du sujet et s'est attaché à
démontrer l'existence d'échiquiers invisibles sur lesquels les puissances se livrent
Les mots sont lancés et la salle commence à frémir, certains dans le public s'insurgent contre cette vision "trop pessimiste",
d'autres encore évoquent "la perte de notre
romantisme, au seul profit de la stratégie" et y
voient, semble-t-il, un problème.
Christian Harbulot s'adapte, utilise pléthore d'exemples concrets, en lien direct
avec l'actualité et le quotidien de l'auditoi-
re : l'OPA sur Danone, l'affaire Gazprom
en Russie, les exemples de réussite "à la
française", etc. Il souligne l'importance
de "jouer collectif" mais aussi la nécessité de
réunir le dialogue politique et patronal, à
l'heure où "le premier lobby contre la patriotisme économique reste le MEDEF". Ce patriotisme économique restant trop souvent
associé, par les décideurs, à l'idée de
renationaliser les entreprises.
Les réactions des entrepreneurs poitevins
face à cet exposé sont symptomatiques
d'un problème français global. Certains
cependant acquiescent vivement et en
redemandent. Preuve qu'aujourd'hui
encore l'intelligence économique et la
guerre économique bousculent, dérangent, font peur mais surtout progressent.
Claire Léquipé & Marie Tardieux (p11)
1 Crée en 1977, FuturExport, le club des exportateurs de la Vienne regroupe des entreprises qui exportent leurs productions à l'international,
parmi les adhérents, on compte des entreprises industrielles, des prestataires de services en commerce, marketing international, des établissements de formation en filières internationales.
Le 2 mars à Poitiers, le master IECS crée l'événement
Dans un climat de compétition économique exacerbé, il est devenu vital pour
les entreprises comme pour les acteurs
du développement territorial de stimuler
l'innovation pour générer des activités
nouvelles. Etat d'esprit et mode d'action,
l'intelligence économique peut être un
levier efficace pour répondre à ce défi.
C'est pourquoi le Master professionnel
Intelligence
Economique
et
Communication
Stratégique
de
l'Université de Poitiers (ICOMTEC) et
l'Incubateur Régional Poitou-Charentes
créent l'événement !
L'Icomtec n'en est pas à son coup d'essai. Depuis sa création en 1996, la formation a multiplié les rendez-vous en
intelligence économique dans la région.
Depuis dix ans se succèdent, lors de ces
conférences organisées par les étudiants,
des têtes d'affiche comme B. Carayon, A.
Juillet, F. Jakobiak, R. Pautrat et bien
d'autres. Au fil des années, elle a su faire
évoluer les thématiques proposées pour
un public toujours plus conscient de l'intérêt de l’intelligence économique et
demandeur d'informations de pointe
VigIE
dans ce domaine.
Ce cru 2006 réserve une triple thématique. L'Intelligence économique, l'innovation et la création d'entreprises seront
pour la première fois mises en relief au
cours d'une même journée. Nous tenterons de répondre à la question suivante :
comment l'intelligence économique
et l'innovation peuvent-elles favoriser
la création d'activités nouvelles dans
les entreprises et sur les territoires ?
Pour ce faire, deux tables rondes vont se
succéder :
- dans la première, il sera question de
"l'intelligence économique, fonction
clé de l'entreprise pour stimuler l'innovation et favoriser la création d'activités nouvelles" avec, la participation
de Guy CRESPY, Hervé DANIEL,
Pierre GOHAR et Sandra MARTIN.
- La seconde abordera "l'Intelligence
économique, accélérateur du développement des territoires" avec,
notamment, la participation de Philippe
CLERC, Jacques FANOUILLAIRE,
Jean-Luc HANNEQUIN,
Béatrice
LAGARDE et Jacqueline SALA.
Notons également la participation
exceptionnelle du préfet de région
Bernard PREVOST, et de l'ancienne
Premier Ministre et Commissaire européen en charge de la recherche et de l'innovation Edith CRESSON.
Le rendez-vous est pris pour le jeudi 2
mars 2006 de 9h à 12h30 à la Présidence
de l'Université de Poitiers (15, rue de
l'Hôtel Dieu). L'entrée est libre mais le
nombre de places est limité…
Jean-Sébastien Franc (P10)
Co-organisateur de la conférence
“IE & Innovation”
Page 9
A lire : Les Secrets de la guerre économique
Au-delà de l'intelligence économique, nous entendons parler de guerre économique. Ce terme peut faire peur
mais c'est une réalité. Dans l'ouvrage Les Secrets de la guerre économique, Ali Laïdi et Eric Denécé
(Pseudonyme : Denis Lanvaux) décrivent ce concept, ses enjeux, ses secrets, ses techniques… Paru
en 2004 aux éditions du Seuil.
Dès le premier chapitre
intitulé "les
jeux à tout
prix",
les
auteurs décrivent
un
exemple de
guerre économique à travers la stratégie mise en
place par les
responsables du dossier de la candidature parisienne pour l'attribution des
Jeux Olympiques d'été 2008. Au cours
de l'hiver 2000, un des responsables du
comité a fait appel au cabinet Atlantic
Intelligence dirigé par Philippe
Legorgus, un ex-gendarme du GIGN.
L'objectif de cette manœuvre était de
trouver toutes les informations possibles sur les membres du Comité
International Olympique (CIO) et de
suivre de très prés la candidature chinoise. L'opération baptisée "Azalée"
est donc lancée. Les membres de
l'équipe Legorgus misent sur les nombreuses atteintes aux droits de l'homme, les persécutions des minorités religieuses, la question du Tibet et le peu
d'éthique écologique du régime chinois. Un an plus tard, c'est la mission
"Caribou" qui est lancée au Canada.
Mais le 13 juillet 2001, Pékin est désigné comme hôte des jeux olympiques
2008. Avec du recul, les raisons de
l'échec de la mission Azalée sont dues
à l'engagement tardif de l'opération, à
l'absence de stratégie clairement établie et au soutien timide de l'Etat.
Dans les chapitres suivants, Ali Laïdi et
Eric Denécé abordent l'histoire, les
armes de la guerre économique et la
place de la France.
La guerre économique est un concept
nouveau qui tire ses origines du Moyen
Age. En effet, certains banquiers
avaient déjà à cette époque leurs
VigIE
propres services de renseignements.
On apprend aussi que ce sont les
Japonais qui ont été les précurseurs en
matière de guerre économique.
Concernant ses armes, les auteurs définissent plusieurs techniques offensives
de conquête de marchés ou de
déstabilisation :
- le benchmarking offensif qui consiste à observer et à reproduire les
bonnes idées des autres
- la contrefaçon concurrentielle qui
consiste à copier un produit et non un
processus
- le débauchage concurrentiel qui a
pour but de détruire l'image du rival et
d'attenter directement à son chiffre
d'affaires
- la "War room" qui est la mise en
place d'une chambre de guerre
commerciale au sein d'une entreprise
- enfin le lobbying qui consiste à
influencer directement ou indirectement les processus d'élaboration, d'application ou d'interprétation de
mesures législatives, normes ou règlements.
Un des chapitres présente les "quatre
mousquetaires " de l'intelligence économique en France et retrace l'histoire
de cette discipline dans notre pays à
travers les rapports Martre et Carayon.
Selon les auteurs, quatre français ont
su comprendre les principes de la
guerre économique. Il s'agit de JeanBernard Pinatel (co-directeur de
Datops, leader européen en matière de
veille technologique sur les médias),
Bernard Esambert (auteur de "La guerre économique mondiale"), Philippe Clerc
(responsable de l'intelligence économique à l'assemblée des chambres
françaises de commerce et d'industrie)
et Christian Harbulot (directeur de l'École de Guerre Economique et
Directeur associé du cabinet C4IFR).
nomique : l'intelligence humanitaire et
la guerre des grandes écoles.
L'utilisation de l'humanitaire, et plus
spécifiquement des ONG, comme instrument d'influence économique, politique et culturelle vise à ouvrir les marchés émergents ou à s'assurer de nouvelles zones de pouvoir. Pour installer
ses réseaux d'influence dans une
Afrique brisée par tous les fléaux, il
faut passer par l'action humanitaire.
D'où la présence d'une multitude
d'ONG en tous genres qui ne font pas
uniquement de l'humanitaire, mais
savent ouvrir des marchés à l'industrie
nationale. En effet, par nature et bien
souvent désormais par vocation, les
ONG accomplissent un véritable travail de marketing (études des goûts et
du comportement des populations,
introductions et tests de nouveaux
produits, orientation de normes
locales et conditionnement éventuel,
etc.)
Autre type de guerre, celle des grandes
écoles de commerce et notamment
HEC et ESSEC. En 1999, 13 étudiants
reçus à HEC préfèrent poursuivre leur
cursus à l'ESSEC. La diffusion d'un
mail d'un étudiant d'HEC remet en
cause la valeur de ces diplômes.
Bernard Ramanantsoa, directeur
d'HEC, et deux professeurs contactent un spécialiste de l'intelligence économique (Eric Denécé) pour mener à
bien la mission "Volutes" de mars à
juin 2000 dont l'objectif est de
déstabiliser l'ESSEC.
Cet ouvrage dessine donc les contours
et les zones d'ombre d'une guerre
économique en perpétuelle évolution.
Marie Tardieux (P11)
Parmi les exemples, deux illustrent
parfaitement la notion de guerre éco-
Contact : Nicolas Moinet, ICOMTEC - Université de Poitiers
Master IECS Téléport 5, BP 30064, 86 132 Jaunay-Clan cedex
Tel : 05 49 49 46 50 / Fax : 05 49 52 22 31 Mail : [email protected]
Site de l’ICOMTEC : http://icomtec.univ-poitiers.fr - Site du Master : http://www.ie-poitiers.net
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