Les oiseaux d`Alfred Hitchcock

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Les oiseaux d`Alfred Hitchcock
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jo u rn a l
Les oiseaux d’Alfred Hitchcock
Un film interprété notamment par Rod
Taylor et Tippi Hedren
Une fable morale
Tourné en 1963, «Les oiseaux» est sans
doute le film de Hitchcock le plus connu
du grand public. C ’est une œuvre qu’on
prend plaisir à voir et à revoir. Il est vrai
qu’elle «fonctionne» particulièrement
bien, même après plusieurs visions.
Avec beaucoup d ’intelligence dans la
construction dramatique, de brio dans
les trucages et les effets, d’habileté dans
la mise en scène, le «grand maître» est
parvenu à générer une atmosphère an­
goissante et un suspense étonnants. Le
principe du suspense consiste à ouvrir
sans cesse des alternatives dans l’action.
Ces plages d’indétermination ne se refer­
ment qu’après un certain laps de temps
pendant lequel le spectateur est appelé à
anticiper et questionner le futur immé­
diat et probable de l’histoire. D ’où une
succession d’instants de grande tension
qui éclatent et s’apaisent par une sur­
prise finale, l’art du réalisateur étant
précisément de faire surgir ce que le pu­
blic n’avait pas su ou pas osé (sinon in­
consciemment) imaginer.
A cette liberté de participation s’ajoute
ici un vaste champ de possibilités d’inter­
prétation. Ainsi, chaque spectateur
trouve son compte dans «Les oiseaux».
Au premier degré, d’aucuns pourront
n’y voir qu’un simple jeu de Hitchcock
qui se plaît, par des trouvailles diaboli­
ques, à jouer avec les sensations et les
émotions du spectateur. D’autres pour­
ront s’amuser à déchiffrer les symboles
qui prolifèrent au détour de chaque
scène et élaborer des significations plus
profondes.
En fait, je pense que cette œuvre bril­
lante n’est pas qu’un simple spectacle di­
vertissant en forme d’exercice de style.
Ce drame psychologique est aussi une fa­
ble morale sur les rapports de l’homme
avec ses semblables, la société et le cos­
mos. Par excès d’égoïsme et de matéria­
lisme, la part fondamentale, spirituelle
et sentimentale, de la vie humaine est en
train de s’appauvrir et de disparaître.
Les oiseaux destructeurs et meurtriers
qui s’abattent avec rage et férocité sur
les habitants d’une petite communauté
villageoise apparaissent un peu comme
des signes prémonitoires et représentent
les forces étranges qui menacent l’être
humain et son monde. Si pour Hitchcock
la nécessité de réagir et de lutter, de se
protéger et de se sacrifier, ne fait aucun
doute, la meilleure arme pour le combat
reste certainement la solidarité et l’a­
mour. A cet égard, cette aventure terri­
fiante est extrêmement positive pour le
couple en train de naître.
Plaçant tour à tour le spectateur en posi­
tion de victime ou d’identification avec
les oiseaux, le film le trouble profondé­
ment, le culpabilise, suscite une angoisse
à la fois physique et métaphysique. Mais
il possède aussi des vertus libératoires.
L’effet de catharsis, véritable purifica­
tion des âmes, joue à fond. Dans cette
perspective, et contrairement à beau­
coup d’autres produits de ce genre, thril­
lers fantastiques ou films d’horreur, il a
quelque chose de très sain. Tout l’in­
verse d’ailleurs d’une œuvre comme
«Shining» de Kubrick qui accable et «sa­
lit» le regard du spectateur. C’est un
exorcisme plein de pudeur et de respect,
mais qui ne conforte jamais la bonne
conscience. Au contraire, il nous inter­
roge et nous oblige à prendre position.
D ’ailleurs, rien n’est vraiment fini. Mo­
mentanément apaisés, les oiseaux per­
mettent aux «héros» de fuir. Mais, atten­
tion, ils veillent, plus inquiétants et plus
nombreux que jamais...
Michel EGGER
Actuellement
(17 h. 45).
au
cinéma
Apollo
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