Un modèle multilingue commençant par la langue première pour

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Un modèle multilingue commençant par la langue première pour
Int Rev Educ (2011) 57:599–616
DOI 10.1007/s11159-011-9253-5
Un modèle multilingue commençant par la langue
première pour répondre aux exigences de qualité de
l’éducation formelle de base dans trois pays
« francophones » d’Afrique de l’Ouest
Norbert Nikièma
Publié en ligne : 13 décembre 2011
_ Springer Science+Business Media B.V. 2011
Résumé Un modèle multilingue commençant par la langue première pour répondre
aux exigences de qualité de l’éducation formelle de base dans trois pays «
francophones » d’Afrique de l’Ouest – Cet article documente la nouvelle tendance
en faveur d’un modèle multilingue fondé sur l’utilisation initiale de la langue
première dans l’éducation formelle de trois anciennes colonies françaises d’Afrique
occidentale, à savoir le Burkina Faso, le Mali et le Niger. L’auteur compare dans
ces trois pays les situations sociolinguistiques, les conditions du développement de
l’éducation multilingue, et les résultats obtenus par l’enseignement dispensé en
langue maternelle. Contrairement au discours prédominant en francophonie, il
s’avère qu’un modèle solide qui commence par la langue première dans
l’enseignement formel est la meilleure garantie pour une bonne maîtrise du
français, et plus généralement d’une éducation de qualité dans les pays
francophones.
N. Nikièma (&)
Université de Ouagadougou, UFR/LAC, 09 BP 1331 Ouagadougou 09, Burkina Faso
e-mail : [email protected]; [email protected]
600
N. Nikièma
Un modèle multilingue commençant par la langue première
601
Introduction
Malgré les très nombreux colloques, réunions, symposiums, etc., ainsi que les très
nombreuses recommandations sur la nécessité d'utiliser la langue maternelle des
élèves à l'école comme vecteur d'enseignement, sans parler des très nombreuses
résolutions prises à ces occasions, rares sont les pays qui se sont lancés dans cette
entreprise dans les anciennes colonies françaises en Afrique. Le présent article
décrit une nouvelle tendance en faveur d'un modèle multilingue commençant par la
langue maternelle dans l'éducation formelle dans trois pays voisins d'Afrique de
l'Ouest, faisant partie des anciennes colonies françaises, à savoir le Burkina Faso, le
Mali et le Niger. Dans ce domaine, ces trois pays semblent montrer la voie en
Afrique de l'Ouest.1 Après avoir comparé les situations sociolinguistiques dans les
trois pays, l'article décrit les politiques linguistiques et les conditions de
développement de l'éducation multilingue, les stratégies élaborées pour répondre
aux difficultés courantes et les impératifs de qualité de l'éducation de base formelle,
ainsi que les résultats de l'enseignement dispensé dans la langue maternelle. Il
conclut avec des réflexions sur les enseignements tirés, certains des problèmes à
résoudre et les perspectives de l'éducation bilingue dans le monde francophone.2
Le contexte sociolinguistique du développement de l'enseignement dispensé
dans la langue maternelle
Bien que le multilinguisme soit un trait caractéristique des trois pays, la situation
semble être plus complexe au Burkina Faso (voir Tableau 1), à la fois en termes de
nombre de langues répertoriées (qui varie d'une source à une autre, l'ethnologue3
indiquant toujours un nombre plus important de langues, et en termes de facilité de
la communication intercommunautaire comme en témoignent l'existence de lingua
franca et la proportion estimée de locuteurs de ces langues véhiculaires qui sont
utilisées pour la communication intercommunautaire.4
Les politiques linguistiques dans l'éducation dans les trois pays
Les premières constitutions des trois pays ont institué le français comme seule
langue officielle ; les langues locales n'étaient même pas mentionnées
1 Voir
CONFEMEN (1986), Halaoui (2005, 2009), Maurer (2011) pour la situation en Afrique
‘francophone ; Haidara (2009), Mallam Garba et Seydou Hanafiou (2011) et ADEA (2010) pour le
Niger ; Diaby (2003) et Balima (2009) pour le Mali ; Ilboudo (2009) et Nikièma et Kaboré-Paré (2011)
pour le Burkina Faso.
2 Le terme « francophonie » est utilisé pour faire référence, selon les cas, à la communauté linguistique
des francophones, à l'entité géopolitique regroupant les pays ayant le français comme langue nationale
ou officielle et/ou à l'organisation internationale de promotion de la langue, de la culture et des valeurs
de la communauté francophone (cf. Deniau 1995; Renard 2006).
3 Lewis (2009).
4 Pour le Burkina Faso, la proportion de locuteurs a été calculée sur la base des réponses à la question,
‘‘quelle langue parlez-vous à la maison ?’’, ce qui explique le très faible chiffre obtenu pour le dioula
véhiculaire (ainsi que pour le français, pour lequel selon Kedrebeogo (1998) le pourcentage était de
0,30 %). Dans les autres pays, les locuteurs de la langue majoritaire (bambara, haoussa) parlent parfois
également d'autres langues.
602
N. Nikièma
Tableau 1 Données démolinguistiques pour les trois pays
Pays
Burkina Faso
Mali
Niger
Population
13 900 000 (2005)
13 500 000 (2005)
13 500 000 (2005)
Nombres de langues
59-69
30-57
10-21
Langues principales
3
1
2
Locuteurs par langue principale
(pourcentage de la population)
Moré : 50,4 %
Bambara : 80 %
Haoussa : [80 %
Songhaï-zarma :
25 %
Fulfuldé : 11 %
Dioula : 3 %
Principales sources CONFEMEN (1986), Ethnologue (Lewis 2009), Kedrebeogo (1998), Université de
Laval (2010a, b, c)
dans ces constitutions avant les années 70 (Halaoui 1995, p. 102). Au Burkina Faso,
le statut de « langue nationale » a été reconnu pour toutes les langues des citoyens
du pays dans la constitution de 1978. Au Mali, 10 langues ont obtenu le statut de
langue nationale par décret présidentiel en 1982 ; ce nombre a été étendu à 13 dans
une loi de 1996. Au Niger, la constitution de 1989 a donné le statut de langue
nationale à 8 langues locales (Halaoui 1995, p. 108) ; ce nombre a été étendu à 10
en 2001.
La politique d'utilisation exclusive du français dans l'éducation formelle et non
formelle
Pendant la première décennie qui a suivi l'indépendance (1960 pour les trois pays),
on ne pensait pas généralement que les langues locales pouvaient être utilisées pour
un enseignement « moderne ». Seul le français était utilisé à l'école ; les langues
locales étaient interdites, même à l'oral, dans les enceintes des écoles. Dans
l'éducation non formelle, les premiers cours d'alphabétisation des adultes ont été
dispensés en français, alors que quasiment personne ne le parlait, en particulier dans
les zones rurales. L'alphabétisation des adultes était effectuée en français en HauteVolta (ancien nom du Burkina Faso) jusqu'en 1971 et au Mali entre 1961 et 1967
(Diaby 2003, p. 3).
Échec du modèle d'utilisation exclusive du français et passage à l'alphabétisation
des adultes en langue maternelle
Les services publics ont commencé à dispenser des cours d'alphabétisation dans les
langues locales à la fin des années 60 et au début des années 70, à l'exception du Niger
où, selon Diouldé Laya (1977, pp. 286–291), cela a commencé « dès » 1963 dans les
cinq langues principales du pays. Mais l'alphabétisation en langue maternelle a pris de
l'importance après la conférence mondiale sur l'éducation de Téhéran en 1965, où les
données mondiales présentées avaient montré le manque d'efficacité de l'alphabétisation
lorsqu'elle est dispensée dans une langue étrangère non maîtrisée par l'apprenant. Les
résultats de Téhéran ont été confirmés en Haute-Volta, où le système
d'enseignement en français,
Ecole d'éducation rurale, a été évalué en 1970 et s'est avéré être un échec en termes
d'efficacité à la fois interne et externe. Une faible efficacité interne compte tenu des
faibles taux de réussite et des taux élevés d'abandon scolaire, et une faible efficacité
externe au vu de l'incapacité des diplômés à communiquer dans les langues locales
les connaissances et les nouvelles techniques agricoles qu'ils avaient acquises en
français. L'enseignement en français a par conséquent été remplacé en 1971 par un
programme de formation dispensée dans la langue maternelle appelé Formation des
jeunes agriculteurs (FJA).
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Après la conférence de Téhéran, le Mali a lancé le programme expérimental
d'alphabétisation de l'UNESCO entre 1968 et 1972 dans quatre langues locales, et a
gagné trois récompenses de l'UNESCO pour ses résultats (Diaby 2003, ibid). Le
ministère de l'Education du Mali a explicitement attribué le succès du programme
d'alphabétisation à l'utilisation des langues locales :
Si nous avons réussi à obtenir de tels résultats en si peu de temps, cela est
certainement dû […] avant tout à la langue utilisée, qui est la langue des
paysans. L'utilisation des langues nationales est le facteur innovant qui a le
plus contribué aux résultats obtenus. Nos langues nationales […] sont des
instruments efficaces qui […] peuvent contribuer à promouvoir un
développement économique et social rapide de notre pays (Ly 1977, p. 283).
Le développement de l'éducation multilingue commençant par la langue maternelle
Les évaluations des systèmes scolaires dans les trois pays pendant les années 70 ont
diagnostiqué de graves problèmes en termes d'efficacité interne et externe : taux
élevés d'échec et d'abandon scolaires, taux élevés de redoublement, faibles taux de
rétention scolaire, élèves retombant rapidement dans l'analphabétisme après un
abandon scolaire, et ainsi de suite. Au Burkina Faso, la situation était la suivante :
20,2 pour cent seulement des élèves atteignaient la sixième année de scolarité sans
redoubler ; 59,9 pour cent y parvenaient en huit ans. Bien que l'étude du français –
langue d'enseignement – occupait la moitié du temps certaines années (55 pour cent
pendant la première et la deuxième années, 43,3 pour cent pendant la troisième
année, 48,3 pour cent pendant la quatrième année …), la maîtrise du français restait
insuffisante : seulement 25 pour cent des élèves de sixième année étaient capables
de lire des textes simples, et seulement 20 pour cent pouvaient lire et écrire un texte
décrivant une situation familière ; 34 pour cent des garçons et 42 pour cent des
filles retombaient dans l'analphabétisme lorsqu'ils quittaient l'école (Fiaux et Niada
1997, pp. 19, 21). La situation n'était pas meilleure dans les deux autres pays.
Le succès de l'alphabétisation des adultes en langue maternelle a permis
d'identifier de manière pragmatique la langue comme étant le facteur principal
pouvant expliquer les résultats médiocres de l'éducation formelle décrits ci-dessus.
Ce succès de l'alphabétisation des adultes en langue maternelle à la fin des
années 60 et au début des années 70, et l'instrumentalisation des langues
d'alphabétisation dans le processus, ont ouvert et préparé la voie quelques dix ans
plus tard à l'utilisation des langues maternelles dans l'enseignement scolaire dans
les trois pays, en commençant par le Niger en 1972, puis le Mali et la Haute-Volta
(indépendamment) en 1979.
Le développement de l'enseignement dispensé dans la langue maternelle dans les
pays africains francophones a également été fortement encouragé par la
reconnaissance importante dans le cercle de la francophonie, à partir de la fin des
années 80, que le français pouvait cohabiter avec les langues locales, reconnues
comme « langues partenaires » (Renard 2006). Mais le mouvement de l'Éducation
pour tous (EPT) lancé en 1990 a créé le contexte le plus favorable.
Tour d'horizon des expériences en matière d'enseignement bilingue
À l'exception du Mali, il n'y a pas eu de développement régulier de l'enseignement
bilingue dans les pays étudiés. Même si l'initiative de mise en oeuvre de
l'enseignement dispensé dans la langue maternelle a été prise indépendamment dans
chaque pays, la stratégie appliquée pour lancer une
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N. Nikièma
expérience a été la même dans les trois pays : une étude de diagnostic du système
éducatif est menée, l'obstacle de la langue est identifié comme l'une des principales
explications de la situation et des expériences sont lancées pour tester la faisabilité
de l'enseignement dispensé dans la langue maternelle.
Le développement de l'enseignement bilingue dans les trois pays
Le Tableau 2 présente la chronologie des principaux événements. Même si le
développement de l'enseignement dispensé dans la langue maternelle est resté
constant au Mali, il a subi quelques revers
d'abord au Burkina Faso où il a été interrompu en 1984 par le nouveau régime
révolutionnaire arrivé au pouvoir en 1983, puis au Niger, où l'arrêt de l'aide
extérieure en 1988 a entraîné une diminution progressive du nombre d'écoles
bilingues à cause du manque d'implication du gouvernement, malgré les évaluations
positives.
La création d'« écoles bilingues de deuxième génération » a permis
d'expérimenter diverses autres formules d'enseignement dispensé dans la langue
maternelle au Niger, de relancer l'expérimentation d'utilisation de la langue
maternelle au Burkina Faso par des ONG et des associations locales, et de mettre en
oeuvre au Mali une nouvelle approche pédagogique dans les écoles bilingues
appelée Pédagogie convergente (PC) à la fin des années 80. Des lois linguistiques
ont été votées dans la deuxième moitié des années 90, visant à promouvoir et
fournir un cadre légal pour l'enseignement multilingue dans l'éducation non
formelle et formelle.
Tableau 2 Aperçu chronologique du développement de l'enseignement dispensé dans la langue
maternelle dans les trois pays
Principal événement
Niger
Mali
Burkina Faso
Diagnostic du système
éducatif
1971
1978
1978-1979
Début de l'expérimentation
1972-1973
1979-1980
1979-1980
Développement et extension
des écoles bilingues
de première génération
1980-1988
1980-1987
1980-1984
Revers
1988-1997 : Recul
progressif de
l'enseignement
dispensé dans la
langue maternelle
Deuxième génération
2001 (2PEB-GTZ)
d'écoles bilingues
Autres nouvelles
générations : 2004
SOUTEBA (UE)
Loi d'orientation de
l'éducation
1998
1984 : Interruption de
l'enseignement dispensé dans
la langue maternelle
1987-2002
(Pédagogie
convergente/PC
)
1999
1994 : MEBA-OSEO
formule d'enseignement;
1995 :
Écoles satellites
(UNICEF); 1995 : CBN 1
écoles (Association
Tin-tua)
1996, 2007
Intégration de l'approche par
compétences
et de l'approche
bilingue
2007
2002
Sources CONFEMEN (1986), Sow (1977), Mallam Garba et Seydou Hanafiou (2009), Halaoui (2009),
Ilboudo (2009), Nikièma et Kaboré-Paré (2010)
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Modèles d'enseignement bilingue développés
Bien que l'arrêt précoce de l'enseignement en langue maternelle (au bout de deux ou
trois ans) soit le dénominateur commun des différents modèles expérimentés, en
particulier au Niger et au Burkina Faso, beaucoup de programmes continuent de
faire en sorte de démarrer avec une base solide dans la langue maternelle et de
conserver la langue maternelle à tous prix, que ce soit une matière enseignée
séparément ou la langue d'enseignement, tout au long du cycle primaire. De plus, le
choix porte clairement sur une approche multilingue utilisant en moyenne près
d'une douzaine de langues locales, en plus du français. Cependant, les langues
nationales ne sont pas prises en compte dans les examens officiels, sauf au Mali.
Création des supports et formation des enseignants
Des supports et des méthodes pédagogiques ont été mis au point par des experts
locaux au Burkina Faso et au Niger, ou avec l'aide d'experts/consultants et
d'institutions étrangers (DSE, USAID, GTZ au Niger). Le Professeur Michel
Wambach du
Centre international audiovisuel d’études et de recherches (CIAVER) de Belgique a
joué un rôle primordial dans l'élaboration de la Pédagogie convergente au Mali.
La formation des enseignants a consisté essentiellement en formations continues
courtes (et assez coûteuses) se déroulant généralement sur plusieurs semaines. Ce
n'est que récemment que les centres de formation d'enseignants ont intégré des
modules d'enseignement dispensé dans la langue maternelle dans leurs
programmes.
Soutien financier
Dans l'ensemble, les expérimentations ont été axées sur des projets et tributaires des
donateurs. Elles ont été financièrement soutenues par des organismes de coopération
multilatéraux et bilatéraux, et des ONG, en particulier par ceux qui, traditionnellement,
soutenaient également les programmes d'alphabétisation des adultes en langue
maternelle. L'implication et l'engagement des pouvoirs publics dans le développement
de programmes d'enseignement dispensé dans la langue maternelle ont été très élevés au
Mali ; il existe des signes encourageants d'engagement politique et d'un début
d'engagement financier au Burkina Faso où, depuis 2009, le ministère de
l'Enseignement de base et de l'alphabétisation (MEBA) a pris la suite de l'ONG suisse
qui le soutient, OSEO, pour l'extension de l'enseignement dispensé dans la langue
maternelle ; et les perspectives sont assez prometteuses au Niger avec la création
en 2007 d'un nouveau cadre d'élaboration du programme, appelé Cadre d’orientation du
curriculum (COC), qui combine l'enseignement dispensé dans la langue maternelle et
l'approche d'apprentissage par les compétences (APC5 en français).
La situation actuelle
5
APC est un programme scolaire axé sur les compétences (par opposition à un programme axé sur le
contenu ou sur les objectifs) (Dembélé et Lefoka 2007, p. 536) ou une approche fondée sur l'acquisition
des compétences (Bernard et al. 2007, p. 553). Il est censé être plus centré sur l'apprenant et donner à ce
dernier un rôle plus actif dans la classe.
Le Tableau 3 montre le nombre d'écoles bilingues (et le nombre de langues
nationales) pour tous les programmes bilingues de l'éducation formelle dans chaque
pays.
Il apparaît que les hauts et les bas de l'enseignement dispensé dans la langue
maternelle au Niger ont ralenti le développement des écoles bilingues, alors que
cette approche avait été adoptée très tôt dans ce pays ;
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N. Nikièma
Tableau 3 La situation présente des écoles bilingues dans les trois pays
Nombre d'écoles bilingues
Nombres de langues nationales
Niger
Burkina Faso
Mali
573
422
2 550
5
10
12
Sources Mallam Garba et Seydou Hanafiou (2009), Halaoui (2009), Ilboudo (2009)
au Burkina Faso, la stratégie MEBA-OSEO a consisté à assurer une extension
verticale de l'enseignement dispensé dans la langue maternelle entre les niveaux
scolaires avant d'entreprendre une extension horizontale aux autres écoles et
langues, ce qui s'est traduit par une lente progression du nombre d'écoles bilingues.
Par conséquent, le Mali se positionne loin devant les deux autres pays, ce qui est
également une conséquence de la détermination plus forte de son gouvernement dès
le début de l'expérience.
Résultats et contribution potentielle de l'enseignement dispensé dans la langue
maternelle
Malgré un nombre appréciable de problèmes et de difficultés dans les différents
pays, toutes les expérimentations ont eu des résultats importants à la fois sur les
plans scolaire et non scolaire. Les paragraphes ci-après se focalisent sur les résultats
scolaires et la contribution réelle et potentielle de l'enseignement dispensé dans la
langue maternelle, tels que démontrés par les expérimentations.
Résultats scolaires
(a)
Performances dans des matières spécifiques – Les inquiétudes suscitées par
l'enseignement bilingue dans les pays francophones et les objections soulevées
reposent souvent sur des spéculations sur l'impact négatif supposé de la
langue 1 sur les performances en français et dans les matières scientifiques, en
particulier en mathématiques. Cependant, des tests indépendants effectués
dans ces matières n'accréditent pas ces inquiétudes.
Au Niger, la GTZ6 a effectué une évaluation comparative des élèves d'écoles
expérimentales et d'écoles traditionnelles dans les dernières classes du primaire
(niveaux 4, 5 et 6), dans les langues nationales et en français (MEN/GTZ-2PEB
1999) ; les résultats obtenus pour les mathématiques (« calcul ») sont présentés dans
la Figure 1.
Il semble que les meilleures notes sont obtenues dans les tests effectués dans les
langues locales, même dans les écoles traditionnelles, quel que soit le contenu des tests.
En outre, lorsque le test est en français, il n'y a quasiment pas de différences entre les
élèves des deux types d'écoles, en particulier ceux de la dernière année, ce qui indique
que les élèves des écoles expérimentales ne sont pas plus faibles en français que leurs
pairs des écoles traditionnelles. Les résultats des tests ont montré également que
lorsqu'un élève réussit un exercice
_
La GTZ était l'organisation publique allemande de coopération technique (Deutsche Gesellschaft fu¨r
Technische Zusammenarbeit). En décembre 2010, elle a été rebaptisée GIZ, société allemande de
coopération internationale (Deutsche Gesellschaft fu¨r Internationale Zusammenarbeit).
Un modèle multilingue commençant par la langue première
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Total en calcul
12
10
8
6
4
2
0
CE2
CM1
F EE
F ET
LN EE
CM2
LN ET
Fig. 1 Résultats des tests en maths effectués au Niger en français et en langue 1. Source Mallam Garba et
Seydou Hanafiou (2009, p. 64). Explication des abréviations : CE2 = niveau 4; CM1 = niveau 5; CM2 =
niveau 6. F EE = français, écoles expérimentales ; F ET : français, écoles traditionnelles ; LN EE :
langue nationale, écoles expérimentales ; LN ET : langue nationale, écoles traditionnelles
dans sa langue 1, il réussit également le même type d'exercice lorsqu'il est effectué
en français, ce qui montre qu'il y a un transfert positif de compétences entre la
langue 1 et la langue 2.7
Au Burkina Faso, des tests comparatifs en français et en mathématiques
effectués avec les enfants des écoles bilingues et ceux des écoles traditionnelles
en 2005 et en 2008 ont donné les résultats présentés dans le Tableau 4.
Les résultats en français des enfants des écoles bilingues sont comparables à
ceux des enfants des écoles traditionnelles (bien que les premiers aient eu beaucoup
moins de temps pour le français), et ils sont systématiquement plus élevés en
mathématiques, sauf en 2008.
Au cours des dix dernières années, les résultats des examens officiels n'indiquent
en rien que les élèves des écoles bilingues seraient plus faibles que ceux des écoles
traditionnelles (voir ci-après).
(b)
Résultats aux examens officiels – Au Mali, les matières enseignées en langue
nationale sont prises en compte pour le certificat de fin d'études primaires.
Toutefois, les critères et les méthodes d'évaluation ne sont pas ceux utilisés
par la Pédagogie convergente. Malgré cela, les taux de réussite présentés dans
le Tableau 5 ont été publiés entre 1994 et 2000 (Balima 2009, p. 276) et
peuvent être comparés à ceux enregistrés au niveau national. Le taux de
réussite des écoles pratiquant la Pédagogie convergente sur les sept années est
largement supérieur à la moyenne nationale :
Au Burkina Faso, les programmes bilingues ont expérimenté des cycles de cinq
années (au lieu des six années standard) pour l'école primaire. Le programme en
langue nationale n'est pas pris en compte dans les examens nationaux. La formule
_
Voir également ADEA (2010, p. 51).
scolaire MEBA-OSEO
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N. Nikièma
Tableau
4
Tests comparatifs en français et en mathématiques au Burkina Faso
Année
Type d'école
Niveau
Français
Maths
2005
Classique
Niveau 1
42,1
36,0
Bilingue
Niveau 1
43,0
45,4
Classique
Niveau 4
43,1
38,0
Bilingue
Niveau 4
45,2
45,8
Classique
Niveau 1
42,3
42,9
Bilingue
Niveau 1
43,7
54,9
Classique
Niveau 4
45,4
39,4
Bilingue
Niveau 4
38,1
38,0
2008
Source Adapté de DEP/MEBA (2009, pp. 37–40)
Tableau 5 Résultats au certificat de fin d'études primaires au Mali
Source Adapté de Balima (2009, p. 276)
Taux de réussite dans
la Convergence
pédagogique
écoles expérimentales
Taux de réussite au niveau
national
dans les écoles traditionnelles
1994
56,52
40,62
1995
37,64
42,34
1996
75,75
54,26
1997
50,0
36,89
1998
71,95
48,30
1999
78,75
49,13
2000
68,57
52,34
Moyenne
62,74
46,26
Année
a été la première formule d'enseignement bilingue après 1984 à avoir essayé un
cycle d'enseignement de quatre ans, puis de cinq ans, au Burkina Faso. Les taux de
réussite au certificat de fin d'études primaires (CEP) sont présentés dans le Tableau
6.
Là encore, sur les années étudiées, les taux de réussite moyens ont été largement
supérieurs à la moyenne nationale malgré des cycles d'enseignement plus courts et
l'inconvénient pour les élèves des écoles bilingues expérimentales de l'exclusion des
matières en langue nationale des examens officiels.
(c)
Amélioration de l'efficacité interne globale – Mallam Garba et Seydou
Hanafiou (2009, p. 64) indiquent qu'au Niger, une étude comparative
longitudinale portant sur 285 élèves d'écoles expérimentales et traditionnelles,
menée depuis 1987, a montré que les valeurs des principaux indicateurs de
réussite sont plus élevées pour les élèves des écoles expérimentales que pour
ceux des écoles traditionnelles jusqu'à la cinquième année de l'école
secondaire de premier cycle (voir aussi ADEA 2010). Les chiffres sont
présentés dans le Tableau 7.
Suzanne Toé-Sidibé (citée dans Ilboudo 2009, p. 110) compare l'efficacité
interne de trois écoles bilingues et de deux écoles classiques voisines dans deux
provinces du Burkina Faso pour les années 1999, 2000 et 2001, et constate la
situation présentée dans le Tableau 8.
Un modèle multilingue commençant par
la langue première
609
Tableau Burkina Faso : taux de réussite au CEP dans le programme MEBA6
OSEO
Année
Ecoles bilingues
Ecoles classiques
Nombre
Nombre de
Nombre de
d'écoles
langues
candidats
Taux de réussite au
bout
de quatre à cinq ans
(s'il n'y a pas de
redoublement)
Taux de réussite au
niveau
national au bout de six
ans
(s'il n'y a pas de
redoublement)
1998
2
1
53
52,83%
48,60%
2002
4
2
92
85,02%
62,90%
2003
2004
3
10
1
4
88
259
68,21%
94,59%
70,01%
73,73%
2005
21
6
508
91,14%
69,01%
2006
40
7
960
77,19%
69,91%
2007
47
7
1 182
73,97%
66,83%
2008
75
7
1 828
61,43%
58,34%
75,54%
64,91%
Nombre TOTAL de candidats
Taux de réussite 1998–
2008
6 798
Source Adapté de Alidou et al. (2008, p. 57)
C'est en 1998 que la première promotion du programme expérimental de quatre ans pour les enfants de 9
à 14 ans a passé le certificat de fin d'études primaires. Le programme de cinq ans n'a commencé
qu'en 1997 et ce groupe d'élèves n'a passé le CEP qu'en 2002, ce qui explique l'écart entre 1998 et 2002.
Tableau 7 Efficacité interne comparative des écoles expérimentales et traditionnelles au Niger
Indicateur
Ecoles expérimentales
Ecoles
traditionnelles
Réussite au certificat de fin d'études primaires
68,87%
61,05%
Achèvement du cycle primaire sans redoublements
41,71%
24,91%
Exclusion/abandon
21,19%
35,44%
Passage en cinquième année
86,5%
74,12%
Source Adapté de Yénikoye (2005) cité dans Mallam Garba et Seydou Hanafiou (2009, p. 65)
Les différences positives dans les trois indicateurs au cours des trois années sont
en faveur des écoles bilingues. Une étude plus large menée en 2006 par Halaoui et
al. a confirmé ces résultats : « Ces données placent les écoles bilingues aux
premiers rangs dans le classement avec les écoles classiques. L’assertion selon
laquelle les écoles bilingues ont un faible taux de déperdition est avérée. » 2006, p.
33).
Contribution de l'éducation en langue maternelle à la qualité de l'enseignement
Les résultats ci-dessus montrent que l'enseignement dispensé dans la langue
maternelle est une stratégie appropriée pour une amélioration significative de la
qualité de l'enseignement formel. Il est évident que l'enseignement dispensé dans la
langue maternelle peut améliorer la rentabilité des écoles bilingues : les bons taux
de réussite, la diminution du nombre de redoublements et d'abandons scolaires,
combinés avec l'amélioration des taux d'achèvement du cycle primaire, ont l'effet
positif souhaité sur l'économie et l'accessibilité économique de l'enseignement
bilingue.
610
N. Nikièma
Tableau 8 Efficacité interne comparative des écoles expérimentales et traditionnelles au Burkina Faso
Année
Ecoles expérimentales
Ecoles classiques
Passage
Redouble
ment
Abandon
Passage
Redouble
ment
1998–1999
82,10
15,95
1,94
71,90
19,40
8,70
1999–2000
88,58
10,31
1,12
69,45
20,14
10,41
2000–2001
86,97
10,42
2,52
74,22
17,19
8,59
Moyenne
85,88
12,22
1,86
71,85
18,91
9,23
Abandon
Source Adapté, avec des corrections, d'Ilboudo (2009, p. 110)
L'une des contributions importantes des écoles bilingues expérimentales a été
l'enrichissement mutuel des sous-systèmes éducatifs :
•
•
•
de nouvelles méthodes d'enseignement ou d'apprentissage ont été expérimentées
dans l'enseignement formel, inspirées en partie des outils et méthodes
pédagogiques utilisés dans l'enseignement non-formel et l'alphabétisation des
adultes. Par conséquent, l'enseignement de la lecture ou des mathématiques
dans les langues locales et le système d'évaluation s'inspirent des approches qui
se sont avérées fructueuses dans l'alphabétisation des adultes. Au Burkina Faso,
l'enseignement du français langue étrangère a d'abord été expérimenté avec les
adultes dans les cours d'alphabétisation avant que la méthodologie soit adaptée à
l'école.
C'est la mise en oeuvre réussie des expérimentations qui a inspiré les lois sur
l'orientation pédagogique et les lois linguistiques favorables dans les trois pays,
ainsi que les réformes importantes des programmes entreprises ces dix dernières
années.
L'utilisation des langues maternelles aussi bien dans l'alphabétisation des
adultes et à l'école contribuent également à combler l'écart entre les deux soussystèmes éducatifs. Le programme élaboré pour les adolescents de 9 à 14 ans
permet aux diplômés de l'enseignement non-formel de poursuivre leurs études
dans le cycle secondaire, élargissant ainsi l'accès aux programmes des écoles
formelles.
Le développement de l'enseignement bilingue apporte une autre contribution, à
savoir le renouvellement pédagogique :
•
•
•
l'enseignement dispensé dans la langue maternelle permet une utilisation plus
efficace de la méthodologie centrée sur l'apprenant pour remplacer la
méthodologie d'écoute et de répétition ennuyeuse et monotone qui est imposée
aux enfants par la faible maîtrise qu'ils ont de la langue de communication en
classe;
la méthodologie d'enseignement du français a également changé, avec la
possibilité de l'enseigner comme une langue étrangère ou une deuxième langue
qui est une méthodologie plus appropriée.
L'une des difficultés qui a été surmontée est également la manière de créer une
synergie entre ce qui est enseigné dans la langue maternelle et ce qui l'est en
français. La réduction d'un an du cycle scolaire dans le programme bilingue au
Burkina Faso a été possible grâce à la relation étroite entre le contenu des
programmes dans les deux langues.
L'enseignement dispensé dans la langue maternelle comble l'écart entre la
maison et l'école, ce qui permet de relier l'école à son environnement immédiat.
L'une des conséquences positives de ce changement
Un modèle multilingue commençant par la langue première
611
est la participation des parents. Dans les trois pays, la participation des parents à
l'administration de l'école ou à la mise en oeuvre du programme a été plus
importante que jamais. Les parents qui savent lire et écrire savent maintenant ce
que leurs enfants font à l'école et peuvent les aider à faire leurs devoirs et d'autres
activités.
Enfin, nous constatons que les trois pays ont opté pour une approche multilingue
aussi bien dans l'enseignement non-formel que formel, en utilisant plusieurs (dans
le cas du Burkina Faso), voire toutes les langues nationales (au Mali et au Niger) en
même temps que le français. Bien qu'il y ait des lingua franca et des langues
dominantes dans les trois pays, la stratégie a consisté également à utiliser les
langues moins dominantes. Cette approche est très sage, dans la mesure où rien ne
démontre que les enfants ont développé des compétences bilingues dans les
différentes langues au même degré que les adultes. L'approche multilingue offre
également la possibilité de toucher plus d'enfants et contribue ainsi à réduire
l'exclusion.
Enseignements, difficultés et perspectives
Enseignements
Conditions pour l'acceptation des langues maternelles dans l'enseignement formel
Les expériences décrites ici montrent que les objections et la résistance à
l'utilisation de la langue maternelle dans l'enseignement formel peuvent être
combattues s'il est clairement démontré que l'enseignement dispensé dans la langue
maternelle n'exclut pas l'accès à la langue officielle et que commencer avec la
langue maternelle ne freine pas l'acquisition du français. En d'autres termes, dans le
contexte francophone, respecter le droit à l'éducation dans sa langue maternelle au
moins jusqu'à l'école primaire doit aller de pair avec le droit d'avoir accès à la
langue officielle. Cela explique pourquoi aucun des modèles d'enseignement
bilingue dans les trois pays n'encourage le remplacement du français ou son
expulsion du système éducatif à quelque niveau que ce soit.
Nous pouvons également observer que l'enseignement dispensé dans la langue
maternelle à l'école primaire est mieux accepté lorsqu'il n'est pas imposé d'en haut.
Ainsi, au Burkina Faso, les fortes objections et la résistance de la part de la
population, et encore plus de la part de l'élite, pendant la réforme de 1979 à 1984
lancée par le gouvernement ont laissé la place à un large soutien après les résultats
de 1998. En 2003 et 2004, les parents ont envoyé plus de 300 demandes de création
d'écoles bilingues ou de transformation des écoles classiques en écoles bilingues.
Pour la toute première fois, un député a demandé au ministre de l'Education pour
quelle raison l'enseignement bilingue n'était pas proposé à grande échelle malgré
son efficacité et en dépit du fait que la population l'exigeait.
Cependant, la situation au Niger et ailleurs montre que les réformes éducatives
visant à intégrer les langues et les cultures locales exigent un gros effort de
négociation sociale malgré les preuves convaincantes de leur efficacité.
L'importance de la volonté politique
La démonstration faite par les évaluations internes et externes que l'enseignement
dispensé dans la langue maternelle donne de bons résultats ne garantit pas que les
pouvoirs publics se précipiteront pour l'étendre et le proposer à grande échelle,
612
N. Nikièma
comme le montre en particulier la situation au Niger (et au Burkina Faso). La
décision de passer à une plus grande échelle dépendra largement de la volonté
politique, des intérêts en jeu et des relations de pouvoir entre les diverses parties
prenantes.
La volonté politique d'étendre l'enseignement dispensé dans la langue maternelle
dans les pays francophones dépendra aussi largement non seulement des décisions
et des recommandations au sein de la Francophonie – qui est l'instrument de la
coopération multilatérale – mais également de la politique concernant le français
dans sa coopération bilatérale (cf. Renard 2006, pp. 186–187). Compte tenu de la
fragilité du français sur la scène géopolitique, on s'inquiète beaucoup de la situation
de la langue française, que l'on considère comme forte s'il peut conserver son
monopole sur le système éducatif.
Difficultés
Bien que la tendance en faveur des modèles d'enseignement dispensé dans la langue
maternelle dans les pays francophones devienne irréversible, son développement à
l'école primaire reste freiné par un certain nombre de difficultés.
Le modèle d'abandon précoce préconisé par la francophonie
Le modèle transitionnel, d'abandon précoce, semble être le modèle recommandé par
la francophonie. En effet, aussi bien les Etats généraux de l’enseignement du
français organisés à Libreville en 2003 que la CONFEMEN (Conférence des
Ministres de l’Education des pays africains et malgache d’expression française) ont
reconnu que « la prise en compte des langues nationales dans les cursus
d’enseignement est bénéfique, aussi bien pour les langues nationales que pour le
français » (cité dans Renard 2006, p. 295). Mais la Conférence des Ministres a
insisté sur le fait que
l’Afrique a besoin d’une langue française ... forte et puissante parce que c’est
de cette langue que dépend l’état de santé des systèmes éducatifs. Par
conséquent, la qualité de l'enseignement dans tous les pays qui ont choisi cette
langue comme « partenaire » de leur développement, repose sur une bonne
maîtrise du français, qui est la langue de l'accès aux informations et aux
connaissances (ibid ; accent renforcé).
Si l'on suit cette logique, les langues locales peuvent être utilisées pour
l'alphabétisation initiale (comme expliqué ci-dessus), mais pas pour tout le cycle
primaire, ni au-delà. Cependant, les conclusions des expérimentations décrites dans
le présent article montrent au contraire qu'une solide base dans la langue maternelle
est la meilleure garantie d'une bonne maîtrise du français et, plus généralement,
d'un enseignement de qualité dans notre contexte. Au Burkina Faso et au Niger, les
tentatives pour planifier une éducation bilingue pour l'ensemble du cycle de dix ans
d'enseignement de base couvrant le primaire et le premier cycle vont donc dans la
bonne direction.
La difficulté de promouvoir le bilinguisme additif
L'intérêt de l'enseignement dispensé dans la langue maternelle est qu'il a des effets
positifs sur l'efficacité interne globale (comme illustré ci-dessus) et par conséquent
sur les résultats dans toutes les matières, y compris dans langue 2. Mais c'est le
bilinguisme additif, avec l'utilisation de la langue maternelle sur toute la durée du
cycle, qui donne les meilleurs résultats (Romaine 1995; Heugh et al. 2006; Heugh
et Skutnabb-Kangas 2010; Ouane et Glanz 2010). Cette logique n'est pas
entièrement comprise et
Un modèle multilingue commençant par la langue première
613
n'est pas vraiment appréciée dans le cercle francophone. En effet, le principal
critère d'évaluation généralement utilisé par la plupart des personnes pour juger
l'école bilingue est la maîtrise du français. Les excellents résultats dans les matières
enseignées dans la langue maternelle ne sont pas pris en compte ou sont considérés
avec suspicion. Par conséquent, lorsque la maîtrise du français est considérée
comme trop faible, le programme bilingue est sévèrement critiqué et la solution
préconisée consiste à augmenter le temps consacré au français.
La non évaluation du programme en langues nationales aux examens nationaux
Les examens nationaux sont exclusivement en français au Burkina Faso et au Niger.
L'une des principales conséquences est la précipitation pour supprimer l'enseignement
dispensé dans les langues maternelles, en particulier lors des dernières années de
scolarité lorsque les examens officiels finaux se profilent à l'horizon. L'évaluation des
écoles expérimentales au Niger a indiqué que 83 pour cent des enseignants déclarent
qu'ils utilisent les langues nationales pendant les trois premières années de la scolarité.
Cependant, le temps consacré à ces langues est de plus en plus réduit chaque année.
Pendant les trois dernières années, trois enseignants sur quatre n'appliquent pas les
directives officielles. Seulement cinq pour cent des enseignants enseignent dans les
langues nationales plus de deux heures par semaine comme cela est recommandé
(MEN/GTZ-2PEB 1999, pp. 107–108). Hassana Alidou et al. (2008) ont également
constaté, dans le cas du Burkina Faso, que les enseignants qui ne maîtrisent pas bien
l'approche bilingue appliquent le modèle d'abandon précoce, transitionnel : préoccupés
par le français, ils voient le temps consacré aux langues nationales comme du gaspillage
(pp. 69–70).
L'enseignement bilingue et l'approche d'apprentissage par les compétences
Bien que l'enseignement dispensé dans la langue maternelle ait précédé la décision
d'adopter l'« approche d'apprentissage par les compétences » (APC), l'adhésion plus
massive des pays « francophones » à cette approche (Bernard et al. 2007, p. 557) a
obligé les trois pays étudiés dans le présent article à l'adopter également, à tel point
qu'arriver à s'en sortir avec une approche fondée sur l'acquisition des compétences
est devenu plus ou moins un défi à relever dans les programmes bilingues. Ce défi a
été relevé au Mali, où le nouveau « programme bilingue » prend en compte les deux
composantes. Sa mise en oeuvre depuis 2002 a marqué le début de la troisième
génération d'écoles bilingues. L'approche bilingue n'a pas eu besoin d'être
interrompue ou re-expérimentée. Il semble qu'au Burkina Faso et au Niger, ceux qui
préconisent l'approche par compétences sont convaincus qu'un programme intégré,
bilingue et d'acquisition des compétences exige que l'on reprenne à zéro le cycle
expérimental, ce qui signifie repousser l'extension de l'enseignement bilingue
jusqu'à ce que la nouvelle expérimentation ait fait la preuve de son efficacité.
Cependant, on pourrait penser que dans la mesure où l'approche par compétences
préconise une pédagogie centrée sur l'apprenant et un rôle plus actif de ce dernier,
elle ne pourrait être utilisée efficacement que si les enseignants et les élèves
utilisent la même langue de communication, et donc que l'enseignement dispensé
dans la langue maternelle défendu dans les approches bi ou multilingues est un
contexte favorable – voire une condition – pour l'utilisation réussie de la pédagogie
d'acquisition des compétences. Dans ces circonstances, il n'est pas nécessaire de
devoir choisir entre l'approche par compétences et l'enseignement dispensé dans la
langue maternelle, ou d'interrompre ce dernier à cause de l'intégration de la
première, comme l'a montré l'expérience malienne. Il est évident que les pays qui
expérimentent l'enseignement bilingue doivent partager leurs expériences et
apprendre plus les uns des autres.
614
N. Nikièma
Perspectives
Ce tour d'horizon a essayé de montrer que de toute évidence l'enseignement dans
les langues maternelles est réalisable dans les pays francophones et bénéfique à
leurs systèmes éducatifs. Il est également évident que les organisations des
donateurs et les autres partenaires de l'éducation sont désireux de soutenir son
développement si les responsables politiques montrent une volonté suffisante de
s'appuyer sur les expérimentations pour aller de l'avant.
L'atmosphère générale au sein du cercle de la francophonie est également de plus
en plus favorable à un « véritable partenariat » entre le français et les langues
nationales à l'école. Encore plus important, les trois pays ont adopté le « Guide de
politique sur l'intégration des langues et cultures africaines dans les systèmes
éducatifs » (Ouane et Glanz 2010, pp. 50–57). Nous pouvons espérer que si
plusieurs pays décident d'entreprendre des réformes similaires (par exemple le
Sénégal a rejoint le groupe dans un projet similaire en 2002), ils pourront créer un
mouvement et se soutenir mutuellement afin que la tendance en faveur de
l'éducation commençant par la langue maternelle devienne irrésistible dans tous les
pays.
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d'étude provisoire non publié sur le projet LASCOLAF, Niamey.
616
N. Nikièma
L'auteur
Norbert Nikièma (Ph.D., Université de l'Indiana, Bloomington, Indiana, Etats-Unis) parle le moré
(Niger-Congo, Gur, Oti-Volta Ouest), qui est sa langue maternelle, ainsi que le français, langue dans
laquelle il a reçu son éducation formelle depuis le primaire jusqu'à l'université. Actuellement, il est
professeur de linguistique à l'Université de Ouagadougou, Burkina Faso. Outre la linguistique (africaine)
théorique et descriptive, il a participé activement à des ateliers, des séminaires, des consultances et des
publications sur les questions de la langue dans l'éducation, l'utilisation de langues à de nouvelles fins et
la création d'une synergie entre l'alphabétisation des adultes, l'éducation non-formelle et formelle. Ses
recherches et ses applications dans l'éducation se sont focalisées sur le Burkina Faso, parmi ce que l'on
appelle les pays francophones.
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