Un modèle multilingue commençant par la langue première pour
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Un modèle multilingue commençant par la langue première pour
Int Rev Educ (2011) 57:599–616 DOI 10.1007/s11159-011-9253-5 Un modèle multilingue commençant par la langue première pour répondre aux exigences de qualité de l’éducation formelle de base dans trois pays « francophones » d’Afrique de l’Ouest Norbert Nikièma Publié en ligne : 13 décembre 2011 _ Springer Science+Business Media B.V. 2011 Résumé Un modèle multilingue commençant par la langue première pour répondre aux exigences de qualité de l’éducation formelle de base dans trois pays « francophones » d’Afrique de l’Ouest – Cet article documente la nouvelle tendance en faveur d’un modèle multilingue fondé sur l’utilisation initiale de la langue première dans l’éducation formelle de trois anciennes colonies françaises d’Afrique occidentale, à savoir le Burkina Faso, le Mali et le Niger. L’auteur compare dans ces trois pays les situations sociolinguistiques, les conditions du développement de l’éducation multilingue, et les résultats obtenus par l’enseignement dispensé en langue maternelle. Contrairement au discours prédominant en francophonie, il s’avère qu’un modèle solide qui commence par la langue première dans l’enseignement formel est la meilleure garantie pour une bonne maîtrise du français, et plus généralement d’une éducation de qualité dans les pays francophones. N. Nikièma (&) Université de Ouagadougou, UFR/LAC, 09 BP 1331 Ouagadougou 09, Burkina Faso e-mail : [email protected]; [email protected] 600 N. Nikièma Un modèle multilingue commençant par la langue première 601 Introduction Malgré les très nombreux colloques, réunions, symposiums, etc., ainsi que les très nombreuses recommandations sur la nécessité d'utiliser la langue maternelle des élèves à l'école comme vecteur d'enseignement, sans parler des très nombreuses résolutions prises à ces occasions, rares sont les pays qui se sont lancés dans cette entreprise dans les anciennes colonies françaises en Afrique. Le présent article décrit une nouvelle tendance en faveur d'un modèle multilingue commençant par la langue maternelle dans l'éducation formelle dans trois pays voisins d'Afrique de l'Ouest, faisant partie des anciennes colonies françaises, à savoir le Burkina Faso, le Mali et le Niger. Dans ce domaine, ces trois pays semblent montrer la voie en Afrique de l'Ouest.1 Après avoir comparé les situations sociolinguistiques dans les trois pays, l'article décrit les politiques linguistiques et les conditions de développement de l'éducation multilingue, les stratégies élaborées pour répondre aux difficultés courantes et les impératifs de qualité de l'éducation de base formelle, ainsi que les résultats de l'enseignement dispensé dans la langue maternelle. Il conclut avec des réflexions sur les enseignements tirés, certains des problèmes à résoudre et les perspectives de l'éducation bilingue dans le monde francophone.2 Le contexte sociolinguistique du développement de l'enseignement dispensé dans la langue maternelle Bien que le multilinguisme soit un trait caractéristique des trois pays, la situation semble être plus complexe au Burkina Faso (voir Tableau 1), à la fois en termes de nombre de langues répertoriées (qui varie d'une source à une autre, l'ethnologue3 indiquant toujours un nombre plus important de langues, et en termes de facilité de la communication intercommunautaire comme en témoignent l'existence de lingua franca et la proportion estimée de locuteurs de ces langues véhiculaires qui sont utilisées pour la communication intercommunautaire.4 Les politiques linguistiques dans l'éducation dans les trois pays Les premières constitutions des trois pays ont institué le français comme seule langue officielle ; les langues locales n'étaient même pas mentionnées 1 Voir CONFEMEN (1986), Halaoui (2005, 2009), Maurer (2011) pour la situation en Afrique ‘francophone ; Haidara (2009), Mallam Garba et Seydou Hanafiou (2011) et ADEA (2010) pour le Niger ; Diaby (2003) et Balima (2009) pour le Mali ; Ilboudo (2009) et Nikièma et Kaboré-Paré (2011) pour le Burkina Faso. 2 Le terme « francophonie » est utilisé pour faire référence, selon les cas, à la communauté linguistique des francophones, à l'entité géopolitique regroupant les pays ayant le français comme langue nationale ou officielle et/ou à l'organisation internationale de promotion de la langue, de la culture et des valeurs de la communauté francophone (cf. Deniau 1995; Renard 2006). 3 Lewis (2009). 4 Pour le Burkina Faso, la proportion de locuteurs a été calculée sur la base des réponses à la question, ‘‘quelle langue parlez-vous à la maison ?’’, ce qui explique le très faible chiffre obtenu pour le dioula véhiculaire (ainsi que pour le français, pour lequel selon Kedrebeogo (1998) le pourcentage était de 0,30 %). Dans les autres pays, les locuteurs de la langue majoritaire (bambara, haoussa) parlent parfois également d'autres langues. 602 N. Nikièma Tableau 1 Données démolinguistiques pour les trois pays Pays Burkina Faso Mali Niger Population 13 900 000 (2005) 13 500 000 (2005) 13 500 000 (2005) Nombres de langues 59-69 30-57 10-21 Langues principales 3 1 2 Locuteurs par langue principale (pourcentage de la population) Moré : 50,4 % Bambara : 80 % Haoussa : [80 % Songhaï-zarma : 25 % Fulfuldé : 11 % Dioula : 3 % Principales sources CONFEMEN (1986), Ethnologue (Lewis 2009), Kedrebeogo (1998), Université de Laval (2010a, b, c) dans ces constitutions avant les années 70 (Halaoui 1995, p. 102). Au Burkina Faso, le statut de « langue nationale » a été reconnu pour toutes les langues des citoyens du pays dans la constitution de 1978. Au Mali, 10 langues ont obtenu le statut de langue nationale par décret présidentiel en 1982 ; ce nombre a été étendu à 13 dans une loi de 1996. Au Niger, la constitution de 1989 a donné le statut de langue nationale à 8 langues locales (Halaoui 1995, p. 108) ; ce nombre a été étendu à 10 en 2001. La politique d'utilisation exclusive du français dans l'éducation formelle et non formelle Pendant la première décennie qui a suivi l'indépendance (1960 pour les trois pays), on ne pensait pas généralement que les langues locales pouvaient être utilisées pour un enseignement « moderne ». Seul le français était utilisé à l'école ; les langues locales étaient interdites, même à l'oral, dans les enceintes des écoles. Dans l'éducation non formelle, les premiers cours d'alphabétisation des adultes ont été dispensés en français, alors que quasiment personne ne le parlait, en particulier dans les zones rurales. L'alphabétisation des adultes était effectuée en français en HauteVolta (ancien nom du Burkina Faso) jusqu'en 1971 et au Mali entre 1961 et 1967 (Diaby 2003, p. 3). Échec du modèle d'utilisation exclusive du français et passage à l'alphabétisation des adultes en langue maternelle Les services publics ont commencé à dispenser des cours d'alphabétisation dans les langues locales à la fin des années 60 et au début des années 70, à l'exception du Niger où, selon Diouldé Laya (1977, pp. 286–291), cela a commencé « dès » 1963 dans les cinq langues principales du pays. Mais l'alphabétisation en langue maternelle a pris de l'importance après la conférence mondiale sur l'éducation de Téhéran en 1965, où les données mondiales présentées avaient montré le manque d'efficacité de l'alphabétisation lorsqu'elle est dispensée dans une langue étrangère non maîtrisée par l'apprenant. Les résultats de Téhéran ont été confirmés en Haute-Volta, où le système d'enseignement en français, Ecole d'éducation rurale, a été évalué en 1970 et s'est avéré être un échec en termes d'efficacité à la fois interne et externe. Une faible efficacité interne compte tenu des faibles taux de réussite et des taux élevés d'abandon scolaire, et une faible efficacité externe au vu de l'incapacité des diplômés à communiquer dans les langues locales les connaissances et les nouvelles techniques agricoles qu'ils avaient acquises en français. L'enseignement en français a par conséquent été remplacé en 1971 par un programme de formation dispensée dans la langue maternelle appelé Formation des jeunes agriculteurs (FJA). Un modèle multilingue commençant par la langue première 603 Après la conférence de Téhéran, le Mali a lancé le programme expérimental d'alphabétisation de l'UNESCO entre 1968 et 1972 dans quatre langues locales, et a gagné trois récompenses de l'UNESCO pour ses résultats (Diaby 2003, ibid). Le ministère de l'Education du Mali a explicitement attribué le succès du programme d'alphabétisation à l'utilisation des langues locales : Si nous avons réussi à obtenir de tels résultats en si peu de temps, cela est certainement dû […] avant tout à la langue utilisée, qui est la langue des paysans. L'utilisation des langues nationales est le facteur innovant qui a le plus contribué aux résultats obtenus. Nos langues nationales […] sont des instruments efficaces qui […] peuvent contribuer à promouvoir un développement économique et social rapide de notre pays (Ly 1977, p. 283). Le développement de l'éducation multilingue commençant par la langue maternelle Les évaluations des systèmes scolaires dans les trois pays pendant les années 70 ont diagnostiqué de graves problèmes en termes d'efficacité interne et externe : taux élevés d'échec et d'abandon scolaires, taux élevés de redoublement, faibles taux de rétention scolaire, élèves retombant rapidement dans l'analphabétisme après un abandon scolaire, et ainsi de suite. Au Burkina Faso, la situation était la suivante : 20,2 pour cent seulement des élèves atteignaient la sixième année de scolarité sans redoubler ; 59,9 pour cent y parvenaient en huit ans. Bien que l'étude du français – langue d'enseignement – occupait la moitié du temps certaines années (55 pour cent pendant la première et la deuxième années, 43,3 pour cent pendant la troisième année, 48,3 pour cent pendant la quatrième année …), la maîtrise du français restait insuffisante : seulement 25 pour cent des élèves de sixième année étaient capables de lire des textes simples, et seulement 20 pour cent pouvaient lire et écrire un texte décrivant une situation familière ; 34 pour cent des garçons et 42 pour cent des filles retombaient dans l'analphabétisme lorsqu'ils quittaient l'école (Fiaux et Niada 1997, pp. 19, 21). La situation n'était pas meilleure dans les deux autres pays. Le succès de l'alphabétisation des adultes en langue maternelle a permis d'identifier de manière pragmatique la langue comme étant le facteur principal pouvant expliquer les résultats médiocres de l'éducation formelle décrits ci-dessus. Ce succès de l'alphabétisation des adultes en langue maternelle à la fin des années 60 et au début des années 70, et l'instrumentalisation des langues d'alphabétisation dans le processus, ont ouvert et préparé la voie quelques dix ans plus tard à l'utilisation des langues maternelles dans l'enseignement scolaire dans les trois pays, en commençant par le Niger en 1972, puis le Mali et la Haute-Volta (indépendamment) en 1979. Le développement de l'enseignement dispensé dans la langue maternelle dans les pays africains francophones a également été fortement encouragé par la reconnaissance importante dans le cercle de la francophonie, à partir de la fin des années 80, que le français pouvait cohabiter avec les langues locales, reconnues comme « langues partenaires » (Renard 2006). Mais le mouvement de l'Éducation pour tous (EPT) lancé en 1990 a créé le contexte le plus favorable. Tour d'horizon des expériences en matière d'enseignement bilingue À l'exception du Mali, il n'y a pas eu de développement régulier de l'enseignement bilingue dans les pays étudiés. Même si l'initiative de mise en oeuvre de l'enseignement dispensé dans la langue maternelle a été prise indépendamment dans chaque pays, la stratégie appliquée pour lancer une 604 N. Nikièma expérience a été la même dans les trois pays : une étude de diagnostic du système éducatif est menée, l'obstacle de la langue est identifié comme l'une des principales explications de la situation et des expériences sont lancées pour tester la faisabilité de l'enseignement dispensé dans la langue maternelle. Le développement de l'enseignement bilingue dans les trois pays Le Tableau 2 présente la chronologie des principaux événements. Même si le développement de l'enseignement dispensé dans la langue maternelle est resté constant au Mali, il a subi quelques revers d'abord au Burkina Faso où il a été interrompu en 1984 par le nouveau régime révolutionnaire arrivé au pouvoir en 1983, puis au Niger, où l'arrêt de l'aide extérieure en 1988 a entraîné une diminution progressive du nombre d'écoles bilingues à cause du manque d'implication du gouvernement, malgré les évaluations positives. La création d'« écoles bilingues de deuxième génération » a permis d'expérimenter diverses autres formules d'enseignement dispensé dans la langue maternelle au Niger, de relancer l'expérimentation d'utilisation de la langue maternelle au Burkina Faso par des ONG et des associations locales, et de mettre en oeuvre au Mali une nouvelle approche pédagogique dans les écoles bilingues appelée Pédagogie convergente (PC) à la fin des années 80. Des lois linguistiques ont été votées dans la deuxième moitié des années 90, visant à promouvoir et fournir un cadre légal pour l'enseignement multilingue dans l'éducation non formelle et formelle. Tableau 2 Aperçu chronologique du développement de l'enseignement dispensé dans la langue maternelle dans les trois pays Principal événement Niger Mali Burkina Faso Diagnostic du système éducatif 1971 1978 1978-1979 Début de l'expérimentation 1972-1973 1979-1980 1979-1980 Développement et extension des écoles bilingues de première génération 1980-1988 1980-1987 1980-1984 Revers 1988-1997 : Recul progressif de l'enseignement dispensé dans la langue maternelle Deuxième génération 2001 (2PEB-GTZ) d'écoles bilingues Autres nouvelles générations : 2004 SOUTEBA (UE) Loi d'orientation de l'éducation 1998 1984 : Interruption de l'enseignement dispensé dans la langue maternelle 1987-2002 (Pédagogie convergente/PC ) 1999 1994 : MEBA-OSEO formule d'enseignement; 1995 : Écoles satellites (UNICEF); 1995 : CBN 1 écoles (Association Tin-tua) 1996, 2007 Intégration de l'approche par compétences et de l'approche bilingue 2007 2002 Sources CONFEMEN (1986), Sow (1977), Mallam Garba et Seydou Hanafiou (2009), Halaoui (2009), Ilboudo (2009), Nikièma et Kaboré-Paré (2010) Un modèle multilingue commençant par la langue première 605 Modèles d'enseignement bilingue développés Bien que l'arrêt précoce de l'enseignement en langue maternelle (au bout de deux ou trois ans) soit le dénominateur commun des différents modèles expérimentés, en particulier au Niger et au Burkina Faso, beaucoup de programmes continuent de faire en sorte de démarrer avec une base solide dans la langue maternelle et de conserver la langue maternelle à tous prix, que ce soit une matière enseignée séparément ou la langue d'enseignement, tout au long du cycle primaire. De plus, le choix porte clairement sur une approche multilingue utilisant en moyenne près d'une douzaine de langues locales, en plus du français. Cependant, les langues nationales ne sont pas prises en compte dans les examens officiels, sauf au Mali. Création des supports et formation des enseignants Des supports et des méthodes pédagogiques ont été mis au point par des experts locaux au Burkina Faso et au Niger, ou avec l'aide d'experts/consultants et d'institutions étrangers (DSE, USAID, GTZ au Niger). Le Professeur Michel Wambach du Centre international audiovisuel d’études et de recherches (CIAVER) de Belgique a joué un rôle primordial dans l'élaboration de la Pédagogie convergente au Mali. La formation des enseignants a consisté essentiellement en formations continues courtes (et assez coûteuses) se déroulant généralement sur plusieurs semaines. Ce n'est que récemment que les centres de formation d'enseignants ont intégré des modules d'enseignement dispensé dans la langue maternelle dans leurs programmes. Soutien financier Dans l'ensemble, les expérimentations ont été axées sur des projets et tributaires des donateurs. Elles ont été financièrement soutenues par des organismes de coopération multilatéraux et bilatéraux, et des ONG, en particulier par ceux qui, traditionnellement, soutenaient également les programmes d'alphabétisation des adultes en langue maternelle. L'implication et l'engagement des pouvoirs publics dans le développement de programmes d'enseignement dispensé dans la langue maternelle ont été très élevés au Mali ; il existe des signes encourageants d'engagement politique et d'un début d'engagement financier au Burkina Faso où, depuis 2009, le ministère de l'Enseignement de base et de l'alphabétisation (MEBA) a pris la suite de l'ONG suisse qui le soutient, OSEO, pour l'extension de l'enseignement dispensé dans la langue maternelle ; et les perspectives sont assez prometteuses au Niger avec la création en 2007 d'un nouveau cadre d'élaboration du programme, appelé Cadre d’orientation du curriculum (COC), qui combine l'enseignement dispensé dans la langue maternelle et l'approche d'apprentissage par les compétences (APC5 en français). La situation actuelle 5 APC est un programme scolaire axé sur les compétences (par opposition à un programme axé sur le contenu ou sur les objectifs) (Dembélé et Lefoka 2007, p. 536) ou une approche fondée sur l'acquisition des compétences (Bernard et al. 2007, p. 553). Il est censé être plus centré sur l'apprenant et donner à ce dernier un rôle plus actif dans la classe. Le Tableau 3 montre le nombre d'écoles bilingues (et le nombre de langues nationales) pour tous les programmes bilingues de l'éducation formelle dans chaque pays. Il apparaît que les hauts et les bas de l'enseignement dispensé dans la langue maternelle au Niger ont ralenti le développement des écoles bilingues, alors que cette approche avait été adoptée très tôt dans ce pays ; 606 N. Nikièma Tableau 3 La situation présente des écoles bilingues dans les trois pays Nombre d'écoles bilingues Nombres de langues nationales Niger Burkina Faso Mali 573 422 2 550 5 10 12 Sources Mallam Garba et Seydou Hanafiou (2009), Halaoui (2009), Ilboudo (2009) au Burkina Faso, la stratégie MEBA-OSEO a consisté à assurer une extension verticale de l'enseignement dispensé dans la langue maternelle entre les niveaux scolaires avant d'entreprendre une extension horizontale aux autres écoles et langues, ce qui s'est traduit par une lente progression du nombre d'écoles bilingues. Par conséquent, le Mali se positionne loin devant les deux autres pays, ce qui est également une conséquence de la détermination plus forte de son gouvernement dès le début de l'expérience. Résultats et contribution potentielle de l'enseignement dispensé dans la langue maternelle Malgré un nombre appréciable de problèmes et de difficultés dans les différents pays, toutes les expérimentations ont eu des résultats importants à la fois sur les plans scolaire et non scolaire. Les paragraphes ci-après se focalisent sur les résultats scolaires et la contribution réelle et potentielle de l'enseignement dispensé dans la langue maternelle, tels que démontrés par les expérimentations. Résultats scolaires (a) Performances dans des matières spécifiques – Les inquiétudes suscitées par l'enseignement bilingue dans les pays francophones et les objections soulevées reposent souvent sur des spéculations sur l'impact négatif supposé de la langue 1 sur les performances en français et dans les matières scientifiques, en particulier en mathématiques. Cependant, des tests indépendants effectués dans ces matières n'accréditent pas ces inquiétudes. Au Niger, la GTZ6 a effectué une évaluation comparative des élèves d'écoles expérimentales et d'écoles traditionnelles dans les dernières classes du primaire (niveaux 4, 5 et 6), dans les langues nationales et en français (MEN/GTZ-2PEB 1999) ; les résultats obtenus pour les mathématiques (« calcul ») sont présentés dans la Figure 1. Il semble que les meilleures notes sont obtenues dans les tests effectués dans les langues locales, même dans les écoles traditionnelles, quel que soit le contenu des tests. En outre, lorsque le test est en français, il n'y a quasiment pas de différences entre les élèves des deux types d'écoles, en particulier ceux de la dernière année, ce qui indique que les élèves des écoles expérimentales ne sont pas plus faibles en français que leurs pairs des écoles traditionnelles. Les résultats des tests ont montré également que lorsqu'un élève réussit un exercice _ La GTZ était l'organisation publique allemande de coopération technique (Deutsche Gesellschaft fu¨r Technische Zusammenarbeit). En décembre 2010, elle a été rebaptisée GIZ, société allemande de coopération internationale (Deutsche Gesellschaft fu¨r Internationale Zusammenarbeit). Un modèle multilingue commençant par la langue première 607 Total en calcul 12 10 8 6 4 2 0 CE2 CM1 F EE F ET LN EE CM2 LN ET Fig. 1 Résultats des tests en maths effectués au Niger en français et en langue 1. Source Mallam Garba et Seydou Hanafiou (2009, p. 64). Explication des abréviations : CE2 = niveau 4; CM1 = niveau 5; CM2 = niveau 6. F EE = français, écoles expérimentales ; F ET : français, écoles traditionnelles ; LN EE : langue nationale, écoles expérimentales ; LN ET : langue nationale, écoles traditionnelles dans sa langue 1, il réussit également le même type d'exercice lorsqu'il est effectué en français, ce qui montre qu'il y a un transfert positif de compétences entre la langue 1 et la langue 2.7 Au Burkina Faso, des tests comparatifs en français et en mathématiques effectués avec les enfants des écoles bilingues et ceux des écoles traditionnelles en 2005 et en 2008 ont donné les résultats présentés dans le Tableau 4. Les résultats en français des enfants des écoles bilingues sont comparables à ceux des enfants des écoles traditionnelles (bien que les premiers aient eu beaucoup moins de temps pour le français), et ils sont systématiquement plus élevés en mathématiques, sauf en 2008. Au cours des dix dernières années, les résultats des examens officiels n'indiquent en rien que les élèves des écoles bilingues seraient plus faibles que ceux des écoles traditionnelles (voir ci-après). (b) Résultats aux examens officiels – Au Mali, les matières enseignées en langue nationale sont prises en compte pour le certificat de fin d'études primaires. Toutefois, les critères et les méthodes d'évaluation ne sont pas ceux utilisés par la Pédagogie convergente. Malgré cela, les taux de réussite présentés dans le Tableau 5 ont été publiés entre 1994 et 2000 (Balima 2009, p. 276) et peuvent être comparés à ceux enregistrés au niveau national. Le taux de réussite des écoles pratiquant la Pédagogie convergente sur les sept années est largement supérieur à la moyenne nationale : Au Burkina Faso, les programmes bilingues ont expérimenté des cycles de cinq années (au lieu des six années standard) pour l'école primaire. Le programme en langue nationale n'est pas pris en compte dans les examens nationaux. La formule _ Voir également ADEA (2010, p. 51). scolaire MEBA-OSEO 608 N. Nikièma Tableau 4 Tests comparatifs en français et en mathématiques au Burkina Faso Année Type d'école Niveau Français Maths 2005 Classique Niveau 1 42,1 36,0 Bilingue Niveau 1 43,0 45,4 Classique Niveau 4 43,1 38,0 Bilingue Niveau 4 45,2 45,8 Classique Niveau 1 42,3 42,9 Bilingue Niveau 1 43,7 54,9 Classique Niveau 4 45,4 39,4 Bilingue Niveau 4 38,1 38,0 2008 Source Adapté de DEP/MEBA (2009, pp. 37–40) Tableau 5 Résultats au certificat de fin d'études primaires au Mali Source Adapté de Balima (2009, p. 276) Taux de réussite dans la Convergence pédagogique écoles expérimentales Taux de réussite au niveau national dans les écoles traditionnelles 1994 56,52 40,62 1995 37,64 42,34 1996 75,75 54,26 1997 50,0 36,89 1998 71,95 48,30 1999 78,75 49,13 2000 68,57 52,34 Moyenne 62,74 46,26 Année a été la première formule d'enseignement bilingue après 1984 à avoir essayé un cycle d'enseignement de quatre ans, puis de cinq ans, au Burkina Faso. Les taux de réussite au certificat de fin d'études primaires (CEP) sont présentés dans le Tableau 6. Là encore, sur les années étudiées, les taux de réussite moyens ont été largement supérieurs à la moyenne nationale malgré des cycles d'enseignement plus courts et l'inconvénient pour les élèves des écoles bilingues expérimentales de l'exclusion des matières en langue nationale des examens officiels. (c) Amélioration de l'efficacité interne globale – Mallam Garba et Seydou Hanafiou (2009, p. 64) indiquent qu'au Niger, une étude comparative longitudinale portant sur 285 élèves d'écoles expérimentales et traditionnelles, menée depuis 1987, a montré que les valeurs des principaux indicateurs de réussite sont plus élevées pour les élèves des écoles expérimentales que pour ceux des écoles traditionnelles jusqu'à la cinquième année de l'école secondaire de premier cycle (voir aussi ADEA 2010). Les chiffres sont présentés dans le Tableau 7. Suzanne Toé-Sidibé (citée dans Ilboudo 2009, p. 110) compare l'efficacité interne de trois écoles bilingues et de deux écoles classiques voisines dans deux provinces du Burkina Faso pour les années 1999, 2000 et 2001, et constate la situation présentée dans le Tableau 8. Un modèle multilingue commençant par la langue première 609 Tableau Burkina Faso : taux de réussite au CEP dans le programme MEBA6 OSEO Année Ecoles bilingues Ecoles classiques Nombre Nombre de Nombre de d'écoles langues candidats Taux de réussite au bout de quatre à cinq ans (s'il n'y a pas de redoublement) Taux de réussite au niveau national au bout de six ans (s'il n'y a pas de redoublement) 1998 2 1 53 52,83% 48,60% 2002 4 2 92 85,02% 62,90% 2003 2004 3 10 1 4 88 259 68,21% 94,59% 70,01% 73,73% 2005 21 6 508 91,14% 69,01% 2006 40 7 960 77,19% 69,91% 2007 47 7 1 182 73,97% 66,83% 2008 75 7 1 828 61,43% 58,34% 75,54% 64,91% Nombre TOTAL de candidats Taux de réussite 1998– 2008 6 798 Source Adapté de Alidou et al. (2008, p. 57) C'est en 1998 que la première promotion du programme expérimental de quatre ans pour les enfants de 9 à 14 ans a passé le certificat de fin d'études primaires. Le programme de cinq ans n'a commencé qu'en 1997 et ce groupe d'élèves n'a passé le CEP qu'en 2002, ce qui explique l'écart entre 1998 et 2002. Tableau 7 Efficacité interne comparative des écoles expérimentales et traditionnelles au Niger Indicateur Ecoles expérimentales Ecoles traditionnelles Réussite au certificat de fin d'études primaires 68,87% 61,05% Achèvement du cycle primaire sans redoublements 41,71% 24,91% Exclusion/abandon 21,19% 35,44% Passage en cinquième année 86,5% 74,12% Source Adapté de Yénikoye (2005) cité dans Mallam Garba et Seydou Hanafiou (2009, p. 65) Les différences positives dans les trois indicateurs au cours des trois années sont en faveur des écoles bilingues. Une étude plus large menée en 2006 par Halaoui et al. a confirmé ces résultats : « Ces données placent les écoles bilingues aux premiers rangs dans le classement avec les écoles classiques. L’assertion selon laquelle les écoles bilingues ont un faible taux de déperdition est avérée. » 2006, p. 33). Contribution de l'éducation en langue maternelle à la qualité de l'enseignement Les résultats ci-dessus montrent que l'enseignement dispensé dans la langue maternelle est une stratégie appropriée pour une amélioration significative de la qualité de l'enseignement formel. Il est évident que l'enseignement dispensé dans la langue maternelle peut améliorer la rentabilité des écoles bilingues : les bons taux de réussite, la diminution du nombre de redoublements et d'abandons scolaires, combinés avec l'amélioration des taux d'achèvement du cycle primaire, ont l'effet positif souhaité sur l'économie et l'accessibilité économique de l'enseignement bilingue. 610 N. Nikièma Tableau 8 Efficacité interne comparative des écoles expérimentales et traditionnelles au Burkina Faso Année Ecoles expérimentales Ecoles classiques Passage Redouble ment Abandon Passage Redouble ment 1998–1999 82,10 15,95 1,94 71,90 19,40 8,70 1999–2000 88,58 10,31 1,12 69,45 20,14 10,41 2000–2001 86,97 10,42 2,52 74,22 17,19 8,59 Moyenne 85,88 12,22 1,86 71,85 18,91 9,23 Abandon Source Adapté, avec des corrections, d'Ilboudo (2009, p. 110) L'une des contributions importantes des écoles bilingues expérimentales a été l'enrichissement mutuel des sous-systèmes éducatifs : • • • de nouvelles méthodes d'enseignement ou d'apprentissage ont été expérimentées dans l'enseignement formel, inspirées en partie des outils et méthodes pédagogiques utilisés dans l'enseignement non-formel et l'alphabétisation des adultes. Par conséquent, l'enseignement de la lecture ou des mathématiques dans les langues locales et le système d'évaluation s'inspirent des approches qui se sont avérées fructueuses dans l'alphabétisation des adultes. Au Burkina Faso, l'enseignement du français langue étrangère a d'abord été expérimenté avec les adultes dans les cours d'alphabétisation avant que la méthodologie soit adaptée à l'école. C'est la mise en oeuvre réussie des expérimentations qui a inspiré les lois sur l'orientation pédagogique et les lois linguistiques favorables dans les trois pays, ainsi que les réformes importantes des programmes entreprises ces dix dernières années. L'utilisation des langues maternelles aussi bien dans l'alphabétisation des adultes et à l'école contribuent également à combler l'écart entre les deux soussystèmes éducatifs. Le programme élaboré pour les adolescents de 9 à 14 ans permet aux diplômés de l'enseignement non-formel de poursuivre leurs études dans le cycle secondaire, élargissant ainsi l'accès aux programmes des écoles formelles. Le développement de l'enseignement bilingue apporte une autre contribution, à savoir le renouvellement pédagogique : • • • l'enseignement dispensé dans la langue maternelle permet une utilisation plus efficace de la méthodologie centrée sur l'apprenant pour remplacer la méthodologie d'écoute et de répétition ennuyeuse et monotone qui est imposée aux enfants par la faible maîtrise qu'ils ont de la langue de communication en classe; la méthodologie d'enseignement du français a également changé, avec la possibilité de l'enseigner comme une langue étrangère ou une deuxième langue qui est une méthodologie plus appropriée. L'une des difficultés qui a été surmontée est également la manière de créer une synergie entre ce qui est enseigné dans la langue maternelle et ce qui l'est en français. La réduction d'un an du cycle scolaire dans le programme bilingue au Burkina Faso a été possible grâce à la relation étroite entre le contenu des programmes dans les deux langues. L'enseignement dispensé dans la langue maternelle comble l'écart entre la maison et l'école, ce qui permet de relier l'école à son environnement immédiat. L'une des conséquences positives de ce changement Un modèle multilingue commençant par la langue première 611 est la participation des parents. Dans les trois pays, la participation des parents à l'administration de l'école ou à la mise en oeuvre du programme a été plus importante que jamais. Les parents qui savent lire et écrire savent maintenant ce que leurs enfants font à l'école et peuvent les aider à faire leurs devoirs et d'autres activités. Enfin, nous constatons que les trois pays ont opté pour une approche multilingue aussi bien dans l'enseignement non-formel que formel, en utilisant plusieurs (dans le cas du Burkina Faso), voire toutes les langues nationales (au Mali et au Niger) en même temps que le français. Bien qu'il y ait des lingua franca et des langues dominantes dans les trois pays, la stratégie a consisté également à utiliser les langues moins dominantes. Cette approche est très sage, dans la mesure où rien ne démontre que les enfants ont développé des compétences bilingues dans les différentes langues au même degré que les adultes. L'approche multilingue offre également la possibilité de toucher plus d'enfants et contribue ainsi à réduire l'exclusion. Enseignements, difficultés et perspectives Enseignements Conditions pour l'acceptation des langues maternelles dans l'enseignement formel Les expériences décrites ici montrent que les objections et la résistance à l'utilisation de la langue maternelle dans l'enseignement formel peuvent être combattues s'il est clairement démontré que l'enseignement dispensé dans la langue maternelle n'exclut pas l'accès à la langue officielle et que commencer avec la langue maternelle ne freine pas l'acquisition du français. En d'autres termes, dans le contexte francophone, respecter le droit à l'éducation dans sa langue maternelle au moins jusqu'à l'école primaire doit aller de pair avec le droit d'avoir accès à la langue officielle. Cela explique pourquoi aucun des modèles d'enseignement bilingue dans les trois pays n'encourage le remplacement du français ou son expulsion du système éducatif à quelque niveau que ce soit. Nous pouvons également observer que l'enseignement dispensé dans la langue maternelle à l'école primaire est mieux accepté lorsqu'il n'est pas imposé d'en haut. Ainsi, au Burkina Faso, les fortes objections et la résistance de la part de la population, et encore plus de la part de l'élite, pendant la réforme de 1979 à 1984 lancée par le gouvernement ont laissé la place à un large soutien après les résultats de 1998. En 2003 et 2004, les parents ont envoyé plus de 300 demandes de création d'écoles bilingues ou de transformation des écoles classiques en écoles bilingues. Pour la toute première fois, un député a demandé au ministre de l'Education pour quelle raison l'enseignement bilingue n'était pas proposé à grande échelle malgré son efficacité et en dépit du fait que la population l'exigeait. Cependant, la situation au Niger et ailleurs montre que les réformes éducatives visant à intégrer les langues et les cultures locales exigent un gros effort de négociation sociale malgré les preuves convaincantes de leur efficacité. L'importance de la volonté politique La démonstration faite par les évaluations internes et externes que l'enseignement dispensé dans la langue maternelle donne de bons résultats ne garantit pas que les pouvoirs publics se précipiteront pour l'étendre et le proposer à grande échelle, 612 N. Nikièma comme le montre en particulier la situation au Niger (et au Burkina Faso). La décision de passer à une plus grande échelle dépendra largement de la volonté politique, des intérêts en jeu et des relations de pouvoir entre les diverses parties prenantes. La volonté politique d'étendre l'enseignement dispensé dans la langue maternelle dans les pays francophones dépendra aussi largement non seulement des décisions et des recommandations au sein de la Francophonie – qui est l'instrument de la coopération multilatérale – mais également de la politique concernant le français dans sa coopération bilatérale (cf. Renard 2006, pp. 186–187). Compte tenu de la fragilité du français sur la scène géopolitique, on s'inquiète beaucoup de la situation de la langue française, que l'on considère comme forte s'il peut conserver son monopole sur le système éducatif. Difficultés Bien que la tendance en faveur des modèles d'enseignement dispensé dans la langue maternelle dans les pays francophones devienne irréversible, son développement à l'école primaire reste freiné par un certain nombre de difficultés. Le modèle d'abandon précoce préconisé par la francophonie Le modèle transitionnel, d'abandon précoce, semble être le modèle recommandé par la francophonie. En effet, aussi bien les Etats généraux de l’enseignement du français organisés à Libreville en 2003 que la CONFEMEN (Conférence des Ministres de l’Education des pays africains et malgache d’expression française) ont reconnu que « la prise en compte des langues nationales dans les cursus d’enseignement est bénéfique, aussi bien pour les langues nationales que pour le français » (cité dans Renard 2006, p. 295). Mais la Conférence des Ministres a insisté sur le fait que l’Afrique a besoin d’une langue française ... forte et puissante parce que c’est de cette langue que dépend l’état de santé des systèmes éducatifs. Par conséquent, la qualité de l'enseignement dans tous les pays qui ont choisi cette langue comme « partenaire » de leur développement, repose sur une bonne maîtrise du français, qui est la langue de l'accès aux informations et aux connaissances (ibid ; accent renforcé). Si l'on suit cette logique, les langues locales peuvent être utilisées pour l'alphabétisation initiale (comme expliqué ci-dessus), mais pas pour tout le cycle primaire, ni au-delà. Cependant, les conclusions des expérimentations décrites dans le présent article montrent au contraire qu'une solide base dans la langue maternelle est la meilleure garantie d'une bonne maîtrise du français et, plus généralement, d'un enseignement de qualité dans notre contexte. Au Burkina Faso et au Niger, les tentatives pour planifier une éducation bilingue pour l'ensemble du cycle de dix ans d'enseignement de base couvrant le primaire et le premier cycle vont donc dans la bonne direction. La difficulté de promouvoir le bilinguisme additif L'intérêt de l'enseignement dispensé dans la langue maternelle est qu'il a des effets positifs sur l'efficacité interne globale (comme illustré ci-dessus) et par conséquent sur les résultats dans toutes les matières, y compris dans langue 2. Mais c'est le bilinguisme additif, avec l'utilisation de la langue maternelle sur toute la durée du cycle, qui donne les meilleurs résultats (Romaine 1995; Heugh et al. 2006; Heugh et Skutnabb-Kangas 2010; Ouane et Glanz 2010). Cette logique n'est pas entièrement comprise et Un modèle multilingue commençant par la langue première 613 n'est pas vraiment appréciée dans le cercle francophone. En effet, le principal critère d'évaluation généralement utilisé par la plupart des personnes pour juger l'école bilingue est la maîtrise du français. Les excellents résultats dans les matières enseignées dans la langue maternelle ne sont pas pris en compte ou sont considérés avec suspicion. Par conséquent, lorsque la maîtrise du français est considérée comme trop faible, le programme bilingue est sévèrement critiqué et la solution préconisée consiste à augmenter le temps consacré au français. La non évaluation du programme en langues nationales aux examens nationaux Les examens nationaux sont exclusivement en français au Burkina Faso et au Niger. L'une des principales conséquences est la précipitation pour supprimer l'enseignement dispensé dans les langues maternelles, en particulier lors des dernières années de scolarité lorsque les examens officiels finaux se profilent à l'horizon. L'évaluation des écoles expérimentales au Niger a indiqué que 83 pour cent des enseignants déclarent qu'ils utilisent les langues nationales pendant les trois premières années de la scolarité. Cependant, le temps consacré à ces langues est de plus en plus réduit chaque année. Pendant les trois dernières années, trois enseignants sur quatre n'appliquent pas les directives officielles. Seulement cinq pour cent des enseignants enseignent dans les langues nationales plus de deux heures par semaine comme cela est recommandé (MEN/GTZ-2PEB 1999, pp. 107–108). Hassana Alidou et al. (2008) ont également constaté, dans le cas du Burkina Faso, que les enseignants qui ne maîtrisent pas bien l'approche bilingue appliquent le modèle d'abandon précoce, transitionnel : préoccupés par le français, ils voient le temps consacré aux langues nationales comme du gaspillage (pp. 69–70). L'enseignement bilingue et l'approche d'apprentissage par les compétences Bien que l'enseignement dispensé dans la langue maternelle ait précédé la décision d'adopter l'« approche d'apprentissage par les compétences » (APC), l'adhésion plus massive des pays « francophones » à cette approche (Bernard et al. 2007, p. 557) a obligé les trois pays étudiés dans le présent article à l'adopter également, à tel point qu'arriver à s'en sortir avec une approche fondée sur l'acquisition des compétences est devenu plus ou moins un défi à relever dans les programmes bilingues. Ce défi a été relevé au Mali, où le nouveau « programme bilingue » prend en compte les deux composantes. Sa mise en oeuvre depuis 2002 a marqué le début de la troisième génération d'écoles bilingues. L'approche bilingue n'a pas eu besoin d'être interrompue ou re-expérimentée. Il semble qu'au Burkina Faso et au Niger, ceux qui préconisent l'approche par compétences sont convaincus qu'un programme intégré, bilingue et d'acquisition des compétences exige que l'on reprenne à zéro le cycle expérimental, ce qui signifie repousser l'extension de l'enseignement bilingue jusqu'à ce que la nouvelle expérimentation ait fait la preuve de son efficacité. Cependant, on pourrait penser que dans la mesure où l'approche par compétences préconise une pédagogie centrée sur l'apprenant et un rôle plus actif de ce dernier, elle ne pourrait être utilisée efficacement que si les enseignants et les élèves utilisent la même langue de communication, et donc que l'enseignement dispensé dans la langue maternelle défendu dans les approches bi ou multilingues est un contexte favorable – voire une condition – pour l'utilisation réussie de la pédagogie d'acquisition des compétences. Dans ces circonstances, il n'est pas nécessaire de devoir choisir entre l'approche par compétences et l'enseignement dispensé dans la langue maternelle, ou d'interrompre ce dernier à cause de l'intégration de la première, comme l'a montré l'expérience malienne. Il est évident que les pays qui expérimentent l'enseignement bilingue doivent partager leurs expériences et apprendre plus les uns des autres. 614 N. Nikièma Perspectives Ce tour d'horizon a essayé de montrer que de toute évidence l'enseignement dans les langues maternelles est réalisable dans les pays francophones et bénéfique à leurs systèmes éducatifs. Il est également évident que les organisations des donateurs et les autres partenaires de l'éducation sont désireux de soutenir son développement si les responsables politiques montrent une volonté suffisante de s'appuyer sur les expérimentations pour aller de l'avant. L'atmosphère générale au sein du cercle de la francophonie est également de plus en plus favorable à un « véritable partenariat » entre le français et les langues nationales à l'école. Encore plus important, les trois pays ont adopté le « Guide de politique sur l'intégration des langues et cultures africaines dans les systèmes éducatifs » (Ouane et Glanz 2010, pp. 50–57). Nous pouvons espérer que si plusieurs pays décident d'entreprendre des réformes similaires (par exemple le Sénégal a rejoint le groupe dans un projet similaire en 2002), ils pourront créer un mouvement et se soutenir mutuellement afin que la tendance en faveur de l'éducation commençant par la langue maternelle devienne irrésistible dans tous les pays. Références ADEA (Association pour le Développement de l’Education en Afrique). (2010). L’enseignement bilingue au Niger. Tunis: ADEA. Alidou, H., Batiana, A., Damiba, A., Kaboré-Paré, A., & Rémain-Kinda, E. (2008). 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Outre la linguistique (africaine) théorique et descriptive, il a participé activement à des ateliers, des séminaires, des consultances et des publications sur les questions de la langue dans l'éducation, l'utilisation de langues à de nouvelles fins et la création d'une synergie entre l'alphabétisation des adultes, l'éducation non-formelle et formelle. Ses recherches et ses applications dans l'éducation se sont focalisées sur le Burkina Faso, parmi ce que l'on appelle les pays francophones. Les droits d'auteur d'International Review of Education / Internationale Zeitschrift für Erziehungswissenschaft appartiennent à Springer Science & Business Media B.V. et le contenu ne peut pas être copié ou distribué par courriel sur plusieurs sites, ni publié dans une liste de diffusion sans l'autorisation écrite expresse du détenteur des droits d'auteur. Toutefois, les utilisateurs peuvent imprimer des articles, les télécharger ou les envoyer par courriel pour leur usage personnel.