orville - GenNPdC

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orville - GenNPdC
ORVILLE
D’après Monsieur Emile Delaporte
Instituteur public à l’école d’ORVILLE
Informatisé par monsieur Gilbert LABESSE, ce document ne peut être vendu.
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l’est de Doullens, est un vallon où l’Authie serpente et se joue au milieu de luxuriantes prairies.
Là, est assis sous un berceau de verdure un village charmant par ses habitations, ses rues et
son site. Rien qui trahisse au loin sa tranquille existence. Tout au plus à travers les arbres qui
l’entourent de leur verte ceinture, l’oeil du voyageur aperçoit-il la flèche de son clocher qui
s’élance vers le ciel, ou bien suit-il les capricieuses ondulations de la fumée qui s’échappe d’un toit
pour se perdre dans les marécages. Peut-être encore s’arrêtait-on aux plaintes retentissantes des
enclumes ou au bruit des pilons broyant le cacao...Ah!... Que de fois, au retour de mes pérégrinations,
mon coeur a tressailli d’allégresse à la vue de mon beau pays natal!...
Quelque touriste plus habile le peindrait comme une rose cachée dans un buisson, un nid
dans l’aubépine, un éden souriant sur des bords enchantés. L’habitude qui avilit tout n’a pu encore
flétrir à mes yeux toutes ces beautés naturelles, j’aimerai toujours ce bois, ces prés et cette route qui
se déroule parallèlement à perte de vue, le bruit de la cascade qui tombe en écume, et la fraîcheur
des rives, et les méandres des solitaires sentiers. Quand le soleil s’abaisse sous ce dôme de
feuillage, comme pour y chercher son rêve a cette heure ou le calme domine la vallée et s’accroît
avec la brume, je me plais à promener mes rêveries, à me pencher amoureusement sur le flot pour
recueillir les bruits qui glissent à sa surface avec les soupirs de la brise.
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Mais si Orville offre des sujets si dignes d’admiration à l’ami de la nature, il mérite aussi à tous
les égards de fixer l’attention de l’homme qui aime à converser avec le passé. C’est en effet qu’il a été
le théâtre d’événements remarquables. Depuis le temps où il y eut un château pour nos rois jusqu’aux
jours plus modestes de son existence actuelle; il a subi ses petites révolutions. Il a passé comme
toutes choses par ces trois phases: « enfance, grandeur et décadence ». Son histoire est comme un
tableau où se peint la vie de chaque peuple, une scène où toute la société se reflète, objet de
prédilection ou de châtiment sous la main divine. Ce sera donc pour moi un charme véritable de
raviver son passé dans l’esprit de mes compatriotes. Des archéologues franchissent les montagnes,
les déserts et les mers pour visiter les ruines fameuses et soulever les voiles de l’inconnu, moi,
j’étudie avec une jouissance plus modeste, mais non moins égale, les débris historiques du sol que
mon enfance a foulé; Pour en donner une monographie aussi complète que possible, j’ai recueilli
toutes les traditions locales; j’ai fait causer les vieillards; je me suis entouré d’écrits anciens et de
recherches contemporaines, et, après avoir choisi les faits dont les documents de l’histoire m’ont
garanti l’authenticité, je n’ai eu qu’à coordonner, traduire ou copier.
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II
’ortographe du nom d’Orville a subi une foule de variantes qui peuvent servir à fixer l’époque de sa
fondation. En remontant successivement la chaîne des siècles, on trouve « OREVILLE, ORREVILLE,
AUREAVILLA (ville d’or), ORTEVILLA, ORDRIACAVILLA ... » Il appartient à la période celtique
(gauloise) par l’étymologie de son nom « Or, Odre, Rivière, Vil, demeure». C’est un nom comme on le
voit de pure situation. La période romaine est venu changer la terminaison en « villa » maison de campagne et
par extension: village, bourgade. Orville est donc de la plus haute antiquité. Bourgade de la tribu des Celtes
(Coelltes - Forêts), son origine se perd dans la nuit des âges. Ce que nous savons, c’est qu’avant la venue même
du messie sur la terre, Orville faisait partie du Belgium, district particulier de la deuxième Belgique; et le
Belgium se composait du territoire des Atrébates, des Ambiens et des Bellovaces. Les peuplades environnantes
étaient les Morins, Véromanduons et les Herviens.
Orville est maintenant un village distant de Doullens d’environ six kilomètres. Sa latitude est de 50
degrés 9 minutes, quant à sa longitude, elle est de 3 minutes à l’est du méridien de Paris. Borné au nord par
Halloy; à l’ouest par Amplier; au sud par Terramesnil et Beauquesne, à l’est par Sarton et par Thièvres, il est
bâti en amphithéâtre au flanc d’une colline couronnée d’un bois d’une longueur considérable. Traversé par
l’Authie; il se déroule comme elle de l’orient à l’occident et regarde le midi.
(Du latin Altéa, par contraction Alta - profonde; en Celtique Dol - len, vallée du lac) L’Authie prend sa
principale source entre Couin et Coigneux. A moins d’un kilomètre, elle est déjà suffisante pour faire tourner un
moulin à Saint léger les Authie. Elle passe à Saint Léger, Authie, Thièvres, Sarton, Orville, Amplier, Authieule,
Saint Sulpice, Doullens, Rouval, Hem, Ricquemesnil, Occoches, Outrebois, Mézerolles, Frohen, Béalcourt,
Beauvoir Rivière, Wavans, Auxi le CHATEAU, Villencourt, Vitz, Villeroy, Boufflers, Dompierre, Ponchel,
Dominois, Douriez, Walloire et Nampont. De là elle va se perdre dans la Manche, au pas d’Authie entre
l’embouchure de la Canche et celle de la Somme. Son cours est de soixante-quatorze kilomètres. Cette rivière,
cachée sous les roseaux et les saules, avait autrefois une largeur presque égale à celle de son bassin. Son courant
fortifié à peine de quelques maigres affluents se resserre tous les jours d’avantage et menace de la réduire à l’état
d’un ruisseau couvert par ses bords.
Le sol géologique d’Orville est la continuation de la puissante couche de craie de Normandie, avec ses
stratifications parallèlement horizontales et des silex pyromagues si bizarres dans leurs formes, et espacés
également entre eux. Cette craie sert à marner, à terrasser, à bâtir, et fournit d’excellent chaux. Le sol végétal est
une terre argilo-calcaire et, en quelques endroits, glaise et sablonneuse. Son terroir jadis couvert de forêts a été
défriché peu à peu, aujourd’hui les progrès de l’agriculture et l’industrie de ses habitants l’ont rendu
extrêmement fertile.
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os pères, Gaulois d’origine, sont sortis de ces immenses populations nomades et barbares de la Haute
Asie, que les anciens désignaient sous le nom collectif de Seythes. Ils avaient la taille haute, les
membres vigoureux, les cheveux longs et la barbe blonde. Vêtus d’une casaque et d’une braie, ils
portaient un collier de métal et des bracelets.
Les femmes étaient belles et jolies. Leur teint d’une blancheur de neige était animé d’une expression de
mélancolie attrayante; leur bouche petite et serrée, étalait toute la fraîcheur de l’aurore, leur yeux, grands et
surmontés de longs cils et d’un arc doré, étaient bleus comme l’azur du ciel; une blonde chevelure descendant en
boucles soyeuses leur voilait les épaules et la poitrine. Elles portaient une tunique blanche, une ceinture d’airain
leur serrait la taille qui se cambrait avec noblesse et des sandales préservaient leurs pieds légers. La condition
des femmes, dure et misérable dans les temps primitifs, s’améliora graduellement. Elles furent appelées parfois à
délibérer sur de graves intérêts publics. Les nombreux faits qui attestent leur courage patriotique et leur
dévouement conjugal, sont évidemment incompatibles avec une condition servile. On les a vues souvent
encourager leurs maris dans les mêlées et combattre elles mêmes, les cheveux épars et l’épée à la main.
Leurs lois, peu nombreuses, étaient toutes établies sur l’antique usage et observées d’après les traditions
reçues. On pendait les lâches; on noyait les traîtres; les autres crimes, même l’assassinat pouvaient être racheté
par des amendes. Nous devons remarquer qu’à l’enfance des peuples, une faute sévèrement punie est la lâcheté;
et cela se conçoit chez nos pères qui se vantaient tant d’être des hommes de coeur. La jeunesse, élevée sous les
yeux des druides (prêtres) s’exerçait quotidiennement à la course, à la lutte et au métier des armes.
Les mariages étaient toujours bien assortis car la jeune fille choisissait elle-même son fiancé. Pour cela
son père donnait un grand festin où tous les prétendants étaient admis. La jeune fille entrait sur la fin du repas,
tenant une coupe à la main; elle promenait ses regards indécis sur l’assemblée; puis s’arrêtant en face de celui
que ses yeux ou son coeur s’était choisi, elle lui tendait la coupe en rougissant et l’alliance été conclue. Tissus
éclatants, couleurs voyantes et variées, tel était le goût de leur parure.
Leur vanité paraissait jusque dans les funérailles; pendant le convoi des étendards voltigeaient autour
du cercueil; arrivés à l’enclos sacré, les parents brûlaient avec le corps du défunt tout ce qu’il y avait de plus cher
et même jusqu’à des prisonniers esclaves. Au moment de l’inhumation, ils poussaient des cris, versaient des
larmes et entonnaient l’hymne funèbre. On jetait dans la fosse des marques ou lettres d’adieu; puis la tombe
fermée, on élevait un monticule de forme pyramidale. Quelquefois même la femme du défunt, poussée par
l’excès de sa douleur; s’ensevelissait vivante dans la tombe conjugale qui renouvelait l’hyménée. Cette affreuse
coutume leur était venue d’Asie où elle existe de temps immémorial; de nos jours; elle est encore pratiquée au
Bengale et chez les Hindous.
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e terroir n’était pas morcelé comme aujourd’hui en propriétés individuelles, les habitants le possédaient
en commun et en répartissaient les produits également entre eux. Les femmes, les enfants et les vieillards
cultivaient le peu de terre consacrée à la récolte des grains, tandis que des hommes valides paissaient les
troupeaux et les défendaient contre toute espèce d’agression. Le blé qu’ils conservaient en épis dans des
carrières, étaient égrené à la main et concassé sur une pierre dure.
Leurs demeures, groupées au pied de la colline, sur le bord de l’eau, étaient des cabanes rondes,
spacieuses, couvertes de chaume, artistement construites avec des pieux, des roseaux, de la paille hachée et de la
terre grasse. Un cercle d’arbrisseaux entrelacés et entremêlés d’énormes pierres les entourait comme un rempart.
Ils vivaient de bétail, de pêche et de chasse. L’Authie leur offrait d’excellents poissons et une foule d’oiseaux
aquatiques, tandis que le gros gibier pullulait dans la forêt. Ils mangeaient assis sur des feuilles, autour d’une
table basse et grossière. Une place vide attendait toujours l’étranger. Le chef de famille occupait la place
d’honneur et personne ne touchait à rien qu’il n’en eut goûté; il buvait le premier et la coupe passait de main en
main. Après les viandes rôties venait le fromage durci sur l’osier tressé, quelques fruits sauvages composaient le
dessert. Du reste presque pas de pain et jamais de vin; mais ils suppléaient par l’hydro et la cervoise (en celtique:
cerviria) sorte de bière dans laquelle on mettait du cumin. Ces boissons étaient fortes et nos pères en abusaient
souvent, car ils se sont acquis la triste réputation d’ivrognes. Aux jours de fête, ils jouaient et dansaient, chacun
d’eux faisaient preuve d’agilité, de force et d’adresse, mais ils se querellaient souvent d’où leur est venu le
surnom de Belges (Belguen - Quereller).
Un de leurs grands plaisir était d’aller au devant des voyageurs étrangers; de les faire asseoir au milieu
d’eux, bon gré, mal gré, de leur faire dire des histoires des terres lointaines; eux mêmes étaient de grands
parleurs et hyperboliques. Leur danse était pittoresque et variée; armés comme pour le combat, ils marquaient la
mesure en frappant en cadence sur leurs boucliers; ensuite un barde (poète) saisissant la rote ou le chélys,
préludait quelques vigoureux accords, puis entonnait d’une voix mâle soit un chant de guerre ou de chasse, soit
un hymne à la louange des dieux ou des héros de la patrie.
Quand ils chassaient les bêtes, leur adresse à pied ou à cheval était prodigieuse. Leurs armes pourtant
étaient peu de chose; des haches et des couteaux de pierre, des flèches armées de cailloux pointus, des épieux
durcis au feu nommés gais (du nom latin - gésa) des dards enflammés appelés cataies (cateiae) des épées, un
bouclier étroit et long.
Vifs et irritables, l’amour de la gloire les rendaient terribles; ne craignant ni les dieux ni les hommes et
faisant bon marché de leur vie, ils ne reculaient jamais. Pour eux la guerre était un jeu et malheur aux vaincus,
car leurs têtes sanglantes pendaient au cou des chevaux, servaient à orner les cabanes des vainqueurs.
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algré la meute de dogues qui gardent les issues, quittons un moment l’enceinte d’Orville et pénétrons
dans la forêt pour visiter le naut, appelé aujourd’hui place des Rouvrois, ( de Robora - Rouvres ). Il
est vaste, circulaire rempli de béttulas (bouleaux) de querus (chênes) et d’autres arbres sacrés.
Au milieu, et sous une ombre immense où ne pénètrent jamais les rayons du soleil, s’élève
l’habitation du druide, l’homme des chênes (Derw, en hymrique - Deru, en armoricain - Dair, en gaélique - Drus
en grec) « signifie chêne ». Là, dans sa sauvage solitude, il étudie la nature et ses lois, s’instruit dans son culte,
cultive les simples, et enseigne la jeunesse. De temps à autre, il assiste aux conférences druidiques tenues à
Lucovium - (Lucheux ; du nom grec - Luchos - ou du latin - Lucus - bois sacrés). Il est tout à la fois prêtre,
médecin, physicien, instituteur et magistrat; aussi jouit-il des plus beaux privilèges. Outre les honneurs qu’on lui
rend, il est exempt d’aller à la guerre et de payer tribut; il peut transmettre à ses enfants la dignité sacerdotale.
Son pouvoir sur le peuple est presque aussi absolu que celui du père dans les familles, et malheur à ceux qui
osent contrevenir à ses jugements; car il les frappe d’anathème et leur interdit les sacrifices, alors on les fuit, on
les abhorre comme des impies et des scélérats qui portent avec eux la contagion; ou bien nouveaux boucs
émissaires; ils sont chargés d’imprécations et rejetés du sein de la bourgade. La druidesse est regardée par la
superstition comme prophétesse, magicienne ou fée; pour rendre ses oracles, elle s’agite avec des transports
frénétiques comme les pythonisses grecques, et ses décisions sont toujours respectées.
Leur religion était d’abord une sorte de polythéisme grossier ou plutôt du fétichisme, mais ce culte
matériel céda peu à peu à des croyances plus abstraites. Il enseigne l’éternité de l’esprit et de la matière, la
transmigration des âmes et l’existence d’une autre vie avec des peines ou des récompenses: Cette croyance est si
vive que souvent des dettes mutuelles sont stipulées remboursables au pays des esprits. Leurs dieux sont cruels et
veulent des sacrifices sanglants. Les principales divinités sont: Hésus (Isis des Egyptiens) Toutatès (Theut des
Dhéniciens) Tarann et Belen (Bélénus ou Bel) Hésus est le dieu de la guerre, Toutatès, le protecteur des arts, du
commerce et des routes; Tarann dirige le tonnerre et Belen préside à la médecine. La poésie et l’éloquence ont
leur ingénieux symbole dans Ogmius, vieillard vénérable autour duquel se pressent des auditeurs attachés par
l’oreille à des chaînes d’or et d’ambre qui lui sortent de la bouche. Mais quel est ce bruit vague qui circule dans
la bourgade. Pourquoi des cabanes sont-elles encore éclairées? Une cérémonie solennelle va avoir lieu à la place
dite des fées: Profitons des ombres de la nuit pour côtoyer l’enceinte et nous rendre secrètement à cette
solennité, car il y à peine de mort pour les profanes. Il est minuit, l’heure des mystères. La druidesse apparaît,
éclairée par un rayon de lune; une feuille d’or brille à son côté gauche, suspendue par une double guirlande de
chêne; sa tête est surmontée d’une couronne de verveine, de samole et de selage cueillis le sixième jour de la
lune, sa main est armée d’une baguette dorée qu’entoure une touffe de genêt; elle porte au doigt un anneau dont
le pouvoir est merveilleux, elle s’avance près d’un chêne qu’elle a remarqué avec soin; et levant les mains vers le
ciel, elle frappe trois coups à intervalles égaux en criant de toutes ses forces: « Au gui l’an neuf »..... A cette
soudaine proclamation du nouvel an un hourra immense surgit des noires profondeurs de la forêt; les habitants
s’élancent dans la vaste clairière, précédés de bardes qui chantent des hymnes aux dieux. Les uns sont
complètement armés, les autres portent dans la main droite une torche allumée; enfin le plus grand nombre ont
les bras chargés de biens en signes de pénitence. La clarté vacillante des flambeaux éclaire les statues des dieux
grossièrement travaillées et auxquelles sont attachées les dépouilles ennemies. Tous ces adorateurs, soumis à une
terreur secrète, entourent le chêne à la cime duquel croît une plante divine, une prétendue panacée, (le gui). Un
autel de gazon est dressé: Le druide armé d’une faucille d’or et d’un sceptre surmonté d’un croissant, monte sur
l’arbre, coupe le rameau parasite que deux embages (devins) reçoivent dans une saie blanche. La druidesse s’en
saisit aussitôt, le brise et en distribue les fragments à la foule qui les reçoit avec une profonde vénération.
Cependant les embages immolent un chien et un taureau blanc. La druidesse verse le sang au pied du chêne.
Mais à la vue des entrailles palpitantes qu’elle examine sur l’autel, elle décompose ses traits, s’inspire de ses
dieux; et furibonde, dévoile l’avenir en paroles ambiguës ou incohérentes. Enfin le druide termine la cérémonie
par cette invocation: « Toutatès, accueille notre hommage et nos offrandes; tes enfants te présentent ces victimes,
les druses (démons) nous sont favorables. Toutatès tu veux du sang en voilà. Les ossements épars dans la forêt
disent assez notre zèle. La bruyère est rougie. Terrible dieu des sacrifices, cet holocauste est-il suffisant pour
assouvir ta divine rage ?... Parle !... et s’il te faut des victimes humaines tomberont demain sous tes coups ».
Alors un coup de vent, réponse du dieu, agite les bras vigoureux du chêne « Demain » répète-t-on de
toutes parts, et le flot populaire, s’écoule silencieux.
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ussi loin que la vue peut s’étendre dans le domaine de l’histoire, on voit les hommes de tout les temps
et de tous les pays travaillés d’un certain besoin de clémence, et les religions, même les plus opposées,
pivotant sur ce point commun: Les expiations. Ce fait universel prouve, qu’originairement la créature a
mécontenté gravement son créateur, et que l’humanité a pris à coeur de se réhabiliter par les sacrifices.
De là l’érection de ces tables propitiatoires, qui sous le nom d’autels, se maculèrent de sang des agneaux, des
boucs et des génisses.
Nos pères s’écartant à la longue des coutumes traditionnelles, devinrent cruels par fanatisme. Ils
refoulaient en eux les sentiments de cette bonté d’ont ils se piquaient partout ailleurs, et se persuadèrent que le
plus agréable sacrifice qu’ils puissent offrir, surtout à Hésus et à Teutate étaient de faire couler le sang humain.
Se trouvaient-ils en danger de guerre, ou d’épidémie, ils immolaient aussitôt une personne dans la pensée qu’on
ne pouvait mieux racheter la vie d’un homme que part la mort d’un autre. Il est vrai qu’ils choisissaient de
préférence les criminels: Néanmoins, à leur défaut on égorgeait des innocents que le sort avait désignés, ou bien
les épouses et les enfants des ennemis vaincus; et la manière dont on y procédait était tout aussi barbare que le
sacrifice même. La mystérieuse solennité de la ville à la place des fées nous laisse pressentir une autre solennité
bien plus terrible au buisson Légault (prononcer, les gaules). Une petite barque d’osier, recouverte d’un cuir de
boeuf nous servira de véhicule. Quelques coups de rames ou d’avirons nous font traverser l’Authie, ainsi qu’un
lac aux eaux basses et poissonneuses (les prés Bénard). Franchissons le rideau qui relie la Jatte au fossé des
Cliptoirs (du Grec clepter - voleur) l’accès de cette partie de la forêt est presque inabordable; on dirait des lieux
maudits. Là, n’habitent point le dieu Tutélaire, ni le Sylvain ni la nymphe des bois; les druses seuls y ont une
retraite, en compagnie des loups et des sangliers. Au milieu d’une rotonde obscure on a construit un dolmen
(Autel druidique); il est fait de trois énormes pierres taillées et droites: Une quatrième excavée dans sa partie
supérieure, est superposée horizontalement. « J’ai vu moi même, en 1846, les vestiges de ce dolmen dans la
propriété de monsieur Bellet-Bulan, d’Amplier: C’est au soc de la charrue que j’ai dû cette découverte. E.
Delaporte ». En face de l’autel, s’élève en pyramide un immense bûcher, au sommet duquel on a placé un
monstrueux fantôme d’osier, rempli d’herbes sèches. Les malheureux prisonniers sont tirés de la caverne des
douleurs; (prison souterraine qui était probablement « La Jatte »), on les lie par des crampons de fer au pied
d’un gros chêne et les chiens de guerre sont postés alentour. Le druide verse sur la tête des condamnés une coupe
de sang; frappe leur dos d’une épée prétendant connaître l’avenir par leurs contorsions; il en perce même
quelques-uns de ses flèches sacrées. La druidesse debout sur le dolmen contemple le spectacle, tout à-coup ses
cheveux se hérissent; ses yeux sanglants roulent dans leurs orbites; d’une voix sinistre et éclatante elle donne le
signal du sacrifice. Aussitôt, les victimes sont jetées pêle-mêle dans la statue; de cette prison horrible, sort un
concert déchirant de gémissements et de cris auxquels se mêlent les imprécations du prêtre, les chants lugubres
des bardes et les rires stridents de la foule. Quand les rites préliminaires sont terminés, les embages s’arment de
torches qu’ils allument alternativement au pied de l’autel, font le tour du bûcher en murmurant des paroles
consacrées et y mettent le feu tous ensemble. Aux premières flammes qu’on voit luire, un immense cri de joie
fait retentir les échos de la forêt; et, à mesure qu’en s’élevant les terribles langues de feu lèchent toutes les
parties du gigantesque holocauste, la clameur féroce grandit et couvre les plaintes des captifs.
Heureux ceux qui ont été précipités les premiers au fond de la statue, étouffés sous le poids de leurs
compagnons, et déjà demi-morts, ils sont bientôt achevés par les premières atteintes du feu; mais ceux qui élevés
au sommet, ne reçoivent que de rares bouffées de fumée et de flamme et que ranime par intervalle la fraîcheur de
la brise, voient, eux, s’éterniser leur supplice. En vain les mères s’efforcent-elles de couvrir leurs enfants de leurs
corps, les pauvres victimes se tordent dans leurs bras et expirent sous leurs yeux. Il y a aussi dans cette
effroyable prison des luttes horribles; on y dispute avec acharnement quelques minutes d’existence en se
repoussant les uns les autres aux extrémités incessamment parcourues par la flamme. Enfin la statue crève, et les
victimes qui s’échappent tombent dans la fournaise; ou si elles viennent à rouler à demi consumées jusque sous
le pied des embages, elles sont replongées aussitôt dans le bûcher, pour s’éteindre avec lui.
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ucun excès ne peut durer; aussi les chefs de guerre, ayant secoué le pouvoir excessif des druides,
s’emparèrent-ils à leur tour de l’autorité. L’aristocratie militaire dominait depuis quelque temps,
quand elle-même fut accablée par une puissance, une civilisation bien supérieure. Déjà les invasions
de Béllovèse et de Sigovèse, d’Anéroeste et de Concolitan, de Virdumar et de Bituit, tous chefs
gaulois, avaient fait trembler les aigles romaines. Le sac de Rome par un Brennus « Brenn, mot celtique qui
signifie général » et une armée auxiliaire, envoyée au fameux Annibal, excitèrent au plus haut point la vengeance
du peuple roi. Marius déblaya la route des gaules en exterminant les hordes innombrables des Cimbres «
Kymris » et des Ambro-Teutons; et César, ce foudre de guerre, mit toute son ambition à en exécuter la conquête.
D’une valeur indomptable, doux et généreux, éloquent orateur, aussi grand homme d’état qu’habile politique,
César fut peut-être le général le plus accompli qui eut jamais existé. Il fallait du reste un tel homme pour prendre
un tel pays. Diviser pour vaincre fut sa maxime favorite, et il appliqua sa fatale industrie à fomenter et à rendre
plus irréconciliables ces antipathies de races, ces haines particulières qui commençaient à ensanglanter la gaule.
Toutefois, cette conquête coûta à ce grand capitaine plus de dix ans de travaux, de marches, de contremarches,
de combats et d’efforts inouïs.
Orville, comme toutes les bourgades, fut loin de rester étranger à la défense de sa nationalité. Après la
prise de Vescontio « Besançon » et la défaite d’Arioviste, César enlace les Edues et fascine les yeux des Rêmes.
Mais les Herviens « Flamands », les Atrébates « Artésiens » dont Orville faisait partie et les Véromanduens
« habitants du Vermandois » inquiets de toutes ces menées, forment une vaste coalition, surprennent l’armée
romaine en marche dans la profondeur de leurs forêts et se croient au moment de la détruire. César, de son oeil
d’aigle, voit le péril et fait de savantes combinaisons pour y parer, il est obligé de saisir un étendard et de se
porter lui-même en avant. Notre héroïque armée lutte vaillamment contre la tactique et le courage des soldats
romains; elle n’est pas vaincue, mais anéantie; de soixante mille combattants, cinq cents à peine s’échappent sans
blessures « 57 avant J.-C. ».
César commença aussi contre eux sa quatrième campagne. Ils demandent un chef au Elurow
« Liégeois » qui leur envoient Ambiorix et un adjoint, le Wergobreith « Wer-go-breith: homme de conseil »
Indutiomar. Par de fausse nouvelles, Ambiorix attire hors de leur camp Sabinus et Cotta, lieutenants de César;
leur division forte de dix mille hommes est exterminée dans une forêt sans qu’il échappe ni soldats ni officiers.
Un second corps de troupes romaines, commandé par Ocicéron, frère de l’orateur, est aussitôt assiégé par eux
dans ses retranchements. César l’apprend à Samarobriva « Amiens » et s’élance avec sept mille hommes au
secours des assiégés. Ambiorix se rue imprudemment à l’assaut du camp et est mis en pleine déroute. César qui
sait profiter de la victoire attaque les peuplades séparément en plein hiver, et les accable toutes. Nos ancêtres se
défendirent avec bravoure, un acharnement qui rendit la question de la conquête douteuse pour César lui-même;
aussi eut-il recours à la guerre de destruction et d’extermination, accompagnée d’une barbarie sans exemple.
Dans cette extrémité, le vieux drapeau gallique fut confié aux mains de Celtill, jeune héros nommé à l’unanimité
Vercingétorix « du nom celtique Wer-cinn-cedo-righ: Généralissime »; mais ce noble drapeau tomba pour jamais
sous les murs d’Alésia « Alise près de Sémur en Bourgogne ». En vain Commius vaillant chef des Atrébates, futil chargé du commandement de l’armée destinée à dégager l’illustre Vercingétorix; il fut battu et forcé de subir la
loi de ses invincibles ennemis. Il y mit pourtant une condition qui prouve tout à la fois la fierté de son âme et la
grandeur de son courage, il ne traita qu’avec l’autorisation de se retirer chez des nations éloignées où il pourrait
déplorer, loin de l’aspect des romains l’asservissement de sa patrie « 52 avant J C ».
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insi Orville est devenu romain et il le sera durant 500 ans. En vain Maric, Civilis, la prophétesse
Oeldléda et Sabinus essayent-ils de soulever l’insurrection au nom de la liberté nationale, Maric est
livrée aux bêtes; l’or corrompt Civilis et Velleda, tandis que l’infortuné Sabinus va se cacher au fond
d’un souterrain avec sa femme Eponie: Découvert au bout de dix années avec leurs enfants qu’ils y ont
eus et élevés, ils sont traînés lâchement au supplice. Pour comprimer tout élan d’indépendance, les assemblées
populaires furent défendues; une organisation administrative savamment combinée enveloppa nos pères d’un
vaste réseau d’espions et de juges; les coutumes juridiques de chaque tribu furent partout remplacées par le droit
romain; la langue latine se substitua peu à peu à l’idiome du pays, et des phalanges de soldats, disséminées sur le
territoire répondirent de l’obéissance des peuples. On fit un recensement général des hommes propres à la
culture, et ceux que l’on choisit appelés Glebae adscriti « inscrits pour la glèbe-motte-butte » furent forcés de
travailler à la terre. En donnant ainsi une tout autre direction aux goûts et aux habitudes de nos pères, s’était les
préparer mieux au joug. Les grandes familles de Rome qui avaient obtenu une concession de domaine en Gaule,
s’unirent aux indigènes pour la multiplication des produits territoriaux; et ces terres, rendues inaliénables dans
les mains des nouveaux possesseurs devinrent la base du droit du citoyen et servirent à constituer une aristocratie
municipale, Orville défricha quelques lambeaux de ses forêts; mais n’osant toucher encore aux lieux si respectés
de ses aïeux, ce fut vers Sarton qu’il promena d’abord la charrue. « Sarton vient du mot latin Sartio: action de
défricher ». On connut alors l’usage des ruches, la tuile, le mortier de chaux ou ciment romain, le savon, etc.
Notre sol s’enrichit d’une foule d’arbres, de plantes et de fleurs exotiques. Nous citerons le peuplier, le platane,
le pêcher, l’abricotier, le noisetier, le cerisier, le cornouiller, etc.
Déjà les Grecs qui avaient fondé Marseille « 600 ans avant J.C. » nous avaient donné les céréales, le
chou, la carotte, le jasmin, l’oeillet, la rose etc. L’émigration de Sigovèse « 87 ans avant J C » nous avait valu,
par un retour d’émigrants, outre les animaux domestiques, le pommier, le poirier, le prunier, et le néflier, ainsi
que la plupart des plantes légumineuses. Celle de Bellovèse nous avait fait connaître, le noyer, le marronnier et
l’orge.
Une révolution profonde s’opéra aussi dans les croyances. Les dieux de Rome détrônèrent ceux de la
Gaule ; on ne connut plus guère dans la suite des temps que les noms de Jupiter, maître de l’Olympe et de la
foudre; de Junon, Neptune, Pluton, Cérès, Vesta, Minerve, Mars, Vénus, Diane, Mercure, Apollon, Vulcain,
Bacchus et s’il fallait en croire une vague tradition, un temple consacré à Bellone, déesse de la guerre eût alors
existé à Orville. Les druides eux-mêmes, sauf quelques exceptions en Armorique « Bretagne » se convertirent à
la nouvelle religion et devinrent les zélés ministres.
Les beaux-arts et les lettres furent en honneur; dans les cités s’élevèrent de superbes monuments dont
on admire encore les magnifiques ruines. La garance fut cultivée et la pourpre Artésienne.
A
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IX
ome était la maîtresse du monde connu; mais ce colosse de puissance, avili, corrompu, divisé et battu en
brèche simultanément par cent nations barbares, craque, s’ébranle sur ses vieux fondements, et menace
peu à peu de s’écrouler. Au-delà du Rhin, vivaient alors les germains « Mam, homme - Gehr, de
guerre », race asiatique, composée d’une foule de tribus indépendantes. C’est l’époque où surgissent à
l’horizon de l’histoire les noms de ces hordes guerrières. Nous voyons apparaître les Burgondes, les Allemands
« Mannen, Alle, hommes de toutes races », les Goths, les Ostrogoths, « Ost-gosths; Goths de l’est », les
Wisigoths « West Goths; Goths de l’ouest », les Alains, les Gépides, les Hérules, les Vandales et les Francs.
Il est constant qu’un instinct inexplicable pousse les peuples septentrionaux à se jeter sur ceux du midi,
et que les conquêtes durables se sont toujours faites en ce sens. Quand on observe ce mouvement ancien et
successif de ces hommes, doués d’une activité indomptable; ne rétrogradant jamais, et n’ayant de vrais succès
qu’au midi, on est porté à conclure que tous, quels que soient les temps, sont portés irrésistiblement à ce but, et
qu’un jour notre continent doit être fatalement la proie d’un autocrate du Nord. C’est ainsi que la Gaule fut
subjuguée par les Francs; l’Espagne et l’Afrique par les Wisigoths; l’Italie par les Erules; la Sicile et la Neustrie
par les Normands; la Grèce par les Turcs; la Chine par les Tartares-Mantchoux. La lecture de l’histoire confirme
à chaque page la véracité de mon assertion sur la marche des peuplades septentrionales; elles ont semé partout le
ravage et la destruction; elles ont détruit le royaume des Lombards, fondé l’empire d’Allemagne, et achevé la
conquête de l’Angleterre. C’est aussi par cette loi que de nos jours la Pologne a été démembrée; que l’Italie,
conquise tant de fois, l’est encore en partie par les Autrichiens; et que la Turquie, sans l’intervention Anglofrançaise, allait devenir une plage moscovite. Les Romains voulant donc opposer une digue à l’élan de ces
peuples dévastateurs, les effrayent d’abord en portant chez eux le fer et la flamme, et établissent ensuite en deçà
du Rhin plusieurs lignes de camps retranchés et de forteresses.
R
De là, date la construction du CHATEAU d’Orville (100 ans après J.C.). Assis sur la pente du coteau, il
était le centre où venaient converger les rues de la bourgade. Au nord, une vaste tour à la cime élancée servait de
prison civile et militaire; elle dominait un édifice carré où logeait le commandant de place, désigné sous le nom
de tribun. Le mur d’enceinte, formé de silex, d’énormes pierres et de ciment, s’étendait vers le sud, sous la
figure d’un parallélogramme; la rivière et des fossés profonds en rendaient l’abord inaccessible, et chaque porte,
munie d’un pont-levis était défendue par deux tours. Au milieu, était une espèce de cirque, où se faisait la
manoeuvre; alentour, de nombreuses tourelles, couronnées de plates-formes flanquaient la muraille et servaient
de logement à la garnison; de sorte qu’au premier signal de la trompette; toutes ces plates-formes se trouvaient
couvertes de guerriers aux casques étincelants, et armés de javelots.
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X
T
el était Orville, lorsque le Christianisme lui fut annoncé. On juge qu’elles difficultés la foi et la morale de
Jésus-Christ durent trouver parmi des gens qui avaient ajouté à leurs anciennes croyances les dieux
romains; les passions humaines défendirent les autels qu’elles avaient érigés, le faux zèle des prêtres, la
superstition populaire, la rage des tyrans, tout s’arma contre les novateurs.
Il faut pourtant reconnaître que, malgré les obstacles, la prédication de la foi trouva quelques facilités
dans le caractère de nos pères; leur humanité envers les voyageurs et leur curiosité naturelle furent comme les
moyens dont la providence se servit pour leur ouvrir les portes du salut. Religieux, observateurs des lois de
l’hospitalité, ils reçurent avec bonté les premiers missionnaires à qui le seul titre d’étrangers tenait lieu de
sauvegarde. Curieux à l’excès jusqu’à passer la journée dans les rues pour apprendre ou débiter des nouvelles, ils
en écoutèrent avec plus d’avidité les apôtres du Christ. D’ailleurs, leur esprit vif et pénétrant découvrit aisément
à la lueur des premiers rayons de cette divine lumière, tout le ridicule et les monstruosités de la théologie
païenne; en même temps que le courage dont ils se piquaient, leur fit mépriser les tortures réservées aux
prosélytes. Vainement le cruel Dioclétien amoncelle-t-il ses victimes; vainement Maximien son collègue à
l’empire fait couler des flots de sang; c’est alors que les hommes s’acharnent le plus contre l’évangile qu’il
remporte la plus belle victoire. Constantin le Grand, chargé de gouverner et de persécuter la Gaule, arbore luimême, signe céleste, la croix le fait vaincre et la religion triomphante s’assied avec lui sur le trône des Césars. Il
parait certain que, dès le premier siècle de notre ère, le flambeau de la foi s’introduisit dans le midi de la Gaule;
mais ce ne fut que dans la troisième et le quatrième siècle qu’il pénétra dans nos contrées. Il éclaira d’abord les
villes, mais il trouva une vive résistance dans les campagnes; aussi les bourgeois de cette époque appelaient-ils
les villageois: Pagani-païens mot qui s’est maintenu dans celui des paysans. Constantin divisa la Gaule en
diocèses, et chaque diocèse comprenait le territoire d’une cité; Orville qui faisait partie de la cité des Atrébates,
fut compris dans le diocèse d’Arras, l’antique Némétacum; plus tard, la résidence de nos rois à Orville rendit la
religion chrétienne durable pour toujours; comme le druidisme avait été étouffé par les dieux romains, le
polythéisme, à son tour expirait vaincu par le catholicisme. Ce furent quelques compagnons de saint Denis,
l’apôtre de Lutèce (Paris), saint Diogène; saint Quentin, saint Fuscien, Victoric et Gentien; Saint Firmin et saint
Vaast qui les premiers, apportèrent à nos pères la bonne nouvelle. Saint Martin, surtout attira leur sympathie; son
nom « Mars - dieu des batailles » s’harmonisait avec leur instinct guerrier; sa figure noble et douce, le feu de son
éloquence, sa charité et ses miracles multiplièrent les conversions.
C’était toujours avec un recueillement religieux que la foule, suspendue à ses lèvres, écoutait ses
paroles émouvantes et oubliait le nom d’esclave qu’avait imposé la tyrannie romaine; s’élevant au-dessus des
bornes du temps, elle s’élançait dans l’éternité; là étaient confondus ensemble le maître et l’esclave, le vainqueur
et le vaincu. Une loi commune devait les régir tous et cette loi, c’était celle de l’amour. Libres, ils voyaient leurs
larmes séchées, leurs fers rompus; et l’océan infini de la majesté divine devenu leur habitation dans les siècles
des siècles.
Dès lors, hypothétiquement parlant, le temple de Bellone eût perdu sa destination et fût devenu une
église au vocable de saint Martin. Une ruelle qui aboutissait au CHATEAU par une poterne, s’appelle encore
aujourd’hui ruelle Saint Martin. Comme le souvenir du patron d’Orville s’est conservé glorieux à travers les
générations, nous allons consacrer un chapitre à sa bibliographie.
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XI
« Ce mouton frais tondu a pratiqué le conseil de l’évangile, il portait deux robes,
et il en a donné une à qui n’en avait point »
(Paroles de Saint Martin)
e fut vers l’an 316 que cet apôtre de la charité naquit de parents idolâtres à Sabaria en Pannonie,
aujourd’hui, Izambatel, village Hongrois. Elevé à Pavie dans les superstitions du paganisme, il s’enfuit à
l’âge de dix ans et se cacha dans l’église des chrétiens qui le reçurent au nombre des catéchumènes.
Mais l’empereur Constance ayant donné ordre d’enrôler les enfants de vétérans, Martin fut découvert par
son propre père qui occupait la charge de tribun, et obligé de prêter le serment de la milice. Il prit les armes à
seize ans et entra dans la cavalerie.
Sa bonté, sa douceur et une bravoure à toute épreuve lui concilièrent bientôt l’estime et le respect de ses
camarades. Les pauvres étaient ses amis, et il leur distribuait régulièrement tout le superflu de sa solde; on le vit
à la porte d’Amiens donner la moitié de son manteau à un pauvre vieillard nu et glacé, cette action pourtant lui
attira des railleries, mais il en fut consolé la nuit suivante. Pendant son sommeil Jésus-Christ lui apparut revêtu
de son offrande et entouré d’un choeur d’anges à qui il dit « Martin, qui n’est encore que catéchumène, m’a
préservé du froid en me couvrant de cet habit », Modeste et désintéressé, il refusa constamment les grades et ne
participa jamais au butin. Le temps de son service étant expiré, il demanda à jouir du congé auquel il avait droit
car il voulait à tout prix quitter la milice séculaire, comme il était en face de l’ennemi; l’empereur, surnommé
l’apostolat le traita de lâche; alors Martin offrit au César de marcher sans armes au premier rang, mais la bataille
n’eut pas lieu. Il quitta l’armée à trente trois ans, se fit baptiser et vint se mettre sous la discipline de l’évêque de
Poitiers, saint Hilaire, dont la réputation était célèbre par toute la Gaule.
Le désir de revoir encore une fois son pays natal le fit retourner en Pannonie où il baptisa sa mère. En
passant par les Alpes, une bande de voleurs l’assaillir, mais au moment où l’un d’eux allait le poignarder, le saint
lui parla et le convertit. Ayant appris à son retour que l’église et saint Hilaire étaient persécutés par les Ariens
« partisans de l’hérésiarque Arius qui niait que le verbe fut coéternel à dieu). Il alla à Milan; poursuivi à son
tour, il se réfugia dans une île de la mer de Toscane où il passa quelques années, ne vivant que de racines et
d’herbes; il mangea même un jour une assez grande quantité d’ellébore dont il ne connaissait pas la dangereuse
propriété, puis, quand les symptômes de l’empoisonnement se manifestèrent, il se recommanda à Dieu et fut
guéri.
Après la persécution, il se rendit de nouveau près de saint Hilaire pour se livrer à l’étude et à la
méditation; il était déjà sexagénaire, quand la ville de Tours le demanda pour évêque. On employa l’artifice et la
violence pour l’arracher de sa solitude. Pontife, il conserva toujours la même simplicité dans les habits, la même
affabilité dans les formes, et une plus grande humilité dans le coeur. Insulté publiquement par un de ses clercs, il
s’écria « Jésus à souffert Judas, pourquoi n’endurerai-je pas Brice! » A toutes les vertus épiscopales, il joignit
celle de la vie monastique, et bâtit sur les bords de la Loire, le fameux monastère de Marmoutier qui passe pour
la plus ancienne abbaye de France. Là il se voit bientôt à la tête d’une foule de moines, ou plutôt d’austères
anachorètes, dont beaucoup eurent les honneurs de la mitre. Sa charité alors n’avait plus de bornes. Un mendiant
déguenillé vint le trouver dans la sacristie avec l’espoir d’en obtenir quelque vêtement; le saint lui donna sa
propre tunique et Dieu l’en glorifia, car, pendant l’office divin, l’auditoire émerveillé vit la tête du prélat
couronnée d’une auréole de feu; et a l’élévation ses mains se couvrirent de perles. Son zèle ne se borna pas
seulement à son diocèse, il s’étendit jusque dans la Bourgogne et dans la deuxième Belgique. Il dissipa
l’incrédulité des gentils, détruisit les temples et fit bâtir des églises catholiques. Rien ne l’arrêtait, ni les fatigues,
ni les persécutions, et ce qu’il enseignait de vive voix, il le confirmait par des miracles. Ayant aperçu des
gaulois réunis sous un chêne séculaire qu’ils vénéraient encore, saint Martin les exhorta longtemps, et les pria
d’abattre cet arbre. Ils y consentirent; mais à la condition que l’évêque se mettrait dessous au moment de la
chute. Ce défi est accepté, aussitôt les cognées frappent les racines du chêne; il s’ébranle; il penche; il va tomber.
Mais le saint lève la main en formant un signe de croix; tout à coup l’arbre se redresse comme par ressort, et
tombe avec fracas du côté de la foule effrayée qui se convertit.
C
Sulpice-Sévère, saint Paulin l’inventeur des cloches, Saint Grégoire de Tours, Vénance Fortuné évêque
de Poitiers, saint Bernard, Pierre Damiens et Odon abbé de Cluny ont composé une foule d’ouvrages en prose ou
en vers sur la vie de saint Martin et ont évalué le nombre de ses miracles à plus de deux cents. Il commandait aux
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éléments, aux hommes, aux esprits, et ressuscitait les morts. Les princes, sur l’éclat de sa renommée, l’appelaient
à leurs cours; il s’y rendait pour solliciter auprès d’eux le pardon des criminels, la liberté des captifs, le retour
des exilés, le soulagement des veuves et des orphelins. L’espagnol Maxime, s’étant révolté contre l’empereur
Gratien, et devenu maître des Gaules à l’aide d’une armée de Bretons, ne crut pouvoir s’affermir sur le trône
qu’en faisant venir auprès de lui saint Martin; celui-ci alla le trouver à Trèves où il fut reçu avec les plus grands
honneurs.
L’impératrice elle-même le servit à table, et dans sa vénération pour le saint homme, elle alla jusqu’à
ramasser et manger ses miettes. Ce grand thaumaturge, dont la gloire alla toujours croissant, termina sa brillante
carrière à Tours, le onze novembre de l’année 402 sous l’empire des deux frères Arcadius et Hondius. Il avait
quatre-vingt-six ans et rendit son dernier soupir enveloppé d’une haire et couché sur la cendre. Son corps dit un
témoin oculaire, demeura longtemps beau, sa figure colorée et tous ses membres si blancs et si frais, qu’on eût
dit qu’ils commençaient déjà à participer à la gloire. Tout un peuple le pleura. Un de ses successeurs lui érigea
un superbe tombeau et une vaste basilique qui tiendront une place importante dans nos annales historiques.
Longtemps après, les rois Francs portaient en guerre la chape de saint Martin, la considérant comme une divine
égide. Cette précieuse relique tomba entre les mains des Caloinistes qui la brûlèrent. On fête ce saint le onze
novembre et le quatre juillet.
XII
L
orsqu’on vit en plein le XIX siècle, il est difficile de se faire une idée nette des peuples ignorants et
barbares du moyen âge. Cependant il y a de hauts enseignements dans cette époque où l’on voit la
civilisation païenne disparaître rapidement sous les coups multipliés des nations primitives, puisant dans
le christianisme les éléments de la vie sociale. Notre but n’est pas de nous élever à ces hautes
considérations. Après avoir, pour ainsi dire localisé les temps gallo-romains, nous allons, empêché que nous
sommes, consigner purement et simplement les faits, sauf à y revenir plus tard si le temps et notre position le
permettent.
Ephémérides.
• 3ème siècle: Saint Gratien, enterré dans le canton de Villers Bocage plante l’avelinier (sorte de noisetier)
dans ces contrées.
• 407 à 410 - les Vandales et en -431- les Huns ravagent le pays.
• 446 à 470 - Les Francs s’en rendent maîtres et consolident leur domination. Ces jours commencent la gloire
d’Orville. Le troisième chef des Francs Merewig (Mérovée) proclamé roi à Amiens en occupa le
CHATEAU. C’est ainsi que Hlodio (Hlodion) son prédécesseur, repoussé des rives de la Somme par les
armes d’Aétius, général romain, alla occuper sur la Scarpe, le CHATEAU de Vitry. Sous les successeurs de
ces princes, ces deux forteresses devinrent des habitations royales transitoires; car nos premiers rois, toujours
sous les armes, pour acquérir ou pour défendre le territoire qu’ils venaient d’envahir, n’eurent point de
demeures fixes. Ils eurent leurs villas à la manière des Romains qu’ils avaient vaincus et partagèrent leur
résidence entre ces diverses maisons de plaisance. On compta près de cent soixante villas ou maisons royales
dans toute l’étendue du royaume. Elles étaient situées le plus souvent dans les villes les plus considérables
d’un domaine particulier. Le CHATEAU d’Orville a donc été pendant la période Franque le théâtre
d’événements dont à juste titre nous regrettons de ne pas posséder l’histoire. Il n’est pas probable que les
Mérovingiens n’y soient venus que pour se livrer exclusivement aux plaisirs de la chasse, sans doute la forêt
alors remplie de daims, de sangliers et d’autres fauves inconnus aujourd’hui à nos climats a dû naturellement
les y attirer; ils ont pu y satisfaire largement leur amour excessif pour ces sortes de jeux et de plaisirs. Mais
nous ne pouvons nous décider à croire que le CHATEAU d’Orville devenu en quelque sorte le berceau de la
monarchie n’ait pas mérité leur préférence marquée.
• 678, le vingt six septembre, Saint Léger, évêque d’Autun, fut tiré du monastère de Fécamps (Seine
inférieure) et conduit au CHATEAU d’Orville. Le lendemain à l’aube du jour les quatre émissaires d’Ebroï
le menèrent au comte Chrodobert dans sa ville de Lucovium (Lucheux). Ce margrave avait reçu l’ordre
scellé de Thirry III de faire mourir ce noble personnage; il hésita quelques jours, mais enfin, il obéit; les
quatre émissaires l’emmenèrent à l’extrémité de la forêt (Loca-ignota); trois de ces misérables, touchés de
l’état malheureux de l’évêque, dont les yeux étaient crevés, dont la langue et les lèvres étaient coupées,
l’abandonnèrent à son sort, quand le dernier, n’écoutant que sa cruauté s’écria: « Sus saint Léger! » et il lui
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document ne pouvant être vendu. GL.
trancha la tête de son épée, en proie au remords, il alla se précipiter dans un grand feu de bûcheron où il
périt. Le corps du martyr fut inhumé provisoirement aux sources de l’Authie dans un endroit défriché, appelé
pour cela même Sercin, et qui depuis lors est connu sous le nom de Saint Léger les Authie.
• 752, La famille d’Héristal venait de triompher à la race de Mérovée dans la personne de Pépin le Bref. Ce
roi, Berthe son épouse, et leur fille Hergue affectionneront le séjour d’Orville qui leur servit de demeure
concurremment avec le CHATEAU, dit la salle, à Aire. A ce titre, Orville ne pourrait-il pas revendiquer, lui
aussi, la gloire si disputée d’avoir donné naissance au plus grand génie politique et militaire du moyen âge;
Charlemagne. Quelques historiens l’on fait naître à Ingelheim, d’autres à Saltsbourg, mais la critique
moderne est loin d’admettre cette assertion gratuite. Que d’autres, plus savant, résolvent ce problème
historique s’il peut être résolu. Ce qu’il y a de certain, c’est que plusieurs enfants de Pépin, principalement
des filles, furent élevées au CHATEAU d’Orville; c’est ce que le savant Alcuin, précepteur du maître de
l’Europe, cet autre génie que ressuscita pour un jour la littérature antique a médité sur les rives de l’Authie;
c’est que Charlemagne y a rêvé ses conquêtes, et qu’Empereur il y a signé entre autres acte la charte en
faveur d’Adou ou Albon, abbé de Corbie. Le fameux Rutland (Roland) son neveu, l’accompagnait, alors
qu’il faisait construire un CHATEAU non loin de Centule « Maison Roland ».
XIII
e capitulaire de 800, de Villis, et le titre 19 du deuxième de l’année 813, nous ont transmis des détails
circonstanciés sur les résidences de nos premiers monarques.
Autour de la demeure du prince étaient disposés les logements de ses serviteurs et ceux des
Leudes de tout rang entrés dans sa trute, c’est à dire dans son vasselage, dans sa maison militaire. Audelà se groupaient, outre les écuries, les bergeries, les granges, etc... Des maisons ou des cabanes occupées par
des familles de condition servile exerçant pour le compte du roi toute espèce de métiers. Cette nombreuse
famille de Serfs formait comme un bourg ou village. Les uns travaillaient aux champs; les autres aux bois; ceuxci au moulin; ceux là à la pêche; d’autres enfin aux ouvrages utiles, au ménage de la campagne. Il y avait des
haras, des troupeaux de gros et menu bétail qu’on faisait pâturer dans les forêts, des fonderies, des tanneries, des
viviers, des boutiques d’orfèvres, des ateliers de taillandiers, de fourbisseurs, de charrons, d’autres qui façonnent
la cire, le suif, le miel et le beurre. La direction était confiée à un intendant qui avait le droit d’inspection sur
tous les ouvriers; il était obligé de tenir un registre et de rendre compte de sa gestion au roi lui-même tous les ans
sur la fin de carême.
L’intendant, en l’absence du roi, faisait vendre les denrées, tenait audience fréquemment, devait rendre
bonne justice et maintenir la paix parmi les habitants dont la plupart étaient des Gaulois; quelques uns étaient
affranchis; d’autres, ainsi que les familles saxonnes que Charlemagne avait répandues dans toutes ses villae,
étaient serfs, attachés au fix « fiscalini ». On les appelait lètes, c’est à dire petits.
L
Le capitulaire des Villis-fixi dit encore:
Les intendants du domaine sont tenus d’emmener au palais où Charlemagne se trouvera, le jour de la
saint Martin d’hiver, tous les poulains de quelque âge qu’ils soient, afin que l’Empereur, après avoir entendu la
messe, les passe en revue. On doit au moins élever dans les basses-cours cent poules et trente oies. Il y aura
toujours des moutons et des cochons gras pour être conduits, si besoin est, au palais. Les intendants feront saler
le lard, ils veilleront à la confection des cervelas, des andouilles, du vinaigre, du sirop et même de la moutarde,
du fromage, de la bière et de l’hydromel. Il faut, pour la dignité des maisons royales qu’on y élève des laies, des
paons, des faisans, des sarcelles, des pigeons, des perdrix et des tourterelles; Les colons des Villae fourniront
aux manufactures de l’Empereur du lin et de la laine, du pastel, de la garance, du vermillon, des instruments à
corder, de l’huile et du savon. Il est ordonné, par les articles 59 et 65 de vendre au marché au profit de
l’Empereur, les oeufs surabondants et les poissons des viviers. (Les viviers d’Orville n’existent plus: Ce sont
aujourd’hui des jardins et des pâturages).
Dans les maisons royales, il devra se trouver les ustensiles d’ont on aura besoin pour l’armée, et lorsque
l’on reviendra de la campagne, on devra les remettre au magasin. Les chariots seront tenus en bon état; les
litières doivent êtres couvertes de bon cuir, et si bien cousus, qu’on puisse s’en servir au besoin comme de
bateau pour passer la rivière.
On cultivera dans les jardins de l’Empereur et de l’Impératrice toutes sortes de plantes; de légumes et
de fleurs; des roses, du baume, de la sauge, des concombres, des haricots, de la laitue, du cresson alénois, de la
menthe romaine ordinaire et sauvage, de l’herbe aux chats, des choux, des oignons, de l’ail et du cerfeuil.
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document ne pouvant être vendu. GL.
XIV
D
om Grenier, de Corbie, de ce diplomatica, dit que Léger, abbé de Corbie, le même qui assistait au
concile d’Altigny en 765, étant décédé, Hadon lui succéda sous Charlemagne en 769.
Ce monarque se trouvait alors à Audriaca-Villa (Orville), Hadon s’y transporta et y demanda la
confirmation des titres de son abbaye qu’il présenta. Vérification faite, il fut reconnu que tous les biens
indépendants étaient exempts de la juridiction des officiers royaux aussi bien que de toutes les charges
publiques, et ces privilèges furent confirmés par une déclaration datée en ces termes; XVII Hal. apr. curno I cum
regnare cépit Actum in Audriaca-villa (Orville) in dei nomine féliciter.
Eginhard, écrivain de cette époque, nous apprend que Louis - Auguste surnommé le Débonnaire y
prenait fréquemment les divertissements de la chasse, avec plusieurs membres de la famille impériale. (52ème
épître). Hludovicum et Hlotarium Augustum cum conjuge. Louis et son fils Lothaire associe à l’empire, lequel
était venu avec son épouse.
Mais ce fut surtout sous le règne suivant, c’est à dire sous celui de Charles le Chauve qu’Orville devint
fréquemment la résidence du monarque français. Les annales de saint Bertin « Ann-Bert, Res. Franc. Script »
nous apprennent que cet empereur vint y chasser notamment au mois de septembre de l’année 865; pendant tout
l’automne de 867; pendant le mois de septembre de l’an 871, aussi bien qu’au mois de novembre 873.
L’itinéraire que Charles le Chauve tint un jour pour y arriver se trouve même nous avoir été conservé,
car Du Cange d’Amiens, nous l’a transmis en ces termes à l’Empereur résolut alors (873) de prendre le plaisir de
la chasse dans l’un de ses palais de plaisance. Enfin Charles le Chauve aimait à tel point ce séjour, la chasse
avait pour lui tant d’attraits, il en été à tel point jaloux, qu’en 877, se disposant à passer avec une armée en Italie,
et ayant, déclaré dans la diète de Kiersy son fils régent en son absence, il lui dit, par le capitulaire qui nous a
transmis la connaissance de ce fait. (Ut in Audriaca-villa porcos non auipiat et non ibi cacier « vénétur » nisi in
transeundo). C’est à dire qu’il devait rendre la forêt d’Orville décente et giboyeuse, et qu’il ne devait pas y
chasser sinon en passant (Caroli-calvi-capitulaire. sirrnund) Ce qu’il y a de plus singulier, c’est que Louis le
Bègue n’eut rien de plus pressé que de contrevenir à la défense paternelle et qu’il se trouvait à Orville, lorsqu’il
reçut la nouvelle de son père empoisonné en franchissant les Alpes. C’est ce que nous apprennent les annales de
saint Bertin dans les termes que voici: (Ludovicus accépte nuncio in Audriaca-Villa de morte patris sui caroli.
ites agens per Carisiacum et Compendium usque advernum ad sépultauram patris sui, apud Monartérium Sancti
Dyonesü pervenit).
Doublet fait aussi mention de cette circonstance dans son histoire de saint Denis où Louis le Bègue fut couronné.
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XV
ierre Bertius à qui l’on doit une carte de l’empire de Charlemagne, place le palais d’Audria-ca-Villa vers
la source de la rivière l’Authie. Le père Sirmond qui a publié en 1623 ses commentaires sur les
capitulaires de Charles Le Chauve adopte l’opinion de Bertius et dit qu’Audriaca-Villa est placé entre
Amiens et Arras. Il est encore parlé de ce lieu dans quelques patentes de Dagobert et de Charlemagne,
expédiées dans le monastère de saint Denis et qui le nomment Odriacum et Hodricium.
En 1709, parût le diplomatique de Mabillon, contenant dans son quatrième livre le traité des anciens
palais de nos rois, dont l’auteur, alors anonyme, est comme on le sait Dom Michel Germain.
Cet auteur dit: (Odréa-Villa « quam cum adjente sylva cognomine, Orreville étiam num vocant » posita
est ad dextram Alteriae ripam acqualiduorium millium spacio média inter Douencum sece Dulendium ad
occidentem et Altéiam vicum vérius Orientem). Odriaca-Villa, aujourd’hui Orville, simple village près d’une
forêt de ce nom, sur la rive droite de l’Authie se trouve à peu près également, à une distance de 2000 pas, entre
Doullens et le village d’Authie. L’auteur qui, après Dom Michel Germain, a traduit le nom d’Audriaca-Villa par
Orville, est l’abbé Vily, qui, dans son histoire de France, tome 2, rappelant le fait rapporté par les analites de
saint Bertin, dit textuellement que Louis II surnommé Le Bègue était à Orville, maison de plaisance entre
Amiens et Arras, lorsqu’il apprit la mort de l’Empereur Charles, son père, et qu’il se rendit aussitôt à Compiègne
où il convoqua les évêques et les seigneurs, puis se fit reconnaître roi. Le père Daire, d’Amiens, ayant publié en
1784 une histoire particulière du doyenné de Doullens, dont Orville avait fait partie, s’exprima sur ce livre ainsi
qu’il suit: « Orville, Odreïa, Odriaca-Villa, Orvilla, Ortevilla et Auréa-Villa, à la droite de la rivière d’Authie. Il
existait sous les Mérovingiens, et était bien connu sous Charlemagne, qui y signa, entr’autres actes, une charte en
faveur d’Adon, abbé de Corbie. Nos rois y eurent une maison royale, et ils avaient raison de s’y plaire. En effet
le sol en est bon, les terres fertiles, et les vues sont très belles. Un pont construit sur l’Authie ouvrait la
campagne sur la gauche et la forêt, alors pleine de gibier, fournissait des plaisirs qu’il n’était pas aisé de se
trouver ailleurs, Wastelain et les Bollandiste s’expriment dans le même sens. Enfin Dom Grenier, dont le plan,
comme on le sait, était de donner l’histoire de la Picardie au moyen de notices sur chaque ville, bourg, village et
hameau de cette contrée; avait réuni de nombreux matériaux sur Orville, et avait adopté l’opinion de Bertius, de
Sirmond, des Bollandistes, de Wastelain, de Dom Michel Germain, de Vely et du père Daire.
Le père Sirmond écrit qu’en 867, Charles le Chauve, célébra la fête de Noël dans l’abbaye de saint
Vaast d’Arras. Or tout l’espace compris entre Amiens et Arras était presque entièrement couvert de bois. On
trouvait en effet les forêts de Vicogne, de Belen, d’Archianie de Baisieux où le roi Carloman fut tué (885), de
Lucheux et d’Orville, forêts qui des bords de la Somme et de l’Authie, s’étendaient jusqu’à la Sambre par celle
d’Arrouaise nommée Arrida-Garnantia dans les actes de saint Hildemar et se prolongeaient jusqu’à Bapaume.
Ces forêts faisaient originairement partie du domaine de nos rois et comme telles étaient des propriétés dites
fiscales.
Plusieurs villas furent établies dans la vaste étendue boisée que nous venons de décrire et notamment au
milieu de la forêt de Baisieux, Basin-villa, sur laquelle Dom Michel Germain nous a donné une notice fort
intéressante sous le numéro 12 du quatrième livre de la diplomatique de Mabillon. C’est là qu’Ebroïu a enlevé le
trésor royal à Leudésie autre maison du palais de Thierry III. Une autre villa fut construite entre les forêts de
Belen et d’Archianie, au confluent de l’Ancre et de la Somme, désignée sous le nom de Corbie. Elle devint plus
tard la riche abbaye de Corbie. Enfin une troisième villa est placée au point de conjonction des forêts de Vicogne
et de Lucheux, qui n’étaient séparées que par la rivière d’Authie et qui communique à celle d’une étendue
considérable connue sous le nom d’Arrida-Garmantia. Cette troisième villa régia si avantageusement placée pour
la chasse reçut les noms d’Ordrïa-Ordiaca-Audriacavilla, Orevilla, Ouréavilla, aujourd’hui Orville, situé à
l’extrême frontière du département de la Somme et du Pas de Calais, connu autrefois à celle de l’Artois et de la
Picardie. Cette position limitative se réfère encore aux bornes des diocèses d’Amiens et d’Arras. Or l’on sait que
Constantin composa originairement chaque diocèse en Gaule du territoire appartenant à chaque cité,
circonscription qui fut répétée par Clovis; de telle façon que les bornes actuelles du département de la Somme et
du Pas de Calais, de même que celles des diocèses d’Arras et d’Amiens sont exactement les mêmes que celles
des cités des Atrébates et des Ambiens, ce qui fait remonter à une époque qui se perd dans la nuit des temps la
propriété de limite qu’Orville possède encore aujourd’hui.
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XVI
es Normands, depuis longtemps, désolaient tout le littoral. Un essaim de ces pirates occupait l’île
d’Oissel près de Paris; une autre troupe avait remonté la Somme, pillé Amiens et répandu la terreur dans
les environs de cette ville. Charles le Chauve s’était enseveli au CHATEAU d’Orville qu’il avait mis à
l’abri d’un coup de main. De là, croyant détruire les Normands par les Normands eux-mêmes, il offrit à
ceux de la Somme 3 000 livres pesant d’argent pour chasser ceux de la Seine. L’arrangement fut convenu, la
somme fournie; mais Wéland, chef de ces bandes n’exécuta pas sa promesse.
Quelques temps après, Charles-le Chauve acheva de se déshonorer par un traité plus honteux encore
(866). A cette époque, Orville était dans toute sa splendeur. Le trop plein de sa population avait fourni comme
une seconde bourgade à côté de la première. De là l’origine d’Amplier (Ampliatus-Amplie, augmenté.). Il est
repris sous le nom d’Ampleias dans le diplôme de Charles le Chauve de 877 qui assigna deux manoirs sur ce
village à l’abbaye de Marchiennes. On appelait alors Orville Auréa-villa, palais doré; est-ce à cause des dorures
ou autres richesses établies qui embellissaient ce séjour favori des rois? Ou est-ce à cause de trésors que Charles
le Chauve livra aux Normands. Auréa-Villa! Est-ce un éloge ou une ironie? C’est ce que nous essayeront
d’expliquer plus tard. Orville va bientôt cesser d’être une maison royale. La France, dévastée par les guerres
civiles que les enfants de Louis le Débonnaire s’étaient faîtes entr’eux, était devenue entièrement à la merci des
Normands. Les seigneurs français, obligés de se défendre, chacun sur son territoire, s’y fortifièrent, s’y créèrent
ainsi une existence indépendante grâce à l’affaiblissement de la puissance royale. Ainsi naquit la féodalité.
Charles le Chauve en avait consacré le principe au traité de Kiersy-sur-Oise, en autorisant sous certaines
conditions la transmission des domaines et charges accordés aux seigneurs. Louis le Bègue, pour les apaiser
encore, eut recours aux largesses; il démembra ce qui restait de ses villae, et fit une nouvelle création fort
nombreuses de (Ducs, Comtes, Vicomtes, Barons et Chevaliers).
Quand l’obligation du service militaire était personnelle aux seigneurs, plusieurs de leurs terres étaient
franchis de toute redevance.
Ils purent ainsi les posséder en Allod (Halloy), c’est-à-dire en toute propriété. D’autres terres furent
données à titre de feh-ods, bénéfices ou fiefs (le fié de Caumesnil). Les devoirs de vasselage furent attachés à la
possession du fief; la terre et non l’homme, relevait d’un fief supérieur. Celui qui recevait un fief était le Leude,
le vassal ou le convive du donateur. Ces donations viagères d’abord, devinrent héréditaires, mais soumises à
certaines charges. Halloy et Caumesnil ont été détachés du domaine royal d’Orville, le premier comme Francalleu, et le deuxième comme fief jusqu’à ce qu’Orville lui-même abandonné des rois, devint une terre inféodée à
son tour.
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XVII
es Normands reparaissent de nouveau, après avoir remonté dans leurs barques le cours de l’Escaut, de
l’Authie et de la Somme. De 881 à 883, ils parcourent toute la contrée ne laissant après eux que des
ruines et des monceaux de cendres. Auxi-le-Château et Doullens sont saccagés, les habitants de Naours
se cachent dans des souterrains. Garamond, chef Normand, est tué à la bataille de Saucourt, et enterré à
Vignacourt (881). Les malheureux qui ne purent ni fuir, ni se cacher dans des retraites souterraines, furent
traînés en esclavage et vendus sur les confins de la Germanie. Louis de Neustrie frère de Carloman, et troisième
du nom, les joignit pourtant près d’Abbeville et leur tua neuf mille hommes, avec le secours d’Eudes, fils de
Robert le Fort. Il se rompit les entrailles à force de frapper sur les ennemis et ne survécut que trois mois à son
triomphe (882).
En 891, ils passent l’hiver à Amiens, Orville quoique fortifié par Charles le Chauve, a t’il toujours pu
résister à leurs attaques multipliées, alors que tout le pays était à eux? C’est ce que nous n’osons croire. Ce qui
nous confirme dans cette idée, c’est qu’à partir de cette époque, il n’est plus jamais parlé de ce livre comme
résidence royale; probablement, ainsi que l’observe Dom Grenier dans sa topographie de Picardie « Parce que
les Normands s’en emparèrent et les détruisirent, comme tous les lieux environnants en 881. Le père Sirmonds
pense qu’Orville est tombé ou sous les coups des Normands, ou sous la faux du temps; (Hic locus Danorum
strage vel temporum injuria Delctus).
Nous admettrons, nous que les Normands se sont emparés d’Orville; mais nous croyons qu’ils y ont
établi une retraite temporaire, comme ils avaient fait à Famechon (Canton de Poix-Somme), et qu’ils ne l’on pas
détruit, pas plus que les injures du temps, car 37 ans après ces événements, Orville était encore regardé comme
une des sept grandes châtelleries du nouveau comté de saint Pôl. En effet, en 918, la ville de Saint-Pol fut érigée
en comté arrière fief de Flandre, en faveur d’Adolphe, petit fils de Beaudouin Bras de Fer, et frère d’Arnould le
Grand, comte de Flandre, Orville tomba au nombre des cent vingt huit villages à clocher compris dans la
description du nouveau comté. Il fut érigé en seigneurie, Baronnie, prairie et châtellerie avec le titre de ville,
honneur qu’il partagea avec Pas, Frévent, Lisbourg, Pernes, Saint Pôl et Erny-Saint-Julien. C’est ainsi qu’il fut
soumis successivement ou comme mouvance, ou comme propriété, aux différentes maisons qui se succédèrent
dans la possession de Saint Pôl, d’abord à la famille des Campdavaine ensuite aux comtes de Chatillon, de
Luxembourg, de Bourbon, de Nemours, et enfin à la maison princière d’Epinoy (Harbaville).
Dès lors, il n’est plus question d’Orville qu’à de rares intervalles. (Jam, pridem, Odreia-Villa
prévatorum déflescit in manus, et ad cornitem sancti Pauli nobilissimun pertinet) «AnnalesBertioniani »
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XVIII
E
n 1050, Roger II, comte de Saint Pôl, avait fondé, au CHATEAU de cette ville, pour douze chanoines,
une collégiale du titre de Saint Sauveur. La dotation comprenait particulièrement dans la paroisse de
Saint Paul, deux parts de dîme, douze manses au CHATEAU, Amplier, Caumesnil, l’autel d’Orville, des
fours, une brasserie, et trois quartes. (Très quarterias) de cervoise dues par chacune des brasseries de la
ville.
En 1096, les prédications de Pierre l’Hermite moine picard, ont ébranlé la chrétienté: Il faut voler à la terre
sainte pour affranchir de la profanation des infidèles le tombeau du sauveur des hommes. Dans ce siècle de foi
vive et ardente, il suffit d’un appel. Comtes, Chevaliers, peuple y répond par ce cri: (Diex il volt! Dieu le veut!)
et prennent à l’envi la croix rouge. Le comte d’Ostrevent convoqua un tournoi pour célébrer l’établissement de
l’abbaye d’Anchin. Trois cents cavaliers d’Artois, d’Ostrevent, du Cambrésis et du Hainault, viennent prendre
part à ces jeux guerriers. Ernold, châtelain d’Orville et Régnier de Sarton, s’y distinguent. Avant de se séparer,
tous font voeu de se croiser et ne quittent l’île d’Anchin, qu’après avoir donné à la naissante fondation des
marques de leur libéralité. Le quinze août 1096, le grand Godefroy de bouillon passe la revue des croisés. Ernold
était au milieu de ses compagnons de gloire et de danger en compagnie du fameux Dudon de Contz, immortalisé
par le Tasse, d’Hugues de Saint Pol et de son fils Engebran, de Gauthier, de Saint Valery et de Roger de
Bernaville.
De 1150 à 1171, en 1173, 1175 et 1177, on voit figurer, parmi les bienfaiteurs de l’abbaye de Saint
Jean d’Amiens, Robert de Horrevilla, Baudouin de Horrevilla, Hugues d’Orrevilla et Baudouin Tacou
d’Orrevilla, ainsi qu’il résulte des chartes que l’on trouve dans le cartulaire de cette abbaye. (Dom Grenier).
En 1175 par une bulle datée du 7.kal.aug. Le pape Alexandre III confirma la donation faite par Roger II de
l’autel d’Orville à la collégiale de Saint Pol (Turpin).
En 1187, la seigneurie d’Orville possédée par un Anselm qui traita avec l’abbé d’Anchin pour les dîmes au
territoire de la Vicogne (Dom Grenier).
En 1191, Ernold, descendant du croisé, accorda à la collégiale de Saint Pol une part des dîmes qui lui
revenaient de sa châtellerie d’Orville (Harbaville). Plus tard, le chapitre d’Amiens reçut de Gertrude, femme du
sire Hugues d’Aubigny, seigneur d’Orville, deux nuids de blé à prendre sur le moulin
(D. Daire. Dom Grenier).
Au XIII ème siècle, la tradition populaire dit que les templiers occupèrent une maison forte à Amplier
(Emplacement de l’église). Le CHATEAU de Caumesnil (les murailles), un manoir à Famechon (le temple) un
autre à Doullens (rue des Maizeaux).
En 1192, Wallon de Sarton et chanoine de Picquigny, rapporte de l’Orient le chef de Saint jean Baptiste
et le remet à Monseigneur Richard de Gerberoy, évêque d’Amiens. Cette relique a toujours été exposée depuis,
dans la cathédrale, à la vénération des fidèles.
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XIX
es seigneurs d’Orville étaient au nombre des pairs du comté de Saint Pol. Pendant quarante jours par an,
chacun des pairs était tenu de faire le service au CHATEAU du comté. Ils devaient y amener leurs
épouses, seulement quand la comtesse était présente. Le comte était obligé de traiter les pairs le jour de
leur arrivée et le dernier jour de leur service. Ils vivaient à leur frais le reste de leur séjour. Durant toute
l’année où ils avaient fait le service, les pairs avaient le droit de chasse dans les forêts et les garennes du comte,
ainsi que le droit de prendre dans les forêts le bois qui leur était nécessaire. Les pairs devaient défendre au
besoin le comte pendant quarante jours par an et à leurs dépens. Les comtes investissaient du fief l’homme
d’armes dévoué à leur service. Ils lui livraient la terre inféodée en le conduisant sur les lieux et en lui présentant
quelques produits symboliques (investitura). En revanche, le vassal devait se mettre à genoux, les deux mains
entre celles du suzerain qui lui inféodait la terre, et, tête nue, lui promettre comme guerrier et sur son honneur
qu’il voulait être son homme, c’est à dire employer son bras et ses armes à son service (hominium); le même
engagement était répété par serment avec des cérémonies religieuses, pour que cette foi liât la conscience,
comme l’hommage avait lié l’honneur (fidélia). Le régime féodal fut une déviation du principe monarchique. Les
comtes de Saint Pol étaient de véritables rois; leur petite cour offrait l’image de ce qu’était la cour des rois et des
empereurs; ils réunissaient autour d’eux leurs officiers et leurs vassaux; ils eurent des sénéchaux, des
chanceliers, des plaids, des parlements composés de douze pairs pour rendre la justice; ils exercèrent le droit de
paix et de guerre; firent des conquêtes, conclurent des traités, imposèrent des taxes à leurs sujets et battirent
monnaie.
Tous leurs manoirs furent crénelés et fortifiés, chaque propriétaire fut à la fois vassal et seigneur; vassal
à l’égard des comtes, suzerain à l’égard de l’arrière-vassal ou vavasseur; la dépendance et al tyrannie allaient de
compagnie avec l’ignorance et l’arbitraire, de sorte que le peuple, courbé sous la servitude, était fort malheureux.
Les ecclésiastiques et les nobles étaient les seuls qui possédassent mes richesses et la liberté; les abbés
qui avaient été dotés de terres fiscales, changées en fiefs, avaient subi la transformation universelle, et étaient
devenus de véritables seigneurs faisant la guerre et marchant à la tête de leurs armées. L’abbaye de Corbie avait
une cour et un parlement formés de douze pairs; les abbayes de Saint Vaast, d’Arras et de Cercamps étaient fort
riches; celle de Saint Riquier possédait dans les cent cinquante mille manses; et la manse était un fond de terre
dont un colon ne pouvait nourrir avec sa famille et payer le cens au propriétaire; tous ces biens, étant de
mainmorte ne pouvait jamais s’augmenter.
Les citoyens qui formaient le reste de la nation étaient serfs; les uns, tels que les esclaves fait à la
guerre, faisaient partie du fond sur lequel ils vivaient et étaient vendus avec lui; les autres n’avaient guère plus de
liberté; ils ne pouvaient pas disposer d’eux mêmes, se marier hors de la terre de leur seigneur, ni en sortir sans
permission. Les femmes, elles, étaient esclaves des esclaves; telle était la puissance de leur mari, que la coutume
les autorisait à battre leurs épouses à loisir; il leur était recommandé seulement de ne pas les tuer ou estropier ou
mutiler.
Cette malheureuse époque se distingue par les cruautés, les meurtres et les brigandages.
Quoique les seigneurs fussent obligés de protéger la sûreté des voyageurs en faisant garder les chemins
du soleil levant au soleil couchant, malgré la trêve de Dieu, la sévérité de Baudouin à la hache, comte des
Flandres (1111) la condamnation de Robert II comte d’Artois (en 1287), les soins de l’abbé Suger avec
l’impartiale de Saint Louis, les routes étaient dangereuses; les marchands y étaient détroussés ou rançonnés
(Vallée Rançon).
Les seigneurs avaient leur justice servie par un bailli, et des hommes de fiefs comme accesseurs. Leurs
jugements ressortissaient par appel à la justice des comtes et des rois.
Outre les plaids ordinaires, des francs plaids ou franques vérités se tenaient trois ou quatre fois par an.
Là sous l’ormel, ou sur les biaux-monts, en plein air, et même quelquefois à la clarté des étoiles, s’ouvraient ces
assises où chaque habitant semoncé à comparoir, était tenu, dire ce qu’il savait des délits commis et manoirs. Le
jour de ces franches vérités était singulièrement redouté des maraudeurs qui recevaient leurs châtiments; séance
tenante. Les seigneurs veillaient à l’exécution de leurs jugements, assis sur une espèce d’échafaudage appelé
hourd (le hour) d’où est venu le mot hourdage.
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e 1383 à 1477, Orville tomba par mariage dans la seconde maison de Bourgogne, ainsi que le comté de
Saint Pol et l’Artois. Après la mort de Charles le téméraire, Louis XI le fit rentrer pendant quinze ans
sous la domination française. L'Archiduc Maximilien le remit sous son obéissance en 1492, et les
princes de la maison d’Autriche (Espagnols) le gardèrent jusqu’à la paix des Pyrénées (1659). Au
moyen âge, les maladies contagieuses étaient en quelque sorte endémique, alors que les populations étaient
entassées dans des maisons basses, exiguës, bordant des rues sales, étroites et tortueuses, où l’air circulait
difficilement. L’absence d’une bonne police laissait les caufours obstrués par des amas d’immondices, des
flaques boueuses, véritables cloaques où les miasmes d’élétéres se conservaient. La seule chose à laquelle on eut
pourvu, étaient la séquestration des ladres, qui avaient contracté la lèpre d’Orient; on avait relégué ces
malheureux dans des établissements ou hôpitaux nommés maladreries, situés hors des villes et des villages. (A
Doullens rue Saint Ladre, 1170; au nord de Thièvres hameau Saint Ladre; à l’extrémité septentrionale du terroir
d’Orville, vers Hurtebise, la maladrerie dont on voit encore les vestiges). Au XIV ème siècle, les Mézeaux ou
ladres blancs, dont l’aspect était moins repoussant et le contact moins dangereux pouvaient circuler en annonçant
toutefois leur présence par le son d’une crécelle. Ces établissements étaient libéralement dotés en fonds de terre
et en rentes, et rien n’était négligé pour en assurer le service et la surveillance. Les revenus affectés à la
Maladrerie par les habitants d’Orville ne cessèrent que quelque temps avant la révolution de 1789.
Dans le XIII et le XIV ème siècle, les libertés bourgeoises prirent naissance par le libéral octroi des
rois, des comtes et des seigneurs. De 1100 à 1300 quelques communes avaient pu se constituer par concession et
ceux qui en avaient octroyé les chartes paraissaient avoir obéi à une des nécessités de l’époque. Montreuil
s’établit en commune à la suite d’une insurrection populaire (1188). Wavans parvient à se libérer en achetant sa
charte et Doullens obtint la sienne en 1202. Les croisades avaient ouvert la voie; il fallait de l’argent aux rois et
aux seigneurs pour faire ces guerres lointaines; l’élan est donné de toute part, et chaque commune obtient son
affranchissement moyennant redevance. Les chartes de cette époque sont toutes revêtues d’un caractère
d’institution de paix. Différentes quelquefois, mais uniformes sur les points les plus importants, toutes abolissent
la servitude personnelle, et changent les taxes arbitraires en prestations déterminées; toutes autorisent les
officiers municipaux à faire prendre les armes aux habitants chaque fois qu’ils le jugent nécessaire pour défendre
le royaume.
Mayeur vient de l’anglais Mayor ou du latin Major, plus élevé. Ce mot se trouve ridiculisé de nos jours
par l’appellation vulgaire de Mayeux. Le Mayeur fut d’abord nommé par élection. Divers honneurs et privilèges
étaient attachés à ce titre. Il allait à la guerre aux frais de la commune; il était exempt de taille et de logement, il
avait en sa garde les clefs du beffroi, les bannières, et les poids et mesures. Des charbonniers étaient obligés
(vallée charbonnière) d’allumer un feu vis à vis de sa demeure la nuit de la Saint Jean (Ces feux ont existé à
Orville, jusqu’à la nuit de Saint Jean 183?) et lui offrir un chapeau de fleurs.
Les vielles palissades et les meubles publics hors de service lui revenaient de droit. Les noms de deux Mayeurs
d’Orville sont seuls parvenus jusqu’à nous: Jean de Rigauville apparaît sous ce titre dans les registres de la
fabrique à la date de 1500, et Pierre Choquet, deux ans plus tard. Pour être échevin, il fallait être ancien
marchant, avoir pignon sur rue dépendant l’échevinage et ne relevant d’aucune autre juridiction. Ces magistrats
avaient le droit exclusif de porter un coutel à leur ceinture; la commune leur donnait des robes et payait le vin
des noces de leurs filles.
Un homme de loi, nommé Conseiller pensionnaire était attaché à l’échevinage, il recevait annuellement
cinquante livres de gages. Les autres officiers de la commune étaient le procureur, l’argentier et le clerc. Orville
obtint, avec sa charte de commune, l’institution d’un échevinage pour sa police.
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1356 - Les Sartonnais revendiquent la légende d’un seigneur de Créqui, fait prisonnier des anglais à la
funeste bataille de Poitiers. Il fut conduit à Londres avec son roi et y resta sept ans dans les fers. Sa dame, le
croyant mort, était sur le point de convoler à de secondes noces, quand son mari se présenta à la porte du
CHATEAU. Il était presque nu. Ses longs cheveux grisonnants, sa barbe démesurément poussée et sa haute
taille, toute courbée sur un bourdon, le firent méconnaître même de ses plus vieux serviteurs. Il ne fut reconnu
par sa femme que lorsqu’il lui eut montré la moitié d’un anneau qu’il avait rompu avec elle, la veille de son
départ.
Elle ne se rendit qu’à cette preuve qu’elle avait exigée, et le prétendant qui lui offrait la main pour la
conduire à l’église, fut respectueusement congédié. Une mule, favorite de son maître, fut la seule qui le reconnut
immédiatement. Elle manifesta sa joie de le revoir, par des bonds et des hennissements. Le nouvel Ulysse la
monta aussitôt pour visiter ses domaines, et la crédulité populaire veut voir encore aujourd’hui, dans une marque
informe laissée sur une borne de grès, appelée (borne ferrée), l’empreinte du fer de cette mule. Cette borne est
aux confins sud-est du terroir d’Orville.
Les fiefs dépendants d’Orville étaient, Caumesnil, le pré qui est à Orville, Halloy, Lecourt, la Corgue,
Fontesnecourt, Amplier, Clauvais, Terramesnil, du Crocq et la Motte d’Amplier, Pierregôt, Glisy, les Catty, la
Rue, Thiroult, Rogeron, et quelques autres lieux ou cantons inconnus.
Il est démontré qu’il fut un temps où la vallée d’Authie était couverte d’eau poissonneuse depuis Orville
jusqu’à Doullens, de même que celle de la Somme l’est encore aujourd’hui depuis Fervac jusqu’à Péronne.
« La pêcherie d’Orville ». Entre le CHATEAU et la rivière, c’est à dire dans le pré de M. Louis
Lavillette et dans celui de M. Thuillier-Brunet, était un étang, où les seigneurs élevaient du poisson. Les
seigneurs de Sarton avaient suivi cet exemple, et les vieillards d’aujourd’hui se rappellent parfaitement l’étang
de M. De Beauval, près du CHATEAU de Sarton.
En 1500, il est parlé, dans les comptes de la fabrique des fossés de la ville; Orville était environné de
murailles. Dom Grenier, qui écrivait dans le XVIIIème siècle ajoute: Au-dessus de ce lieu, on voit encore une
hauteur entourée de fossés à demi comblés, où était aussi, à ce qu’il paraît, un fort CHATEAU (Le CHATEAU
de Caumesnil). Le père Daire, qui vivait en 1713, dit aussi: Ce village où était construit le palais de nos
monarques; compte 150 feux. Orville a été défendu par des murailles, des portes et des fossés. (Les vieillards
d’il y a vingt ans se rappelaient qu’aux quatre rues, il existait deux fortes pilastres mutilées et ayant forme
d’arceau; dernier débris de la porte de Thièvres).
Les moulins à eaux, étaient connus sous Auguste Ier empereur Romain; mais l’art de faire exécuter des
mouvements réguliers par le plus capricieux des éléments, le moulin à vent, ce chef d’oeuvre de mécanique si
utile, si commun et si peu apprécié du vulgaire, était réservé à des temps d’ignorance et de barbarie; il nous fut
apporté d’Asie à la suite des croisades. Orville eut aussi ses moulins à vent (Terroir d’Halloy, au lieu dit, les
moulins), mais ils tombèrent rasés par la guerre du XVIIème siècle. Les lois particulières qui régissaient chaque
commune, appelées Stylz, étaient très variées. On en connaît plus de deux cent vingt. Plus de deux cent cahiers
originaux furent déposés au bailliage d’Amiens et la cour impériale de cette ville les possède dans ses archives.
Halloy, Hébuterne, Orville, Caumesnil eurent leurs coutumes locales rédigées en 1507. Le vingt-six juillet de
cette année, la comtesse de Vendôme et de Saint Pol, dame d’Orville, présente au bailliage d’Amiens le cahier
de rédaction des coutumes de la châtellerie d’Orville. En vertu de ces coutumes, quarante habitants payaient
annuellement au châtelain quatre mesures d’avoine, en revanche, la terre était chargée de quelques renvois
envers l’abbaye de Saint Michel de Doullens, le curé et le chapelain de Lucheux, le chapitre d’Amiens, le curé
d’Orville, et d’une somme payable à la jeunesse pour la troisième fête de Pentecôte.
Les coutumes générales du comté de Saint Pol furent rédigées et mise en écrit, au commandement du
sénéchal de Ternois, bailli du comté de Saint Pol, obéissant à la commission du bailli d’Amiens. Elles sont
insérées dans les coutumes générales de l’Artois, publiées à Anvers en 1554 par ordre de Charles-Quint.
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De 1521à 1522. Pendant presque tout le XVIème siècle, tout le pays fut le théâtre de luttes sanglantes
entre les Français et les Espagnols. Ces guerres commencées sous François I, ne finirent qu’à Louis XIV. Nous
lisons dans un ouvrage intitulé: Description de tous les Pays-Bas, imprimé à Anvers en 1582, et traduit par F. De
Belle Forêt:
« Est-ce une chose hideuse et pitoyable que de voir toutes ces régions de la frontière, non seulement de l’Artois,
mais encore en France du côté de la Picardie, où peut-être la misère est plus grande; y voir, dis-je, non seulement
tant de villages mis à feu et à sang, mais bien tout un pays ravagé, ruiné, détruit, et sans qu’on y laboure, dénué
de bétail, de maison et de demeures d’hommes.
Quoi plus ! Voir les pauvres habitants épars ça et là chassés de leurs maisons et souvent occis avec le pleur et le
regret des femmes qui survivent.
Ce qui est cause d’une haine perpétuelle et capitale, qui s’engendre et couve ès coeurs et esprits de ces peuples »
Comme on peut le voir par la dernière phrase du traducteur dont nous avons conservé fidèlement
l’expression, les habitants de la frontière de l’Artois, du côté de la Picardie, c’est à dire les habitants de la vallée
d’Authie, étaient loin d’aimer les Espagnols.
En 1522, des Anglais et des Bourguignons furent taillés en pièces à Pas-en-Artois par les Français.
De 1581 à 1584, le Duc d’Alençon, s’empare du comté de Saint pol et dévaste les campagnes;
(Augustin Leducq: Annuaire de 1816). Orville tombe en son pouvoir.
En 1595; le comte Fuentès, général Espagnol, prend Doullens dans la journée du trente juin, et passe
tous les habitants au fil de l’épée. (Almanach de Doullens, 1846).
La maison forte d’Amplier et le CHATEAU d’Orville tombent sous ses coups. Juillet 1595. Sarton fut épargné
grâce à la Duchesse de Chaulnes. Le vingt quatre juillet de la même année, il livra une grande bataille entre
Orville et Beauquesne; la perte des Français fut immense (Pringuez).
Orville aujourd’hui possède encore des traces reconnaissables de son noble CHATEAU. Dans les
jardins de M. Constant Bouthors-Lavillette, de M. Carmelle-Hamiez, dans le pré de M. Louis Lavillette, de M.
Fayer, et dans le petit jardin acheté récemment par M. Abel Lécubin-Contard, on voit des accidents de terrain
causés par les dernières démolitions. La maison de M. Ménage était le centre de l’emplacement. Les murs
d’enceinte partaient; au midi, depuis la maison de Jean-Baptiste Pillot jusqu’à celle d’Alexis Rovillain; au levant
depuis cette dernière jusqu’à celle de Ponthieu-Delgorgue, rue et prolongement de la rue Joseph Bellet au nord,
le long de la rue des fossés; et au couchant, au commencement de la rue d’en haut et de la rue du moulin.
La rue des fossés a été ainsi appelée, parce que cette partie des fossés qui entouraient le CHATEAU fut la
dernière comblée. Trois portes avec herses ou pont-levis, s’ouvraient; l’une sur Thièvres; l’autre sur Beauquesne
et la dernière sur Doullens. Tout ce carré que nous venons de décrire et au sein duquel était l’église, a été
profondément creusé et remué. Chaque fouille nouvelle amène la découverte de vieilles constructions, de débris
et de squelette.
M. Ménage, en creusant sa cave, a retrouvé le puits seigneurial dont il se sert encore. M. Jean-Baptiste Catty, dit
‘Noyon’, son voisin, a retrouvé dans son jardin, un foyer entier avec les instruments qui y sont propres.
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document ne pouvant être vendu. GL.
XXIII
1597- Les espagnols venaient de s’emparer de Doullens, petite ville bien fortifiée. Hermand-Tello,
gentilhomme Castillan, en était devenu le gouverneur. Le jeune espagnol faisait des excursions à Orville,
Famechon, Beauquesne, Talmas, Canaple, Vignacourt, Rubempré, villages dispersés entre Doullens et Amiens.
Il avait vu à Talmas Madame de Monchy, il était devenu épris. C’était une veuve coquette jouissant d’une grande
fortune, maîtresse d’une belle terre. Pour le capitaine d’aventure comme Hermand-Tello, c’était un parti très
avantageux. Sa terre de Talmas était à moitié chemin entre Amiens et Doullens. Elle lui répondit: « Vous êtes
Espagnol et moi Française, si vous voulait que je devienne votre femme, ou rendez Doullens à Henry IV, et
soyez Français; ou prenez Amiens pour que je soit Espagnole. »
Les singulières paroles de cette Picarde, jointes à l’ambition de Tello, déterminèrent la prise d’Amiens.
Un des premiers jours de Mars de l’année 1597, vers le soir, Tello rassemble à Orville 5000 hommes
d’infanterie et 700 cavaliers. Il marche de nuit sur Amiens. Pendant que les Amiénois se livraient encore aux
joies bruyantes du carnaval, et prévoyant que la ville sera mal gardée pendant le jour, il prend ses dispositions
pour y entrer le matin. A la pointe du jour, il arrête tous les villageois qui veulent entrer en ville, et dès qu’un de
ses agents, monté sur un arbre, lui a fait signe qu’on ouvrait la porte-Montrécu, il fait avancer 40 soldats
déguisés en paysans, conduisant trois chariots dont l’un est chargé de poutres couvertes de paille. Parvenus sous
la porte sans que la garde ne se doute de rien, ce dernier chariot s’arrête. Les soldats qui le conduisent coupent
les traits des chevaux et le laisse au-dessous de la herse qu’on vient de lever. En même temps un soldat qui
portait sur son dos un sac de noix, fruit cher aux bonnes gens d’Amiens, le dénoue si adroitement que les noix
qu’il contenait se répandent à terre. C’était comme on le voit, un de ces fameux stratagèmes de guerre qu’on
admirait autrefois comme de superbes inventions et que nos pères trouvaient ingénieux outre mesure.
La garde, toute composée d’artisans, se rua sur les noix répandues. On avait compté sur ce désordre. Les soldats,
armés sous leurs blouses de toiles, firent main basse sur ces pauvres bourgeois et s’emparèrent du corps de
garde. La sentinelle d’en haut, avertie par les cris, coupa la corde de la herse, mais celle-ci s’arrêta sur le chariot
chargé de poutres, et ne put ainsi fermer l’entrée. La bataille s’engagea aussitôt; les Amiénois firent de vains
efforts; l’armée espagnole entra. La ville fut prise et pillée pendant trois jours. Madame de Monchy fit son entrée
à Amiens peu de jours après, disposée à donner sa main à l’intrépide Castillan. Le mariage se célébra dans
l’église cathédrale; avec la plus grande pompe; le quatre septembre au matin (1597). Ce jour-là même à la fin du
dîner, Tello fut tué d’un coup de carabine, à la porte-Montrécu, par une jeune Amiénoise, Marguerite Caron. Sa
veuve éplorée se réfugia aux clarisses où elle prit le voile.
Orville, alors était situé dans le canton de Corbie, relevait du comté de Saint pol, et ressortissait au
bailliage d’Amiens.
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document ne pouvant être vendu. GL.
XXIV
1598- Doullens fut rendu à la France par le traité de Vervins; mais Orville resta sous la domination de
l’Archiduc Albert jusqu’en 1621; et de sa veuve Isabelle Claire Eugénie, jusqu’en 1633. Nos ancêtres eurent lieu
de regretter cette excellente princesse.
En 1635, Richelieu fit déclarer la guerre à l’Espagne. Les Espagnols ayant fait beaucoup de dégâts en
Picardie, Louis XIII ordonna de livrer aux flammes, dans l’Artois, une fois autant de village qu’il y en avait eu
de brûlés en Picardie.
Depuis 1635 jusqu’en 1640, tout le pays situé entre Arras et Doullens fut entièrement dévasté, saccagé,
pillé et brûlé par les Français. De là prise de Caumesnil.
1638- Toutes les terres restèrent en friche. Les habitants d’Orville épouvantés enfouirent leurs
richesses (champs d’argent) et se retirèrent avec des vivres dans des retraites souterraines pratiquées dans le bois
(les Fosses). Ces muches ont laissé leur nom aux champs voisins; elles sont aujourd’hui affaissées; mais elles
sont bien reconnaissables. Arras fut emporté après un siège long et meurtrier (1640) et la prise de cette capitale
termina la campagne.
En 1659, la paix des Pyrénées fut conclue entre les deux puissances. Le second article du traité concède
à la France les villes d’Arras, Hesdin, Bapaume, Lillers, Lens, Thérouanne, et leurs bailliages, ainsi que le comté
de Saint pol et de Saint Venant, avec les dépendances.
Ainsi, il n’y a pas encore deux cents ans, qu’Orville est redevenu Français. Le caractère est le type Espagnols ont
déposé dans nos pays une profonde empreinte, reconnaissable encore chez quelques individus.
Dans le XVIIIème siècle, Orville comptait 150 feux. De vieux parchemins nous apprennent qu’en 1738,
M. de Gentillet était seigneur d’Orville. L’épitaphe ci-dessous, en marbre blanc, est placée sur la muraille, à
gauche du coeur de l’église de Frohen-le-Grand, canton de Bernaville.
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document ne pouvant être vendu. GL.
En 1763, construction du CHATEAU actuel de Caumesnil.
En 1771, débordement considérable de l’Authie.
Le dernier de Créqui; successeur du précédent à la seigneurie d’Orville, fut remarquable par son
originalité. Il résidait au chef lieu du fief de Rigauville, manoir situé en face du cimetière et nouvellement
reconstruit par M. Delgorgue d’Halloy. Il possédait à Orville 380 journaux de terre avec un droit de chasse sur
une étendue de deux lieux. Il fut empoisonné au CHATEAU de Caumesnil en 1785. Après M. de Créqui, vint M.
de Bérenger, et enfin M. de Beauval dernier seigneur d’Orville et de Sarton (1793). On voit dans les registres de
la fabrique qu’en 1781, le Sieur Mallard, et en 1787 Lesueur étaient procureur fiscaux et greffier du bailliage et
de la châtellerie d’Orville.
En 1790, Orville fut dépouillé de tous ses fiefs, à l’exception de Caumesnil, et fut compris dans le
département du Pas-de-Calais. Terramesnil lui, fit partie du département de la Somme. On remarque en face de
l’église, au milieu de la place, une petite construction en maçonnerie couverte de tuiles. On l’appelle la
Brasserie, parce que feu Lenain Meury, dit Blondin, y fit quelque temps de la bière. Avant la révolution, c’était
l’hôtel de ville où les seigneurs venaient siéger pour rendre la justice. A côté se trouvait une petite prison.
De 1383 à 1659- Le terroir d’Orville, au Sud et à l’Ouest, faisait la ligne séparatrice entre la France et
l’Espagne. Le terroir de Doullens qui venait jusqu’à la haie d’Amplier (bois de la haie) fut presque toujours
soumis à la domination Française. Sur le terroir d’Authieule, formé de celui de Doullens, se trouve un canton
appelé encore ‘sur franc’ parce qu’il fut ainsi nommé autrefois par les habitants d’Amplier, d’Orville et d’Halloy
qui étaient espagnols. Sur le terroir d’Halloy, formé de celui d’Orville, se trouve aussi un canton désigné sous le
nom de ‘Rayon de France’.
De 1730 à 1792, M. Lenain, Corne et Dubas furent successivement receveurs de la châtellerie
d’Orville.
Le citoyen Pombourg, curé d’Orville et le citoyen de Beauval, seigneur du dit lieu, sont contraints de
s’expatrier pour sauver leurs têtes.
Tous les biens du ci-devant seigneur sur Orville et sur Sarton, sont vendus au profit de l’état. Le bois
d’Orville ne fut pas vendu, faute d’acquéreur. C’est à cette mesure que plusieurs propriétaires d’Orville et de
Sarton doivent aujourd’hui leur fortune, vu le bon marché auquel les terres leur furent adjugées. Le bois brûlé,
ainsi nommé parce qu’il fut incendié à la fin du XVIIème siècle par l’imprudent de bûcherons, fut vendu à M.
Thuillier (dit maitre-Jean) d’Orville. Ses héritiers ont fait défricher, en 1836, tout le triangle compris entre la
ruelle Gaudemère dite Sévin, la place des Rouvrois et le commencement de la voie au sable.
En 1792, le citoyen Fayer est nommé commissaire à Orville, par le gouvernement révolutionnaire.
Profitant de la vente des biens des seigneurs émigrés, ce fonctionnaire devint millionnaire en fort peu de temps,
et sans coup férir, il acheta aussi le presbytère, modeste demeure des curés d’Orville. M. Fayer, neveu du
précédent vient de le faire couvrir en pannes; c’est la maison qui se trouve derrière l’église, attenante au choeur.
En 1793, la terreur est partout, une nouvelle religion inventée; plusieurs habitants se livrent dans
l’église à de sacrifices excès; le citoyen Pqho Colas, mouchard républicain, écoute aux portes pour s’assurer
qu’on n’est pas hostile aux Jacobins ou à la déesse ‘Raison’; On ne risquait pas moins que sa fortune et sa vie en
faisant ses prières, en refusant ou de profaner le dimanche; ou d’observer la décade, ou d’assister aux solennités
patriotiques.
En 1794, plusieurs habitants d’Orville furent dénoncés, arrêtés et incarcérés à Arras; mais le 27 Juillet
parut, Robespierre tomba et la terreur avec lui. Ces malheureux qui s’attendaient à chaque instant à être conduit
à l’échafaud en firent quittes pour la peur.
En 1793, institution des garnisaires, force armée qui s’installe dans les maisons et force 36 jeunes gens
d’Orville, de 18 à 25 ans, à partir pour la défense des frontières menacées de toutes parts. Cinq ou six purent
revenir dans leurs foyers.
En 1793, Aux malheurs de la guerre et de l’échafaud vint se joindre la famine. Elle fut si grande qu’une
pièce d’environ deux hectares fut vendue pour treize mauvais pains; (rideau 13 pains). Le blé médiocre
s’achetait à raison de 70 s? l’hectolitre.
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document ne pouvant être vendu. GL.
XXV
- DROITS FEODAUX Quoique Louis XI eût fait tomber les premières têtes de l’état, la noblesse ne domina pas moins,
pendant longtemps encore, les institutions et le gouvernement. Mais le trône possédait la souveraineté, et
d’autres tribunaux que ceux de la noblesse pouvaient protéger le peuple contre ses iniquités. Il ne lui resta donc
plus que ses titres, son orgueil, ses châteaux, ses richesses et sa servilité rampante aux pieds des rois.
Actuellement il nous reste à dire quels étaient ces droits féodaux, au moment où furent abolis par l’assemblée
nationale, dans sa fameuse séance du quatre août 1789, qui fut prolongé pendant la nuit.
• Les AIDES - Le seigneur prélevait dans son fief; 1er: de quoi payer les frais de sa première
campagne; 2ème: pour sa rançon, s’il était fait prisonnier de guerre; 3 ème: pour le mariage de sa
fille aînée; 4 ème: pour subvenir aux dépenses occasionnées pour sa réception de chevalier ou celle
de son fils.
• L’ABEILLAGE - Le seigneur seul pouvait avoir des abeilles.
• L’AUBAINE - Le seigneur héritait des biens, tant mobiliers, qu’immobiliers, laissés par des
individus non Français.
• Les BANALITES - Le seigneur avait des fours auxquels tous les vassaux étaient forcés, moyennant
un droit, de faire cuire leur pain. (Le four seigneurial, à Halloy, était placé dans la maison
actuellement occupée par M. Jean Baptiste Laurent, faiseur de bas, de là le nom de la rue du four).
Le pressoir et le moulin au blé du seigneur étaient aussi des banalités.
• Le BAUVIN - Les particuliers ne pouvaient vendre leur vin jusqu’à ce que le seigneur eût établi le
prix en se défaisant du sien. L’afforage était un droit qu’il fallait lui payer pour le détail des vins et
liqueurs.
• La CHASSE - Le seigneur seul avait le droit de courir le gibier. Sous la première race, quiconque
était convaincu d’avoir tué ou dérobé soit un épervier, soit un faucon, était condamné à payer six
sous d’or, ou a souffrir que l’animal lui dévorât six onces de chair à la partie la plus charnue du
corps.
• Le COLOMBIER et la GARENNE - Ce droit était très onéreux pour les campagnards qui étaient
obligés de supporter les dévastations que les pigeons et le gibier du seigneur causaient dans les
champs.
• La DÎME - En vertu de ce droit, le cultivateur était tenu de prélever la dixième partie de ses
récoltes, pour être donnée au seigneur; plus tard, au curé de la paroisse. Avant l’enlèvement de la
récolte, un agent du seigneur devait marquer avec de la craie rouge toutes les bottes qui formaient la
dîme, et ces bottes mises au dessus de la voiture, devaient être remises les premières, par le
cultivateur lui-même, dans la grange seigneuriale ou paroissiale. (à Orville, la grange des Rentes ou
des Dîmes était placée à l’angle de la rue du moulin à l’endroit où se trouve la coquette habitation
de M. Roye-Thuillier).
• Les EPAVES - Toute bête ou toute chose perdue appartenait au seigneur.
• FOIRES et MARCHES - Le seigneur prélevait sur toutes les marchandises apportées aux marchés
ou aux foires qui se tenaient sur ses terres. Il avait aussi le droit de douane, de mesurage de sel, de
poids et mesures, d’étalage, et de timonage ou transport de quoi que se fut.
• Le FOUAGE et MONNEAGE - C’était un droit qui se prélevait par ménage sur tous les membres
qui le composaient.
• Le GAMBAGE - Le seigneur taxait les brasseurs de sa localité et tous les particuliers qui voulaient
faire de la bière. (Nos aïeux furent soumis à cette taxe, car le lieu dit la cornée à houblon indique
qu’ils ont fait de la bière).
• Le GITE - Les vassaux d’une commune, où le seigneur ne résidait pas, étaient tous tenus, quand il
arrivait, de l’héberger avec sa suite; ce droit pouvait être soumis à la condition du rachat et converti
en argent.
• GUET et GARDE - En certaines occasions, les vassaux devaient faire sentinelles, ou garder le
château du seigneur pendant un temps déterminé.
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document ne pouvant être vendu. GL.
• Le HAUBAN - Les vassaux payaient une certaine somme pour être dispensés de la contribution aux
ouvrages publics, ainsi que des corvées redevances qui variaient suivant les temps et les lieux.
• La JUREE - C’était une dette que tout bourgeois devait acquitter annuellement au seigneur qui lui
avait donné l’affranchissement, c’était la dette de reconnaissance.
• La JUSTICE et JURIDICTION - Cette prérogative donnait au seigneur un respect, une crainte, une
influence morale extraordinaire.
• Le PEAGE - Ce droit se percevait au passage des ponts et à l’entrée des chemins qui traversaient la
propriété seigneuriale.
• La TAILLE - Les roturiers étaient taillables et corvéables à merci; le receveur, pour la perception de
cette imposition arbitraire se servait de petites tailles de bois.
• Le TONLIEU - A l’entrée des villes, on percevait le droit d’Octroi au profit du seigneur.
Telle est donc l’origine honteuse de ces fortunes immenses possédées par la noblesse! Est-il un honnête
homme qui ne s’indigne en face de pareils abus? Mais si nous nous reportons au milieu de la race des
Mérovingiens nous rencontrerons une foule d’autres droits plus honteux accordés aux Leudes, les nobles de ces
temps là. Ils avaient le droit infâme de cuissage, prémices ou défloration, de Champart, de chef de rente, de
fiscalité, de haute et basse justice, de main-morte, et plusieurs non moins dégradants pour ceux qui les
acquittaient.
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document ne pouvant être vendu. GL.
XXVI
- ANCIENNE EGLISE D’ORVILLE Dans le 18 ème siècle, Dom Grenier dit, en parlant de l’église d’Orville, qu’il en reste, entr’autres
choses, un vieux pan de muraille travaillé, à la hauteur de 15 à 20 pieds, de plusieurs compartiments et dessins
gothiques. On y trouve aussi, à certains endroits, de grands morceaux de tombe pierre bleue. Seule, et presque
jusqu’à nos jours, l’église avait survécu à tant de noble débris, jusqu’à ce que, débris elle-même, elle est tombée
dans le même oubli. Cet édifice, que des additions et des réparations plus ou moins sagement exécutées ont
rendu disparate par le défaut d’homogénéité, offrait quelques caractères d’une construction très ancienne. La
corniche de la nef souvent rompue, était formée de feuillages enroulés; deux fenêtres à pleins-cintres; une autre
en étroite ogive parcourue par un biseau, des tores et autres caractères architectoniques du XI ème siècle,
peuvent en faire dater la construction à cette époque. Cette église renfermait des objets d’art assez précieux que
le vandalisme des septembriseurs a détruits. Le registre de la fabrique fait mention de plusieurs autels, de deux
cloches, du confessionnal, de la lampe, de l’horloge et du beffroi. Au fond du choeur se trouvait un immense
tableau représentant Saint Martin à cheval, arrivant à la porte d’Amiens. Cette toile, que tous nos vieillards
regrettent étant de vives couleurs, frappait d’autant plus les regards que les portraits étaient de grandeur
naturelle, et que le cheval semblait s’élancer, fougueux, vers la ruelle qui porte le nom du cavalier. A droite, était
la chapelle de la Vierge, formant nef à part, et s’unissant au vaisseau principal par des arcs-boutants. Les toits
aussi étaient distincts, et sur le côté qui leur était commun ils se réunissaient au moyen d’un écheneau de plomb
qui recevait les eaux pluviales. L’autel dédié à la Vierge fut érigé avec pompe en 1771. A gauche était la
sacristie, avec une porte de sortie qui établissait une communication directe avec le presbytère. Le portail,
double de celui qui existe aujourd’hui, était cintré et d’un bel aspect. Au dessus, se trouvait une fenêtre,
aujourd’hui bouchée, qui correspondait perpendiculairement avec l’axe de la voûte principale. Sur la cour du
presbytère, le milieu du choeur était indiqué par une fausse fenêtre ciselée et régulièrement arquée. Appuyée sur
deux colonnettes de l’ordre, elle se faisait remarquer par l’élégance de sa forme, la netteté des lignes et des
grâces de l’exécution. A droite et à gauche de cette fenêtre, mais un peu plus élevés, étaient deux oeils-de-boeuf
à jour, éclairant les deux côtés de l’autel; l’un maintenant est bouché; l’autre a disparu dans la maçonnerie de
restauration. Un cordon de pierres saillantes et sculptées ornait cette partie du pignon, reliant les piliers à la
fenêtre; l’église était isolée de toute autre construction et l’on pouvait circuler librement alentour. Une
augmentation de pilier et un petit mur d’environ cinquante centimètres ont suffi pour rompre ce parcours. L’allée
comprise entre toute la muraille du nord et la propriété de M. Ménage forme un cul-de-sac appelé encore la
procession en souvenir des processions solennelles et extérieures qui s’y faisaient chaque dimanche avant
l’office, conformément au rite majestueux de la Picardie.
En 1793, alors que Robespierre était à la tête du comté du salut public, Hébert et Chaumette, qui
dirigeaient la commune de Paris, conçurent le projet d’anéantir en France, avec la religion catholique toute
espèce de religion et de faire du peuple Français, un peuple d’athées. Des ordres furent donnés pour le pillage
des églises, et les comités révolutionnaires établis dans toutes les communes, furent chargés de l’exécution. Les
calculs les plus exacts font monter de 7 à 8 cents millions l’or et l’argent que les églises de France possédaient
en vases et ornements précieux; il n’en revint pas deux cents au trésor; le reste fut la proie des spoliateurs. Après
avoir chassé Dieu de ses temples, il restait à lui substituer une divinité vraiment digne de ces hommes. Cette
divinité fut la Raison; elle eut des statues vivantes, et ce fut sous les traits non voilés d’infâmes prostitués qu’elle
parut sur les autels pour y recevoir l’encens populaire. La première fête de la déesse Raison se célébra en
présence de la convention; et la convention, adoptant le nouveau culte, fléchit le genou devant cette honteuse
idole. A Orville et partout on se hâta d’imiter l’exemple de la capitale.
La porte de l’église fut enfoncée, des échelles furent appliquées aux murailles, les statues des saints
furent descendues et mutilées. On fit un immense bûcher ou brûlèrent la croix, les bancs, les livres, les tableaux,
le lutrin, la chaire, le confessionnal, les ornements sacrés, etc... Autour du feu, la populace ivre d’impitié dansait
en blasphémant le Dieu de ses pères. Une chose digne de remarque, et, que je me contente de consigner comme
fait; c’est que les principaux moteurs de cette scène sacrilège ont tous péri prématurément et malheureusement.
Etaient-ce de purs accidents ou des châtiments providentiels? J’en laisse la conclusion au lecteur. Plus tard
l’église fut transformée en salpêtrière et en chaufour, quand certaines pierres intérieures de la muraille du nord
sont à nu, il est facile d’y voir encore, en dépit du grattoir, le passage du feu. La plus petite des deux cloches fut
enlevée et conduite à l’arsenal de Douai pour y être fondue; les canons manquaient aux intrépides républicains.
Celle que nous possédons fut baptisée en 1750; elle s’appelle Marie. Elle eut pour parrain M. Eustache Ancelin,
curé de Bonnières et pour marraine Marie Catherine Guislain, veuve de Jean Baptiste Lenain. Etaient présents;
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document ne pouvant être vendu. GL.
Pierre Saguet, ex-marquillier; Jean François Dauxlé, Jean Baptiste Dubas et Jean Bouthors, marquilliers en
exercice. Au bas de cette cloche se trouvent trois figures; 1er, Jésus crucifié et Magdeleine pleurant à ses pieds;
2ème, la Vierge portant dans la main droite un sceptre, et sur le bras gauche son divin fils qui tient lui même
tient la boule du monde surmontée d’une croix; 3ème, le patron de la paroisse, la mitre en tête et la crosse
pastorale à la main: « l’église matrice de Saint Martin au lieu d’Orville ». Le mot matrice prouve qu’elle en avait
plusieurs autres sous sa dépendance qui étaient: Amplier, Terramesnil et Halloy: (Cette cloche vient d’être fêlée
par la foudre tombée sur le clocher et a été refondue en 1858).
Jusqu’en 1802 l’église resta déserte et négligée. L’aqueduc qui n’avait pas été curé (nettoyé) depuis 9
ans, fit défaut à plusieurs endroits et laissa la pluie s’infiltrer dans les joints des pierres qui le soutenaient.
L’humidité pénétra insensiblement jusqu’aux cambrures inférieures. Le mur, laissé ainsi à lui-même, s’affaissa et
s’écroula tout à-coup entraînant dans sa chute une grande partie des deux toitures. Les autres murailles, exposées
à leur tour à l’injurie des temps se lézardèrent et furent plus tard envahies par les ronces, de petits frênes, de la
mousse et d’autres plantes pariétaires. Çà et là, les madriers et des morceaux de pierres tombaient, obstruant
l’espace. Tout le côté méridional n’offrit bientôt plus que des ruines navrantes. Le clocher resta debout mais
ébranlé. Immédiatement après la publication du Concordat et du rétablissement du culte Catholique, M.
Havransart fut nommé desservant de la paroisse d’Orville. Dire les différentes émotions qu’il éprouva, quand il
se vit, à l’arrivée, sans presbytère et sans église, est difficile à décrire.
Il célébra successivement l’office divin dans les maisons aujourd’hui occupées par MM. Constant
Ossart, Descamps-Vermelles et Désiré Lavillette. On fit pour rétablir l’église, plusieurs tentatives qui restèrent
inutiles. Ce n’étaient que des travaux provisoires. Le choeur fut recouvert en 1811, mais d’une manière si
incomplète qu’il fut bientôt en délabrement. Une certaine partie de l’église, ayant été étançonnée, puis entourée,
d’un côté d’une palissade, et l’autre d’un mur en torchis, reçut le nom trop vulgaire de parc. C’est là que se
tenaient les assistants revenus à la foi, pendant que M. Havransart disait la messe à l’autel de la vierge. La cloche
aussi avait été déplacée par précaution, et suspendue à la brasserie. Ce triste état de chose dura jusqu’en 1825.
Mon église. Mon église, disait ingénument M. Havransart, est la plus pitoyable du département et peut-être du
royaume. Et pourtant cette église avant la révolution, possédait en propriété 35 journaux de terre, percevait un
revenu sur 20 autres et sur 15 manoirs; mais tout cela, à une faible exception près, était perdu pour elle.
Cependant, le conseil municipal, ému des plaintes fondées de M. Havransart, prit la résolution de vendre des
biens communaux et de s’imposer extraordinairement. Le devis, qui s’élevait à environ six mille francs, fut
envoyé à la préfecture; mais il resta plus d’un an dans les cartons du ministère à Paris, et il y avait alors absolue
nécessité de rebâtir, si l’on voulait éviter de nouvelles ruines et s’épargner de plus grands frais. Le 30 août 1825,
Madame la Duchesse de Berry, passa à Doullens et M. Havransart profita de l’occasion pour lui remettre un
placet ingénieux et d’un genre neuf que voici:
- Rêve J’ai rêvé cette nuit, très illustre princesse.
Qu’en passant par Doullens vous descendiez chez moi.
Juger de mes transports et de mon allégresse
Je suis encor tout en émoi.
Mon plus grand embarras, le croiriez-vous, Madame,
Quoique j’eusse beaucoup de plaisir à vous voir,
Car je suis aux Bourbons toujours de coeur et d’âme
C’était de bien vous recevoir.
Comme votre visite était inopinée,
Personne de vos gens ne m’ayant prévenu,
Ma chétive chaumière était fort mal ornée,
Moi-même j’étais presque nu.
Vous mîtes pied à terre; hélas! Vous le dirai-je?
Pour la première fois je sentis le besoin.
Comment faire, bon Dieu! Que lui présenterai-je?
Non je n’eus jamais tant de soin.
Vous ne tardâtes pas à découvrir ma gêne;
Epouse d’un Bourbon vous avez leur coup d’oeil.
Pour ne pas me laisser plus longtemps dans la peine
Vous quittâtes votre fauteuil.
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document ne pouvant être vendu. GL.
Mais que je fus honteux; quelle fut ma surprise;
Quand, au lieu de partir, il fallut à tout prix.
Vous montrez, malgré moi, ma déplorable église,
Ou plutôt ses tristes débris.
Je suivais à pas lents votre auguste personne,
Tremblant et pénétré du plus profond respect,
Quand la tour demi nue, encore j’en frissonne
Offrit son affligeant aspect.
Qu’elle horreur! Dites vous, comment est-ce qu’en France
Où l’on vous dit partout que tout est rétabli,
Soit par impitié, soit par indifférence,
Ce temple est resté démoli.
Ce fut bien pis encore, lorsque vous aperçûtes
Tous ces vastes lambeaux, ces piliers chancelants,
Ces longs murs ébranlés, menaçant de leurs chutes
Les fidèles toujours tremblants.
« Pasteur, me dites vous, je sens toute ta peine,
De ces tristes objets qui ne serait navré?
J’en ferai part au Roi; dans la saison prochaine
Ton temple sera réparé. »
Je tressaillais de joie et m’éveillant, de suite,
Hélas! Je vis qu’un songe avait trompé mes sens
Que ne puis-je bientôt en voir la réussite?
C’est le seul vœu de mes vieux ans.
La pétition de M. Havransart obtint tout l’effet qu’on devait en attendre. Mme la Duchesse de Berry
l’ayant reçue avec une bienveillance toute particulière, l’apostilla et la fit soumettre à Charles X. Sa majesté, par
une ordonnance du cinq octobre suivant autorisa la commune d’Orville à vendre les biens proposés et permit
l’imposition spéciale de 2471 F voté par le conseil. La reconstruction commença au printemps de l’année 1826
et fut terminée le jour de Noël. Enfin le 31 décembre fut le jour de l’inauguration et M. Havransart exprimait sa
joie dans un cantique qui commence ainsi:
Il luit enfin, il luit ce jour heureux
Que j’attendais avec impatience!
Entre, mon âme, en des transports joyeux;
Je ne suis plus réduit à l’espérance.
Ces vieux débris dont l’oeil avec horreur;
Trouvait partout la désolante trace,
Ils sont bien loin! Ô plaisir, Ô bonheur
Un temple neuf est bâti dans leur place.
La piété n’aura plus à gémir,
Sur les excès dont nous fûmes victimes;
Nous allons voir la foi se raffermir,
Et les vertus vont succéder aux crimes.
« Ce cantique fût suivi de dix autres couplets. »
La bénédiction de la nouvelle église d’Halloy avait eu lieu le 27 septembre 1825.
L’ancienne aussi avait été profanée et démoli par les septembriseurs. Grâce aux soins de M. Havransart, ainsi
qu’au généreux dévouement de M. Delgorgue, missionnaire attaché à l’hospice des incurables de Paris, et né à
Halloy, une souscription volontaire s’était ouverte, et cette commune avait pu ainsi s’ériger en paroisse. Orville,
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ayant encore perdu cette annexe et n’ayant pas l’argent nécessaire pour rebâtir son église dans les mêmes
dimensions qu’autrefois, la réduisit d’un tiers sur sa largeur.
- Etat comparatif des deux églises Longueur au dedans
Largeur
Superficie
Ancienne: 72 Pieds
36 Pieds
2592
Déduction des
Choeur et allées
592
Actuelle : 72 Pieds
26 Pieds
1872
500
Dans l’ancienne on pouvait s’y placer en occupant chacun un carré de 18 pouces de côté à 888 (chiffre
maximum). Actuellement 609; avec la tribune; 650.
On voit encore aujourd’hui à trois pas de la porte latérale, et malgré les déblais qu’on a fait, les
fondations de la muraille du midi.
. ~ . FIN . ~ .
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NOTICE
SUR
. CAUMESNIL - les - ORVILLE .
. - AVRIL 1856 - .
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document ne pouvant être vendu. GL.
I
- 1856 - ORIGINE de CAUMESNIL Au dessus du bois d’Orville, est le hameau de Caumesnil. D’après M. Ménage, auteur d’un dictionnaire
étymologique, le mot masnile que l’on traduit par mesnil a toujours eu dans le Moyen Age la signification de
maison; et cauh abrégé de cadinus, et passé de la langue d’Oïl dans la langue française, adouci toutefois de la
lettre h comme une foule de mots picards qui lui ressemblent.
Mot à mot, Cau-Mesnil veut dire; chaude-maison, et par extension maison des chaleurs ou résidence
d’été.
L’étymologie de Caumesnil prouve qu’il ne remonte pas au delà de la période Française et qu’il a été
bâti aux jours néfastes du moyen-âge. Cette assertion est en parfaite harmonie avec le nom du canton où
Caumesnil est situé, et le mot Fié, corruption évidente de Fief, donne clairement la même date à son origine.
II
- CHÂTEAU de CAUMESNIL - Maison Royale d’Orville On y voit les débris d’un château féodal, qu’un seigneur de Saint Pol construisit pour se livrer aux
plaisirs de la chasse dans les bois environnants en compagnie de princes, et pour prémunir ses frontières
méridionales contre les incursions des Normands. En effet, ces hordes barbares avaient déjà remonté plusieurs
fois l’Authie, et portant avec eux le fer et la flamme; avaient brûlé tout le pays et saccagé Doullens.-. 856 à 884..
Orville avait résisté à leurs attaques, et Charles le Chauve s’y était retiré pour négocier avec eux. Mais
Orville cessa bientôt d’être une maison royale. En 918, cette belle résidence, objet de la munificence de Charles
le Simple, passa à son tour aux mains d’Adolphe, premier Comte de Saint Pol, à titre de terre inféodée, et devint
une des sept grandes châtelleries du Comté.
Caumesnil fut donc un fief détaché du domaine royal d’Orville.
III
- CONSIDERATIONS TOPOGRAPHIQUES - TRADITION POPULAIRE Ce qu’il y a de remarquable, c’est qu’entre deux forteresses aussi rapprochées l’une de l’autre, il n’y ait
eu entre elles aucun moyen de communication directe. Nul chemin, nulle avenue qui ait servi à les relier sans
circuit. Nous ne mentionnerons pas la voie Marie, car ce n’est, comme toutes les voies qui lui sont parallèles,
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document ne pouvant être vendu. GL.
qu’un sentier destiné à délimiter les coupes ou à en faciliter la sortie. Le CHATEAU de Caumesnil avait son
portique placé au Nord du côté de Saint Pol; le chemin dit de la haie d’épines qui vient s’y perdre, était désigné
sous le nom de chemin de Saint Pol, et les vieillards d’aujourd’hui lui ont conservé cette dénomination. Un autre
chemin y aboutissait encore et établissait une communication spéciale avec la maison forte d’Amplier. A l’appui
de cette dernière corrélation, nous devons dire que la tradition populaire veut que ces deux établissements aient
abrité des Templiers jusqu’à l’extinction de l’ordre (1314). Elle ajoute même que la chapelle de Caumesnil a été
érigée par eux; mais cette croyance que nous respectons, n’est appuyée sur aucun document historique qui nous
soit connu.
IV
- Collégiale de Saint Sauveur - Lucheux - Le Pape Alexandre III - Ernold L’époque la plus ancienne où les archives fassent mention de Caumesnil est 1050, alors que le comte
Roger II fonda au CHATEAU de Saint Pol, une collégiale du titre de Saint Sauveur, pour douze chanoines; il
avait accordé à cette église; entr’autres revenus, son domaine de Caumesnil et l’autel d’Orville. Comme on le
voit, Caumesnil était soumis à la juridiction immédiate des Comtes de Saint Pol; mais après cette donation, l’un
d’entre, Hugues, le fondateur de l’abbaye de Cercamps, trouvant la position de Lucheux plus stratégique, les
sites plus pittoresques et sa forêt aussi giboyeuse, y fit construire un CHATEAU célèbre (1120).
En 1175, le pape Alexandre III confirma le legs fait par Roger à la collégiale de Saint Sauveur; seize
ans plus tard, le baron Ernold, châtelain d’Orville, y ajouta à son tour une part des dîmes qui lui revenaient de sa
châtellerie.
V
- Templiers - 1118 à 1312 Au XIII ème et au XIV ème siècle, il n’est fait nulle part mention de Caumesnil, à moins qu’on ne fasse
la part de la tradition, et qu’on accepte comme fait la résidence des templiers. On sait que cet ordre, fondé en
1118 à Jérusalem par des gentils hommes Français, s’étendit bientôt par toute l’Europe; les exploits de ces
religieux militaires et les services qu’ils rendirent aux chrétiens, leur attirèrent d’immenses richesses; mais ces
richesses les perdirent, et bientôt l’orgueil, le luxe, l’ivrognerie, la débauche eurent infecté tout le corps, de ces
premiers excès, ils passèrent aux violences, aux brigandages contre ceux qu’ils devaient protéger, le souvenir de
leurs blasphèmes est tellement resté vivace dans nos contrées, qu’on dit encore bien souvent: «Il jure comme un
Templier ». On en arrêta tous les membres en 1307; quelques années après, le pape Clément V supprima leur
Ordre dans le concile de Vienne; ils périrent pour la plupart dans les supplices, et tous leurs biens furent
confisqués.
VI
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- Connétable de Saint Pol - Prison d’état - Duc de Nemours - Sa fille L a gloire des Comtes de Saint Pol avait brillé de tout son éclat; les noms de plusieurs d’entr’eux ont
même acquis dans l’histoire une certaine illustration. Mais leur règne touche à sa fin. Le dernier de ces grands
fondataires fut le connétable Louis de Luxembourg; ne se rappelant pas les avis que lui avait donnés Charles le
téméraire au CHATEAU de Lucheux, il fut convaincu de trahison et décapité devant l’hôtel de ville de Paris, le
19 décembre 1475. Louis XI séquestra ses domaines et fit de Caumesnil une prison d’état.
Aucun monarque ne fit périr plus de seigneurs, les têtes mêmes les plus illustres ne furent pas
épargnées. Jacques d’Armagnac, duc de Nemours, est accusé de révolte, et le 4 août 1477, il est exécuté; pour
ajouter à l’horreur de ses derniers moments, le roi se fait amener les trois fils de la victime, et ordonne que ses
jeunes infortunés soient conduits sous l’échafaud; afin que le sang paternel rejaillisse sur eux; leur soeur aînée
fut envoyée en captivité au CHATEAU de Caumesnil. Elle y demeure sept ans enfermée dans une tour, et bien
de fois les échos douloureux retentirent de ses plaintes.
VII
- Rédactions des coutumes de Caumesnil - Lieux dont-il ressortissait A cette époque, Caumesnil profita comme la plupart des autres localités de l’ère de liberté que les
croisades avaient fait luire sur l’Artois. Bientôt et partout germent les idées d’émancipation, et le droit communal
s’établit peu à peu. Jusqu’à la fin du XV ème siècle, les coutumes de la province ne s’étaient conservées que par
tradition, aussi fallait-il à chaque moment recourir aux informations et s’instruire de la loi pour le témoignage
des anciens. Outre les coutumes générales de l’Artois homologuées un peu plus tard par Charles-Quint, chaque
bailliage, chaque châtellerie avait les siennes. Leurs différences sont si multiples, qu’elles échappent à l’analyse.
Transmise oralement d’âge en âge, elles furent enfin recueillies et rédigées pour la plupart de 1507 à 1509. Le
cahier original des coutumes de Caumesnil, ainsi que celui de la châtellerie d’Orville, fut présenté au bailliage
d’Amiens, le 26 juillet 1507, par la comtesse de Vendôme et de Saint Pol, dame d’Orville. Depuis quelque
temps déjà, le fief de Caumesnil se trouvait sous la dépendance des seigneurs d’Orville, qui en avaient été
gratifiés, soit par Louis XI, soit par la fille du connétable de Saint Pol, laquelle rentra dans ses biens douze ans
après la mort tragique de son père. Situé alors dans le comté de Corbie, Caumesnil, relevait du comté de Saint
Pol et ressortissait au bailliage d’Amiens.
VIII
- Ravages des Espagnols - Caumesnil est conservé L’art militaire avait fait des progrès sensibles dans le cours du XV ème et du XVI ème siècle.
L’artillerie fit disparaître les bâtisses, les pierriers et toutes les anciennes machines. Lorsque la poudre à canon
eut été mise en usage, il n’y eut plus de forteresse imprenable. Pendant presque tout le XVI ème siècle, le basArtois et la Haute-Picardie furent le théâtre de luttes sanglantes. Tous les malheurs pesèrent sur ces contrées. De
1537 à 1593, Saint Pol fut pris trois fois par les Français et trois fois repris par les Espagnols qui y commirent de
grands massacres. Ceux-ci ne laissent partout que ruine et désolation. Lucheux et Beauquesne sont saccagés
(1553) et leurs châteaux démantelés (1592); Acheux et toutes les plaines environnantes sont brûlées (1593).
Henry IV use de représailles; il fait une pointe en Artois et emporte le CHATEAU d’Humbercourt. Les
Espagnols attaquent de nouveau sous la conduite du comte de Firentès; prennent Doullens (1595) et s’y livrent à
des cruautés inouïes. La maison-forte d’Amplier tombe foudroyée par leur artillerie. Orville succombe à son
tour, son CHATEAU est démoli de fond en comble, ses fortifications rasées, ses murs comblés (1595). Le 24
juillet de la même année; les espagnols livrent dans la plaine de Beauquesne un combat sanglant où la France
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perdit bien des braves. Caumesnil pourtant fut épargné et ce n’a pas été sans raison. Le plateau élevé où il se
trouve et la fameuse tour du guet, qui s’élevait fièrement vers la nue, permettait aux Espagnols de surveiller tous
les mouvements des troupes Françaises qui pouvaient arriver de la Picardie. C’était une véritable sentinelle
avancée, donnant l’alarme à coup sûr, car elle avait une vue nette sur toutes les routes à cinq lieux à la ronde.
IX
- La guerre s’allume de nouveau - Retraites souterraines Dans le XVII ème siècle, la guerre entre la France et l’Espagne recommence plus terrible, plus acharnée
que jamais Louis XIII ordonna de livrer aux flammes dans l’Artois, une fois autant de villages qu’il y en avait eu
de brûlés en Picardie; terribles représailles que la guerre semble autoriser, mais qui retombe toujours sur
d’innocentes victimes. Depuis 1635 jusqu’en 1640 toute la zone située entre Doullens et Arras fut entièrement
dévastée, consumée par les Français. Les terres restèrent en friche en 1638. Les malheureux habitants furent
contraints de se retirer plusieurs fois dans des cachettes souterraines dites fosses ou muches et d’enfouir leurs
richesses et leurs grains dans des puits creusés au milieu des bois. ces refuges existent encore à Caumesnil, à
Orville; « les fosses qui avaient été pratiquées à l’entrée du bois, sur la gauche du Bas-chemin, aujourd’hui
affaissées et comblées, ont laissé leur nom aux champs voisins », à Pas, Souastre, Pommier, Bienvillers, Berles,
Monchy-au-Bois, Saint Amand, Humbercamps, Saulty, Sombrin, Warluzel, Grand-Rullecourt, Blavincourt,
Beaufort, Barly-Fosseux, Gouy-en-Artois, Beaumetz, Bailleulmont etc...
X
- Prise de Caumesnil par les Français - Il reste acquis à la France Caumesnil ne peut résister au choc qui lui est destiné. Les Français l’attaquent avec une ardeur
impétueuse. Dire toutes les péripéties de ce drame sanglant est impossible. Quand les brèches furent faites,
quand M. de la Meilleraie eut donné le signal de l’assaut, le carnage devint affreux. On ne fit aucun prisonnier.
Tous les Espagnols morts ou mourants, furent jetés pêle-mêle dans les fossés. Les gémissements des vaincus
étaient étouffés par les cris de rage des vainqueurs. Les pâtis, maigres pacages qui ont été défrichés, furent
arrosés de sang. C’est le cas ici ou jamais de revendiquer pour le mot pâtis sa signification de douleur,
souffrance, désolation. Tous les bâtiments, les murs qui servaient de clôtures à la cour et au vaste jardin, trois
murailles du château avec leurs tours s’écroulèrent par la sape. Il n’y eut de préservé que quelques pans de la
muraille du nord, aux deux côtés du portique, la tour du guet dont les Français avaient reconnu l’utilité, et la
chapelle. Le génie de la religion pleurant sur des ruines, avait aussi à prier sur cet immense tombeau. Caumesnil
rentra ainsi sous la domination de la France, et lui fut acquis définitivement à la paix des Pyrénées (1659). En
1790 il resta annexé à la commune d’Orville pour faire partie du département du Pas-de-Calais.
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XI
- Ruines du château de Caumesnil L’emplacement du castal, qu’on nomme vulgairement les ‘Murailles’ appartenait pendant la révolution
à M. Duminil, arpenteur. C’est aujourd’hui, par la ligne maternelle, la propriété de ses petits fils, M.M SaguezTouzet et Saguez-Bouthors, d’Orville.
Au premier aspect, Caumesnil n’offre vraiment rien d’intéressant. Il faut le fouler dans toutes les
directions pour s’apercevoir que son sol a été travaillé par les révolutions. C’est au milieu de jardins ou de
préaux régulièrement tracés, d’alignements symétriques d’arbres fruitiers, de haies vives plantées sur la pierre ou
les cailloux, qu’on retrouve les stériles débris de son château. Le lierre, l’herbe et les broussailles les couvrent
comme d’un manteau impénétrable, et semblent vouloir les préserver des injures du temps. Ce n’est que depuis
la révolution de 1789 que le tout à été égalisé au sol. Quelques années auparavant, et même pendant le
cataclysme, les deux pans de la muraille, le portique, la chapelle restaient toujours debout, mais tombant en
ruines. Cette tour avait 80 pieds d’élévation quoiqu’elle ne fût plus qu’un débris, majestueuse encore, elle levait
son front dépourvu de créneaux, comme une tête chauve de vieillard, au dessus des grands chênes qui
l’environnaient. L’oeil du voyageur qui cheminait sur la route d’Amiens l’apercevait de bien loin, dessinant sa
blanche silhouette sur le fond azuré du ciel. Bientôt l’orage politique gronda; chacun vint détacher sa pierre, et le
noble édifice disparut.
Les fondations, maçonnerie en silex unie par un ciment hydraulique plus dur que la pierre, s’élèvent
encore à la hauteur d’un mètre et plus. Elles forment un carré d’environ 67 mètres de côté. L’intérieur et
maintenant en culture; on y voit encore quelques cavités que le soc de la charrue tend insensiblement à niveler
tous les jours. Des ais de chêne grossièrement assemblés remplaçait il y a quelque temps l’ancien portique: « sic
tranoit gloria mundi: ainsi passe la gloire du monde »! Il y a quelque temps aussi, on a achevé de combler l’un
des fossés. Les décombres avaient déjà commencé ce travail. Des restes de murailles sillonnaient les champs
voisins; plus d’une fois le fer les heurta, et le laboureur s’arrêtait, étonné de tracer des sillons sur le front du
monument écroulé.
XII
- Chapelle - Souterrain - Fouilles A l’angle nord était la chapelle, dont les deux derniers bénéficiaires furent M. Gigault (1768) et M.
Lesage (1774). Les vieillards d’aujourd’hui se rappellent encore, qu’un sous prieur de Sarton y avait célébré
l’office Divin; il est inscrit dans les archives de la fabrique sous le nom de M. Turbier, à la date de 1771. Cette
chapelle fut détruite par le vandalisme révolutionnaire.
On voyait non loin de là l’ouverture béante du souterrain, refuge qui se ramifie dans toutes les
directions et sous un assez grand espace. Plus d’une fois il a recélé dans ses flancs ténébreux une foule de
villageois épouvantés, et, dans les cas extrêmes, il a dû fournir des pierres pour la défense des assiégés et pour la
réparation de leurs murs. Il a servi aussi aux joyeuses veillées des fileuses pendant l’hiver. Au commencement de
ce siècle, le nommé Jean Baptiste Touzet dit ‘Niquain’, entrait encore avec un chariot dans la vaste cavité de ce
souterrain, et en extrayant de la marne pour faire de la chaux. D’autres jeunes gens, munis d’un pelote de ficelle
et d’un flambeau se sont aventurés dans les boyaux tortueux de ce dédale, mais des difficultés de toutes sortes les
ont forcé de rétrograder, sans avoir pu arriver au terme auquel ils s’étaient proposés d’atteindre. On prétend que
sous la propriété de M. Déscamps-Defossé, il y a un abîme qu’on suppose être un puits en partie comblé. Une
vaste excavation s’est faite dans un pré appartenant à M. Lenain, à côté de sa ferme, peut-être est-ce encore une
des nombreuses ramifications de ce souterrain. Cette supposition paraîtra plus vraisemblable quand on saura que
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le feu Laurent Touzet, en fouillant à vingt mètres de là, dans un jardin contigu appartenant aujourd’hui à son
petit fils M. Woisselle-Maillard, a rencontré les fondations d’une longue et épaisse muraille d’une extrême
solidité. Cette muraille d’enceinte venait du château. Elle a laissé au milieu du jardin une espèce de dos d’âne
adouci; une convexité très apparente à l’oeil de l’observateur. D’autres fouilles environnantes ont amenée la
découverte d’ossements calcinés, de tessons de fers à cheval, de tronçons d’armes, et de plusieurs pièces de
monnaie à l’effigie de Louis XIII.
XIII
- Réflexion Telles apparaissent à l’antiquaire les ruines du château féodal de Caumesnil. En vain interroge t-il les
pierres qui roulent à ses pieds sur les choses qu’elles ont vues, en vain demande t-il aux échos ce qu’ils ont
entendu, si même il essaie de faire parler l’indigène des faits qui lui auraient été transmis par ses ancêtres tout
reste muet: C’est le silence mystérieux de la tombe. Et le pauvre antiquaire désappointé en est réduit à ses seules
investigations, heureux pourtant s’il a pu découvrir dans le chaos du passé quelque chose de nouveau à
apprendre à ses concitoyens.
XIV
- Voie des morts - Nouveau château - M.M Lenain Le hameau est traversé du nord au sud par un chemin de grande communication, depuis longtemps, les
habitants d’Halloy qui ne possèdent une nouvelle église et un nouveau cimetière que depuis le commencement
de ce siècle, et les habitants de Caumesnil se sont habitués à toujours prendre ce chemin pour conduire leurs
défunts à Orville: Voilà pourquoi il est désigné sous le nom de voie des morts.
A la droite de ce chemin est le nouveau château de Caumesnil, construction régulière, toute simple, sans
élégance architectonique. Il fut bâti en 1763 par l’oncle de M. Lenain-Thuillier. Cette famille est la plus
ancienne et l’une des plus honorables du hameau. Nous lisons en effet sur un parchemin tout poudreux qu’en
l’année 1730, un de ses membres était receveur de M. Gentillet seigneur d’Orville. Le registre de la fabrique fait
mention qu’en 177?, Louis François Lenain de Caumesnil, a le privilège de faire enterrer une de ses parentes
dans l’intérieur de l’église d’Orville.
Un autre membre, M. Lenain légionnaire, dit le chasseur, fait toutes les campagnes de la République et
s’y distingue par son audacieuse intrépidité. Seul de son escadron, pénètre dans un carré ennemi où il devait être
haché, mais profitant du désordre qu’il a produit, il fait franchir à son cheval les trois rangs de baïonnettes qui
formaient une autre ligne du carré et parvient à s’échapper couvert de blessures de gloire. Dans une autre bataille
seul encore, il délivra son capitaine aux prises avec un groupe d’ennemis: Cette dernière action lui valut un sabre
d’honneur qu’il reçut des mains de Bonaparte alors premier consul.
XV
- M. le Comte de Créqui 39
document ne pouvant être vendu. GL.
Le château actuel de Caumesnil passa par acquisition aux mains de M. le Comte de Créqui, dernier
rejeton de l’illustre famille qui par elle même et par la noblesse de ses alliances, s’était placée à la tête de la
Picardie et de l’Artois, avait donné des maréchaux à la France, et des prieurs à l’église. Ce seigneur, qui
possédait à Orville 380 journaux de terre avec un droit de chasse sur une étendue de deux lieux, habitait le chef lieu du fief de Rigauville, en face du cimetière, maison aujourd’hui inhabitée et que M. Delgorgue d’Halloy
vient de faire rebâtir. Trouvant sa demeure trop modeste et indigne du grand nom qu’il portait, il alla terminer sa
carrière au château de Caumesnil. On raconte que ce personnage qui voulut à tout prix se distinguer des autres
hommes, une foule d’actions bizarres marquées au coin de l’originalité. Ses cheveux étaient incultes, et il laissait
croître sa barbe jusqu’à la ceinture. Vieilles ou neuves ses hardes étaient toujours lacérées ou rapiécées; et, sinon
la richesse de l’étoffe, on les aurait prises pour des guenilles. En été il se couvrait de 4 à 5 vêtements, les plus
longs par dessous, afin, disait-il que la chaleur ne pût l’atteindre. En hiver au contraire, il n’endossait qu’un seul
habit ayant moins de peine à le rendre chaud. Il se présente un jour à la cour de Louis XVI les reins ceints d’une
hart.
On lit sur les registres de la fabrique, qu’en 1777, il s’éleva un procès entre les fabriciens et M. le comte
de Créqui qui s’opposait énergiquement et sans motif à l’ouverture de plusieurs fenêtres de l’église.
Habituellement au prône, on faisait mémoire des seigneurs d’Orville; il pria M. Lemoisne, curé de la
paroisse de ne pas prononcer son nom, uniquement parce que c’était un usage. Quand le tonnerre grondait, il
poussait l’imprudence jusqu’à s’enfermer dans une armoire en fer; nous aimons à croire que dans la
circonstance, il n’agissait pas sciemment, car à cette époque les propriétés de l’électricité n’étaient pas
suffisamment connues.
Quoique M. de Créqui n’eût pas le pied marin, il se sentit tout à coup un vif penchant et des
dispositions pour la mer. Aussitôt la cour du château fut transformée en chantier; une grossière chaloupe fut
équipée et postée pièces à pièces à Saint Valéry; à peine fut-elle lancée à l’eau qu’elle s’échoua sur la grève.
Voulant doter l’agriculture d’une invention utile, il conçut l’idée de façonner une charrue, qui serait mue par
l’air. Profitant un jour d’un vent impétueux, il mit sa charrue à la voile et lui fit ouvrir un sillon, mais
s’apercevant qu’elle n’en pouvait faire un seul, il la laissa pourrir au milieu des champs.
On remarqua, parmi les débris de son mobilier un étau de forgeron qui se vissait à gauche, un râteau à
deux têtes, une bêche à deux manches, etc....
On lui demandait un jour pourquoi il était restait célibataire « j’attends dit-il, qu’on vienne me
demander en mariage ». Il tint parole. Une jeune Irlandaise qui était restée quelque temps à Bertheaucourt
(Somme) entra chez lui en qualité de servante. C’était encore une singularité. Les propositions de l’étrangère
furent acceptées, et les noces eurent lieu avec toutes les formalités requises.
Cette malheureuse l’empoisonna (1785). Elle usa du prétexte pour emprunter le chariot de M. Lenain,
puis à l’aide de deux domestiques qu’elle avait gagnés, elle le chargea d’or, d’argent, de linges et d’objets
précieux. Elle profita des ombres de la nuit pour gagner l’ancienne baie de Somme, s’embarqua à port au dessus
d’Abbeville et regagna l’Irlande avec le fruit de son crime, tristes restes d’une fortune autrefois colossale. M.
Lenain ne revit jamais son chariot mais il en reçut la valeur quelques années après. Telle fut la fin du dernier des
Créqui. On s’est conformé pour ses funérailles au désir qu’il avait exprimé à différentes époques de sa vie. C’est
dans un coin de son jardin, à 80 pas de l’angle sud-est du château qu’il repose et sans tombeau. Cette famille
portait dans ses armoiries un prunier sauvage appelé depuis créquier: C’est le cavronier artésien, et le
gravinchonnier picard.
XVI
- M. de Béranger. M. de Beauval. MM. Pecquet. M. Leroy. - (Château converti en filature et ferme) M. le comte de Béranger acheta le château aux héritiers de M. de Créqui, pour le céder peu après à M.
Jean-Guislain et Marie Boucquel de Beauval-la Basèque dernier seigneur d’Orville et de Sarton. M. de Beauval
était fort riche, il avait dit-on 17 terres à clocher et plusieurs bois, entr’autre celui d’Orville, que son fils possède
encore. Il affectionnait le séjour de Sarton où il avait un beau château. On voit à Orville le bâtiment qui lui
servait de tribunal et auquel se trouvait adjoint une petite prison: C’est l’ancienne brasserie, en face de l’église.
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document ne pouvant être vendu. GL.
Mais bientôt sonne l’heure sanglante de la révolution, ont bat monnaie avec les biens de la noblesse et
du clergé; M. de Beauval émigre, et le château de Caumesnil est vendu au profit de l’Etat.
Le nouvel acquéreur, M. Pecquet Florimond le transforma en une filature de coton, après y avoir fait
ajouter un étage ardoisé (1802). Les voyageurs remarquent encore sur le faîte d’un appentis un clocheton vide; la
cloche bruyante qui l’animait, fut cédée à M. Saugeon, manufacturier à Amplier, et depuis à M. Ibled,
chocolatier à Mondicourt. La fabrique de Caumesnil convertie en ferme par M. Pecquet-Lenain, est devenue par
alliance la propriété de M. Leroy-Pecquet, cultivateur et membre du conseil municipal d’Orville.
XVII
- Arbre de la liberté. Saint Niquain. Contrebandiers. Sablonnières. Divers.
Cadeaux à l’Eglise. Petit Caumesnil. Théophile Bouthors, capitaine. Caumesnil eut aussi ses manifestations politiques; deux peupliers, symbole de la liberté républicaine, y
furent plantés à un demi-siècle d’intervalle, le premier en face de l’ancien château, atteignit une prodigieuse
hauteur, et fut vendu en 1842; le second sur la place dite ‘la verdière’; avait été orné de banderoles et d’un
drapeau tricolore, mais il tomba avec le gouvernement qui l’avait érigé.
Comme tous les villages, Caumesnil avait sa kermesse, elle tombait le jour de la Quasimodo et se
prolongeait le lundi suivant. Tous les jeunes gens des pays alentour venaient à la Saint Niquain faire le branle et
danser sur l’herbette, tandis que des parties de balles et différents jeux s’organisaient dans le méchant pré. Cette
fête instituée par Laurent-Touzet, dit Niquain et supprimée après sa mort attirait une foule de monde.
La position toute favorable de Caumesnil avait plu aux contrebandiers qui en avaient fait leur station
favorite; l’épaisseur du bois cachait leurs charges de tabac; des vedettes placées de distance en distance
donnaient le signal d’alarme dans le cas ou les préposés de la douane et les gendarmes eussent été embusqués
vers l’un des quatre ponts qui ouvre la route de la Picardie, et un guide les conduisait à Beauquesne ou à
Vignacourt. Aujourd’hui la surveillance des agents de l’autorité est devenue plus active, les dénonciations contre
ces malheureux sont chaque jour plus fréquentes, de sorte qu’il n’en passe presque plus.
Caumesnil possède de riches sablonnières. Nos aïeux allaient extraire du sable dans le bois, témoin les
fosses profondes qui s’y trouvent non loin des pâtis, et le chemin désigné sous le nom de voie au sable. Les trois
sablonnières qui sont actuellement ouvertes au dessus de Caumesnil, sur la droite du chemin d’Halloy
appartiennent à MM. Ménage-Bouthors d’Orville, Lenain-Thuillier et Delgorgue d’Halloy; la première a été
ouverte par Laurent-Touzet et parait aujourd’hui abandonnée; la deuxième existe depuis une époque
immémoriale; la troisième a été percée il y a quelque années par M. Delgorgue lui même. Le sable de ces
carrières est fort recherché pour la maçonnerie; il a servi à l’édification et aux réparations des remparts de la
citadelle de Doullens. Le cidre de Caumesnil est estimé. On compte dans ce hameau 14 maisons, 16 ménages, 51
habitants, un chaufour, 3 puits et 4 mares.
En 1822, un incendie consuma les bâtiments de feu Louis Fleur; 15 ans plus tard la maison de M. Brocq
tombait de vétusté et M. voiselle-Lemoine d’Orville se rendait acquéreur de l’enclos dans lequel elle était
construite.
En 1830 Eugénie Rouchaville donna à l’église d’Orville la statue de Sainte Apolline; en 1844 Joséphine
Touzet, veuve Voiselle, offrit à la même église un drap et une bannière mortuaires.
En 1852 le Petit-Caumesnil fut distrait de la commune d’Orville pour faire partie de celle d’Halloy;
toutefois les habitants de Caumesnil ont pu conserver tous leurs droits de pâture, de glanage et de râtelage sur la
portion de terroir concédée. Nous terminerons cet opuscule en rappelant que parmi ses enfants il peut
revendiquer avec orgueil M. Théophile Bouthors; conscrit illettré et soldat sans fortune, il est parvenu de grade
en grade à celui de capitaine commandant au 5ème de cuirassiers; on le citait au régiment pour sa voix de
stentor, sa hardiesse et sa grande habileté à dompter un cheval. Cet honorable officier, en ce moment en retraite
au château de Sarton, a été décoré de la croix de la légion d’honneur. (Mort en 1862 au dit château de Sarton).
Ecole d’Orville, ce 22 avril 1856.
L’instituteur public
Signé: Emile DELAPORTE.
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document ne pouvant être vendu. GL.

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