J`aime trop les bêtes pour les manger

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J`aime trop les bêtes pour les manger
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Être végétarienne.
Depuis toujours, j’aime les animaux. Je n’ai jamais arraché leurs ailes aux mouches
et j’ai toujours répugné à écraser un escargot. Le lien que j’ai eu avec les bêtes
depuis l’origine a toujours été tellement proche et complice que je n’imaginais pas
qu’on puisse les considérer comme des choses, des meubles, de la viande sur pattes,
des produits consommables, des objets jetables, et non comme des quasi-personnes
à respecter.
Je ne supporte pas l’idée de les faire souffrir et de les tuer pour les manger. J’ai
cependant eu une nourriture carnivore toute mon enfance et ma jeunesse : en
évitant de trop me poser de questions, en suivant les préceptes diététiques de
l’époque (la viande rouge était censée donner de la force), en me conformant aux
habitudes alimentaires de ma famille, de mon milieu et de ma société. Devenir
végétarienne a été un parcours progressif, lent, graduel, timide parfois, voire
complexé, avant d’être revendiqué et tranquillement assumé. Avec l’espoir secret
mais sans illusions que les végétariens seront un jour majoritaires sur cette terre...
Ma première rencontre avec la mort, naturelle celle-là, d’un animal, je l’ai faite dans
le jardin de mon père. J’avais cinq ans et cette scène dont je me souviens encore a
entraîné une mise en cause, dans ma petite caboche d’enfant, des bribes de religion
qu’on tentait de m’inculquer. C’était un oiseau, un oiseau commun, terne, tout gris,
tout petit – un moineau sans doute. Il était couché sur la terre nue, devant les
massifs d’iris mauves. Inerte, raide, froid. Je me souviens d’avoir tenté de le
réchauffer, puis d’être montée à toute vitesse à la maison, dans l’espoir que papa,
qui pouvait tout, allait lui redonner souffle. Quand j’ai compris qu’il était mort, j’ai
compris la mort, et j’ai rêvé d’immortalité. Mais les animaux n’ont pas d’âme. Pour
lui, c’était fini, fini. Larmes et révolte. Ça m’a paru tellement injuste, que j’ai su dès
ce moment-là que je ne voudrais pas d’une religion qui nous donnait une âme
immortelle et la retirait aux bêtes. Je voulais avoir le même destin qu’elles. Je ne
voulais plus avoir d’âme. Je voulais être un animal parmi d’autres.
Puis il y eut cette cane, gagnée comme lot à une fête foraine. En attendant de
l’abattre, ce qui répugnait quand même pas mal à mon père, il l’avait enfermée près
d’une vieille cabane de notre jardin dans un petit enclos. Cette cane de Barbarie me
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fascinait. J’ai passé plusieurs jours devant son grillage, à réfléchir à sa mort
prochaine, et à lui chanter en pleurant, pour adoucir sa peine de devoir mourir, des
airs de ma composition. Devant mon chagrin et mon entêtement, après un conseil
de famille, et je crois sans beaucoup se forcer : papa a cédé. Cette cane ne passerait
pas au four dominical. Elle allait être la compagne de mon enfance, partager mes
jeux, me suivre comme un chien, et accepter même parfois de me servir de poupée :
j’ai encore une vieille photo de la petite fille que j’étais, qui promenait son canard
dans une voiture d’enfant.
Des chats, des chiens, des poules, des poissons rouges, des hamsters, des souris, des
rats, des cochons d’Inde, des chèvres, des canards, des perroquets ont scandé mon
existence, égayé toute ma vie ma maison de banlieue, et habitué mes enfants au
respect et à l’amour des animaux.
Bien sûr, je signe toutes les pétitions pour la reconnaissance d’un vrai statut
juridique de l’animal, et contre tout ce qui les nie : les corridas, les tortures des
animaux sous toutes leurs formes, leurs maltraitances dans les cirques, les
manteaux de fourrure, les élevages en batterie, le broyage des poussins,
l’entassement des truies avec leurs porcelets, le gavage des oies et les pratiques
ignominieuses des abattoirs. Et je ne peux pas rester sereine en voyant passer ces
camions pleins de bêtes au regard perdu, qu’on a arrachées à leur pré, à leur étable
ou à leur écurie et qu’on mène vers l’angoisse, la terreur, les souffrances d’une mort
horrible. Les camions passent dans l’indifférence générale du monde.Ils
déclenchent pourtant en moi à chaque fois une immense onde de désespoir
impuissant. Je suis donc végétarienne.
Autrefois, j’étais du genre végétarienne qui rase les murs.. Je me sentais différente,
marginale, je n’osais affirmer mon choix, je refusais la viande en toute discrétion,
gênée d’être une convive anormale, difficile, emmerdeuse, emmerdante. Au
restaurant, il n’était pas toujours facile de trouver un plat sans animal. J’avais le
végétarisme honteux. Puis j’ai lu des tas de livres sur la question, toute une rangée
de ma bibliothèque y est consacrée.
Je suis devenue végétarienne affirmée, revendiquée, assurée. Libérée. Je constate
avec plaisir que mon choix est de plus en plus partagé, qu’il y a dans notre société
un véritable mouvement, encore très minoritaire certes, mais réel, vers le
végétarisme. Je pourrais citer dans mon entourage et mes connaissances un bon
nombre de personnes devenues végétariennes. Et sans que j’y sois pour quelque
chose... Je peux désormais accompagner mes amis dans beaucoup de restaurants, je
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sais que j’y trouverai aussi quelque chose pour moi.
Être végétarienne, c’est refuser d’absorber de la chair animale. Ni viande, ni
poisson, rien qui repose sur le meurtre organisé. Je n’ai jamais adoré la viande, mais
j’avoue que parfois c’est difficile de ne pas craquer devant un apéro-saucisson, un
bon pot-au-feu, ou un morceau de ce poulet qui rôtit doucement, enveloppé de son
si délicieux parfum ! Mais bon, l’effort n’est pas démesuré non plus. Je ne suis pas
pour autant vraiment prosélyte, et surtout pas intégriste. Mais je constate
qu’autour de moi, on trouve maintenant mon attitude acceptable et dans les
normes, et que de plus en plus de personnes hésitent, et pas seulement pour des
raisons diététiques, écologiques, ou de santé personnelle, à manger de la viande.
Dans mon entourage carnivore, ils sont nombreux à être plutôt « flexitariens »,
comme on dit maintenant : ils ne renâclent pas devant un bon beefsteak de temps
en temps, mais reconnaissent que s’ils devaient tuer eux-mêmes l’animal qu’ils
mangent, ils cesseraient d’en manger, et du coup, en mangent moins.
Je ne serai, je pense, jamais « vegan ». Ces derniers refusent tout ce qui vient de
l’animal, de l’exploitation et même de la domestication animale : ni viande, ni œufs,
ni cuir, ni laine, ni miel, etc. Il y a là une sorte d’intégrisme et de jusqu’au-boutisme
qui pour le moment me dérange. J’évite d’acheter des œufs de poule élevées en
batterie, mais j’ai quelques poules à la maison, et j’estime que ce n’est pas les
exploiter que de leur prendre leurs œufs, quand elles veulent bien en pondre,
contre un grand terrain où elles sont libres, de la bonne nourriture, un poulailler
régulièrement nettoyé et des câlins ( car même les poules en demandent parfois…)
De même ponctionner un peu de soie aux vers, un peu de miel aux abeilles, un peu
de laine aux moutons ne me semble pas monstrueux dans l’état actuel de mes
réflexions. Qui sont peut-être provisoires.
Par ailleurs j’élève des chats et n’ai pas le sentiment de les exploiter, moi qui suis
plutôt la plupart du temps, sinon leur esclave, du moins leur obligée. Je m’assoie sur
une fesse pour ne pas les déranger du fauteuil où ils se prélassent ventre à l’air, et je
tomberais presque du lit pour leur laisser leur espace vital. Mais c’est une autre
histoire, et les fondus de chats me comprendront !
J’ai aussi des chiens, et bien qu’aimant les loups et acceptant mal la chasse qu’on
leur fait, je ne souhaite pas que les chiens, domestiqués par l’homme depuis si
longtemps et avec lesquels les liens sont si forts, disparaissent pour retourner à
l’état sauvage de leurs ancêtres lupins.
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Par contre, passer du végétarisme au végétalisme me paraît la cohérence même. Le
lait de vache, par exemple, repose sur une telle exploitation de ces pauvres bêtes,
privées de leur petit veau, bloquées par centaines dans une étable moderne, câblées
à des mécaniques à traire, jusqu’à ce que leur âge les renvoie aux abattoirs, que je
pense qu’il faut essayer d’éviter aussi les produits laitiers et autres sous-produits
animaux. Je bois donc plutôt du lait de soja. J’ai encore de gros progrès à faire :
auvergnate, les truffades et autres aligots font partie de mes plats préférés, et
renoncer au saint-nectaire va me demander un effort monumental. On a beau dire,
le tofu, ce n’est vraiment pas aussi bon ! Mais je sais bien que cet effort est
nécessaire, si je veux être en cohérence avec mes convictions.
Un chemin progressif, donc, avec ses étapes, ses lenteurs, ses incohérences aussi –
il faut bien que je nourrisse mes chats et mes chiens, qui ne sont pas végétariens...
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