Processus de transition et réforme de l`Etat

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Processus de transition et réforme de l`Etat
Processus de transition et réforme de l’Etat
La reconstruction de l’Etat dans le post-conflit : quel Etat post-national ?
Grille d’analyse de la construction de l’Etat élaborée en collaboration avec le CREPPEM,
Université Pierre Mendès France, Grenoble
Contact:
Claske Dijkema
Karine Gatelier
Ivan Samson
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Nastya Zagaïnova
Dans les Etats post-conflit, la difficulté à réorganiser les institutions étatiques et à restaurer
leur autorité est proportionnelle aux problèmes rencontrés par l’Etat avant le conflit. Ainsi le
faible enracinement de l’Etat – qui a pu être responsable du conflit, au moins dans une
certaine mesure – continue de poser problème à l’issue du conflit et accroît les difficultés de
reconstruction. Cette évidence est ici énoncée dans le but de préciser que la temporalité de la
présente analyse ne se limite pas au post-conflit mais qu’elle englobe une période aussi large
que les besoins de cerner les causes profondes du conflit l’exigent.
A partir d’une analyse classique de l’Etat, à travers ses 4 dimensions – l’Etat nation, l’Etat
régalien, l’Etat de droit et l’Etat fiscal-redistributeur – nous avons élaboré une analyse des
modalités de fonctionnement de l’Etat en 3 points : le construit, le fonctionnel et le
démocratique.
Au-delà des typologies classiques de l’Etat fondées sur leur expérience historique (postcolonial, post-soviétique, post-conflit etc.), nous proposons une typologie qui est liée au degré
de développement et d’efficacité de l’Etat. Fondée sur une approche des dynamiques de
délitement et de reconstruction de l’Etat, elle établit par conséquent un continuum entre l’Etat
en gestation et l’Etat développé. Ce continuum est borné par deux idéaux-types : l’Etat failli
ou effondré et l’Etat construit ou stable. Le premier n’a été illustré que par un exemple, celui
de la Somalie. Le second type idéal n’existe pas dans la mesure où nous considérons que tout
Etat est traversé de crises qu’il doit résoudre et qui le forcent à évoluer. Sa construction est
donc remise en cause périodiquement, plus ou moins profondément. Les deux bornes de ce
continuum présentent le défaut de décrire deux états figés c’est pourquoi nous considérons
que ce sont des idéaux-types utiles pour les besoins de l’étude mais nous concentrons nos
1
analyses sur les dynamiques qui tendent vers l’un ou l’autre. Cette progressivité du concept
permet de distinguer des degrés et de préciser les domaines de ces défaillances ou fragilités.
Les 4 dimensions de l’Etat
Dimensions
Etat nation
Attributs
Identité collective
Etat régalien
Souveraineté
Etat de droit
Autonomisation du politique
Etat fiscal-redistributeur
Fiscalisation
Dynamiques
Identification nationale
Légitimation
Différenciation politique – société
civile
Reconnaissance
Monopolisation
Monétisation
Centralisation monétaire
Séparation des pouvoirs
Juridicisation
Institutionnalisation
Différenciation structurelle
Diffusion à la rationalité de l’Etat
Fiscalisation
Monopolisation
Equipement
Protection
Ces 4 dimensions désignent en même temps 4 attributs de l’Etat que la conception occidentale
considère indispensables à l’exercice du pouvoir. Ils sont en outre interdépendants : les uns
sont constitutifs des autres et contribuent à leur renforcement. La souveraineté est construite
sur la base d’une identité nationale formée, en même temps qu’elle la renforce. La
fiscalisation est possible parce que identité nationale et souveraineté ne sont pas contestées, en
même temps qu’elle renforce ce sentiment collectif d’appartenance en redistribuant les
ressources de l’Etat à la population (services publics par exemple). Dans le même temps,
pouvoir et coercition ne lui sont pas contestés. La confiance acquise à l’intérieur participe à la
reconnaissance de l’Etat au niveau international. L’autonomisation du politique et la
fiscalisation apporte les moyens matériels (distribution du pouvoir et ressources économiques)
de mettre en œuvre ce pouvoir. Ces dynamiques instaurent et nourrissent la légitimité
politique.
Ces interdépendances et mécanismes d’auto renforcement interdisent alors d’adopter une
conception linéaire dans la construction de l’Etat et d’établir des antériorités ou des effets de
chaîne. La schématisation de ces phénomènes doit alors souligner la mise en relation de ces 4
dimensions, relations réciproques.
2
Les 3 pôles
Une fois ces fonctions identifiées, il est possible de mesurer leur réalité, leur effectivité ainsi
que leur modalité de fonctionnement dans l’exercice du pouvoir. Les défaillances ou
l’absence d’un ou plusieurs de ces attributs conditionnent l’instauration d’un régime d’une
nature différence : lorsque la dynamique de l’autonomisation du politique ne marche pas par
exemple, cela donne lieu à un régime autoritaire d’un genre ou d’un autre (que le fondement
de cette autorité soit idéologique, religieuse et/ou traditionnelle). Ceci nous a amené à
distinguer 3 pôles : le construit, le fonctionnel et le démocratique.
Le construit désigne les dynamiques de l’Etat lorsqu’elles sont institutionnalisées. Le
fonctionnel les caractérise lorsqu’elles parviennent à remplir leurs fonctions, c’est-à-dire, à la
fois, à répondre aux besoins de la population et à être reconnues dans ces fonctions. Ainsi, si
le construit paraît relativement objectif et ne pose a priori pas le problème de son existence –
une institution existe ou pas – le fonctionnel questionne le système de valeurs qui permet de le
mesurer : par rapport à qui et à quoi peut-on déterminer si une fonction ou une institution de
l’Etat est fonctionnelle ? En effet, le construit peut être non fonctionnel et le non construit,
fonctionnel. La dynamique de conscience nationale peut donner lieu à une discrimination
(nationalisme) – construit non fonctionnel ; l’identité nationale peut être faible et segmentée
en identités infranationales, sans donner lieu à une concurrence entre elles – non construit
fonctionnel. Cette dernière catégorie n’est généralement reconnue qu’à l’intérieur de l’Etat
(niveau national), quand le construit fonctionnel est, lui, reconnu également de l’extérieur
(niveau international).
L’articulation de ces 2 concepts soulève dès lors la question de la légitimité politique et de ses
soubassements. Elle exige de dépasser un cadre d’analyse institutionnel et, dans une démarche
sociologique voire anthropologique, de rechercher, dans la réalité des relations de pouvoir, les
structures de l’autorité. Il s’agit par exemple d’étudier les mécanismes traditionnels de
résolution des conflits, d’entraide et donc d’identifier des figures de pouvoir.
Pour éviter le travers ethnocentrique, et par conséquent normatif, qui ne reconnaîtrait comme
fonctionnel que les modes de fonctionnement de l’Etat démocratique, nous en avons fait un
pôle distinct, permettant ainsi à l’analyse d’identifier du fonctionnel – qu’il soit construit ou
pas – démocratique ou pas. Il nous paraît en effet indispensable de pouvoir intégrer à
l’analyse des systèmes de démocratie traditionnelle1 (démocratie pastorale par exemple) et des
modes de légitimation non démocratiques. Dans cette catégorie - construit-fonctionnel-non
démocratique - nous pouvons citer les « dictatures éclairées », régimes autoritaires forts ou
faibles qui réinvestissent leurs ressources ; les Etats policiers ; les théocraties ; les Etats-parti.
La nature redistributrice des dictatures les rend fonctionnelles. Elles semblent cependant
constituer une étape transitoire. Sans toutefois pouvoir affirmer que cette transition sera douce
et progressive, elles présentent davantage d’opportunités pour un changement en douceur.
Une question se pose alors : sur quels principes reposent ces Etats qui ne respectent pas les
principes de l’Etat de droit ? Nous en avons identifiées 3 : un fondement transcendant
(religieux, traditionnel, généalogique) ; un populisme ; une base idéologique.
Ces Etats sont-ils des Etats-nation ?
1
Lewis, I. A Pastoral Democracy: A Study of Pastoralism and Politics among the Northern Somali of the Horn
of Africa, Oxford University Press for the International African Institute, 1961.
3
Le choix méthodologique de distinguer entre le fonctionnel et le démocratique a pour
corollaire de dresser une analyse critique de la capacité des élections démocratiques à
renouveler la classe politique ou au contraire de reconduire au pouvoir les dirigeants établis.
Les votes autoritaires (intimidation dans les systèmes dirigistes) ou encore communautaires
(absence de choix individuel) sont des cas de figure à soulever, de même que le rôle des
élections comme mode de validation des légitimités traditionnelles (élections démocratiques
des chefs traditionnels).
Le tableau ci-dessous présente quelques exemples :
4
Dynamiques
Etat
Natio
n
Etat
Réga
lien
Etat
de
droit
Etat
fiscal
redis
tribut
eur
Pole construit
Pole non construit
Développement
Identification nationale
Fonctionnel
Non fonctionnel
Patriotisme constitutionnel Nationalisme
Fonctionnel
Identités infra-étatiques
Non fonctionnel
Fractionnement identitaire
Légitimation
Légitimité politique
« Démocratie vitrine »
Légitimité traditionnelle
Obscurantisme
Différentiation politiquesociété civile
Reconnaissance
Légitimité institutionnelle
Classe politique de
notables
Autoritarisme
Impérialisme
Etat policier
Démocratie traditionnelle Patrimonialisme
Subsidiarité
Autogestion
Particularismes
Consolidation de la souveraineté
Fractionnement sécuritaire
Sécurité humaine
Fractionnement monétaire
Dualité monétaire
Système néo- patrimonial
Bureaucratie rationnellelégale
Ordre privé
Désordre public
Seigneuriage
Monnaies locales
Ancre monétaire
Formalisme
Médiation entre deux
Institutionnel
systèmes
Gouvernement des juges Droit coutumier
Inflation de droit
Bureaucratie
Clientélisme
Technocratie
Confiance dans la monnaie
(moyen de thésaurisation)
Stabilisation et renforcement du
système politique
Sécularisation de la culture politique
Intériorisation du droit
Augmentation de la capacité du
système public
Monopole fiscal
Kleptocratie
Sortie de l'informel
Secteur Informel
Prédateurs privés
Market failures
Financiarisation
Décentralisation fiscale et budgétaire
Fracture sociale
Cohésion sociale
Monopolisation
Monétisation
Centralisation monétaire
Séparations des pouvoirs
Souveraineté interne et
externe
Monopole de la violence
légitime
Souveraineté monétaire
Institutions stables
Juridicisation
Institutionnalisation
Différenciation structurelle
Diffusion de la rationalité
de l’Etat
Fiscalisation
Monopolisation
Equipement
Primauté du droit
Pourvoyeur des biens
publics
Intervention
Initiative privée
Protection
Etat providence
Paternalisme
Incitation au travail
Droit du plus fort
Clientélisme
Intériorisation valeurs
constitutionnelles
Responsabilité
Aménagement du territoire
5
Les concepts dynamiques tels que nous les adoptons ne répondent cependant pas
suffisamment aux besoins d’introduire une temporalité aux phénomènes que nous voulons
décrire. A la fois les questions de continuité et de stabilité doivent apparaître :
-
la continuité par opposition à la rupture : les changements brutaux nécessitent une
adaptation et suscitent parfois des résistances aux changements ;
parlons-nous de régimes stables ? consolidés ? ou au contraires instables ou
transitoires ?
Enfin, ces analyses s’inscrivent dans la réalité et l’actualité des relations internationales qui
questionnent les principes de la souveraineté des Etats à travers un certain nombre de
modalités observées telles que l’assistance internationale, l’ingénierie institutionnelle ou
encore l’intervention militaire. Ces pratiques sont légitimées par le droit international quand
elles sont conduites par les organisations internationales ou seulement tolérées quand ces
dernières n’ont pas voulu s’en saisir. Mais alors quelle est la différence entre une incursion
transfrontalière, une invasion et une « guerre préventive » ? Que différencie les cas suivants ?
Le Rwanda en RDC (1996 et 1998) ; l’Irak au Koweït (1991) ; les Etats-Unis en Irak (2003).
La réorganisation de l’Etat doit-elle se faire dans une nouvelle conception d’un Etat postnational ?
6
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