Immobilité boréale et latences élémentaires. Les arbres ne se

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Immobilité boréale et latences élémentaires. Les arbres ne se
Immobilité boréale et latences élémentaires. Les arbres ne se déplacent pas, c’est bien connu ! Mais leur immobilité terrestre leur confère une éminente élégance. Comme celle accordée aux statues patriotiques ou encore aux grands immeubles centenaires. Toutefois, à défaut de déplacements, les arbres tanguent au rythme des vents, balancés inlassablement par les vagues invisibles de la brise. Et telle une flotte de trois‐mâts accostés à un port terrestre, ils bougent, comme les danseurs calmes d’une chorégraphie composée d’adagios soutenus. Et dans ce décor massif de tons bruns et verts, les arbres valsent, communiquent et grandissent ensemble. En 2006, lors de mes études universitaires en biologie, j’ai eu la chance d’étudier le fonctionnement des végétaux et de comprendre ainsi leur enviable adaptation. En effet, un jour de mai et armé de science, ce camaïeu de chlorophylle m’a été offert pour que j’y aille cueillir ses secrets. Des mois entiers à étudier l’écosystème forestier dans la pessière noire du Québec. Tout ça pour mieux définir, pour mieux comprendre, pour mieux classifier la nature. Les mesures effectuées visaient à observer la photosynthèse des arbres pour établir leur capacité à supporter la machinerie lourde des travaux sylvicoles. Notre équipe de jeunes chercheurs, était toujours partante pour s’éloigner de la ville. On était tous heureux d’être là, enlacés par le silence du ciel boréal et émerveillés par tant de beauté tranquille. Ces moments passés dans les bois, parmi les majestueuses forêts d’épinettes noires, surgissent encore aujourd’hui dans ma mémoire. Comme le souvenir d’un monde magique, d’un monde isolé et à l’abri des mouvements routiniers de l’homme moderne. Un biome où la vie grandit et s’adapte continuellement, sans outrager la lenteur millénaire et silencieuse de son évolution. À l’abri des cacophonies citadines et loin de l’éphémère homme gris consommateur de plastiques. Ce nouvel homme solitaire, triste et étouffé par la géométrie statique des villes. Car, Hélas ! Il faut admettre que l’humanité technophile d’aujourd’hui vit d’une performance solitaire conférée par l’électronique. On est tous devenus des victimes de ces bidules mobiles. Emprisonnés dans une toile informatique de plus en plus rapide et de plus en plus grande. Et occupées ainsi à fixer les écrans tactiles, on a perdu le sens de la lenteur, de ce vide élémentaire qui permet de comprendre et de mieux observer notre environnement, et l’autre. L’homme d’aujourd’hui a perdu l’acceptation des ces états de latence. À présent, il fixe le regard dans la vacuité aphasique du cyberespace. Car en ayant perdu l’émerveillement fourni par l’étendue des reliefs organiques, il s’est replié sur lui‐
même….Esseulé devant tant d’images et de bruits. Alors, je vous demande que l’on ralentisse la cadence, que l’on s’arrête pour mieux respirer, pour mieux exister. Dehors ! Tous au soleil comme des arbres géants ! Ensemble sous une pluie de photons. Libres comme le pollen de nos épinettes dansantes. Ensemble ! Faisons partie de cette immobilité vivante pour réapprendre à prendre le temps… présent. Et peut‐être qu’ainsi, un jour, en communion nous serons enfin libres.