Fenêtre sur cour

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Fenêtre sur cour
Fenêtre sur cour (1954), Alfred Hitchcock. 1h 52min
Si vous continuez à approfondir cette question du regard et du point de vue au cinéma, la
confrontation entre votre regard de spectateur et celui d’un narrateur ou d’un personnage du
film amène à cette autre distinction, celle entre le champ et le hors champ. Tout se joue avec
le cadre qui délimite une portion d’espace, le champ, et qui du même coup cache ce qui reste
hors de cet espace, le hors champ. C’est un espace est à la fois imaginaire et mouvant,
puisqu’à la différence de la photographie où ces distinctions opèrent déjà mais demeurent
fixes, au cinéma le hors champ peut évoluer, et ce qui n’était pas visible peut entrer dans le
champ (et vice-versa). Ajoutez à cela la présence du son qui suggère l’existence de cet espace
non visible et vous aide à donner vie à ce que vous ne voyez pas, ne voyez plus, ne voyez pas
encore ou même ne verrez jamais ! Prenez le cas de Fenêtre sur cour, et vous constaterez la
richesse et la variation de ce qui sera tantôt perçu comme le champ ou le hors champ.
L’avis de Nekochka :
Comme vous qui, face au film, suivez le spectacle dirigé par Alfred Hitchcock, Jeff suit celui
que font ses voisins à leur insu. En cette nuit de forte chaleur, chacun continue de vivre
fenêtres ouvertes, donnant l’opportunité pour tout regard curieux de se glisser dans leurs
appartements et suivre leurs moindres faits et gestes. Il est facile et naturel d’imaginer
l’espace hors champ situé au delà du cadre (au dessus, en dessous, à gauche et à droite),
constitué ici par l’appartement de Jeff. Mais n’oubliez pas de prendre en compte deux autres
types de hors champ : d’une part l’arrière-plan utilisé lors de l’arrivée de Lisa dans
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l’appartement, et surtout ce qui est censé exister derrière le cadre de la caméra, c’est-à-dire
l’immeuble où vivent les voisins. Difficile de l’oublier, certes, puisqu’il est un hors champ
très présent, au point même qu’il se reflète dans la lentille du téléobjectif utilisé par Jeff. Cette
forte présence ne diminue en rien votre travail d’imagination de spectateur comme celui de
Jeff. Surtout en ce qui concerne les comportements partiellement visibles du voisin d’en face :
il revient avec du linge de la laverie (des tâches à faire disparaître ?), il dispose sur le lit des
piles de vêtements propres (un départ prévu ?), il passe un coup de téléphone en sortant des
bijoux d’un sac à main de femme (des objets dont il veut se débarrasser ?) : gestes qui sont
autant de relais à l’imagination de Jeff et lui font supposer que ce dernier a commis un crime.
Plutôt que de vouloir connaître la fin de l’intrigue, remarquez plutôt qu’Hitchcock fait une
grande utilisation de l’iris, afin de renforcer le regard inquisiteur de Jeff, justifié par l’emploi
de son téléobjectif en guise de jumelles. Ce hors champ qui se transforme régulièrement en
champ par effet de montage, ce face à face, en vient à suggérer une alternance fréquemment
utilisée dans les situations de dialogues entre personnages : le champ-contrechamp. Il en sera
question dans la quatrième partie.
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