« Les chaînes d`info en continu ont une incidence sur la hiérarchie
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« Les chaînes d`info en continu ont une incidence sur la hiérarchie
« Les chaînes d’info en continu ont une incidence sur la hiérarchie de la parole politique » LE MONDE | 07.12.2013 Entretien avec Gilles Finchelstein par David Revault d’Allonnes et Thomas Wieder Gilles Finchelstein est directeur général de la Fondation Jean-Jaurès. Il est notamment l’auteur de La Dictature de l’urgence (Fayard, 2011). En quoi les chaînes d’information en continu transforment-elles la vie politique ? La question dépasse le seul champ politique. Nous vivons dans des sociétés qui ont vu, en quelques années, leur rapport au temps se modifier radicalement. Et les chaînes d’info en continu sont un concentré chimiquement pur de cette mutation. Le culte de la vitesse, d’abord : la chaîne d’info privilégie le temps réel, le direct – elle est par excellence le média de l’immédiat. Le culte du présent, ensuite. Dans des sociétés qui oublient volontiers leur passé et peinent à penser leur avenir, elles trouvent naturellement leur place, puisque le temps de l’info en continu est une sorte de présent perpétuel. Le culte de la suractivité, enfin. Là encore, ces chaînes répondent parfaitement à ce besoin d’action permanente. Il n’y a qu’à voir la façon dont elles structurent leur propre écran : pour éviter le zapping vers une autre chaîne, on organise le zapping à l’intérieur même de la chaîne. Le temps est à la fois accéléré, compacté et saturé : c’est ce que j’appelle «la dictature de l’urgence». Pour la vie politique, est-ce une bonne ou une mauvaise chose ? Il y a le pire et le meilleur à la fois. Le pire, car ces chaînes poussent au maximum la tendance, qui n’est certes pas nouvelle, de spectacularisation de l’information. Un petit incident est ainsi présenté comme étant un gros événement. La nécessité de faire du remplissage conduit à faire du plein avec du vide ou à peu près. Tout cela produit un effet d’hystérisation, lié à la répétition ad libitum d’une même séquence d’images, d’une même petite phrase. A l’inverse, il y a des effets positifs. Ces chaînes diffusent en effet des débats et des interviews de durée assez longue. Par ailleurs, et on l’a vu pendant la campagne présidentielle, elles n’hésitent pas à retransmettre l’intégralité des meetings, des discours ou des conférences de presse. Désormais, tout un chacun a accès à ce qui était autrefois réservé à quelques milliers de personnes au maximum. Il y a là un vrai outil de démocratisation. Enfin, il y a une incidence sur la hiérarchie de la parole politique. Cela vaut dans les deux sens. Pour certains, ces chaînes sont un lieu de légitimation. Le problème est que le système favorise naturellement certaines catégories, notamment des non-élus et des Franciliens, bref ceux qui ont du temps pour venir sur les plateaux. A l’inverse, la multiplication des lieux de débat provoque un effet de banalisation : autrefois, être invité dans une grande émission politique du week-end vous faisait changer de statut. Désormais, il y a une telle profusion d’émissions que les paroles des uns et des autres se noient dans un même flux. François Hollande s’est-il adapté à cette nouvelle donne médiatique ? Nicolas Sarkozy semblait la maîtriser davantage. Nicolas Sarkozy – alors même que les chaînes d’info en continu n’occupaient pas la même place qu’aujourd’hui – a dès le début de son mandat donné l’impression de concevoir son agenda à une échelle de temps qui était celle de… l’heure. Il collait donc totalement au rythme des chaînes d’info. La limite, et les Français l’ont compris, c’est que le mouvement n’est pas synonyme de sens. Quant à François Hollande, il doit relever un double défi. D’une part, maximiser l’impact de ses interventions quand il s’inscrit dans l’urgence, ce qui est parfois nécessaire mais suppose de choisir avec le plus grand soin les sujets, la forme et les mots. D’autre part, il doit projeter son action dans le temps long. C’est ce qu’il a bien réussi pendant la campagne, en martelant le même discours pendant des mois, quand M. Sarkozy choisissait de faire une nouvelle annonce chaque jour. M. Hollande doit reconstruire un récit dans la durée. Comment voyez-vous les choses évoluer ? Cette logique de l’« urgence » vous semble-t-elle inéluctable ? Pour s’en tenir aux chaînes d’info, je pense qu’il ne tient qu’à elles de corriger certains travers. Prenons l’exemple de leurs débats. Très souvent, les plateaux sont composés selon une logique où ce qui prime est la reconnaissance par les téléspectateurs d’invités récurrents. Malheureusement, cela appauvrit le contenu, car nul ne peut être expert en toute chose. Rien n’interdirait de privilégier une autre logique et de choisir les invités en fonction des thèmes ! Il s’agirait de préférer la pertinence à la connivence.