Mnemiopsis leidyi

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Mnemiopsis leidyi
NOTE DE VEILLE SCIENTIFIQUE : Mnemiopsis leidyi
Cécile Bertin & Delphine Bonnet
Les problèmes entrainés par les proliférations du plancton gélatineux sur nos côtes sont récurrents et semblent même être de
plus en plus fréquents. Ces organismes planctoniques dont le déplacement est essentiellement du aux courants, sont constitués
à 95 % d’eau et peuvent atteindre parfois de grandes tailles. Parmi ces organismes, on compte une espèce de cténophore,
d’origine américaine, Mnemiopsis leidyi, qui est apparue en Europe depuis les années 80. Cette espèce est considérée comme
invasive au vue de sa très forte densité de population et sa capacité à coloniser rapidement des écosystèmes contrastés.
Mnemiopsis leidyi A. Agassiz, 1860
Origine : Côtes Ouest Amérique Nord et Sud
Introduction : 1980 en Mer Noire par les eaux de ballast
Impacts : Modifications des communautés planctoniques
Reproduction : Hermaphrodite, autofécondation
Maximum de biomasse : Fin été, début automne voire hiver, dépend
des paramètres de l’eau.
Palette ciliée
Grand lobe
Petit lobe
Description : Mnemiopsis leidyi est un cténophore pélagique transparent, de 3 à 12 cm de long. De forme globalement ovale, il
se termine par 6 lobes, dont 4 moins visibles (1 gros lobe alternant avec 2 petits). Le corps est orné de 2 rangées de palettes
ciliées sur les gros lobes, et une sur chaque petit lobe. Ces structures sont composées de cellules particulières, les colloblastes
sécrétant un mucus gluant mais qui ne sont pas urticantes, contrairement aux cnidoblastes des méduses (Shiganova et al.
2001). Il a été démontré que le succès de prédation de ce cténophore est du à sa capacité de générer continuellement un
courant capable d’entrainer de très grands volumes d’eau. Ce courant serait indétectable par ses proies (Colin et al. 2010). Ce
mécanisme lui permet d’obtenir une alimentation variée en gamme de taille allant du microplancton (50µm), aux larves de
poissons (>3mm) (Waggett R. et al., 1999 ; Colin et al., 2010). Un autre système de prédation via ses colloblastes, lui permet
d’immobiliser une proie lorsqu’elle est rentrée directement en collision (Waggett et al., 1999).
La fécondation chez M.leidyi a lieu en pleine eau et donne une larve caractéristique, la larve cydippide, pélagique. Elle donne un
adulte miniature en seulement 20 heures. Les spécimens adultes se reproduisent tous les 10-20jours libérant 100-10 000 œufs à
chaque fois. (Jaspers et al., 2011 ; Salihoglu et al., 2011)
Figure 1: Carte de distribution de Mnemiopsis leidyi en Europe avec années
d’apparition. (Bertin C., 2011, Synthèse de données)
Distribution :
Originaire d’Amérique, ce cténophore a été introduit
en Europe dans les années 1980. Sa propagation en
Europe s’est faite par courants marins (Rekacewicks
et al., 2007). En 2011, cette espèce est désormais
recensée sur les côtes de la mer Noire et des mers
adjacentes (Temnykh et al., 2011), de la mer
Caspienne, de la mer Egée (Shiganova et al., 2001),
de la mer Baltique (Haraldsson et al., 2011),
(essentiellement dans la région du Kattegat et du
Skagerrak) (Jaspers et al., 2011), sur les côtes ouest
de la Suède (Gullmars fjord) (Moller et al., 2011),
sur les côtes du Danemark et des Pays-Bas (Antajan
et al., 2011) ainsi que sur les côtes françaises (mer
Méditerranée et mer du Nord) (Antajan et al., 2011),
sur les côtes de la Turquie (Rekacewicks et al. 2007),
d’Israël, de Grèce, de Syrie, de Slovénie (Galil et al.,
2009), d’Italie (Boreo et al., 2009) et d’Espagne
(Fuentes et al., 2010). (Fig. 1) A noter: Sur les berges
du golfe du Lion, Mnemiopsis leidyi est présent au
sein des étangs de Bages-Sigean et de Berre,
cependant il est absent de l’étang de Thau situé
entre ces deux lagunes (Bonnet, Com. Pers.).
Une publication récente (Reusch et al., 2010) indique que les populations Nord Européennes sont proches génétiquement des
populations natives de la côte nord-américaine, alors que les populations observées en mer Noire et Caspienne seraient plutôt
issues des populations natives du golfe du Mexique et dans les mer Noire et Caspienne (Reusch et al., 2010). (Fig.2).
Figure 2: Répartition génétique de Mnemiopsis Leidyi. Les diagrammes représentent la fréquence des allèles de deux loci qui affichent cinq
allèles (cercles intérieurs, MnleC1583) et sept allèles (cercles extérieurs, MnleL13) (Reusch et al., 2010).
Habitat : Cette espèce vit surtout dans les eaux côtières de l'hémisphère nord. Elle apprécie les eaux peu profondes et
eutrophes. Euryhalin et eurytherme (il tolère des variations importantes de température de 2 à 32°C et de salinité de 2 à 39g/L)
(Purcell et al., 2001). Une étude montre néanmoins une corrélation entre une forte croissance de cette espèce et des teneurs
élevés en sel (Jaspers et al., 2011). Il peut aussi se développer dans les eaux chaudes et pauvres en oxygène (Purcell et al., 2001).
Impact : Mnemiopsis leidyi peut engendrer de gros changements dans les écosystèmes qu’il colonise. Ainsi son apparition aurait
provoqué la chute de la population d’anchois en mer Noire, entrainant ainsi de grands déséquilibres économiques (Knowler,
2007). On observe aussi sur les côtes de Suède une diminution d’abondance des copépodes calanoïdes (Moller et al., 2011)
allant jusqu'à une disparition complète du copépode Oithona nana en mer Noire (Temnykh et al., 2011). Sur les côtes françaises
de la mer du Nord, l’introduction de M.leidyi pourrait perturber les périodes de frai et d’alevinage de poissons tels que la Plie
(Pleuronectes platessa) et la Sole (Solea solea), deux poissons ayant de fortes répercussions économiques (Antajan et al., 2011).
Ces modifications de l’écosystème induiraient aussi des changements de la biodiversité comme le developpement d’Acartia
causi en mer Noire qui se nourrit des restes d’Oithona nana dévorés par les cténophores (Temnykh et al., 2011).
Gestion : Mnemiopsis leidyi est une espèce qui pourrait engendrer des problèmes
écologiques liés à l'équilibre de l'écosystème et des chaînes alimentaires, et il faut y
rajouter les problèmes économiques (Fig 3.).
Ainsi on observe dans certains pays la mise en place de politique publique afin de
palier à cette occupation du territoire marin.
Par exemple, en 1997, en Russie, la lutte biologique a été expérimentée avec
l'introduction de carnivores notamment un Cténaire (Beroe sp.) s’alimentant d'autres
Cténaires (Meinesz, 1999).
En 2011, les chercheurs en sciences marines et maritimes de cinq institutions
scientifiques (Flandre, France, Pays-Bas et Royaume-Uni) ont organisé la mise en
place d'un projet de recherche globale et à long terme : le projet MEMO. Ce projet a
pour axe principal de mieux connaitre cette espèce de cténophore et ainsi de
pourvoir prévenir et éviter sur la mer du Nord, les catastrophes survenues en mer
Noire et mer Caspienne (Communiqué de presse MEMO, 2011).
Figure 3: Relevé d’une capéchade sur l’étang de
Bages Sigean Septembre 2010, (Photo D. Bonnet)
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