MEP Couperin 2000

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MEP Couperin 2000
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LA VIE DE FRANÇOIS COUPERIN
Des Couperin dans la Brie, il y en eut beaucoup, dès le XIVe siècle,
qu’ils soient Copin, Couppin, Coperin ou Couprain. Le XVIe siècle
confirme leur présence dans le bailliage de Melun, châtellenie de
Tournan, autour de Beauvoir, Argentières, le Petit et le Grand Crouilly, et
Chaumes. Des Jehan, des Jaquin ou des Vincent y labourèrent leurs
arpents de terre, cultivèrent la vigne, tissèrent les draps et parfois
frottèrent l’archet pour faire danser la compagnie.
Cette belle région souffrit beaucoup des guerres de la Ligue : la
soldatesque passera et repassera sur le territoire, laissant derrière elle
ruines et pillages. Mais grâce aux héritages de quelques « Couperines »,
les terres resteront à la famille et ce sont 463 perches qui vont écheoir à
Mathurin. Cet arrière-grand-père de notre Couperin ne se contentera pas
de les exploiter : il deviendra procureur fiscal à Beauvoir et joueur
d’instruments de musique.
Charles (I), dit l’ancien (†1654), fils de Mathurin, qualifié de joueur
d’instruments, vigneron et tailleur d’habits, touche également l’orgue :
celui de l’abbaye de Chaumes sans doute. Il possède chez lui dix-sept
violons, hautbois et flûtes, matériel typique d’une bande de symphonistes
servant aux banquets, aubades et sérénades et à l’accompagnement des
danses.
Sa fortune ? Trois fils musiciens : Louis, François (I) et Charles (II). Sa
chance ? Leur rencontre, vers 1652, un jour de la Saint-Jacques (24 juillet),
avec un claveciniste bien en cour, Jacques Champion, « seigneur et baron
de Chambonnières », dont la maison des champs se situait à Plessis feu
Aussoult, lieu dit La Chambonnière, près de Rozoy-en-Brie et de Chaumes.
Titon du Tillet relate l’événement dans son Parnasse françois de 1732. Le
tient-il du grand Couperin lui-même ?
— « Les trois frères Couperins étoient de Chaume, petite ville de Brie, assez
proche de la Terre de Chambonniere. Ils jouoient du Violon, et les deux aînez
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FRANÇOIS COUPERIN
réussissoient très-bien sur l’Orgue. Ces trois freres avec de leurs amis, aussi
joueurs de Violon, firent partie un jour de la fête de M. de Chambonniere
d’aller à son Château lui donner une Aubade : ils arriverent, et se placerent à
la porte de la Salle où Chambonniere étoit à table avec plusieurs Convives,
gens d’esprit et ayant du goût pour la Musique. Le Maître de la maison fut
surpris agréablement, de même que toute sa compagnie par la bonne
Symphonie qui se fit entendre. Chambonniere pria les personnes qui
l’executoient d’entrer dans la Salle, et leur demanda d’abord de qui étoit la
composition des airs qu’ils avoient jouez : un d’entr’eux lui dit qu’elle étoit
de Louis Couperin, qu’il lui présenta. Chambonniere fit aussi-tôt son
compliment à Louis Couperin, et l’engagea avec tous ses camarades de se
mettre à table ; il lui temoigna beaucoup d’amitié, et lui dit qu’un homme tel
que lui n’etoit pas fait pour rester dans une province, et qu’il falloit
absolument qu’il vînt avec lui à Paris ; ce que Louis Couperin accepta avec
plaisir. Chambonniere le produisit à Paris et à la Cour, où il fut goûté. Il eut
bien-tôt après l’Orgue de Saint Gervais à Paris, et une des places d’Organiste
de la Chapelle du Roi [...] ».
Louis suivit donc le conseil de Chambonnières, le fameux claveciniste
de Louis XIV, gagna Paris (en 1653 sans doute), y fut nommé organiste de
Saint-Gervais, reçut une charge de dessus de viole chez le Roi (et non
d’organiste) et participa à des ballets de cour. Cette carrière prometteuse,
ponctuée de compositions instrumentales dont on sait maintenant la
valeur, s’interrompit par une mort prématurée à trente-cinq ans (1661).
Le frère puîné, François (I), dit l’ancien, avait rejoint Louis à Paris et
logeait avec lui. Titon du Tillet en trace un portrait coloré, qui provoque
la sympathie plus que l’admiration.
— « Le second des trois freres Couperins s’appelloit François : il n’avoit pas les
mêmes talens que ces deux freres de jouer de l’Orgue et du Clavecin ; mais il
avoit celui de montrer les Pieces de Clavecin de ces deux freres avec une
netteté et une facilité très-grande. C’étoit un petit homme qui aimoit fort le bon
vin, et qui allongeoit volontiers ses leçons, quand on avoit l’attention de lui
apporter près du Clavecin une carraffe de vin avec une croute de pain, et une
leçon duroit ordinairement autant qu’on vouloit renouveller la carraffe de vin.
Il périt malheureusement dans sa soixante dixième année, ayant été renversé
dans une rue par une charette, et s’étant cassé la tête en tombant [...] ».
Charles (II), le jeune, retrouva ses frères à Paris. Il succéda à Louis à la
tribune de Saint-Gervais et Titon du Tillet écrit qu’« il se fit connoître
pour la maniere sçavante dont il touchoit l’Orgue ». Il participa à des
divertissements de cour et entra au service de la duchesse d’Orléans. Il
épousa à Paris en 1662 Marie Guérin, fille d’un « ci-devant barbier de la
Grande Ecurie du Roi ». Aux yeux de la postérité, le plus beau titre de
Charles (II) reste l’enfant « unique » dans tous les sens du terme qu’il a
engendré : François (II), dit « le Grand ».
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À la mort de Louis, les deux frères se partagèrent le maigre héritage
(1662). Charles gardera le logement de la paroisse et paiera les dettes de
la succession. François (I) ira s’installer ailleurs, emportant des meubles,
une épinette et surtout « coppie de tous les libvres de musicque laissez
apres le decedz dud. Louis Couperin et escripts de sa main [...] ».
***
François (II) dit « le Grand », naît dans le foyer de Charles et Marie le
10 novembre 1668*, au « logis des organistes », un des appartements de
fonction destinés à ceux qui servent à Saint-Gervais. Ce bâtiment du
XVe siècle, vétuste, situé rue du Montceau Saint-Gervais dans le pourtour
de l’église, en bordure du cimetière paroissial, tiendra debout jusqu’aux
années 1730 : mais Couperin le quittera bien avant.
Initié à la musique par son père Charles et son oncle François, il sera
confié à l’un de leurs collègues, Jacques Thomelin, l’organiste de SaintJacques-de-la-Boucherie depuis 1669.
Charles meurt (1679), laissant un fils de onze ans, trop jeune pour
assumer la succession à Saint-Gervais. Par ailleurs, Thomelin vient d’être
nommé à la Chapelle royale (1678) et ne peut plus s’occuper du garçon.
Les marguilliers « mettant en consideration les longs services que feu
Charles Couperin et auparavant luy, feu son frere [Louis] ont rendus en
qualité d’organistes de ladite Eglise et desirant conserver a François
Couperin son fils cette place jusqu’à ce qu’il ait atteint l’age de dix huit ans
[...] ont choisy et retenu Michel de Lalande organiste demeurt rue Bailleul
», aux gages de 300 livres par an et à condition de « ne faire jouer ny
touscher icelle [orgue] par autre, crainte de la gaster » ; ce qui en dit long
sur l’état de l’instrument à l’époque. C’est donc le jeune organiste voisin de
Saint-Jean-en-Grève, âgé de vingt-deux ans, qui assurera l’intérim.
L’oncle François a-t-il été exclu (en raison de sa réputation de buveur ?),
ou a-t-il décliné l’offre, ou s’est-il contenté de suppléer Lalande ? À
l’époque, il avait épousé en secondes noces (1671) Louise-Marguerite
Bongard, fille et sœur des facteurs d’instruments du dit nom, et nièce de
Michel de La Guerre, organiste de la Sainte-Chapelle, renforçant ainsi des
alliances flatteuses pour la famille. Il enseignait le clavecin au comte de
Mongiron. Ses deux enfants, Marguerite-Louise (née vers 1676) et Nicolas
(né en 1680) tiendront une place de choix dans la carrière de leur cousin
germain François « le Grand ».
* Note de l’éditeur : selon le souhait de l’auteur, les dates en gras permettent de suivre plus
facilement la chronologie de la vie de François Couperin.
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FRANÇOIS COUPERIN
1682 marque l’inauguration de la nouvelle (mais non définitive)
chapelle du château de Versailles (à l’emplacement de l’actuel salon
d’Hercule) qui motive sans doute l’important concours organisé l’année
suivante. Mais Couperin n’a que quinze ans — et non dix-huit — lorsque
de Lalande est reçu en 1683 à ce concours des sous-maîtres de la Chapelle
royale, pour le quartier d’octobre. L’heureux élu devra désormais réduire
ses activités dans les paroisses parisiennes, donc à Saint-Gervais. On peut
penser que Couperin va monter à sa tribune plus tôt que prévu et même
qu’il a déjà entamé ses fonctions, bien que sa réception officielle ne date
que du 1er novembre 1685, en attendant le contrat définitif : « Est arresté
[...] que lon payera au sieur Couperin organiste pour ce quil a joué et pour
ce quil jourra à raison de trois cens livres par an aux quatre quartiers
accoustumés jusques à ce quil soit faict avec luy un marché ».
Entre quinze et vingt ans, Couperin doit travailler dur pour assumer
les responsabilités qui l’attendent. Sa technique, son esprit, son goût se
fixent à cet âge. Mais pour y atteindre, l’argent manque, car les leçons
coûtent cher à sa mère et tutrice, qui lance un cri d’alarme aux parents et
amis, le 14 juillet 1687 :
— « La pressante necessité ou elle est reduite par les despenses extraordinaires
qu’elle a esté obligée de faire depuis plus d’huit ans que ledit Couprin son
mary est décédé, tant pour subsister et faire subsister son dit fils que pour
payer les differends maistres de musique, de clavecin et d’orgues qui ont
appris a sondit fils pour le rendre capable de remplir dignement la place
d’organiste de St Gervais que Messieurs les marguilliers luy accorderent lors
du deceds de son pere a condition de se faire instruire ; dans lesquelles
despenses extra-ordinaires elle a consommé le peu de bien qu’elle avoit et a
esté obligée d’empruncter de plusieurs personnes qui la poursuivent pour le
payement desdites sommes [...] ».
Il lui faut à nouveau trouver 3000 livres en vendant le capital d’un
contrat de vente. Le conseil de tutelle acquiesce.
La carrière de François est désormais ancrée dans le quartier SaintGervais. Il n’a pas d’allure, avec son cimetière (rue de la Mortellerie !),
l’église Saint-Jean coincée contre l’hôtel de ville, l’entassement des
maisons descendant vers la grève, Saint-Jacques et les rues étroites et
malodorantes qui l’entourent, les guichets du Louvre, le charnier des
Innocents...
L’église Saint-Gervais jouit pourtant d’une belle réputation, avec ses
cent vingt prêtres et clercs. Les marguilliers comptent parmi eux des
personnages influents comme le duc d’Aumont. Michel Le Tellier y est
inhumé et son oraison funèbre prononcée par Bossuet (1686), Madame de
Sévigné s’y rend comme paroissienne. Couperin se fait là des relations
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utiles, car le sanctuaire où il assure près de quatre cents services par an
constitue pour lui un lieu de rencontre inestimable. Le jeune organiste se
trouve là dans un « grand théâtre liturgique » (Beaussant) préfigurant
celui qui l’attend à Versailles.
Il épouse à vingt et un ans (1689) Marie-Anne Ansault, fille d’un
marchand de vin, bourgeois de Paris, demeurant sur la paroisse SaintGervais. La plupart de sa belle famille appartient à des métiers de Bouche,
y compris à la cour. Son contrat de mariage (26 avril) rappelle que son
père, « sieur de Croully » [sic] dont il relève le titre, était « vivant maistre
à jouer du clavecin de Madame, duchesse d’Orléans, et organiste de
ladite église [Saint-Gervais] ». Marie-Anne apporte à la communauté 5300 livres dont 2200 en deniers comptants. Lui, doue sa femme
de 2000 livres. Son oncle François (I) Couperin assiste à la signature du
contrat. Sa mère et lui habitent la même maison.
Tandis que naît son premier enfant, Marie-Magdeleine, baptisée à
Saint-Gervais le 13 mars 1690, il demande, le 2 septembre, un Privilège au
nom de Couperin sieur de Croüilly pour la gravure de ses Pièces d’orgue
consistantes en deux messes, l’une à l’usage ordinaire des paroisses pour les festes
solemnelles, l’autre propre pour les Convents de Religieux et Religieuses, pour
six années. L’acte est enregistré à la Communauté des Libraires, le 6
novembre.
À ce Privilège est joint un
— « Certificat de Monsieur de la Lande, Surintendant de la Musique du Roy,
Maitre de Musique de la Chapelle, Et Compositeur de la Chambre de Sa
majesté. Je certifie avoir Examiné les presentes pieces d’Orgue du sieur
Couperin, par l’ordre de Monseigneur le Chancellier, que j’ay trouvé fort
belles, et dignes d’Estre données au Public. Signé de la Lande ».
Parvenu en quelques années au sommet de sa carrière, de Lalande
n’omet pas d’offrir cette caution à son jeune collègue. Mais, faute d’argent
pour les frais d’impression, Couperin se contente de graver la page de
titre et de faire copier un certain nombre d’exemplaires de la musique.
C’est l’époque où il perd sa mère, Marie Guérin, et renonce à sa
succession, « pour luy estre plus onéreuse que profitable ».
Nous le rencontrons, le 25 avril 1691, chez Simon Lemaire, « organiste
de Saint-Honoré, md mercier et fabricant amateur de cabinets d’orgues »,
pour expertiser un instrument de dix-huit jeux, deux claviers et pédale,
qu’il estime à 1000 livres.
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FRANÇOIS COUPERIN
Le Livre commode des adresses de Paris (1691 et 1692) de Du Pradel le cite
parmi les « Maîtres pour l’orgue et le clavecin » et demeurant près
Saint-Gervais. Thomelin n’habite pas très loin, rue de la Verrerie, ni
Lebègue, rue Simon le Franc, ni Buterne, près Saint-Paul, ni Marin
Marais, rue Quinquempoix, ni Louis Hotteterre, près Saint-Jacques-dela-Boucherie.
C’est alors que s’éteint, en 1693, celui qui a guidé les premiers pas
de Couperin dans la musique, Jacques Thomelin, l’organiste aux
multiples tribunes : Saint-André-des-Arts (1656), Saint-Germain-des-Prés
(1667), Saint-Jacques-de-la-Boucherie (1669), la Chapelle royale (1678).
Après quinze années de service à Versailles et se sentant vieillir, aurait-il
désigné son ancien élève comme son successeur en le recommandant à
Louis XIV ? Ou doit-on plutôt ce nouveau geste à Michel de Lalande qui
a remplacé son jeune émule à Saint-Gervais quelques années et qui se
trouve à la Chapelle royale depuis dix ans ?
— « Le Roy [...] après avoir entendu plusieurs organistes pour juger de celuy
qui seroit le plus capable de remplir la charge de la musique de sa chapelle,
vacante par le decez de Jacques Thomelin, sa Majesté a fait choix de François
Couperin comme le plus experimenté en cet exercice, et pour cet effet l’a
retenu et retient aud. etat et charge d’un des organistes de sa Chapelle
pour y servir en cette qualité pendant le quartier de janvier, et joüir
de lad. charge aux [...] gages de 600 lt [...] » (Secrétariat de la Maison du Roi,
26 décembre 1693).
— « L’après dinée il [le Roi] voulut bien entendre jouer sept organistes
différents pour en choisir un à la place d’un des siens (qui s’appeloit
Thommelin), qui étoit mort. Mais apres les avoir entendus, il ne voulut pas
déclarer son choix, qu’on sut trois jours après être tombé sur un nommé
Couperin » (Sourches, 27 décembre 1693).
Ses collègues se nomment Jean Buterne pour le quartier d’avril,
Guillaume-Gabriel Nivers pour celui de juillet et Gabriel Garnier pour
celui d’octobre.
Ses nouvelles fonctions obligent Couperin à s’impliquer davantage,
par solidarité, dans l’affaire de la Corporation des Ménétriers. Il faut en
finir avec cette institution qui régente la musique dans le royaume,
exigeant des lettres de maîtrise pour tous ceux qui veulent exercer leur
métier de musicien. Passe encore pour ceux qui tirent l’archet pour faire
danser, ou fabriquent des violons, vielles ou hautbois. Et Couperin de se
souvenir de ses ancêtres, joueurs d’instruments dans la Brie, qui peut-être
profitèrent de la Corporation qui les protégeait ou leur fournissait des
« occasions » de se faire entendre.
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Mais les temps ont changé, permettant à la famille des violonistes de
gagner une meilleure réputation. La danse ne constitue plus leur seule
issue. On écrit pour eux des sonates, des concerts ; certains jouent en
soliste dans les appartements du Roi avec Couperin. Les luthiers
fabriquent maintenant des instruments « façon de Crémone ». Mais il
leur faudra encore quelques décennies avant de se dégager du monde des
vielleux.
Les organistes et clavecinistes, eux, ne veulent point attendre aussi
longtemps cette rupture. En 1693, ils forment une coalition en tête de
laquelle s’inscrivent les organistes du Roi : Thomelin (juste avant sa mort),
puis son successeur le jeune Couperin, Buterne, le vieux Lebègue et
Nivers, renforcés par les parisiens Médéric Corneille, organiste de NotreDame, Nicolas Gigault, Marin de La Guerre, Antoine Houssu.
Une dominicaine du couvent de la Croix au faubourg Saint-Antoine
(là où une fille d’Étienne Énocq et de Jacqueline Clicquot est religieuse)
appuie leur pétition et s’offusque de cette ingérence du monde ménétrier
dans celui de l’Église :
— « Il [le juré de la corporation] veut faire monter sur les Theatres et lieux
publics avec des baladins, farceurs, Jongleurs et Menestriers, des personnes qui
passent presque toute leur vie dans les Eglizes, dont il y en a beaucoup de
Prestres, Religieux et Religieuses et quelques-uns de Gentilhommes. Quelle
proportion y a-t-il entre un orgue et un violon : la figure, le toucher, l’harmonie,
tout est différent. Un violon ne forme qu’un son, l’orgue ou le claveçin font
touttes les partyes de la musique à la fois. Il ne faut au plus que trois ou quatre
années pour faire un maistre à danser et joueur de violon ; il faut des quinze et
vingt années pour former un organiste et pour sçavoir toucher le claveçin. [...]
Ce corps des organistes a quelque chose d’assez digne pour estre distingué des
autres dont l’exercisse est bien au dessous dans le public ».
Ils obtiennent gain de cause par arrêt du 3 mai 1695. On se souvient de
quelle façon Couperin fustigea, en se moquant, cette institution
rétrograde, dans Les Fastes de la grande et ancienne Ménestrandise (2e Livre de
clavecin, 11e Ordre).
C’est vers cette époque que le Roi confie à Couperin son petit-fils, le
duc de Bourgogne, fils aîné du Grand Dauphin, pour lui enseigner le
clavecin. Âgé d’une douzaine d’années, le prince étudiera avec le maître
jusqu’à vingt-quatre ans. Et ce n’est pas son épouse, la jeune duchesse
Marie-Adélaïde de Savoie, adorée du vieux monarque, qui le contrariera
dans cette activité, elle qui ne cesse de s’entourer de musiciens.
D’autres gens de cour solliciteront les leçons du claveciniste du Roi,
dont la réputation s’installe à Versailles. Ce seront tour à tour le comte de
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FRANÇOIS COUPERIN
Toulouse, enfant légitimé de Louis XIV et de Mme de Montespan. La
postérité a retenu de lui le magnifique ensemble de partitions collectées
sur son ordre par André Danican Philidor l’aîné (dite Collection ToulousePhilidor) comportant plus de trois cents volumes manuscrits. Couperin
sera pensionné par lui.
Et puis la princesse douairière de Conti (Mlle de Blois), fille de Louis
XIV et de Mlle de la Vallière, « écolière » de Jean Henry d’Anglebert qui
reconnaît son talent et lui dédie son livre de Pièces de clavecin. Elle
continuera à travailler l’instrument avec Couperin après la mort de son
professeur. Dangeau relate souvent l’activité musicale de sa Maison.
Deux filles du duc de Bourbon (« Monsieur le Duc ») et de Mlle de
Nantes, fille de Louis XIV et de Mme de Montespan, étudieront le clavecin
avec Couperin : Mlle de Bourbon et Mlle de Charolais, dont le maître de
musique n’est autre que Michel de Lalande.
En feuilletant les pages des pièces de clavecin de Couperin, on a
l’impression de lire un « bottin mondain », comme le suggère Pierre
Citron. Élèves, admirateurs, auditeurs ou protecteurs s’y profilent en
d’agréables portraits ou d’aimables dédicaces : La Milordine, La
Bourbonnoise, La Charoloise, La Villers, La Bersan, La Ménetou, La Princesse de
Sens, La Nointèle, La Castellane, La Bontems, La Vauvré, La Boulonoise, Les Lis
naissans, La Régente ou la Minerve, La Princesse de Chabeuil ou la Muse de
Monaco, La Létiville, La Princesse Marie, La Monflambert...
Couperin a conscience de l’importance de son rôle et il ne lui déplaît
pas de le rappeler. S’excusant du retard apporté à la publication de son
premier Livre de clavecin (1713), il en explique les raisons :
— « J’aurois voulu pouvoir m’appliquer il y a longtemps à l’impression de
mes pièces. Quelques unes des occupations qui m’en ont détournées [sic] sont
trop glorieuses pour moy pour m’en plaindre : il y a vingt ans que j’ay
l’honneur d’estre au Roy et d’enseigner presqu’en même temps à
Monseigneur le Dauphin Duc de Bourgogne et à six Princes ou Princesses de
la Maison Royale [...] ».
Les devoirs à remplir à la cour ne peuvent abolir les obligations à Paris
où la paroisse Saint-Gervais compte sur Couperin, sauf au quartier de
janvier, et où les élèves l’attendent.
Si les organistes se trouvent maintenant déchargés des droits de la
Corporation des Ménétriers, en revanche, ils ne peuvent échapper à la
capitation : impôt décrété par Louis XIV en 1695 pour renflouer le trésor
(les guerres coûtent cher) et qui taxe non les revenus, mais le rang social.
Cette fois, les Nobles paieront. Les musiciens sont divisés en catégories.
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Au sommet se situent les organistes et clavecinistes : on en compte près
de cent à Paris à la fin du XVIIe siècle. On les répartit en trois classes : ceux
de la première classe versent 15 livres, ce qui est le cas pour Couperin et
ses émules Corneille, Gigault, La Guerre (Jérôme ou Marin), Houssu
(Antoine, Edme ou Charles), Dandrieu (Pierre ou Jean-François), Garnier,
Raison, Marchand (Louis), Buterne (Jean-Baptiste), Grigny, etc. Ils sont
vingt-sept. Auprès de la deuxième classe, il est perçu 10 livres ; pour la
troisième classe, 5 livres ; pour les suppléants, 5 à 10 livres. En 1731,
Couperin devra pour la capitation 49 livres 10 sols en qualité d’organiste
du Roi, somme qu’il versera jusqu’à sa mort ; il payait aussi celle de ses
deux domestiques, 3 livres 6 sols.
Pour des raisons financières toujours, Louis XIV, en novembre 1696,
crée un Armorial général dont il confie la charge à Charles d’Hozier et qui
« fut à l’origine d’une vaste entreprise destinée à imposer le plus grand
nombre de personnes physiques ou morales en enregistrant d’autorité
leurs armes, voire en leur en attribuant d’office. Pour 20 livres, tout sujet
du Roi d’un certain niveau pouvait avoir des armes officielles » (Hervé
Pinoteau).
Il rentre ainsi dans les caisses de l’État près de deux millions et demi de
livres, car on ne sollicite jamais en vain la vanité des gens. « Parmi ceux qui
blasonnaient — nous dit François Bluche —, l’on trouvait plus de bourgeois
que de nobles ». Couperin en était, et sans ressembler à Monsieur Jourdain,
il ne lui déplaisait pas de paraître. Une trentaine de musiciens à Paris et à
Versailles, appartenant tous à la Musique royale, sollicitèrent cet honneur...
payant, « sans néanmoins que cet enregistrement puisse tirer à
conséquence pour servir de lettres de Noblesse ».
Les armoiries sont faites d’un blason représenté sur un écu. Celles de
Couperin se lisent ainsi : « Porte d’azur, a deux tridens d’argent, passés
en sautoir, accosté de deux etoiles de meme et accompagné en chef d’un
soleil d’or et en pointe d’une lire de même ». Autant la lyre symbolise la
Musique au service du Soleil (le Roi), autant les tridents laissent encore
perplexes les plus subtils commentateurs de Couperin. Il paraît difficile
de voir en ces fourches neptuniennes l’évocation des modestes arpents de
la terre de Crouilly !
Vers la même époque, Couperin obtient le grade de chevalier de
l’Ordre de Latran, dont la décoration s’étale sur la gravure de Flipart
d’après le portrait de Bouys, déposée bien en évidence sur la table. Ce titre
figure aussi tout au long sur quelques actes officiels et pages de titre de
partitions, ou sous forme abrégée de « Monsieur L. C. Couperin »
(Monsieur le Chevalier Couperin).
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FRANÇOIS COUPERIN
Portrait de François Couperin “le Grand”, d’après Bouys.
Paris, collection Pincherle
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Ces honneurs justifient bien qu’on quitte le triste appartement du
Pourtour Saint-Gervais. Couperin en a les moyens et cela permet
à la paroisse de le louer ; mais il y garde une chambre « qu’il se
réservera pour s’y retirer lors qu’il viendra pour le service de l’église ».
En août 1697, Couperin s’installe rue Saint-François.
C’est en 1697 aussi que Philidor recueille des motets de
— « Messieurs Lalande, Mathau, Marchand Laisné, Couperin et Dubuisson,
qui servent dans les départs de sa majesté de Versailles à Fontainebleau et de
Fontainebleau à Versailles avec une petitte musique qui reste pour les messes
des derniers jours pendant que toutte la musique prend les devants afin de se
trouver touts à la messe du per jour ».
Mais les années qui suivent voient les relations s’altérer avec la
fabrique Saint-Gervais, en raison d’un arriéré de gages pour 1696-99.
L’organiste donne-t-il moins de temps à la paroisse en se faisant
remplacer ? Ou la paroisse rencontre-t-elle des difficultés financières ? Les
deux sans doute.
En 1701, Couperin se rend au château de Saint-Maur :
— « Dans les intervalles de la promenade et du souper on fut agréablement
diverti par un très beau concert composé des sieurs Couperain, Vizée, Forcroy
[Forqueray], Rebel et Favre, Philebert et Decotaux ».
Le dimanche 23 novembre, il joue à Versailles :
— « Le Roy entendit après son souper dans son cabinet un concert exquis
d’airs italiens exécuté par les Sieurs Forcroy pour la viole, Couperin pour le
clavessin et du jeune Baptiste [Anet] qui est à Monseigneur le duc d’Orléans
pour le violon » (Mercure galant, 17 juillet et novembre 1701 ; cité par Bouvet).
En 1702,
— « à Villeneuve Saint-Georges, après la chasse, il y eut une musique exécutée
par les sieurs Cocherot et Thévenart de l’Opéra, et par les demoiselles
Couperin et Maupin. La première est de la Musique du Roy et nièce [lire :
cousine] du sieur Couperin, organiste de Sa Majesté, qui l’accompagne avec
une épinette. Les sieurs Visée, Forcroy, Philebert, Descoteaux et quelques
violons furent aussi de ce concert [...]. Le mardi, Mlles Couperin et Maupin
chantèrent un motet à la Messe de Monseigneur, accompagnées par le sieur
Couperin sur l’épinette [...]. On se mit au jeu après le souper pendant lequel
Mlle Couperin chanta quelques récits des vieux Opéras accompagnés des sieurs
Couperin et Forcroy ». (Mercure galant, 1702 ; cité par Bouvet).
Marguerite-Louise Couperin, fille de François (I) et cousine germaine
de François (II), vient justement d’être reçue à la Musique du Roi avec une
pension de 1000 livres. Couperin écrit pour elle des motets, notamment le
Qui dat nivem, qu’il publie en 1703 à la suite des Quatre Versets d’un motet
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composé de l’ordre du Roy et chanté à Versailles en mars 1703 ; puis d’autres
parmi les Sept Versets en mars 1704 et les Sept Versets en mars 1705.
Marguerite-Antoinette, la deuxième fille de Couperin, naît le 19
septembre 1705. Sa carrière de claveciniste n’aura rien à envier à celle de
sa petite-cousine Marguerite-Louise. Le 27 juillet 1707, on baptise le
premier fils de Couperin, Nicolas-Louis, mort en bas âge. Vers cette
époque, François perdra aussi son oncle François (I).
La Ménestrandise, par lettres patentes du 7 avril 1707, tente de
remettre sous sa dépendance les compositeurs, organistes et
clavecinistes : mais ceux-ci font échouer cette seconde offensive.
Montéclair dédie à Couperin sa Nouvelle Méthode pour apprendre la
Musique en 1709. Nicolas Siret, l’organiste de la cathédrale de Troyes, très
peu de temps après, lui fait l’hommage de son premier livre de clavecin,
en des termes déférents et affectueux :
— « Tous les ans, je quitte la Province pour venir icy vous admirer, et je n’en
sors jamais que je n’aye l’imagination remplie de mille belles choses ; quel plus
parfait modelle aurois-je pu prendre ? [...] On est heureux, monsieur, lorsqu’on
a l’honneur de vous pratiquer ; on s’aperçoit bien tost que vous ajoutez au
meritte dont je viens de parler, celuy d’être parfaitement honneste homme ;
combien de fois vous ay-je entendu nommer par des personnes de nôtre art
leur protecteur, leur père ! » (cité par Tessier).
Et le flûtiste Chauvon, en 1717, lui dédiera ses Tibiades : « Vous avez
rendu votre nom si célèbre, qu’il suffit d’être votre élève pour espérer
le suffrage du public », en se déclarant « L’Ecolier d’un aussy grand
Maître » (cité par Tessier).
Le 26 avril 1710,
— « Le Roi, après sa messe, alla voir sa chapelle neuve, qu’il visita de tous les
côtés [...] ; il fit chanter un motet par toute sa musique pour connaître quel effet
elle y pourroit faire » (Sourches).
Nouvelle expérience d’un motet le 22 mai. Enfin, le 5 juin, c’est la
bénédiction du sanctuaire, définitif cette fois, commencé par Jules
Hardouin Mansart et terminé par Robert de Cotte. Mais les organistes
devront attendre Pâques 1711 pour l’inauguration de leur instrument,
entrepris de longue date par les facteurs Étienne Énocq et Robert
Clicquot.
Couperin vient juste de louer (27 mars 1710) à son collègue de la
Musique du Roi, le violoniste Pierre Huguenet, un logement de campagne
à Saint-Germain-en-Laye rue des Ursulines, vis-à-vis l’hôtel de Louvois,
LA VIE DE FRANÇOIS COUPERIN
31
avec écurie, cour et jardin. Si la proximité de Versailles a joué dans ce
choix, c’est aussi que ce lieu représente une tradition de spectacles et
divertissements de cour au Château-Vieux et au Château-Neuf qui ont
duré jusqu’à l’installation à Versailles en 1682 ; Couperin a dû souvent en
entendre parler dans sa jeunesse. Pour l’heure, ce sont les Stuart qui
occupent la résidence. Nul doute que notre claveciniste ait entretenu des
relations avec les musiciens du monarque exilé, très attachés à
l’esthétique italienne et dirigés par Ignazio Fede.
Les deuils marquent la cour en ces lugubres années. Après la
disparition du Grand Dauphin (14 avril 1711) et celle de la petite
Dauphine Marie-Adélaïde, duchesse de Bourgogne (12 février 1712),
Couperin perd son élève le plus prestigieux, le duc de Bourgogne (18
février 1712). De la même épidémie de petite vérole sont atteintes les deux
filles de son collègue de Lalande : la cadette « en étoit morte en quatre
jours à Versailles », tandis que « l’aînée étoit attaquée du même mal » et
y succombera.
Couperin obtient un Privilège pour « plusieurs pièces de musique de
sa composition, tant pour la vocale que pour l’instrumentale,
conjointement ou séparément » (14 mai 1713) et en profite pour publier
ses Pieces de clavecin. Premier Livre dédié à Monsieur Payot de Villers,
contrôleur général des finances. Il quitte alors la rue Saint-François pour
s’installer rue Saint-Honoré, près du Palais-Royal. C’est à peu près
l’époque où son fils François-Laurent disparaît du foyer familial, dans des
conditions restées mystérieuses.
Parmi les organistes, le sieur Louis Marchand fait quelque éclat dans
sa vie privée et professionnelle, ce qui l’oblige à quitter la Chapelle royale
où il était en poste depuis 1708. Il ira parcourir les Allemagnes, tandis
qu’on le remplacera à la Chapelle par Gabriel Garnier en 1713. Couperin,
au contraire, y donne toute satisfaction, ce qui lui vaut, le 6 novembre
1714, un brevet de pension de 800 livres. C’est plutôt à Saint-Gervais que
les problèmes financiers continuent, l’obligeant à plusieurs réclamations
à la fabrique.
Les dernières années du Roi, accablé par les deuils et les souffrances
physiques, laissent la place à davantage d’intimité. Que ce soit à
Versailles, Fontainebleau et surtout Marly, les musiciens sont
quotidiennement conviés à lui offrir des petits concerts dans lesquels
Couperin excelle. Il nous le rappellera en publiant en 1722 les œuvres
destinées à ces séances :
— « Elles conviennent non seulement au Clavecin , mais aussy au Violon, a la
Flute, au Hautbois, a la Viole et au Basson. Je les avois faites pour les petits
Concerts de chambre où Louis quatorze me faisoit venir presque tous les
32
FRANÇOIS COUPERIN
dimanches de l’année. Ces pièces étoient executées par Messieurs Duval,
Philidor, Alarius [Hilaire Verloge] et Dubois : j’y touchois le Clavecin ».
C’est cette époque que choisit Couperin pour publier (1715) trois
Leçons de ténèbres pour le vendredy Saint composées quelques années
auparavant
— « à la priere des Dames religieuses de L**, où elles furent chantés [sic] avec
succez. Cela m’a determiné depuis quelques mois a composer celles
du Mercredy et du Jeudy. Cependant je ne donne a present que les trois du
premier jour, n’ayant pas assez de temps d’icy au Carême pour faire graver les
six autres ».
Celles-ci n’ont pas été publiées ni retrouvées.
Sitôt le Roi mort (1er septembre 1715), Versailles est déserté. On
emmène l’héritier de la couronne, fils du duc de Bourgone (duc d’Anjou
puis Dauphin), au château de Vincennes avant de l’installer aux Tuileries
en décembre de la même année. Paris redevient, pour un temps, la
capitale. 2 janvier 1716 : « Il y aura bal à l’Opéra les lundis, mercredis et
samedis. Monsieur le Duc d’Orléans y va très souvent » (Dangeau). Le
Régent n’a pas l’intention de porter le deuil longtemps. 19 avril : « Le Roi
entend tous les dimanches la messe dans sa grande chapelle [des
Tuileries] qui est sur le degré, et toute la musique du Roi est à cette messe
comme elle était à celle du feu Roi. Il y a une grande réforme dans cette
musique sur leurs appointements et non sur le nombre des musiciens ».
Les restrictions budgétaires commencent.
Couperin vient de quitter la rue Saint-Honoré pour « le coin de la rue
des fourreurs vis à vis les Carneaux ». Il publie son Second Livre de Pièces
de Clavecin (s.d., 1716 ou 1717), dédié à Monsieur Prat, receveur général
des Finances de Paris, avec une fausse modestie de mise lorsqu’on
s’adresse à un personnage qui pèse « lourd » ! « Ne pourrai-je jamais,
Monsieur, m’aquiter des obligations que j’ai à mes Amis qu’avec des
espèces aussi légères que celles que je leur offre ? » Il évoque dans sa
préface, à mots couverts, son illustre collègue Marin Marais, rappelle
sa « santé très delicate » et annonce la sortie de sa méthode.
L’Art de toucher le clavecin paraît en effet en 1716, dédié au jeune roi.
(Dès l’année suivante, il connaîtra une seconde édition, corrigée et
augmentée.)
— « Les marques de bonté, et de satisfaction que le feü ROI, vôtre bisayeul, m’a
donné pendant vingt-trois ans en écoutant mes ouvrages ; celles de vôtre
Auguste pére à qui j’ai eu l’avantage d’enseigner la composition, et
l’accompagnement pendant plus de douze [ans] ; et la réüssite flateuse que
mes piéces de Clavecin ont eües jusqu’ici dans le public [...]
LA VIE DE FRANÇOIS COUPERIN
33
34
LA VIE DE FRANÇOIS COUPERIN
L’Auteur souhaite « apprendre dans quelques années qu’elle [Sa
Majesté] l’ait approuvé [son livre] ». Elle contient une série de réflexions
mi-techniques mi-esthétiques destinées à aider à la bonne interprétation
au clavecin : « Comme il y a une grande distance de la Grammaire à la
Déclamation, il y en a aussi une infinie entre la Tablature et la façon de
bien-joüer ».
Pour l’heure, sa jeune Majesté a 7 ans et apprend la danse.
— « Madame avait rendez-vous pour voir danser le Roi. Il ne veut danser
encore qu’en particulier, quoiqu’il danse déjà assez bien. C’est Ballon qui lui
montre » (Dangeau, 13 novembre 1718).
Entre-temps, Couperin a encore déménagé, rue de Poitou au Marais.
Jean-Baptiste Henry d’Anglebert, survivancier de son père Jean Henry
depuis 1674 (il avait alors 13 ans !), titulaire à la mort de ce dernier (1691),
décide, à 56 ans, de céder sa survivance à Couperin, le 5 mars 1717.
— « Le Roy [...] ayant égard aux services que Jean Baptiste Henry d’Anglebert
rend depuis 43 ans en la charge d’ordinaire de la musique de sa chambre pour
le clavessin et considerant d’ailleurs que sa veüe, qui est fort affoiblie, ne luy
permet plus de continüer a servir avec la mesme application qu’il a fait par le
passé, Sa Majesté a eü agreable la tres humble suplication qu’il luy a faite
d’accorder la survivance de sa charge a François Couperin, l’un des organistes
de sa chapelle [...] ».
Cela ne fait qu’entériner une réalité, Couperin jouant depuis
longtemps déjà à la cour du clavecin autant que de l’orgue. Mais cet acte
lui offre une garantie d’avenir, un revenu pour lui-même ou pour sa fille
Marguerite-Antoinette plus tard.
Son autre fille, Marie-Madeleine, à 28 ans, décide d’entrer en religion
à l’abbaye des Bernardines de Maubuisson près de Pontoise, comme
« sœur de chœur ». Sous le nom de sœur Marie-Cécile bien sûr, elle y
tiendra l’orgue. Mais comment la doter ? Couperin demande alors au
Trésor royal qui lui a octroyé une pension de 800 livres en 1714, de la
diviser « entre Marie-Anne Ansault, sa femme, pour l’aider a subsister, et
Marie-Madeleine Couperin, sa fille, pour la mettre en estat d’acomplir le
dessein qu’elle a de se faire religieuse » (28 septembre 1718).
Le 15 juin 1722 sonne le retour à Versailles. Après sept années de
léthargie, le château se remplit à nouveau, la ville s’anime. On s’affaire
pour préparer le sacre à Reims et les musiciens de l’Écurie se querellent
pour y participer avec le meilleur ordre de préséance. Couperin ne sera
pas du voyage et se préoccupe surtout de la parution de son Troisième
Livre de Pièces de clavecin dans lequel une pièce est dédiée à La Princesse de
LA VIE DE FRANÇOIS COUPERIN
L’Art de Toucher le clavecin, 1717
Bibliothèque municipale de Versaillles, M.S.N. 8 in-fol.
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36
FRANÇOIS COUPERIN
Chabeuil ou la Muse de Monaco, fille d’Antoine Grimaldi, qui écrit au
compositeur en avril 1722 :
— « [...] Je vous apprends qu’il n’y a point de jour qu’on n’exécute ici une
de vos pièces, et que je ne rende hommage à la divine Muse qui vous les a
inspirées. Déjà ma petite fille en joue le premier livre, et ne croyez pas qu’elle
s’arrête aux pièces simplement gracieuses, enjouées ou galantes. Il lui faut du
grand, du sublime et même du chromatique. En un mot, plus il y a de fonds
d’harmonie et d’érudition dans une pièce, plus elle s’attache à l’exécuter. Une
dissonance la saisit et l’enlève [...] » (cité par P. Citron).
Mais la jeune Muse si douée et sensible disparaîtra à la fleur de l’âge.
Couperin enchaîne ce Livre avec les quatre premiers Concerts royaux
composés autrefois pour Louis XIV vieillissant.
Notre organiste aussi prend de l’âge, se plaint de sa santé et n’arrive
plus à assumer une tâche qui suppose à nouveau des allers et retours
permanents entre Paris et Versailles. Il demande alors à son jeune cousin
Nicolas, fils de François (I), de l’assister à Saint-Gervais. Celui-ci occupera
l’ancien logement paroissial de François (22 novembre 1722) et se fera
agréer officiellement comme son survivancier le 12 décembre 1723 « aux
mesmes appointements et fonctions que ceux du dit sieur Couperin laisné
autem [sic] que la Compagnie le jugera à propos » (cité par Bouvet). Cet
acte paroissial sera doublé par un engagement entre les cousins, du 28
décembre, stipulant que si le logement, le casuel et autres profits sont
acquis au survivancier, il faut en excepter les 400 livres que l’œuvre paie
annuellement, que François se réserve jusqu’à sa mort ; Nicolas promet, à
compter du jour du décès de François, de verser à sa veuve 200 livres par
an jusqu’à la mort de celle-ci, sur les 400 qu’il recevra.
Le Régent meurt (1723) et la monarchie prend une autre tournure avec
celui qu’on dénommera bientôt « le Bien-Aimé ».
La publication de l’œuvre de Couperin se poursuit en 1724 par Les
Goûts réünis ou Nouveaux Concerts (Concerts royaux V à XIV) et la
« sonade » en trio Le Parnasse ou l’Apothéose de Corelli. À ses titres
habituels, l’auteur ajoute : « et actuellement maître de l’Infante-Reine »,
Marie-Anne-Victoire, la petite Espagnole, fiancée éphémère de Louis XV,
que des contingences politiques contraires renverront dans son pays. Il
justifie dans la Préface son attachement à la musique italienne, de manière
à ne pas blesser le nationalisme ambiant :
— « Le goût Italien et le goût François ont partagé depuis longtems (en France)
la République de la Musique ; à mon égard, j’ay toujours estimé les choses qui
le meritoient, sans acception d’Auteurs, ny de Nation ; et les premiéres
Sonades Italiénes qui parurent à Paris il y a plus de trente années, et qui
LA VIE DE FRANÇOIS COUPERIN
37
m’encouragerent à en composer ensuite, ne firent aucun tort dans mon esprit,
ny aux ouvrages de Monsieur de Lulli, ni à ceux de mes ancêtres, qui seront
toûjours plus admirables qu’imitables ».
Juste le temps de déménager une fois encore (la dernière) pour aller au
coin de la rue des Bons Enfants et de la rue Neuve des Petits Champs,
paroisse Saint-Eustache, « proche la Place des Victoires : vis-à-vis les
Ecuries de l’Hôtel de Toulouse » (actuellement à l’angle des rues
Radziwill et des Petits Champs). Il y loge au deuxième étage avec sa
femme, sa fille Marguerite-Antoinette, un laquais et une cuisinière.
Et le cycle des publications reprend en 1725 avec le Concert
instrumental sous le titre d’Apotheose composé à la mémoire immortelle de
l’incomparable Monsieur de Lully où les titres en disent long sur l’intention
de réconciliation : « Apollon persuade Lulli et Corelli que la réunion des
Goûts François et Italien doit faire la perfection de la Musique » ; ou « La
Paix du Parnasse ».
C’est aussi l’année du mariage de Louis XV avec Marie Leczinska.
Mais l’événement à retenir pour 1725 reste la fondation par Anne Danican
Philidor, aux Tuileries, du Concert spirituel, institution qui va traverser le
siècle avec un rayonnement exceptionnel intra et extra-muros.
Le 25 février 1725, Armand-Louis, fils de Nicolas Couperin, reçoit le
baptême à Saint-Gervais. Nous savons à quel avenir est appelé ce garçon.
La relève est assurée à cette paroisse pour la famille Couperin.
Michel de Lalande s’éteint le 16 juin 1726, libérant beaucoup de
charges musicales à la cour. Ceux qui en ont hérité dès 1723 ou qui en
hériteront à sa mort deviendront les collègues de Couperin ; ils se
nomment Bernier, Campra, Gervais, Collin de Blamont, Destouches...
Couperin poursuit ses éditions avec le recueil Les Nations, Sonades et
Suites de Simphonies en trio (1726). En guise de préface, il rédige un
« Aveu », celui d’un « petit mensonge ».
— « Je feignis qu’un parent que j’ay, effectivement, auprès du Roy de
Sardaigne, m’avoit envoyé une Sonade d’un nouvel Auteur italien : Je rangeai
les lettres de mon nom de façon que cela forma un nom italien, que je mis à la
place. La Sonade fut dévorée avec empressement, et j’en tairay l’apologie ».
Sans le nommer, il attire l’attention du public... et des musicologues à
venir sur son cousin Marc-Roger Normand (Chaumes en Brie 1663 - Turin
1734), dit Couprin ou Coprino, organiste du Roi de Sardaigne, professeur
de clavecin des princesses de Carignan à Turin. Cette attache familiale
explique peut-être en partie l’attirance pour la musique italienne de notre
38
FRANÇOIS COUPERIN
Couperin et l’intitulé de son Quatrième Ordre : La Piemontoise.
Marie-Louise Couperin, chanteuse si appréciée à la cour, est inhumée
à Versailles le 31 mai 1728. Elle ne pourra plus interpréter les motets du
cousin François dont certains sont maintenant entendus au Concert
Spirituel. C’est Marie Antier, de l’Académie de Musique et de la Chambre
du Roi, qui s’en chargera le 8 septembre aux Tuileries ; sans doute aussi le
1er novembre, pour le psaume Benedixisti Domine donné autrefois à la
Chapelle royale en 1704.
1728, c’est aussi l’année où disparaît Marin Marais et — coïncidence ?
—celle où Couperin publie ses propres Pieces de Violes avec la basse chiffrée
en deux suites, avec son étrange « Pompe funèbre : très gravement ».
Marguerite-Antoinette participe aux concerts de la Reine :
— « La Dlle Couperin, fille du sieur Couperin, organiste du Roy, a eu l’honneur
de jouer plusieurs fois pendant ce mois devant la Reine plusieurs pièces de
clavecin et en dernier lieu le 24, veille de la fête de Saint-Louis pendant le
souper de LL. MM. Elle étoit accompagnée seulement par le sieur Besson,
ordinaire de la musique de la Chapelle [et] de la Chambre du Roy lequel s’est
fait une étude particulière pour jouer parfaitement ces sortes de pièces, en
adoucissant extrêmement son violon ; ces différents morceaux ont été très
goûtés » (Mercure de France, août 1729 ; cité par Bouvet).
Marie Leczinska, plus que son royal époux, aime la musique. Les
concerts chez la Reine, à Versailles, Fontainebleau ou Marly, s’enchaînent
à une cadence étonnante : vingt-quatre manifestations rien que pour le
premier trimestre 1729, du petit concert de chambre au grand
divertissement dansé et à l’opéra. Sans parler des bals et comédies.
Marguerite-Antoinette Couperin semble tant s’intégrer à la Musique
royale où elle remplace souvent son père, fatigué, que ce dernier
demande pour elle la transmission de la survivance de sa charge de
claveciniste. Il avait obtenu celle-ci en 1717. Le titulaire, d’Anglebert, est
toujours en vie. Mais
— « l’age et les infirmités dud. Sr d’Anglebert, l’empechent de remplir les
fonctions de lad. charge depuis plusieurs années. Il [Couperin] étoit aussi, par
les mémes motifs, hors d’etat d’y supléer, pour quoi il suplioit Sa majesté du
consentement dud. d’Anglebert, d’agréer que lad. survivance dont il est
pourvû passa à la demoiselle Couperin, sa fille, qui s’est apliquée toute sa vie
avec succès à la Musique et au Clavecin. Et Sa Majesté [...] commet la
demoiselle Antoinette Marguerite Couperin pour en faire les fonctions des a
present et les continuer après le deceds dud. Danglebert [...] » (Secrétariat de
la Maison du Roi, Marly, 16 février 1730).
LA VIE DE FRANÇOIS COUPERIN
39
Voici enfin la parution du Quatriéme Livre de Piéces de clavecin (1730)
dans les circonstances suivantes :
— « Il y a environ trois ans que ces pieces sont achevées. Mais comme ma
santé diminue de jour en jour, mes amis m’ont conseillé de cesser de travailler
et je n’ay pas fait de grands ouvrages depuis. [...] J’espere que ma Famille
trouvera dans mes Portefeuilles de quoy me faire regretter, si les regrets nous
servent a quelque chose apres la Vie ; mais il faut du moins avoir cette idée
pour tacher de meriter une immortalité chimerique ou presque tous les
Hommes aspirent ».
Le recueil s’ouvre sur La Princesse Marie et son « Air dans le goût
polonois », hommage à la fiancée du Roi qui sera bientôt Reine (1725).
Puis il salue les Couperines qui l’ont accompagné dans sa carrière : son
épouse, La Couperin et sa fille Marguerite-Antoinette, La Croûilli ou La
Couperinéte, jouant du clavecin « d’une manière scavante et admirable »
(Titon du Tillet).
Il rompt avec son passé terrien en vendant à un petit-cousin de
Chaumes ses arpents de la Brie hérités de ses ancêtres (1732). À Noël de
la même année s’écroulent les maisons du Pourtour Saint-Gervais où il
débuta et que son cousin Nicolas quittera provisoirement pour réintégrer
au même endroit un bâtiment neuf, en 1734 (actuellement rue François
Miron).
Sans doute Couperin aura-t-il lu avec satisfaction l’éloge de son père
et de ses deux oncles musiciens dans la deuxième édition (1732) du
Parnasse françois de Titon du Tillet. Ce dernier, qui n’honorait dans son
ouvrage que les « disparus », laissait entendre que le « fameux »
François Couperin, « le Grand », mériterait un jour « une place distinguée
sur le Parnasse ». Il tiendra ses promesses dans la troisième édition.
1733 : l’année fatidique. Et pourtant, le 2 mai, Couperin pense à
renouveler son Privilège général pour faire réimprimer et graver ses
ouvrages pour dix années, à l’expiration de celui obtenu en 1713 pour
vingt années.
Mais le 11 septembre, il rend son âme à Dieu. On l’enterre le 12 dans la
Chapelle Saint-Joseph qui dépend du cimetière Saint-Eustache.
Tout s’enchaîne rapidement. Sa femme quitte Paris pour s’installer
à Versailles chez sa fille, que l’on dit pour l’instant habiter au Grand
commun du Roi. Elles louent pour six ans un appartement dans une
maison dont le propriétaire est un commissaire de la marine, rue des
Récollets près du château, pour 350 livres par an. D’office, Guillaume
Marchand, élève et survivancier de Couperin, lui succède à son poste
40
FRANÇOIS COUPERIN
d’organiste du Roi (29 octobre) et pareillement Nicolas Couperin à la
tribune de Saint-Gervais (12 décembre).
Les deux cent cinquante maîtres de musique et musiciens de Paris
« célèbrent à l’Oratoire le service accoutumé pour leurs confrères défunts
dans le courant de l’année » (14 décembre).
Entre-temps, on aura procédé à l’inventaire après décès des biens de
Couperin, du 16 au 22 septembre. Cet acte essentiel (publié et analysé en
1952 par Michel Antoine) décrit par le détail le cadre de vie de la famille
Couperin : la cuisine et toute sa batterie ; une petite antichambre où trône
« un grand tableau peint sur toille représentant Louis Quatorze, dans sa
bordure doré[e] » et d’autres tableaux ; une petite chambre sur cour ; un
petit cabinet rempli de petits tableaux ; une chambre avec des
bibliothèques, deux lits jumeaux, « un grand tableau peint sur toille
représentant l’histoire de Scipion » et quantité d’autres (la Vierge, Don
Quichotte, des paysages, des fruits), trois fusils et deux paires de pistolets,
des cannes, épées, couteaux de chasse, une niche à chien (Couperin étaitil chasseur ?) ; une autre petite chambre (celle de Marguerite-Antoinette ?)
avec sa petite couchette et ses miroirs ; une autre qui devait servir de
bureau-bibliothèque avec sa pendule de Turlot (110 livres), pièce remplie
de tableaux dont une Vénus.
Ensuivent les habits et linge : les douze chemises de Madame et les
trente-quatre chemises de Monsieur, les manchettes à dentelle et les cols
de mousseline...
La vaisselle d’argent monte à 1460 livres, les objets argentés à près de
620 livres, quatre-vingts jetons d’argent ; des boutons de manchette d’or :
vie de cour oblige...
Ensuivent les livres où figurent comme il se doit la Bible de Mortier, la
Vie des Saints, l’Histoire de France de Mézeray en sept volumes ; une
Histoire romaine, une Histoire de Don Quichotte ; la Princesse de Clèves,
les Lettres persanes, des œuvres de Scarron, Racine, Corneille, Molière,
etc. Deux cent vingt volumes environ. La Bibliothèque d’un honnête
homme.
Les partitions de musique, hélas, sont répertoriées par paquets
collectifs et anonymes : douze livres « de différents opéras » ; vingt-trois
volumes « de cantates de différents autheurs » ; vingt-trois volumes « de
sonattes de différents autheurs ». Quelques noms émergent pourtant :
Corelli, Albinoni, Bernier, Marais.
LA VIE DE FRANÇOIS COUPERIN
41
L’œuvre de Couperin, en stock, forme la masse de cette bibliothèque,
que les recueils soient en feuilles (il y en a pour près de 440 livres et la
veuve aura de quoi fournir les amateurs) ou en planches de cuivre ou
d’étain pour les retirages : pas moins de trois cents, qui valent plus
de 1500 livres.
Autres richesses, les instruments : un grand clavecin Blanchet, 300
livres ; une grande épinette de Flandre, 30 livres ; une petite épinette à
l’octave, sur son pied, 30 livres ; une autre petite épinette, sans pied, 10
livres ; un petit buffet de flûte d’orgue, 15 livres ; deux violes et « un
violon de schelo » (violoncelle), 30 livres ; deux violons de Paris, 6 livres.
Enfin, les papiers : ils correspondent aux originaux de tous les actes
passés au long de la vie de Couperin et que nous avons mentionnés année
par année. Quant à l’argent comptant conservé à la maison, il se monte
à 336 livres. Pas de dettes, sauf pour les frais courants, les gages des deux
domestiques, les fournisseurs.
Mais où se trouve l’héritier mâle de la famille, le fils prodigue absent,
François-Laurent Couperin ?
— « Depuis vingt ans ou environ, il n’a donné aucunne de ses nouvelles
ausdits sieur et dame ses père et mère, ny a qui que ce soit »...
***
Et la vie continue... avec une déception.
— « [...] la charge de joueur d’epinette de Notre Chambre dont etoit
pourvû Henry Danglebert, et François Couperin reçu en survivance de lad.
charge, etant vacante en nos mains par leur deceds, et ne jugeant pas cette
charge necessaire à nôtre service, Nous avons resolu de la suprimer » à partir
du 1er janvier 1737 (Secrétariat de la Maison du Roi, mars 1736).
Profitant de la mort de Couperin et de celle, très rapprochée, de
d’Anglebert (ca 1735), le Roi promulgue un Édit qui portera un coup fatal
à la réputation de cette fonction. La survivancière Marguerite-Antoinette
Couperin ayant servi à la place de d’Anglebert pendant le quartier
d’octobre 1736, on lui règlera ses droits (25 mars 1737). Mais comme son
père, elle aura attendu en vain sa titularisation.
Ce geste s’explique-t-il par la désaffection des amateurs vis-à-vis
d’un instrument bientôt éclipsé par d’autres techniques de clavier plus
expressives ; ou par le recul de l’usage de la basse continue et la montée
de l’orchestre ; ou par le fait qu’une femme n’est pas souhaitée dans de
telles fonctions ; ou parce que ceux qui jouent l’orgue de la Chapelle sont
tous clavecinistes de surcroît et donc aptes à tenir ce rôle à la Chambre ?
42
FRANÇOIS COUPERIN
Une telle décision méritait une compensation envers la Demoiselle
Couperin qui servait à la cour au moins depuis 1730 : sa charge sera muée
en « Commission d’Ordinaire de la Musique de la Chambre du Roy pour
le Clavecin ». Mais les années passent et « Sa Majesté étant informée que
la santé de la Dlle Couperin ne luy permet pas toujours de remplir les
devoirs de lad. charge avec autant d’exactitude qu’elle desireroit », elle
demande de se faire suppléer par Bernard de Bury (Secrétariat de la
Maison du Roi, 25 novembre 1741).
Sa santé s’améliore, grâce à quoi elle sera « choisie par Louis XV pour
montrer à jouer du clavecin à Mesdames de France ses filles » (Bouvet), ce
qui suscitera un poème de Le Mière à la gloire de cette « scavante Fée ».
[...] « Je vois d’augustes Princesses
Toucher les ressorts divers
Qui sous vos mains enchanteresses
Forment d’agréables Concerts.
Ainsi, quand de votre coté,
Vous formez leur tendre jeunesse,
Elles travaillent sans cesse
A votre immortalité ».
(Mercure de France, juin 1742)
C’est l’époque où l’autre fille de Couperin, l’aînée, sœur à l’abbaye de
Maubuisson, s’éteint après vingt et un ans de profession (16 avril 1742).
Comme il l’avait promis, Titon du Tillet fait entrer Couperin dans son
Parnasse françois (édition de 1743), dix années après sa mort. Selon lui, ses
œuvres sont connues « non seulement dans toute la France, mais encore
dans les pays étrangers ; elles sont très estimées en Italie, en Angleterre et
en Allemagne ».
Ce succès explique que Marie-Anne Ansault, sa veuve, demande
encore un Privilège de douze ans pour de nouveaux tirages de ses Livres
(6 août 1745). Mais elle ne sortira pas d’œuvres inédites restées dans les
« portefeuilles » du compositeur.
Marie-Anne Ansault, qui est toujours en pension chez sa fille à
Versailles, mais cette fois rue de l’Orangerie, paroisse Saint-Louis,
« infirme de corps, touttefois saine d’esprit », dicte au notaire son
testament, le 25 mai 1747. Et voici éclarci, grâce à elle, le mystère du fils
prodigue, François-Laurent. Elle explique au scribe
— « qu’environ deux ans après le dec[e]ds dudt Couperin pere, ledt Sr Couprin
fils se représenta en fort mauvais etat au point qu’il n’etoit pas reconnoissable.
LA VIE DE FRANÇOIS COUPERIN
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Il prit communication de l’inventaire qui avoit esté fait apres le deceds dudt
Sr son pere »
et constata qu’il y avait peu de choses à en espérer.
— « Néanmoins, ladte Ve Couperin fit tout ce qui etoit en elle pour engager
ledt Sr son fils a rester aupres d’elle et tout son possible pour luy procurer un
employ honneste, mais son inclination en ayant autrement decidé, il jugea a
propos de quitter de nouveau le pays apres avoir resté environ trois ou quatre
mois avec ladte dame sa mere, qui fit beaucoup de depense pour luy, que
depuis ce temps la, il a habité dans la ville de Montauban ou il s’est marié a sa
fantaisie, qu’il s’en est absenté plusieurs fois et a abandonné sa femme, et
qu’actuellement on ne scait ou il est ; qu’enfin que ladte de ve Couprin est
informée qu’il a mené et mene une vie extremement disipée, et comme il y a
lieu de presumer qu’avec une pareille conduitte il disiperoit en moins de rien
le peu qui pouroit luy revenir de la succession de laditte dame sa mere et qu’il
ne conserveroit rien pour subsister le reste de ses jours »,
elle nomme sa fille légataire universelle à la charge
— « de payer audt Sr son frere deux cens livres de rente et pention viagere par
chacun an sa vie durant [...] pour servir a le faire subsister » (publié par
Marcelle Benoit en 1968).
C’est avec cette triste perspective que Marie-Anne Ansault quitte ce
monde, le 2 juillet 1747, inhumée à Versailles dans le cimetière SaintLouis. Sa fille lui survivra jusqu’en 1778.
Les enfants de François (I) prendront le relais musical des Couperin,
sinon à la cour, du moins à Paris, où ils tiendront la tribune de SaintGervais sous les doigts de Nicolas (†1748), de son fils Armand-Louis
(†1789), de ses fils Pierre-Louis (†1789) et Gervais-François (†1826), enfin
de la fille de ce dernier, Céleste-Thérèse (†1860).
Ainsi a perduré cette dynastie au long cours, dont le zénith peut
s’inscrire entre 1690 et 1730...
MARCELLE BENOIT
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FRANÇOIS COUPERIN
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rencontres de Villecroze, III, François Couperin. Nouveaux Regards, 1995, Paris, Klincksieck,
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