Fabliaux du Moyen Âge - biblio

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Fabliaux du Moyen Âge - biblio
Fabliaux du Moyen Âge
Livret pédagogique
correspondant au livre de l’élève n° 20
NOUVELLE ÉDITION 2015
établi par Brigitte Wagneur,
agrégée de Lettres classiques,
et Natacha Toillon (groupement de textes),
certifiée de Lettres modernes
Sommaire – 2
SOMMAIRE
R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S ................................................................................. 3 La couverture partagée – Le vilain de Farbus (pp. 11 à 20) ..................................................................................................................... 3 Estula – Les perdrix (pp. 25 à 33) ........................................................................................................................................................... 6 Le paysan devenu médecin – Le tailleur du roi et son apprenti (pp. 37 à 50)........................................................................................... 9 La vieille qui graissa la main du chevalier – Brunain, la vache du prêtre (pp. 55 à 58) ........................................................................... 11 Le pauvre mercier (pp. 63 à 69) ............................................................................................................................................................ 14 Les trois aveugles de Compiègne – Le repas de Villon et de ses compagnons (pp. 63 à 87) ..................................................................... 15 Retour sur les œuvres (pp. 93 à 96) ..................................................................................................................................................... 17 Réponses aux questions du groupement de textes (pp. 108 à 118) ..................................................................................................... 20 P R O P O S I T I O N D ’ U N E S É Q U E N C E D I D A C T I Q U E ............................................................. 22 P I S T E S D E R E C H E R C H E S D O C U M E N T A I R E S ................................................................. 23 B I B L I O G R A P H I E C O M P L É M E N T A I R E ....................................................................... 24 Tous droits de traduction, de représentation et d’adaptation réservés pour tous pays.
© Hachette Livre, 2015.
58, rue Jean Bleuzen, CS 70007, 92178 Vanves Cedex.
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Fabliaux du Moyen Âge – 3
RÉPONSES AUX QUESTIONS
Avertissement
Nous ne proposons pas de réponses aux questions des rubriques « À vos plumes ! » et « Mise en
scène ». En effet, nous considérons que ces rubriques, relevant avant tout d’un travail personnel, ne
peuvent faire l’objet d’une correction type.
L a
c o u v e r t u r e
p a r t a g é e
( p p . 1 1
–
à
L e v i l a i n
2 0 )
d e
F a r b u s
◆ Avez-vous bien lu ?
Dans La couverture partagée, le vieillard était autrefois un homme riche, mais, par amour pour son
fils, il s’était démuni à son profit de tous ses biens pour lui assurer une existence aisée. Il ne possède
plus rien : « De tout ce qu’il avait, il ne garda guère pour lui de choses qui valussent plus de deux œufs » (l. 1112). Sa situation matérielle est donc due à sa générosité et à son amour paternel.
v C’est l’épouse de son fils qui est à l’origine du renvoi du vieillard. Elle hait son beau-père, car,
selon elle, « non seulement il ne gagne pas son pain mais, de plus, il est constamment ivre ! » (l. 20-21). Elle
exige de son mari qu’il le renvoie dès le lendemain.
w Avant de partir, le vieillard demande à son fils « une vieille robe » (l. 55) parmi celles qu’il ne porte
plus ou « une des vieilles couvertures » (l. 56) qui sert à couvrir les chevaux. Son fils commence par
refuser : « Ne comptez pas sur moi pour vous faire du bien ou pour subvenir à vos dépenses » (l. 53-54), puis il
accepte que son enfant donne à son grand-père « une vieille housse de cheval » (l. 60).
x Dans Le vilain de Farbus, le vilain se rend au marché avec son fils « pour l’initier à la vie et aux
coutumes du marché » (l. 12) en faisant les achats demandés par sa femme : un râteau et un gâteau.
y Avant de toucher le fer posé par terre, Robin prend la précaution de le mouiller en crachant dessus
pour vérifier s’il est froid ou chaud ; comme la salive se met à bouillir, il ne touche pas au fer de peur
de se brûler (l. 19-21).
U Le vilain en fait autant pour manger sa cuillerée de morteruel. « Mais le morteruel qui avait été porté à
l’ébullition sur le feu de brindilles, ne frémit pas » (l. 61 sq.) : en effet, un liquide ne réagit pas comme un
métal. C’est pourquoi le vilain se brûle gravement la langue, la gorge et le tube digestif.
u
◆ Étudier le vocabulaire et la grammaire
Champ lexical de la possession dans La couverture partagée :
– « il se démit à son profit de tout ce qu’il possédait. De tout ce qu’il avait, il ne garda guère pour lui de choses »
(l. 10-12) ;
– « Pensez-vous donc être riche ? Même si vous possédiez plus que vous n’avez » (l. 18-19) ;
– « il accepta de réduire à la misère son père qui, pour lui, s’était mis sur la paille » (l. 27-28) ;
– « Le jour où je me suis entièrement démuni pour toi, j’ai perdu et mes biens et mes amis. […] donne-moi au
moins une robe. Je n’ai plus ni chausses, ni souliers » (l. 44-48) ;
– « et son fils aussitôt lui rendit tous les biens et le bétail de la maison » (l. 106-107) ;
– « celui qui donne tout ce qu’il possède à son fils » (l. 111-112) ;
– « si son avoir » (l. 113).
Ce champ lexical, essentiellement constitué de verbes et de locutions verbales, montre, par sa richesse,
qu’il s’agit là d’un thème important du fabliau.
Champ lexical de la gourmandise dans Le vilain de Farbus :
– « un gâteau qu’elle voulait tout chaud et croustillant » (l. 5) ;
– « devant un étal où l’on vendait du pain, du vin, de la cervoise, des petits pâtés et bien d’autres choses. Robin,
qui était très gourmand, déclara aussitôt qu’il voulait en avoir » (l. 34-37) ;
– « un gâteau mal travaillé et plein de grumeaux » (l. 41) ;
– « je meurs de faim » (l. 50) ;
– « le vilain en a l’eau à la bouche » (l. 53) ;
– « il la [son écuelle] remplit autant qu’il le peut de morteruel bouillant » (l. 59-60).
V
Réponses aux questions – 4
La gourmandise des personnages, et en particulier du vilain, justifie la mésaventure qui lui arrive avec
le « morteruel » et constitue un défaut populaire souvent critiqué dans les fabliaux.
W « Je vous taillerai un habit dans le même drap » (l. 98) est une expression imagée. Au sens figuré, elle
signifie qu’il agira de la même façon que son père lorsque celui-ci sera vieux ; c’est-à-dire qu’il lui
donnera l’autre moitié de la couverture donnée à son grand-père et rien de plus. L’expression est
humoristique parce qu’elle fonctionne ici au sens propre autant qu’au sens figuré, comme le prouvent
les explications de l’enfant : « je vous habillerai de la même manière que vous habillez votre père qui paie bien
cher toute la peine qu’il a prise pour vous » (l. 94-96).
X « Un visage plus renfrogné qu’un plat à barbe ou une arbalète » (l. 46-47) évoque de façon imagée une
physionomie désagréable, une expression grimaçante, comme la forme particulière du plat utilisé par
les barbiers, échancré pour s’adapter au cou du client à qui l’on fait la barbe, ou bien comme cette
arme dont on tend la corde pour projeter des traits. Il s’agit d’une comparaison satirique qui insiste sur
l’absence de féminité et de douceur de la femme du vilain.
◆ Étudier le discours
Dans le premier paragraphe de chacun des deux fabliaux, un narrateur, sans doute l’auteur, jongleur
ou clerc, s’adresse aux auditeurs, comme le prouvent les pronoms personnels utilisés : « je », qui
désigne le locuteur, et « vous », qui désigne les destinataires. De plus, dans La couverture partagée, le
narrateur précise que cette histoire lui a été racontée. Dans Le vilain de Farbus, les destinataires sont
précisés par l’apostrophe « Seigneurs » qui ouvre le récit, et le narrateur se met en scène par
l’expression « ainsi que vous allez m’entendre le raconter » (l. 3-4).
ak Le dernier paragraphe des deux fabliaux reprend le dialogue avec les auditeurs, au moyen des
mêmes pronoms personnels : « Par cet exemple, je veux vous montrer » (La couverture partagée, l. 111),
mais il ajoute en plus un conseil aux destinataires, exprimé par un impératif à la 2e personne du
pluriel : « Utilisez vous-mêmes » (l. 115) et une formule de conclusion personnelle qui insiste sur la
présence du narrateur-auteur : « C’est ainsi que je conclurai mon conte » (l. 116-117). Destinataires et
narrateur sont également présents dans le dernier paragraphe du Vilain de Farbus, par la même
apostrophe qu’au début du récit (l. 87 : « Seigneurs ») et par une marque de jugement personnel de
l’auteur (l. 89 : « ainsi que je le pense »). Ces indices nous rappellent que les fabliaux étaient des récits
transmis oralement, où l’échange entre le conteur et les auditeurs jouait un rôle déterminant et influait
même sur le contenu du récit.
at
◆ Étudier le genre du texte
Un conte moral (La couverture partagée) : ce fabliau met en évidence l’ingratitude du fils qui, à la
demande de sa femme, est prêt à chasser son père, vieux et sans ressources, alors qu’il tient tout ce
qu’il possède de lui. Il lui reproche de ne pas avoir participé aux travaux domestiques et de n’avoir fait
que s’enivrer. L’ingratitude, et même la cruauté du fils s’expriment surtout dans la réplique suivante :
« Je suis excédé de vous voir encore vivre ! Ne comptez pas sur moi pour vous faire du bien ou pour subvenir à vos
dépenses » (l. 53-54). La leçon morale est apportée par le petit-fils qui menace d’agir de la même façon
à l’égard de son père, lorsque celui-ci sera vieux. Il provoque ainsi une prise de conscience chez le fils
qui a honte de son comportement et demande à son père de le pardonner, avant de lui rendre tous ses
biens. L’auteur insiste sur la sagesse de conserver son propre bien pour rester maître de soi. La
générosité est donc ici assimilée à la folie.
am Un conte comique (Le vilain de Farbus) : ce fabliau fait la satire amusante de la bêtise du vilain,
qui tout d’abord est attiré par le fer chaud posé par terre « pour tromper les fourbes et les niais qui, souvent,
s’y laissaient prendre » (l. 14-15). Son fils est plus méfiant et teste le fer avant de le toucher, ce qui
provoque la surprise du vilain qui se fait expliquer comment éprouver la chaleur du fer : « Le vilain,
qui était ignorant, lui demanda pourquoi il ne l’avait pas pris » (l. 21-22). La satisfaction comique qu’il
montre à l’issue des explications de son fils prouve également sa naïveté : « Eh bien, tu m’as appris là
une chose que j’apprécie beaucoup, fit le vilain, car souvent je me suis brûlé la langue ou le doigt en attrapant
quelque chose mais quand, dorénavant, le besoin s’en fera sentir, je m’y prendrai comme tu l’as fait » (l. 30-33).
Mais sa bêtise apparaît surtout dans l’application qu’il fait de la leçon, sur le morteruel bouillant, sans
faire de distinction entre un métal et un liquide : « il la remplit autant qu’il le peut de morteruel bouillant et
crache dessus afin de ne pas se brûler, ainsi que Robin l’avait fait sur le fer chaud » (l. 59-61). De plus, ensuite,
al
Fabliaux du Moyen Âge – 5
il se met comiquement en colère contre son fils en l’accusant de l’avoir trompé. Sa bêtise est d’ailleurs
soulignée ironiquement par Robin : « Certes, fait Robin, c’est surprenant de voir qu’à votre âge vous ne
savez pas encore manger ! » (l. 69-70). Le vilain conjugue la convoitise et la bêtise, ce qui provoque ses
mésaventures comiques.
◆ Étudier l’écriture
Dans La couverture partagée, le narrateur ménage un effet de surprise dans la réponse de l’enfant à son
grand-père, aux lignes 70-73 : « Eh bien, allez dire à mon père que vous n’avez pas eu gain de cause : vous
n’aurez que la moitié de la couverture, je vous le certifie. Pour ce qui est de l’autre, je refuse de vous la donner. »
En effet, le refus de donner la couverture entière, qui n’est accompagné d’aucune justification,
surprend le lecteur qui ne s’attendait pas à cette réaction. La réponse semble incompréhensible et
absurde. Cela permet de retarder les explications de l’enfant et de mettre davantage en valeur la leçon
de morale qu’il fait ensuite à son père.
ao Dans Le vilain de Farbus, le narrateur ménage le suspense lorsque le vilain s’apprête à avaler son
morteruel (l. 51-69) en insistant sur les préparatifs du repas que font la femme et l’enfant, puis sur la
gourmandise du vilain qui justifie le choix de l’écuelle et de la cuiller ; et enfin sur la précaution
inutile qu’il prend en crachant sur le contenu de sa cuiller. Tout se fait très vite, car le vilain est
affamé, mais chacune de ses actions est décrite précisément, ce qui ralentit la scène et accroît la
curiosité amusée du lecteur qui attend la fin de la mésaventure du vilain avec impatience. De plus,
toute la scène est rapportée au présent de narration, ce qui permet au lecteur de la vivre en même
temps que le personnage.
an
◆ Étudier un thème : la sagesse de l’enfant
Dans La couverture partagée, l’auteur met en valeur la sagesse de l’enfant à plusieurs reprises. Il la
souligne dès le début du fabliau et en annonce par anticipation les effets à venir : « Le garçon vécut
heureux en ménage jusqu’à ce que sa femme eût un fils qui se montra plus tard d’une grande sagesse » (l. 13-14).
Puis la réaction de l’enfant à l’ordre de son père prouve son bon cœur et sa maturité : « Quand l’enfant
l’entendit lui raconter cela, il en fut saisi d’étonnement, de tristesse et de colère » (l. 69-70). Enfin, après la
justification de l’enfant : « Mais je n’ai pas mal agi ! Au contraire, je pense avoir de bonnes raisons » (l. 8990), l’auteur le valorise par une hyperbole : « En entendant ainsi parler son fils qui raisonne des plus
sainement, le père est rempli d’étonnement et de honte » (l. 99-100) et par une hypothèse réfutée : « […] lui
qui aurait pu souffrir un terrible martyre si l’enfant qui avait refusé de lui donner la couverture, n’avait rien dit »
(l. 108-110). C’est grâce à l’enfant que le vieillard évite un sort cruel et injuste.
Dans Le vilain de Farbus, la sagesse de l’enfant apparaît dès le début du récit. En effet, alors que le
vilain emmène son fils au marché pour l’instruire, c’est Robin qui fait preuve de prudence en voyant
un fer posé par terre, son père étant prêt à tomber dans le piège. Puis c’est encore Robin qui fait la
leçon à son père sur le moyen de vérifier la chaleur du fer (l. 13-24). Enfin, devant la bêtise du vilain
qui applique inconsidérément cette leçon au morteruel, l’enfant s’étonne et fournit de nouvelles
explications. C’est lui qui a le dernier mot et admoneste son père comme on le ferait pour un enfant :
« Sire, répondit Robin, par le Saint Père, au moins jamais plus, à votre corps défendant, vous n’oublierez que le
fer chaud n’est pas du morteruel ! » (l. 84-86).
On assiste, dans ces deux fabliaux, à une inversion des rôles traditionnels, la sagesse n’étant plus liée à
l’âge et à l’expérience, mais, au contraire, à l’extrême jeunesse et à l’innocence. C’est une image de
l’enfance assez surprenante pour le Moyen Âge, où l’enfant est habituellement assimilé à un jeune
animal par l’Église, qui considère qu’il n’est pas encore doué de raison et qu’il est soumis à son
instinct. Mais plus qu’à une valorisation de l’enfant, c’est à une dépréciation des adultes que nous
assistons ici, puisqu’ils sont à chaque fois inférieurs à leurs enfants, moralement et intellectuellement.
ap
◆ Étudier un thème : la satire de la femme
Les deux fabliaux donnent une image négative de la femme. Dans La couverture partagée, c’est à la
demande de sa femme que le fils décide de chasser son père ; s’il fait preuve de faiblesse, c’est la
femme qui se montre intéressée et cruelle : « Pendant longtemps son brave homme de père mena avec eux
une vie paisible jusqu’au jour où l’épouse de son fils, qui le haïssait, ne put cacher plus longtemps son dépit »
(l. 14-17). Le discours qu’elle tient à son mari, et que celui-ci reprend ensuite à son compte, fait voir
sa cupidité, et ses menaces montrent sa détermination à se débarrasser du vieillard, alors que l’aisance
aq
Réponses aux questions – 6
dont elle bénéficie dans son ménage est le résultat du sacrifice de son beau-père. Jalouse, cupide,
ingrate, la femme est responsable de l’injustice faite au vieillard.
Dans Le vilain de Farbus, la femme est autoritaire et exigeante ; c’est elle qui gère l’argent des dépenses
et donne les ordres pour les achats au marché. Elle calcule avec parcimonie la somme nécessaire au
repas de son mari et de son fils : « un denier tout rond pour des petits pâtés et de la cervoise, compta-t-elle, et
deux deniers pour le pain, ce serait suffisant pour son fils et lui » (l. 8-10). Au retour de son mari, sa
mauvaise humeur est évidente et son portrait est peu flatteur : « La femme du vilain, en ouvrant la porte
du jardin, les accueillit avec un visage plus renfrogné qu’un plat à barbe ou une arbalète » (l. 45-47). Ses
premiers mots sont pour réclamer le gâteau commandé, pourtant elle est soumise à son mari et ne
discute pas son ordre lorsqu’il réclame un morteruel. Ce portrait satirique est assurément le reflet de
l’image de la femme transmise par l’Église au Moyen Âge, qui voit dans la femme le symbole de tous
les péchés et de la tentation pour l’homme, comme Ève le fut pour Adam au début de l’humanité.
◆ Lire l’image
L’illustration de la page 16 représente une scène d’intérieur. Dans une pièce fermée, cinq
personnages sont assis autour d’un feu de cheminée en train de brûler à l’arrière-plan. À gauche, un
homme âgé, barbu, vêtu d’une longue robe et coiffé d’une toque, tient un long bâton dans sa main
droite et tend sa main gauche vers le feu pour se réchauffer. À droite, une femme coiffée d’un voile et
vêtue d’une robe et d’un tablier déroule la laine de sa quenouille qu’elle tient sous le bras gauche. Au
premier plan, trois personnages sont assis, un enfant de profil, un autre de dos, tous deux sur des
tabourets, comme les deux adultes ; à droite, un troisième personnage, adulte, les yeux baissés, est
recroquevillé au sol, les mains serrées sur son manteau ou une couverture, pour se protéger du froid,
semble-t-il. De cette image se dégage une impression de paix familiale ; seul le personnage au premier
plan à droite semble en désaccord avec cette harmonie : s’agit-il d’un serviteur ou d’un mendiant
accueilli par charité près du feu ?
as
E s t u l a – L e s p e r d r i x
( p p . 2 5 à 3 3 )
◆ Avez-vous bien lu ?
Dans Estula, les deux frères sont orphelins et pauvres ; ils vivent seuls « sans la moindre compagnie »
(l. 2-3) et souffrent constamment de la faim et du froid.
v À côté de chez eux vit un bourgeois fort riche mais bête, ce qui se vérifie par sa réaction face à la
méprise de son fils au cours du récit (l. 39-46).
w Le bourgeois envoie son fils chercher un prêtre pour que celui-ci exorcise les démons ; il pense, en
effet, que leur chien, Estula, qui peut semble-t-il parler, est possédé par le Diable.
x En s’enfuyant, le prêtre abandonne son surplis blanc qui s’est accroché à un pieu ; c’est l’un des
deux frères qui le décroche et s’en empare.
y Dans Les perdrix, le vilain s’absente, pendant que sa femme fait cuire les perdrix, pour aller chercher
le prêtre avec lequel il veut partager son repas. « Mais il s’attarda tant que les perdrix furent cuites bien
avant son retour » (l. 8-9) – ce qui provoque la gourmandise de la femme qui ne peut résister au désir
de les goûter, puis de les manger entièrement.
U Lors du retour de son mari, elle affirme que les chats ont emporté toutes les perdrix : « Sire,
répondit-elle, c’est la catastrophe : les chats les ont mangées ! » (l. 34-35). Elle renonce aussitôt à ce
mensonge parce que cela provoque la colère et la violence de son mari à son égard : « Le vilain fit un
bond et se précipita sur elle comme un fou et il lui aurait arraché les yeux si elle ne s’était écriée […] » (l. 36-39).
V À l’arrivée du prêtre, elle lui dit, pour le faire rapidement fuir, que son mari « est sorti pour aiguiser
son grand couteau » et qu’il veut lui trancher « les couilles » (l. 55) s’il peut l’attraper. Pour rendre ce
mensonge vraisemblable, elle a auparavant demandé à son mari d’aller aiguiser son couteau sur la
meule dans la cour, ce qu’il est en train de faire quand le prêtre arrive : « En effet, je le vois. Par mon
bonnet, je veux bien croire que tu m’as dit la vérité » (l. 63-64), dit alors le prêtre.
u
Fabliaux du Moyen Âge – 7
Enfin, elle justifie la fuite du prêtre et lance son mari à sa poursuite en affirmant qu’il emporte les
perdrix : « Ce que j’ai ! Vous allez le savoir bien vite et si vous ne pouvez pas courir assez vite vous allez y
perdre, car, par le respect que je vous dois, le prêtre emporte vos perdrix ! » (l. 68-70). Elle les lance ainsi dans
une poursuite absurde mais très drôle pour le lecteur.
W
◆ Étudier le vocabulaire et la grammaire
Dans Estula, le nom du chien crée un quiproquo : l’un des frères croit que l’autre l’appelle (« Es-tu
là ? »), alors que le fils du bourgeois appelle son chien. Il s’agit d’une homophonie. Ce nom a été
choisi comme titre du fabliau parce qu’il est à l’origine de la confusion qui entraîne les péripéties
comiques dues à la bêtise du bourgeois.
at Dans Les perdrix, l’expression « elle sent l’eau lui venir à la bouche » (l. 22-23) signifie, au sens propre,
qu’elle se met à saliver sous l’action de l’appétit ; et l’expression « elle s’en pourlèche les doigts » (l. 26)
décrit sa satisfaction à se lécher les doigts parce qu’elle vient de manger avec les mains le cou de la
deuxième perdrix. Au sens figuré, ces expressions signifient, pour la première, que la dame est mise en
appétit et, pour la seconde, qu’elle mange avec grand plaisir.
Ces deux expressions imagées font apparaître la gourmandise de la femme du vilain, qui ne sait résister
à ses désirs et qui a des réactions quasi animales à la perspective d’un bon repas.
X
◆ Étudier le discours
Dans Les perdrix, le narrateur utilise successivement trois types de discours pour rapporter les
réflexions de la femme du vilain : tout d’abord le discours indirect, le plus impersonnel (l. 16-17 :
« Puis elle se dit qu’elle ne pourra pas s’empêcher de dévorer l’autre ») ; ensuite le discours indirect libre, plus
vivant (l. 21 : « Ainsi pense-t-elle, elle s’en tirera ») ; et enfin le discours direct, le plus fidèle (l. 27 :
« Hélas ! se dit-elle, que vais-je faire ? »).
L’enchaînement de ces trois types de discours nous fait pénétrer de plus en plus précisément dans les
réflexions de la femme et nous rend sa psychologie plus proche et plus vraie. Le lecteur partage ainsi
les affres de sa gourmandise.
ak
◆ Étudier le genre du texte : le comique de situation
Dans Estula, le premier quiproquo est provoqué par le nom du chien prononcé par le fils du
bourgeois (l. 29-31 : « Estula ! Estula ! […] Oui, je suis là ») : il s’agit d’une incompréhension du
langage ; puis le deuxième quiproquo vient du fait que l’enfant croit que le chien lui répond (l. 3738 : « Estula vient de me parler ») et ensuite son père, incrédule, renouvelle l’expérience et reçoit la
même réponse (l. 45 : « Mais oui, je suis là ») : il s’agit là d’une confusion entre une personne et un
animal ; enfin le dernier quiproquo vient du fait que le prêtre croit qu’on va l’égorger, alors que l’un
des frères parlait du mouton que l’autre frère avait dérobé (l. 71-72 : « Alors vite, pose-le là. Mon couteau
est bien émoulu car je l’ai fait affûter hier à la forge ; je vais lui trancher la gorge ») : il s’agit, cette fois, d’une
confusion entre deux personnes. La situation créée est comique, car le prêtre s’enfuit à toutes jambes
sans raison apparente, du moins pour celui des frères qui le voit partir.
am Dans Les perdrix, la femme du vilain a créé un malentendu entre le prêtre et son mari : elle a, d’une
part, fait croire au prêtre que son mari aiguisait son couteau pour lui trancher « les couilles » (l. 55), ce
qui provoque sa fuite. Elle a, d’autre part, affirmé à son mari que le prêtre s’est emparé des perdrix, et
aussitôt celui-ci s’est lancé à la poursuite du prêtre, son couteau à la main.
an Avant l’arrivée du prêtre, elle avait demandé à son mari d’aller affûter son couteau dans la cour, soidisant pour découper les perdrix. Cette mise en scène provoque la fuite du prêtre, effrayé.
ao La scène créée appartient au comique de situation ; en effet, le vilain poursuit le prêtre et le prêtre
fuit de crainte d’être assassiné – ce qui provoque une course-poursuite totalement absurde (l. 77-81 :
« Le prêtre jette un coup d’œil derrière lui et voit le vilain qui accourt, le couteau à la main. Il se voit déjà mort si
le vilain le rattrape. Il ne ménage pas sa peine pour accélérer sa fuite. Le vilain qui pensait récupérer ses perdrix,
accélère aussi l’allure mais le prêtre, d’un bond, s’est réfugié dans sa maison »). C’est l’incompréhension entre
les deux hommes qui est amusante.
al
Réponses aux questions – 8
◆ Étudier l’écriture
Dans Estula, le mot « Pauvreté » (l. 3) est utilisé avec une majuscule et sans déterminant, comme s’il
s’agissait du nom d’un personnage ; elle est d’ailleurs qualifiée ironiquement du titre d’« amie » pour
les deux frères, et elle est décrite comme le serait un personnage (l. 3-5 : « Pauvreté était leur seule amie
car bien souvent elle leur tenait compagnie et c’est là une amie qui fait souffrir plus qu’à leur tour ceux avec
lesquels elle se trouve »). Cette figure de style se nomme « une personnification ».
ap
◆ Étudier un thème : le vice n’est pas toujours puni !
Dans Estula, la malhonnêteté est justifiée par l’injustice de la situation matérielle des deux frères qui
vivent dans la misère alors que leur voisin est riche mais ne leur porte pas secours. Son absence de
charité est aggravée par sa bêtise, car il croit à un miracle quand il entend son chien parler (l. 47-49 :
« Par tous les saints et les saintes, fils, j’ai déjà entendu des choses étonnantes, mais comme celle-ci jamais !
Dépêche-toi, va raconter ces merveilles au curé et ramène-le avec toi »). Les lecteurs ne peuvent être que
satisfaits de le voir puni ainsi, car voler les riches, surtout quand ils sont stupides, est une revanche que
tous aimeraient prendre !
Le proverbe final montre qu’une situation n’est jamais définitive, et que le bonheur peut succéder
rapidement au malheur, comme c’est le cas pour les deux frères : « Ils avaient maintenant retrouvé l’envie
de rire que naguère ils avaient perdue » (l. 85-86), mais que l’inverse est aussi vrai, comme le prouve la
mésaventure du riche bourgeois.
Ce fabliau n’est guère moral puisque le vol n’est pas puni ; mais le riche a mérité son sort et on peut
rire de sa mésaventure sans remords, d’autant que les deux frères ne lui dérobent que peu de choses et
seulement pour survivre.
ar Dans Les perdrix, la satire de la femme porte d’abord sur sa gourmandise qui est longuement décrite au
début du récit et commentée ainsi par le narrateur : « Quand Dieu lui offrait quelque chose, elle ne souhaitait
jamais la richesse, mais seulement la satisfaction de ses désirs » (l. 11-12). Le champ lexical de la gourmandise
est d’ailleurs très riche dans ce deuxième paragraphe. Mais, en même temps, le narrateur fait allusion à sa
ruse : « Elle sait très bien ce qu’elle dira si on lui demande ce qu’elles sont devenues : elle dira qu’à peine elle les
avait retirées du feu, des chats sont arrivés et les lui ont arrachées des mains, chaque chat emportant la sienne. Ainsi
pense-t-elle, elle s’en tirera » (l. 17-21). On voit que l’esprit de la femme est aussi vif que sa gourmandise ;
d’ailleurs, devant l’échec de son premier mensonge, elle ne s’obstine pas mais injurie son mari pour se
laisser le temps d’inventer un autre mensonge plus complexe : « C’était pour rire ! C’était une plaisanterie !
Arrière, suppôt de Satan, je les ai couvertes pour les tenir bien au chaud » (l. 38-39). Elle est aidée par la naïveté
des deux hommes qui ne doutent pas un instant de ce qu’elle leur dit mais réagissent immédiatement
comme elle le souhaitait : « En effet, je le vois. Par mon bonnet, je veux bien croire que tu m’as dit la vérité »
(l. 63-64), dit le prêtre. Quant au vilain : « Après tout, c’est peut-être la vérité. Laissons-le là où il est » (l. 92).
Aussi la satire porte-t-elle autant sur la bêtise du vilain et du prêtre, qui sont rendus ridicules, que sur la
ruse et la gourmandise de la femme, qui a eu satisfaction en tout.
as La conclusion du narrateur rapporte l’opinion négative qu’on avait de la femme au Moyen Âge :
« la femme a été créée pour tromper : elle fait passer un mensonge pour une vérité et une vérité pour un
mensonge » (l. 95-97). Cette opinion méprisante est transmise par l’Église, qui voit dans la femme la
descendante d’Ève, la première femme, qui poussa Adam à la désobéissance et les fit chasser du
Paradis terrestre. Ce jugement satirique est volontairement provocateur mais il est destiné à s’attirer les
rires complices de la société aristocratique contre les ordres bourgeois et populaire, qui sont ici
ridiculisés par plus faible qu’eux.
aq
◆ Lire l’image
L’illustration sur la plat II de couverture est divisée en deux moitiés égales dans le sens de la
hauteur : la partie droite représente quatre garçons dans un paysage naturel, deux d’entre eux au
premier plan s’exercent à la lutte, tandis que les deux autres à l’arrière-plan s’entraînent à l’escrime ; la
partie gauche représente quatre jeunes filles dans une salle de château ou peut-être de couvent, trois
d’entre elles à l’arrière-plan sont occupées à filer la laine et la quatrième au premier plan travaille à un
métier à tisser. Tous ces jeunes gens appartiennent à la noblesse, comme le prouvent les riches habits
dont ils sont vêtus. Ils se livrent à des activités traditionnellement féminines ou masculines, les unes
enfermées pour des occupations domestiques valorisant l’habileté, la grâce et l’utilité, les autres à
l’extérieur pour des occupations sportives valorisant l’adresse, la force et le courage.
bl
Fabliaux du Moyen Âge – 9
L e
p a y s a n d e v e n u m é d e c i n – L e t a i l l e u r
e t s o n a p p r e n t i ( p p . 3 7 à 5 0 )
d u
r o i
◆ Avez-vous bien lu ?
Dans Le paysan devenu médecin, la femme que le vilain épouse est la fille d’un chevalier âgé et veuf,
mais sans fortune ; c’est-à-dire qu’elle est d’origine noble, contrairement à son mari qui, lui, est
inférieur socialement.
v Selon lui, sa femme, qui est « très belle et fort courtoise » (l. 10), va subir les avances des jeunes gens
désœuvrés et du chapelain, dès qu’il sera occupé à travailler. Il ne tarda pas à penser « qu’il avait fait
une mauvaise affaire : il ne convenait pas à ses besoins d’avoir une fille de chevalier pour femme » (l. 23-24).
w Il décide d’y remédier en la battant tous les matins, de façon qu’elle passe la journée à pleurer – ce
qui éloignera les galants. Le soir, il lui demandera pardon et ils feront la paix.
x Les deux messagers du roi cherchent un médecin pour le ramener en Angleterre auprès de la fille
du roi, Aude, qui ne peut plus boire ni manger à cause d’« une arête de poisson [qui] lui est restée fichée
dans le gosier » (l. 84-85). La femme du vilain affirme que son mari est médecin mais qu’il refuse de
soigner les malades s’il n’a pas été auparavant battu.
y Pour guérir la fille du roi, « il lui fallait trouver quelque chose à faire ou à dire qui puisse la faire rire afin
que l’arête saute de sa gorge car elle n’était pas enfoncée plus avant dans son corps » (l. 148-150). Le paysan
demande que l’on fasse du feu dans la chambre et qu’on le laisse seul avec la jeune fille, puis il se met
tout nu et commence « à se gratter et à s’étriller » (l. 158) – ce qui provoque le rire de la princesse et
l’expulsion de l’arête.
U Pour guérir tous les malades du royaume, le vilain les réunit dans une salle où l’on a fait un grand
feu et il leur annonce qu’il va brûler le plus malade d’entre eux pour guérir les autres, en leur faisant
boire ses cendres mélangées à de l’eau. Ce « remède » fonctionne très bien, car aucun ne veut
admettre qu’il est le plus malade et tous quittent la salle en se déclarant guéris pour éviter d’être jetés
dans le feu.
V Dans Le tailleur du roi : « Pour accélérer le travail, le roi délégua son chambellan auprès des apprentis afin de
leur fournir tout ce dont ils auraient besoin tout en leur évitant la possibilité de distraire à leur profit la moindre
partie des fournitures » (l. 9-12).
W Selon le maître tailleur, Nidui ne mange pas de miel : « Nous l’aurions bien volontiers attendu mais il
ne mange pas de miel et il pourra bien manger autre chose à sa suffisance » (l. 20-21).
X « Nidui ne perdit pas de temps : il cacha les ciseaux de son maître » (l. 57-58). Afin de se venger de lui, il
veut le faire passer pour fou lorsqu’il s’agitera dans tous les sens pour les retrouver.
u
◆ Étudier le vocabulaire et la grammaire
Le champ lexical de la violence physique dans Le paysan devenu médecin est très riche :
– « si je la battais le matin » (l. 33) ;
– « il frappa sa femme en pleine figure, y laissant la marque de ses doigts ; […] il la saisit par les cheveux et lui
administra une sévère correction » (l. 43-50) ;
– « le rustre a de nouveau battu sa femme au point de manquer l’estropier » (l. 64-65) ;
– « il ne sait pas ce que sont les coups » (l. 69-70) ;
– « si on ne lui administrait auparavant une sévère correction » (l. 94-95) ;
– « l’un le frappe derrière l’oreille et l’autre sur le dos avec un gros bâton ; ils le malmènent à qui mieux mieux »
(l. 116-117) ;
– « administrèrent une raclée au paysan » (l. 140-141) ;
– « quand celui-ci sentit les coups pleuvoir » (l. 141).
Mais on constate que ce champ lexical est en même temps très répétitif car les expressions qui
concernent la femme au début du récit se retrouvent ensuite quand c’est le vilain qui est à son tour
battu. Cet effet de répétition est une caractéristique de ce type de comique de farce.
ak Dans l’adjectif numéral cardinal « quatre-vingts », vingt prend la marque du pluriel parce qu’il est
multiplié par quatre, sans être suivi d’un autre adjectif numéral cardinal. C’est la même règle qui
s’applique à cent.
at
Réponses aux questions – 10
Dans Le tailleur du roi, l’expression « toute personne qui croise son chemin risque de ne plus jamais pouvoir
manger de pain » (l. 39-40) signifie que, d’après Nidui, le maître tailleur devient violent pendant ses
prétendues crises de folie et qu’il risque de tuer ceux qui l’entourent. Cette phrase est précisée par
l’expression : « Plaise à Dieu que, par suite de sa folie, personne d’entre nous ne perde la vie ! » (l. 55-56),
prononcée par le chambellan.
am La phrase « Celui qui sème le mal / récolte / ce qu’il a semé » (l. 82-83) est composée de trois
propositions : une subordonnée relative indéfinie, sujet du verbe récolter, une proposition principale
réduite au minimum, et une seconde subordonnée relative indéfinie, complément d’objet du verbe
principal. Cette phrase s’apparente à une maxime par la forme et par le sens car elle énonce une vérité
générale.
al
◆ Étudier le discours
Dans les dialogues du Paysan devenu médecin, voici une phrase :
– déclarative : « Demoiselle Aude, la fille du roi est malade ; il y a bien huit jours qu’elle n’a ni bu ni mangé
car une arête de poisson lui est restée fichée dans le gosier » (l. 83-85) ;
– interrogative : « D’où êtes-vous et où allez-vous ? » (l. 77, inversion du sujet, point d’interrogation) ;
– exclamative : « Quel drôle de médecin c’est là ! » (l. 126, adjectif exclamatif, point d’exclamation) ;
– impérative : « Dites-moi ce que vous cherchez » (l. 77-78, verbe à l’impératif).
ao « Il lui demanda depuis quand il avait appris qu’il avait périodiquement des accès de folie. »
Les modifications effectuées portent sur les pronoms personnels (passage de la 1re et de la 2e personne
à la 3e personne) et sur les temps des verbes (passage du passé composé au plus-que-parfait).
L’ambiguïté est produite par l’emploi de la 3e personne qui désigne tout d’abord Nidui, puis le maître
tailleur.
an
◆ Étudier le genre du texte : le comique de farce
Dans Le paysan devenu médecin, les coups n’ont aucun effet comique lorsqu’ils sont subis par la
femme parce qu’ils sont donnés injustement et cruellement. Au contraire, le lecteur s’apitoie sur le
sort de la malheureuse, mariée malgré elle à un homme brutal et jaloux. Le registre est ici plus
pathétique que comique. C’est pourquoi les coups que subit ensuite le paysan constituent une juste
revanche, attendue par le lecteur et qui le fait bien rire. Il s’agit bien là d’un comique de farce, où les
coups reviennent avec régularité pour punir le jaloux. On pense au personnage de Guignol qui fait
subir le même sort à ses adversaires.
aq Le comique du remède inventé par le paysan pour guérir la fille du roi provient de sa tenue et de
son comportement, aussi grotesques l’un que l’autre : « et le vilain se déshabilla tout nu, ôta ses culottes et
se coucha le long du feu. Il se mit à se gratter et à s’étriller : il avait les ongles longs et le cuir dur » (l. 157-159).
De plus, il y a un décalage manifeste entre les circonstances et le remède, mais aussi entre les deux
personnages – ce qui crée un effet burlesque.
ar Dans Le tailleur du roi et son apprenti, la prétendue folie du maître tailleur et les coups qu’il reçoit
pour le guérir sont amusants parce qu’ils constituent également une vengeance, mais en eux-mêmes
ils ne sont plus guère comiques à notre époque où la folie n’est pas perçue de la même manière qu’au
Moyen Âge. De nos jours, voir frapper un infirme ou un malade mental scandalise et ne fait plus rire.
ap
◆ Étudier l’écriture
Dans Le paysan devenu médecin, les hyperboles de la scène de guérison des quatre-vingts malades sont
très nombreuses : « le plus malade » ; « tous les autres » ; « seront guéris sur l’heure » ; « même si on lui avait
donné la Normandie » ; « le plus gravement atteint » ; « je te vois bien faible, tu es le plus malade de tous » ;
« je me sens beaucoup mieux que jamais je ne me suis senti » ; « des maux bien cruels qui m’ont longtemps fait
souffrir » ; « je suis plus sain qu’une pomme » ; « un homme remarquable » ; « pour rien au monde » ;
« complètement guéris » ; « éperdu de joie ». Ces exagérations sont destinées à mettre en valeur le
stratagème mis au point par le faux médecin en accentuant les maux des « patients » et les effets
produits par le « remède ».
bt Le champ lexical de la folie dans Le tailleur du roi et son apprenti est le suivant :
– « des troubles mentaux ; il perd le sens et devient fou » (l. 37-38) ;
– « crises » (l. 43) ;
as
Fabliaux du Moyen Âge – 11
– « c’est sa folie qui le prend » (l. 50) ;
– « se comporta comme quelqu’un qui aurait perdu la raison » (l. 62) ;
– « des accès de démence » (l. 71) ;
– « des accès de folie » (l. 75-76) ;
Ce champ lexical est varié ; il y a donc beaucoup de mots différents pour désigner la folie.
◆ Étudier un thème : la vengeance ou « le trompeur trompé »
Dans Le Paysan devenu médecin, la femme fait preuve d’esprit d’à-propos et de vivacité, car elle
imagine sa vengeance dès qu’elle entend les messagers du roi expliquer leur mission ; elle sait, de plus,
les convaincre du caractère original de son mari ; elle est donc persuasive.
bl Sa vengeance est tout à fait justifiée par la brutalité et la cruauté dont son mari a fait preuve à son
égard, sans aucun motif. Elle lui rend ainsi les coups qu’il lui a donnés injustement et trouve un
artifice pour répondre aux réflexions qu’elle se faisait : « Et mon mari a-t-il jamais été battu ?
Certainement pas ; il ne sait pas ce que sont les coups ; s’il le savait, pour rien au monde il ne m’en aurait donné
autant ! » (l. 68-71).
bm Le paysan se tire de cette délicate situation grâce à son intelligence qui lui fait trouver par deux fois
un stratagème astucieux ; il soigne et guérit la fille du roi et il se débarrasse des malades du royaume
sans les soigner.
bn Malgré leur différence sociale, le mari et la femme se ressemblent par leur intelligence, leur vivacité
d’esprit et leur malice.
bo Le fabliau a une fin heureuse, car le mari brutal a été puni et il a compris sa punition ; de ce fait, il
y a progrès moral, et la fin du récit peut être optimiste quant aux relations entre les deux personnages.
C’est un fabliau moral autant que comique, dans lequel il y a une leçon importante pour l’époque : il
ne faut pas battre sa femme. En revanche, le retour à la moralité ne s’étend pas à l’exercice frauduleux
de la médecine, puisque le vilain continue à exercer son « art », une fois de retour chez lui, et avec
talent !
bp Dans Le tailleur du roi, Nidui décide de se venger parce qu’il a été privé de miel à cause du
mensonge du maître tailleur : « Nidui ne pipa mot mais en son for intérieur il chercha la manière de rendre la
monnaie de la pièce » (l. 31-32). Sa vengeance se déroule en quatre étapes : il prévient tout d’abord le
chambellan des crises de folie dont souffre le maître tailleur ; puis il décrit les manifestations de ces
crises ; ensuite il cache les ciseaux de son maître pour provoquer la prétendue crise ; enfin, sur l’ordre
du chambellan et avec les autres apprentis, il ligote et bat son maître. Le maître tailleur voit ainsi sa
ruse se retourner contre lui, selon le schéma du « trompeur trompé ».
bk
◆ Lire l’image
L’illustration de la page 40 montre un homme en train de lever la main sur sa femme pour la
frapper, alors qu’il l’a saisie par les cheveux en la traînant à terre ; celle-ci est agenouillée, presque
étendue à terre, et elle lève les deux mains vers lui en signe de supplication. L’artiste a suggéré la
souffrance et la terreur de la femme par sa position de suppliante, et la jalousie du mari par sa
domination physique au-dessus de sa femme et par la violence suggérée par son poing fermé, prêt à
s’abattre sur elle. En revanche, le visage de la femme est plutôt inexpressif, mis à part le fait qu’elle
semble regarder son mari. Quant au visage de celui-ci, ses sentiments sont seulement suggérés par ses
sourcils froncés. Malgré tout, la scène est dramatique et l’on s’apitoie sur le sort de cette femme
comme sur le sort de la mal mariée dans Le paysan devenu médecin.
bs
L a
v i e i l l e q u i g r a i s s a l a m a i n d u c h e v a l i e r
B r u n a i n , l a v a c h e d u p r ê t r e ( p p . 5 5 à 5 8 )
–
◆ Avez-vous bien lu ?
Dans La vieille qui graissa la main du chevalier, le prévôt réclame abusivement de l’argent, en
dédommagement, pour rendre ses deux vaches à la vieille femme : « payez-moi d’abord ce que vous me
devez avec les beaux deniers que vous cachez dans un pot ! » (l. 9-11).
u
Réponses aux questions – 12
Hersant, sa voisine, lui conseille d’aller trouver un chevalier, de lui parler respectueusement, de lui
« graisse[r] la patte » (l. 16) pour qu’il l’aide à reprendre ses vaches sans avoir à payer de compensation.
w Le chevalier lui promet de lui rendre ses vaches sans rien payer et il lui offre en plus un pré « bien
herbeux » (l. 30-31) pour les faire brouter.
x Dans Brunain, la vache du prêtre, le prêtre affirme « qu’il était profitable de donner pour l’amour de Dieu,
si l’on avait un peu de bon sens, car Dieu rendait au double à celui qui donnait de bon cœur » (l. 4-6). La
générosité des fidèles est basée sur l’espoir de la réciprocité.
y Le vilain se sépare facilement de sa vache, car « elle donne peu de lait » (l. 10-11). Ce n’est pas un
grand sacrifice de sa part, d’ailleurs il espère que Dieu va le lui rendre « au double », c’est donc un don
intéressé.
U On attache Blérain, la vache du vilain, à Brunain, la vache du prêtre, dans le pré, « pour
l’apprivoiser » (l. 25).
V Mais Blérain ne supporte pas d’être attachée à une autre vache et elle entraîne celle-ci hors du pré,
jusqu’à chez elle, donnant ainsi réalité à l’argument du prêtre comme le souligne naïvement le vilain :
« Ah ! femme, dit-il, c’est vrai que Dieu rend au double. […] Maintenant nous en avons deux pour une »
(l. 36-38).
v
◆ Étudier le vocabulaire et la grammaire
Dans La vieille qui graissa la main du chevalier, le participe passé « trouvées » s’accorde au féminin
pluriel, car le COD « les », mis pour les vaches, est placé avant l’auxiliaire avoir.
X L’expression « le prévôt, qui était un triste sire » (l. 7) signifie que c’est un individu de peu de
moralité, un profiteur sans scrupule, prêt à abuser de la faiblesse des pauvres.
at Dans Brunain, la vache du prêtre, « on attachât » (l. 25) est au subjonctif imparfait ; il dépend du verbe
« ordonna » et de la conjonction « que ». On met le subjonctif dans les subordonnées conjonctives
objet après les verbes de souhait, de prière, de volonté et d’effort. Le verbe ordonner est un verbe de
volonté.
ak Le participe passé « tirée » s’accorde au féminin singulier avec le COD « l’ », mis pour « la vache du
curé », car il est placé avant l’auxiliaire avoir ; le participe passé « revenue » s’accorde au féminin
singulier avec le sujet « elle », car il est employé avec l’auxiliaire être ; le participe passé « suivie » est en
apposition au sujet « elle » avec lequel il s’accorde aussi.
W
◆ Étudier le discours
Dans La vieille qui graissa la main du chevalier, les expressions qui désignent la vieille femme sont les
suivantes : « une vieille femme », « la brave femme », « ma bonne vieille », « la brave femme », « la bonne
vieille », « la vieille », « bonne femme ». Elles insistent toutes sur l’âge, qui est sa caractéristique
essentielle, et sur sa simplicité, voire sa naïveté, au travers de l’adjectif « brave ». Seul le prévôt utilise
le possessif « ma » (l. 9) qui, dans sa bouche, est familier et humiliant.
am Dans Brunain, la vache du prêtre, les deux marques de jugement du narrateur sont les suivantes : « le
prêtre était fin et rusé » (l. 16) et « le prêtre dom Constant qui ne pensait jamais qu’à amasser » (l. 20-21).
Elles concernent le prêtre et elles sont toutes deux dépréciatives, mettant en évidence sa malice et sa
cupidité.
al
◆ Étudier le genre du texte : la lettre et l’esprit
Dans La vieille qui graissa la main du chevalier, le comique de l’expression « graisse[r] la patte » (l. 16),
prise au pied de la lettre, est renforcé par le caractère de la vieille et son comportement : le narrateur
précise tout d’abord qu’« elle n’y entend pas malice » (l. 18) à la suggestion de sa voisine, montrant ainsi
sa naïveté ; et d’ailleurs elle « prend un morceau de lard » (l. 18-19) – ce qui amuse par avance le lecteur
qui entrevoit la suite – ; ensuite elle s’approche du chevalier par-derrière, sans doute par humilité et
déférence mais aussi par esprit pratique, car il a « les mains croisées dans le dos » (l. 20-21). Après lui
an
Fabliaux du Moyen Âge – 13
avoir graissé la main, elle lui avoue ingénument la raison de son geste, dont elle ne perçoit pas le
ridicule.
ao Dans Brunain, la vache du prêtre, la confusion que font les deux paysans sur l’expression « si l’on donne
de bon cœur à Dieu, Dieu le rend au double » (l. 8-9) en la prenant au pied de la lettre montre qu’ils ont
un caractère et un comportement identiques à ceux de la vieille : ils sont naïfs, crédules et en même
temps intéressés puisqu’ils attendent un don en retour du leur. L’image du pauvre qui apparaît ainsi
est plutôt dépréciative, sa simplicité confine à la bêtise et il partage avec les puissants une avidité certes
justifiée par sa pauvreté mais qui ne le rend pas sympathique.
◆ Étudier l’écriture
Les expressions et les traits qui, dans le passage de la ligne 29 à la ligne 39, humanisent Blérain, la
vache du vilain, sont les suivants : « mais Blérain ne put le supporter » ; « elle tira si fort […] qu’elle
l’entraîna » ; « elle est revenue chez elle » ; « qui lui cause bien du tourment » ; « voici Blérain qui revient avec
une autre ; elle amène une grande vache brune ». Toutes ces expressions attribuent un caractère humain à
la vache, avec des sentiments, une volonté et une autonomie d’action très amusantes, c’est le principe
même de la personnification.
ap
◆ Étudier un thème : les puissants
Dans La vieille qui graissa la main du chevalier, le défaut qui est dénoncé au travers du personnage du
prévôt est la vénalité, comme l’exprime clairement la phrase de la conclusion : « ils vendent leur parole
et leur conscience et se moquent de la justice » (l. 34-35). Cette vénalité s’exerce au détriment du pauvre,
dont la misère est ainsi aggravée, et au détriment de la justice que le prévôt est censé représenter.
Le chevalier, qualifié de « grand seigneur » (l. 15), n’est pas représenté tout à fait de la même façon,
même s’il est question de « lui graisse[r] la patte » (l. 16) – ce qui prouve que lui aussi agit contre de
l’argent. Il se montre amusé et généreux face à la naïveté de la vieille femme, puisqu’il lui promet un
« pré bien herbeux » (l. 30-31).
La conclusion du narrateur associe le pouvoir et la richesse à la malhonnêteté : les puissants sont prêts
à tout pour de l’argent et ils écrasent encore plus les pauvres puisqu’ils ne rendent la justice que contre
de l’argent. L’inégalité sociale est ainsi aggravée par l’injustice.
ar Dans Brunain, la vache du prêtre, le défaut qui est dénoncé au travers du personnage du prêtre est la
cupidité, comme l’indique le narrateur : « le prêtre dom Constant qui ne pensait jamais qu’à amasser »
(l. 20-21). Il profite de son influence sur ses fidèles pour tenter d’obtenir des dons, qu’il prétend
destiner à Dieu. C’est un défaut très proche de celui du prévôt dans La vieille qui graissa la main du
chevalier, puisqu’il s’agit là aussi d’exploiter la naïveté et la faiblesse du peuple en lui extorquant de
l’argent ou des biens. Les puissants sont présentés comme malhonnêtes, avides et sans scrupule.
as La morale de La vieille qui graissa la main du chevalier est basée sur la critique des ordres dominants et
de l’injustice sociale qu’ils font régner ; c’est une morale pessimiste pour les pauvres puisqu’ils ne
peuvent espérer voir leurs droits reconnus, s’ils n’ont pas d’argent à donner pour acheter la justice. La
morale de Brunain, la vache du prêtre est plus optimiste, bien qu’ironique, puisque le narrateur s’en
remet à Dieu et au hasard pour récompenser les naïfs et punir les avares et les cupides.
aq
◆ Lire l’image
L’illustration sur le plat III de couverture représente les trois ordres de la société : en haut, dans
toute la largeur de l’image, la noblesse et le clergé, debout, se pressent de part et d’autre du roi, qui
siège majestueusement sur son trône ; ils sont richement vêtus et se trouvent dans un décor luxueux,
une salle de château dont on aperçoit la décoration et l’architecture à l’arrière-plan. Les personnages
de la partie supérieure sont plus grands que ceux des deux images qui composent le bas de
l’illustration – représentant le tiers état – et ils dominent à l’évidence la société comme ils dominent
l’image. En bas à gauche, ce sont des marchands, bien vêtus, qui se livrent à des transactions dans un
port, devant leurs bateaux qui rapportent les marchandises qu’ils vont vendre ; à l’arrière-plan on voit
les remparts d’une ville derrière lesquels règne une grande activité. En bas à droite, les paysans sont au
travail dans les champs et se livrent aux multiples travaux agricoles dans un paysage vallonné ; ils sont
simplement vêtus et isolés dans leurs occupations. La hiérarchie sociale est donc respectée dans cette
illustration qui valorise les puissants – la noblesse et le clergé – dont la condition privilégiée repose sur
le travail des bourgeois des villes et de la classe paysanne qui forment le tiers état.
bk
Réponses aux questions – 14
L e
p a u v r e
( p p . 6 3
m e r c i e r
à 6 9 )
◆ Avez-vous bien lu ?
Le marchand conseille au mercier d’enfermer son cheval dans le pré, comme il l’a fait lui-même, en
le plaçant sous la protection du seigneur de la ville, qui y fait régner une justice très sévère. Si son
cheval est volé, il lui sera rendu et le voleur pendu.
v Mais, en fait, son cheval est dévoré par une louve affamée, sans qu’il soit sorti du pré.
w Le mercier va trouver le seigneur pour lui raconter sa mésaventure et lui demander un
dédommagement, puisqu’il avait placé son cheval sous sa protection.
x Le seigneur ne lui donne que la moitié du prix du cheval « car c’est la moitié de votre cheval que vous
avez placée sous ma sauvegarde ; l’autre, vous l’avez remise entre les mains de Dieu ! » (l. 74-76) ; il précise
ensuite : « Si vous l’aviez entièrement placé sous ma seule sauvegarde, vous auriez reçu la totalité des soixante
sous » (l. 81-82). Il lui conseille d’aller réclamer le reste de la somme à Dieu.
y Le mercier « emprunte » sa grande chape fourrée au moine qu’il rencontre, car, dit-il, « je me paie
sur vous des trente sous de dommage que m’a fait votre Maître » (l. 105-106).
U En rendant son jugement, le seigneur propose au moine deux solutions : ou bien il abandonne sa
religion et sert un autre seigneur pour retrouver ses gages, ou bien il continue de servir Dieu mais il
paie trente sous au mercier pour le dédommager.
u
◆ Étudier le vocabulaire et la grammaire
« je préférerais » : conditionnel présent ; « [qu’]on m’ait pendu » : subjonctif passé ; « ce qui m’arrive » :
proposition subordonnée relative indéfinie, COD du verbe voir.
W Le champ lexical de la justice est très important, à la fin du récit en particulier, car il en constitue le
thème essentiel :
– « où règne une justice aussi sévère » (l. 21) ;
– « si vous pensez la cause juste » (l. 61) ;
– « le seigneur qui exerce le droit de justice sur cette terre » (l. 109) ;
– « avoir de dispute », « quelque grief », « ordonner qu’on fasse justice à chacun » (l. 110-112) ;
– « comparaître devant le seigneur » (l. 114-115) ;
– « je m’en remets au jugement du seigneur » (l. 132-133) ;
– « gage et caution » (l. 139) ;
– « le verdict devra être respecté » (l. 148)…
Toute l’histoire porte, en effet, sur la façon dont le seigneur accorde sa protection et fait régner la
justice sur ses terres.
V
◆ Étudier le genre du texte : la lettre et l’esprit
L’expression que le mercier prend au pied de la lettre est la suivante : « recommandez-la au bon
seigneur de cette ville » (l. 23-24), puis « je l’ai placé sous la sauvegarde de Dieu et sous la vôtre » (l. 59-60).
at Puisque son cheval était pour moitié placé sous la protection de Dieu, le mercier pense que le
premier homme d’Église rencontré lui est redevable de la confiance qu’il avait mise en Dieu, c’est-àdire qu’il lui doit la moitié du prix du cheval : « Je me paie sur vous des trente sous de dommage que m’a
fait votre Maître » (l. 105-106). C’est pourquoi il lui demande des gages sur le remboursement de cette
somme : « C’est à cause du dommage qu’il m’a causé que je vous ai demandé réparation et que j’ai pris votre
chape en gage et caution » (l. 137-139). Il le fait avec beaucoup de détermination et d’assurance – ce qui
le rend comique.
ak Par deux fois, le seigneur réagit, face au mercier qui lui demande justice, « en riant » (l. 63), puis :
« Si alors vous aviez pu voir rire le seigneur et son entourage, vous n’auriez pu vous empêcher d’en faire tout
autant ! » (l. 152-153).
X
◆ Étudier l’écriture
C’est un lien d’opposition qui unit ces deux phrases, comme le montre la conjonction de
coordination mais.
al
Fabliaux du Moyen Âge – 15
On a affaire à de l’humour noir : l’expression « ne sortit jamais de la prairie » (l. 35) est, en effet, à
prendre au second degré puisque le cheval y est mort !
am
◆ Étudier un thème : les puissants
Le seigneur, au début du récit, est présenté de façon très laudative, par sa volonté de maintenir
l’ordre et la justice sur ses terres : « Un seigneur, qui possédait de grandes terres et qui portait une telle haine
aux gens de mauvaise vie qu’il les pourchassait sans pitié et les pendait sur l’heure sans en accepter aucune rançon
[…] » (l. 7-10).
ao Lorsque le mercier vient lui demander justice, il est courtois, attentif à ce qui lui arrive, et
réconfortant (il le nomme « Bel ami » à la ligne 51), mais, en même temps, il se moque quelque peu
de sa naïveté et il est intraitable sur le partage du dédommagement ; ensuite, il n’hésite pas à
réprimander le mercier pour avoir pris des gages au moine et il se montre équitable en rendant son
verdict selon la logique de son premier jugement. Bien évidemment, il sait que le moine ne
renoncera pas au service de Dieu, et il sous-entend qu’il pourra se rembourser, en toute bonne
conscience cette fois, sur les biens de l’Église, comme si c’était une pratique courante pour le clergé. Il
y a là une pointe de critique à l’égard du clergé.
ap Il rend la justice de façon originale, et même humoristique ; mais il est honnête envers les pauvres
gens qu’il défend face au clergé, riche et vivant confortablement, comme le montre la chape fourrée
que porte le moine.
aq L’image de la société féodale qui apparaît ici est plus positive que dans les deux fabliaux
précédents ; elle paraît plus juste, puisque le seigneur fait régner l’ordre et écoute les doléances des
pauvres. Le clergé y est maltraité mais c’est un juste retour des choses, car il profite habituellement des
biens d’autrui.
an
L e s t r o i s a v e u g l e s
V i l l o n e t d e s e s
d e C o m p i è g n e – L e r e p a s d e
c o m p a g n o n s ( p p . 6 3 à 8 7 )
◆ Avez-vous bien lu ?
Dans Les trois aveugles de Compiègne, le clerc décide de jouer un tour aux aveugles parce qu’il doute
de leur cécité, en voyant que personne ne les guide sur la route. Il veut être sûr qu’ils sont bien
aveugles : « Que la goutte me frappe si je ne me rends compte s’ils y voient quelque chose ! » (l. 20-21).
v Il a prétendu leur avoir donné un besant à tous les trois, mais il ne l’a pas fait et chacun des aveugles
croit alors que c’est l’un des deux autres qui a la pièce. « Le clerc les quitte alors en se disant qu’il veut voir
comment ils partageront » (l. 31-32).
w Lorsqu’ils se croient riches, les trois aveugles retournent à Compiègne pour que « chacun ait un peu
de plaisir » (l. 39) : « Compiègne est une ville où l’on trouve tout ce qu’il faut » (l. 39-40), disent-ils. Ils entrent
dans une auberge, pour manger et dormir à l’aise : « Nous voulons être servis largement » (l. 57-58).
x Le clerc les suit pour voir ce qu’ils vont faire et être fixé sur la véracité de leur infirmité : « Le clerc
leur emboîta le pas en se disant qu’il les suivra jusqu’à ce qu’il sache le fin mot de l’histoire » (l. 44-46).
y Ensuite, pour régler sa dette et celle des aveugles, il propose à l’aubergiste que le curé de l’église
s’engage à le rembourser à sa place, et il lui demande de lui faire crédit jusque-là, ce que l’autre accepte.
U Il demande au prêtre de lire un Évangile au-dessus de la tête de l’aubergiste, parce qu’il prétend
que celui-ci a été frappé de folie et qu’il faut donc l’exorciser. En échange il donne douze deniers au
prêtre.
V Le prêtre demande à ses paroissiens de maintenir l’aubergiste pendant qu’il lui lit un passage des
Évangiles qu’il a posés au-dessus de sa tête, puis il l’asperge d’eau bénite et le bénit en lui disant :
« Vos tourments sont maintenant terminés » (l. 223). Il accomplit le rituel de l’exorcisme, car il croit
l’aubergiste fou, c’est-à-dire possédé par le diable.
W Dans Le repas de Villon et de ses compagnons, maître François « déclara qu’il donnerait l’argent comptant
au garçon qui lui porterait le panier » (v. 34-35).
X Il demande au curé de Notre-Dame de « dépêcher » (v. 42) son neveu ; or ce mot a un double sens.
u
Réponses aux questions – 16
Le curé comprend l’un des sens de ce mot, c’est-à-dire confesser et absoudre.
ak Le jeune garçon est étonné ici parce qu’il attendait de l’argent et il ne comprend pas pourquoi le
curé veut le confesser, alors qu’il a été « absous le jour de Pâques » (v. 73).
al Il pensait que maître François avait demandé au prêtre de le payer, second sens du mot « dépêcher »
(v. 42).
at
◆ Étudier le vocabulaire et la grammaire
Dans « de telles gens », dans Les trois aveugles de Compiègne, le nom « gens » est à la fois du genre
masculin et du genre féminin, les adjectifs qui précèdent ainsi que les indéfinis sont toujours au
féminin (ex. : de vieilles gens), comme c’est le cas ici, alors que les adjectifs épithètes qui le suivent
sont masculins (ex. : des gens courageux).
an Dans Le repas de Villon et de ses compagnons, le mot absoudre vient du verbe latin solvere qui veut dire
« défaire, détacher, acquitter, résoudre », comme les mots solvant, solution, soluble, dissoudre, etc. Ils
appartiennent au registre de la science.
am
◆ Étudier le discours
Dans Les trois aveugles de Compiègne, il s’agit du présent de narration qui rend le récit plus vivant
pour le lecteur, qui a l’impression de découvrir l’action au moment même où elle se produit. Il rompt
la monotonie du récit aux temps du passé et implique davantage le lecteur.
ap Dans Le repas de Villon et de ses compagnons, la strophe 8 est ponctuée par plusieurs points
d’exclamation et d’interrogation, ce qu’on nomme « ponctuation expressive » ; en effet, elle traduit le
bouleversement du personnage, qui est stupéfait, indigné et effrayé à la fois.
ao
◆ Étudier le genre du texte : le comique de quiproquo
Dans Les trois aveugles de Compiègne, le tour joué aux aveugles par le clerc repose sur une confusion
entre les trois personnages ; le clerc affirme leur donner un besant et chacun des aveugles croit qu’il l’a
remis à l’un de ses deux compagnons, ce qui est faux. La phrase qui l’exprime clairement est la
suivante : « Chacun croit que c’est son compagnon qui l’a reçu » (l. 31). La dispute qui a lieu ensuite devant
l’aubergiste confirme cette confusion.
ar Dans Le repas de Villon et de ses compagnons, le quiproquo créé par maître François repose sur le mot
« dépêcher » (v. 42).
as Ce mot est employé tantôt avec le sens de « confesser et absoudre » – par le curé –, tantôt avec le
sens de « payer » – par le jeune garçon (v. 60-63 : « Monseigneur, je vous assure que s’il vous plaisait de
prendre le temps de me dépêcher sur-le-champ, vous me feriez grand plaisir ») –, tandis que maître François l’a
employé sans précision (v. 51-53 : « Mon ami, approchez-vous. Voici la personne qui vous dépêchera dès
qu’il en aura terminé avec ses occupations »).
bt La phrase qui permet au curé de comprendre qu’il a été berné est la suivante : « Sans tergiverser,
dépêchez-moi sans plus attendre ainsi que ce seigneur qui m’accompagnait l’a ordonné » (v. 86-88).
aq
◆ Étudier l’écriture
Dans Les trois aveugles de Compiègne, la phrase prononcée par le clerc : « Il ne faut pas tourmenter les
pauvres gens » (l. 133) pourrait relever du cynisme, puisque c’est lui-même qui, par sa farce, est à
l’origine du différend entre les aveugles et l’aubergiste – ce dont il s’amuse beaucoup : « Le clerc, qui
était aisé et que l’affaire amusait fort, se pâmait de rire et d’aise » (l. 125-126). Il ne décide d’intervenir que
lorsqu’« il vit que la dispute tournait mal » (l. 126-127). Sa sollicitude tardive compense sa provocation,
et il se rachète ensuite par sa générosité à l’égard des aveugles.
bl Dans Le repas de Villon et de ses compagnons, la phrase prononcée par le jeune garçon dans laquelle le
verbe dépêcher est employé avec son sens habituel est la suivante : « Vite, vite, dépêchez-vous, payez-moi
mon panier de poisson » (v. 79-80). L’effet recherché est le comique de répétition.
bk
◆ Étudier un thème : farces et attrapes
Dans Les trois aveugles de Compiègne, le narrateur nous précise que le clerc « avait plus d’un tour dans
son sac » (l. 15) et qu’il imagine son tour « sur-le-champ » (l. 27), c’est-à-dire qu’il est malin et vif
bm
Fabliaux du Moyen Âge – 17
d’esprit ; mais il se montre aussi incrédule à l’égard de l’infirmité des aveugles et curieux de leurs
réactions, obstiné dans son enquête puisqu’il suit les aveugles jusque dans l’auberge où il s’installe
aussi. Il s’amuse franchement de la querelle entre les aveugles et l’aubergiste mais, lorsque celui-ci s’en
prend aux aveugles qui ne peuvent le payer, il a pitié d’eux et se montre généreux en assumant leur
dette, dont il est d’ailleurs responsable.
bn À l’égard de l’aubergiste, il joue un tour plus cruel, car non seulement il ne lui rembourse pas sa
dette, ce qui est malhonnête, mais en plus il le fait passer pour fou. Cette méchante plaisanterie se
justifie sans doute par le comportement brutal et grossier de l’aubergiste envers les aveugles, que le
clerc venge ainsi en quelque sorte, et également par la richesse de l’aubergiste que le clerc peut gruger
en toute bonne conscience.
bo La conclusion de Courtebarbe est ambiguë, car on ne sait si sa remarque (l. 227-228 : « à tort on
porte dommage à maintes personnes ») porte sur les tours joués par le clerc aux aveugles et à l’aubergiste
– auquel cas il met en question le comique du fabliau – ou si c’est une critique du comportement de
l’aubergiste envers les aveugles. De toute façon, la conclusion a certainement pour but de racheter par
une remarque morale les tours plus ou moins honnêtes qu’il vient de raconter avec complaisance pour
faire « oublier maints chagrins, maintes douleurs et maints ennuis » (l. 6), comme il l’affirmait en
introduction.
bp Dans Le repas de Villon et de ses compagnons, la farce jouée par maître François repose sur le même
schéma que celle jouée par le clerc à l’aubergiste dans Les trois aveugles de Compiègne, c’est-à-dire que
maître François comme le clerc, pour ne pas avoir à payer ce qu’ils doivent, créent un quiproquo
entre deux personnages – le jeune garçon et le prêtre ; l’aubergiste et le prêtre – à partir d’un mot qui
a un double sens : le verbe dépêcher et l’expression déclarer quitte (« j’en déclare le clerc quitte »). Chacun
des personnages comprend ce qu’il veut comprendre et ne découvre la tromperie que trop tard et à
ses dépens.
bq La morale du conteur à la fin des Trois aveugles de Compiègne est ambiguë et moralisante, comme on
l’a vu dans la question 25, alors que la morale du Repas de Villon et de ses compagnons est laudative à
l’égard de maître François dont le narrateur semble faire l’apologie : son esprit rusé est valorisé, ainsi
que son habileté à tromper, parce qu’il ne commet pas ses « emprunts » pour lui seul mais pour ses
compagnons, par altruisme en quelque sorte. Tout cela s’explique par la date plus tardive de
composition de ce conte en vers (XVe siècle), dont l’objectif est d’entretenir la gloire posthume du
poète et mauvais garçon que fut François Villon, au destin dramatique et mystérieux.
◆ Lire l’image
L’illustration de la page 72 représente, de gauche à droite, un paralytique, caractérisé par ses
béquilles qui lui permettent de se déplacer, un lépreux, caractérisé par la crécelle qui lui sert à avertir
de sa contagion et la sébile pour mendier, et un aveugle, qui cherche son chemin à tâtons. Leurs
infirmités sont mises en évidence parce qu’elles leur permettent de survivre en demandant la charité.
ct Ils se trouvent à la porte de la ville, car c’est dans la ville qu’ils peuvent mendier leur subsistance,
sans avoir pour autant le droit d’y vivre.
ck Les mendiants étaient rejetés dans les faubourgs ou bien ils mendiaient de ville en ville, comme on
le voit dans Les trois aveugles de Compiègne : en effet, quand le clerc les rencontre, ils se dirigent vers
Senlis et lui demandent la charité.
bs
R e t o u r
s u r
l e s
œ u v r e s
( p p .
9 3
à
9 6 )
◆ La narration dans les fabliaux
Les fabliaux sont avant tout des récits comiques, destinés à distraire les auditeurs par le récit de bons
tours joués à des personnages, comme le dit Courtebarbe au début des Trois aveugles de Compiègne :
« C’est une bonne chose que d’écouter des fabliaux car ils font oublier maints chagrins, maintes douleurs et maints
ennuis » ou encore le conteur du Pauvre mercier : « Et si son récit est plaisant, il mérite bien d’être écouté,
car, souvent, une bonne histoire fait oublier la colère et les soucis et calme les grandes disputes ».
Mais les fabliaux sont souvent aussi des récits moraux, qui donnent une leçon aux auditeurs, en
montrant des défauts comme l’ingratitude, la brutalité, l’égoïsme ou la cupidité, et les conséquences
u
Réponses aux questions – 18
désagréables que leurs possesseurs en obtiennent. Dans ce cas, c’est souvent la conclusion du récit qui
tire la morale de l’histoire comme dans Le tailleur du roi et son apprenti : « car celui qui trompe son
compagnon mérite d’en recevoir la monnaie de sa pièce. Celui qui sème le mal récolte ce qu’il a semé ».
Les fabliaux ont donc pour double fonction de faire rire et de donner une leçon de morale, comme
les comédies auxquelles ils ont parfois donné leur sujet.
v a) Le narrateur apparaît dans presque tous les fabliaux, plus ou moins explicitement, parfois en se
nommant, parfois en se désignant par sa fonction de conteur, parfois simplement en disant « je » et en
commentant à la 1re personne du singulier son récit. Le tailleur du roi et son apprenti est le seul récit où
le narrateur semble absent ou totalement impersonnel.
b) Il prend en général la parole au début et à la fin du fabliau : au début, pour introduire le thème
principal et annoncer l’objectif poursuivi – qui est souvent de distraire –, et à la fin, pour tirer une
conclusion morale ou humoristique de l’histoire racontée, comme dans Le paysan devenu médecin
(« Tout se passa comme je vous l’ai conté : grâce à sa femme et à la malice qu’elle avait déployée, il devint un bon
médecin sans jamais l’avoir appris »).
◆ Personnages et rôles sociaux
Les enfants dans les fabliaux
a) Les fabliaux qui mettent en scène des enfants sont les suivants : La couverture partagée, Le vilain de
Farbus, Estula, Le tailleur du roi et son apprenti.
b) Ils ont en commun le bon sens (La couverture partagée et Le vilain de Farbus) et la ruse (Estula et Le
tailleur du roi et son apprenti).
c) Ils se comportent plus sagement que les adultes dont ils n’ont pas les défauts : l’ingratitude (La
couverture partagée), la bêtise (Le vilain de Farbus), l’égoïsme (Estula, Le tailleur du roi et son apprenti). Ils
donnent une leçon aux adultes par la morale ou la vengeance.
d) Ils donnent une image valorisante de l’enfant – ce qui est plutôt surprenant au Moyen Âge où
l’enfant est considéré comme un être incomplet et inférieur pendant ses premières années. Ils
permettent ainsi, en contrepoint, de faire la satire des adultes – ce qui est l’objectif de ces fabliaux.
w
La femme dans les fabliaux
a) Les fabliaux qui mettent en scène des femmes sont les suivants : La couverture partagée, Le vilain de
Farbus, Les perdrix, Le paysan devenu médecin, La vieille qui graissa la main du chevalier et Brunain, la vache
du prêtre.
b) Elles sont avares, autoritaires et mégères (La couverture partagée et Le vilain de Farbus), menteuses et
rusées (Les perdrix et Le paysan devenu médecin), – la naïveté de la vieille femme dans La vieille qui graissa
la main du chevalier est un cas particulier, car ce qui est important, ce n’est pas qu’elle soit une femme,
mais qu’elle soit vieille et seule, semble-t-il. Les autres sont mariées – ce qui explique leur
comportement : ou bien elles ont plus d’autorité que leur mari et ce sont des mégères, ou bien elles
sont soumises mais se vengent par la ruse et le mensonge de cette violence subie.
c) La condition féminine est caractérisée par l’aliénation : la femme est dépendante de son mari qui
exerce souvent son autorité par la violence (le mariage de la jeune fille noble dans Le paysan devenu
médecin est significatif à cet égard). C’est pourquoi elle a recours à la ruse pour retrouver un peu de
liberté ou pour se venger.
d) Elles donnent une image ambiguë de la femme au Moyen Âge : considérée comme inférieure, elle
doit être soumise mais cherche à échapper à cette soumission par des moyens peu honorables, et
finalement se montre supérieure à son mari qu’elle domine ou ridiculise.
x
Le paysan dans les fabliaux
Les fabliaux qui mettent en scène des paysans (ou vilains) sont les suivants : Le vilain de Farbus ;
Brunain, la vache du prêtre ; Les perdrix ; et Le paysan devenu médecin.
a) Le vilain est un paysan libre, soumis au ban du seigneur et lui devant les taxes et redevances
habituelles, mais il est libre de sa personne (note de Jean Dufournet in Fabliaux du Moyen Âge,
Flammarion). Dans les fabliaux proposés, seul Le paysan devenu médecin nous présente un vilain riche
qui se permet même d’épouser une jeune fille noble mais pauvre. Les trois autres fabliaux ne nous
donnent pas d’indication précise sur la situation matérielle des vilains mais ils ne semblent guère
riches, plutôt modestes ou presque pauvres, comme dans Le vilain de Farbus, où la femme du vilain lui
y
Fabliaux du Moyen Âge – 19
compte l’argent qu’il doit dépenser au marché, ou surtout dans Brunain, la vache du prêtre où le couple
de paysans est heureux de voir revenir deux vaches au lieu d’une qui donnait peu de lait, et annonce
que l’étable va être trop petite. Quant au fabliau des Perdrix, le vilain semble considérer son repas
comme un festin rare, auquel il convie même le prêtre (mais pas sa femme !).
b) Les vilains sont présentés comme étant avares (Le paysan devenu médecin), violents (Le paysan devenu
médecin et Les perdrix), naïfs et même un peu stupides (Le vilain de Farbus ; Brunain, la vache du prêtre et
Les perdrix) ; seul le paysan riche du Paysan devenu médecin est habile et rusé puisqu’il se sort de la
situation délicate où l’a mis sa femme en le prétendant médecin. Son image est plutôt dépréciative et
elle correspond à l’idée que l’on se faisait du paysan, méprisé dans les milieux aristocratiques auxquels
sont destinés les fabliaux.
c) Les mésaventures dont il est la victime se terminent tantôt mal (Le vilain de Farbus et Les perdrix)
mais sans gravité, tantôt bien (Brunain, la vache du prêtre et Le paysan devenu médecin) et même avec un
progrès matériel ou social. En effet, le fabliau n’est pas un récit cruel, il cherche seulement à faire rire
aux dépens d’une cible traditionnelle pour le public noble.
◆ La tromperie et le comique dans les fabliaux
Les fabliaux qui font le récit d’une tromperie sont les suivants : Les perdrix, Le paysan devenu médecin,
Le tailleur du roi et son apprenti, Les trois aveugles de Compiègne et Le repas de Villon et de ses compagnons.
V Ces tromperies sont imaginées dans des buts divers, mais toujours personnels et jamais méchants :
satisfaire sa gourmandise dans Les perdrix, se venger et donner une leçon dans Le paysan devenu médecin
et Le tailleur du roi et son apprenti, s’amuser aux dépens d’autrui dans Les trois aveugles de Compiègne, et se
nourrir gratuitement dans Le repas de Villon et de ses compagnons.
W Elles sont toutes réussies ; c’est leur succès qui provoque le comique.
X Un exemple de comique de caractère : Le vilain de Farbus, Le pauvre mercier.
at Un exemple de comique de langage : La vieille qui graissa la main du chevalier ; Brunain, la vache du
prêtre et Le repas de Villon et de ses compagnons.
ak Un exemple de comique de situation : Estula, Le paysan devenu médecin.
al Le type de comique le plus fréquent : le comique verbal, car il apparaît dans 7 fabliaux sur 11, qu’il
s’agisse du jeu sur le double sens d’un mot, d’une expression prise au pied de la lettre ou d’une
homophonie.
U
◆ Le lexique du Moyen Âge
Un paysan : un vilain (p. 17) – l’unité monétaire : un denier (p. 17) – un pantalon : des
chausses (p. 13) – de la bière : la cervoise (p. 17) – une soupe épaisse : un morteruel (p. 19) –
une arme en forme d’arc en acier : une arbalète (p. 19) – un gobelet : un hanap (p. 30) – le prêtre :
le chapelain (p. 32) – un cheval de cérémonie : un palefroi (p. 39) – un cheval de bataille : un
destrier (p. 46) – poliment : courtoisement (p. 45) – la jeune fille : la pucelle (p. 43) – l’officier
seigneurial : le prévôt (p. 55) – un étudiant en religion ou un intellectuel : un clerc (p. 63) – un
musicien et poète ambulant : un ménestrel (p. 73) – nos actuelles « toilettes » : les latrines (p. 77).
an
◆ Répondez par vrai ou faux
Faux, c’est un gâteau.
Vrai.
aq Vrai.
ar a) Faux, il apporte du miel. b) Faux, ce sont les ciseaux.
as Vrai.
bt Faux, c’est un besant.
ao
ap
◆ Les noms propres
a) Robin : le fils dans Le vilain de Farbus.
b) Hersant : la voisine dans La vieille qui graissa la main du chevalier.
c) Dom Constant : le prêtre dans Brunain, la vache du prêtre.
d) Sire Richard : le moine dans Le pauvre mercier.
bk
Réponses aux questions – 20
e) Robert Barbe-Fleurie : un des aveugles dans Les trois aveugles de Compiègne.
f) Gombaut : le vilain dans Les perdrix.
g) Gagne-denier : le jeune commis dans Le repas de Villon et de ses compagnons.
h) Nidui : l’apprenti dans Le tailleur du roi et son apprenti.
i) Aude : la fille du roi dans Le paysan devenu médecin.
R é p o n s e s
a u x
q u e s t i o n s d u g r o u p e m e n t
( p p . 1 0 8 à 1 1 8 )
d e
t e x t e s
◆ Document 1 : Homère, Odyssée
A. Pour que ses compagnons résistent au chant des Sirènes et continuent de ramer, Ulysse fait
boucher leurs oreilles avec de la cire.
B. Contrairement à ses compagnons, Ulysse se fait lier pieds et mains au mât du navire car il veut
entendre le chant mélodieux des Sirènes.
C. Les sirènes, par leur chants, parlent du charme que celui-ci procure à celui qui l’écoute et
promettent à leur auditeur qu’il retournera alors dans sa patrie « en connaissant bien plus de choses ». Et
comme tous les humains soumis au chant des Sirènes, Ulysse souhaite vivement être délivré de ses
liens.
D. Dans la mythologie grecque, les sirènes sont dépeintes telles des créatures fantastiques, mi-femmes
mi-oiseaux.
◆ Document 2 : Le Roman de Renart
A. Renart s’appuie sur la vanité de Tiécelin. Il le pousse à chanter en le flattant.
B.
Le Roman de Renart
Le Corbeau et le Renard
Auteur
anonyme
La Fontaine
Siècle
XIIe-XIIIe siècles
XVIIe siècle
Genre
Une histoire, voire un conte
Une fable avec une morale à la fin
Déroulement de
Renart est au pied d’un arbre au- C’est
sensiblement
le
même
la scène
dessus duquel le corbeau Tiécelin déroulement, à ceci près, que Renart
tient son fromage. Renart a faim et est devenu « Le Renard » et Tiécelin
le flatte. Tiécelin chante et perd son est appelé « Maître Corbeau »
fromage qui se retrouve dans la
gueule de Renart. Ce dernier aurait
bien, également, mangé Tiécelin.
Nombre de
Deux : Renart et Tiécelin
Deux : Le Renard et le Corbeau
personnages
Comportement
Un flatteur usant et abusant de la Idem
des deux
flatterie pour obtenir quelque chose
protagonistes
de celui qu’il flatte.
◆ Document 3 : Laurent Mourguet, Le Pot de confitures
A. Octave déjoue les mensonges de Guignol en prétendant qu’il a la preuve de son forfait : ses
empreintes de doigts. Guignol tombe dans le panneau et se coupe en affirmant avoir touché la
confiture avec sa langue. Il se démasque ainsi lui-même.
B. C’est au registre familier qu’appartiennent les répliques de Guignol : par exemple, Guignol ne se
sert jamais des doubles négations (ne... pas), il dit « Y a » au lieu de « Il y a »…
C. Le comique de mots entre Guignol et Octave est visible à travers leurs jeux de mots :
– la personnification de sentiments : colère et indignation ;
– les calembours, qui sont des jeux de mots fondés sur la différence entre des mots qui se prononcent
de la même manière (ici, le « toit » et « toi ») ;
Fabliaux du Moyen Âge – 21
– le double sens des mots, avec les expressions que Guignol prend au premier degré (« mettre à la
porte » et devenir « portier » ; « chasser quelqu’un » et « le prendre pour un lièvre »…).
D. Guignol est le grand maître des jeux de mots dans cette scène car il ne prend rien au sérieux et
veut rire de tout.
◆ Document 4 : Cami, Le Petit Chaperon vert
A. La question, sous forme d’exclamation, que ne pose pas le Petit Chaperon vert est : « Que vous
avez de grandes dents ! » Elle ne veut pas tenter le loup et reproduire le même schéma que son illustre
ancêtre (le Petit Chaperon rouge), c’est-à-dire se faire dévorer.
B. Les didascalies, tout au long de la scène sont présentes pour insister sur la tension qui va croissant.
C. Exemple de moralité : « Décidément, la naïveté et l’innocence ne sont plus le fait des enfants de
nos jours. »
Proposition d’une séquence didactique – 22
PROPOSITION
D ’ U N E S É Q U E N C E D I D A C T I Q U E
Séquence : étude des ressorts dramatiques dans Les perdrix.
Objectif d’écriture : transposer un fabliau en farce théâtrale (5 séances).
AXE DE LECTURE
OUTILS DE LANGUE
ÉCRITURE
Séance 1
• Étude de la structure du fabliau ;
découpage en différentes parties (5).
• Les connecteurs logiques.
• Composition des scènes de la farce
(entrées et sorties des personnages).
Séance 2
• Analyse des personnages (caractères et
comportements, niveaux de langue).
• Vocabulaire descriptif (mélioratif et
dépréciatif).
• Portrait physique et moral des trois
personnages principaux.
Séance 3
• Étude du quiproquo.
• L’argumentation.
• Mise en place du quiproquo entre les
trois personnages.
Séance 4
• Alternance du récit et des discours.
• Étude des discours rapportés.
• Transposition du récit en dialogue
théâtral.
Séance 5
• Étude des circonstances (lieux, moments,
objets nécessaires à l’action).
• Les compléments circonstanciels.
• Mise en scène de la farce (décors,
costumes, accessoires, déplacements,
intonations).
Fabliaux du Moyen Âge – 23
PISTES DE RECHERCHES
D O C U M E N T A I R E S
Voici quelques suggestions de recherches documentaires :
• Les enfants au Moyen Âge (leur place dans la famille, l’éducation…).
• La femme au Moyen Âge (le mariage, les relations entre les époux…).
• La composition de la société française au Moyen Âge : les différents ordres de la société auxquels les
vilains, les prêtres, les clercs, les chevaliers appartiennent ; richesse et pauvreté ; la hiérarchie sociale ;
etc.
• L’ancien français et les dialectes ; sa prononciation ; l’héritage du latin.
• La vie d’un jongleur et la création littéraire au Moyen Âge.
Bibliographie complémentaire – 24
BIBLIOGRAPHIE
C O M P L É M E N T A I R E
◆ Études
– M.-T. Lorcin, Façons de sentir et de penser : les fabliaux français, Champion, 1979.
– Ph. Ménard, Les Fabliaux, Contes à rire du Moyen Âge, PUF, 1983.
– D. Boutet, Les Fabliaux, PUF, 1985.
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– P.-Y. Badel, Introduction à la vie littéraire du Moyen Âge, Bordas, 1969.