Bilan biologique et immunologique de la fonction thyroïdienne

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Bilan biologique et immunologique de la fonction thyroïdienne
BILAN BIOLOGIQUE ET IMMUNOLOGIQUE DE LA FONCTION THYROÏDIENNE
QUELS TESTS ? QUELLES INDICATIONS ?
OBJECTIFS de la PRESCRIPTION
L’exploration biologique de la fonction thyroïdienne intervient en complément de l’examen clinique. Elle permet :
- De confirmer les situations d’eu-, d’hyper-, ou d’hypothyroïdie.
- D’aider à l’enquête étiologique pour préciser l’origine auto-immune, iatrogène, génétique de l’affection.
- D’effectuer la surveillance de la dysfonction, ou de la pathologie tumorale.
Des outils performants, qui contribuent à ces objectifs, sont actuellement à la disposition des médecins. Il est essentiel de
bien les utiliser en connaissant leurs limites et leurs indications en se fondant sur les divers consensus multidisciplinaires
de prise en charge des pathologies thyroïdiennes publiés ces dernières années.
BILAN BIOLOGIQUE ET IMMUNOLOGIQUE DE LA FONCTION THYROÏDIENNE
QUELS TESTS ? QUELLES INDICATIONS ?
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LES HORMONES ET LEURS DOSAGES
Les dosages présentent actuellement de très bonnes sensibilités et spécificités. Malgré leur grande fiabilité, il existe
toujours des causes d’interférences ou d’artéfacts. Il faut donc rester critique devant les résultats. Le dialogue clinicienbiologiste est essentiel.
La TSH
La thyrotropine (TSH) est produite par les cellules thyréotropes de l’antéhypophyse. Celles-ci sont extrêmement sensibles
au rétrocontrôle par les hormones thyroïdiennes au point que les taux de TSH sont corrélés à ceux de T4 circulante selon
une courbe exponentielle : une réduction de moitié de la T4 libre multiplie par 100 la concentration de TSH. Cette relation
et ce phénomène d’amplification expliquent pourquoi, en situation d’équilibre, T4 libre et TSH représentent le même
paramètre. Leur dosage conjoint est donc ordinairement redondant. La TSH est beaucoup plus informative que la T4 libre.
Une imprégnation légèrement insuffisante par les hormones thyroïdiennes est déjà détectée par une augmentation de la
TSH alors que la concentration de T4 libre se situe encore dans les limites de la normale (hypothyroïdie fruste ou
« subclinique »). La TSH constitue par conséquent le paramètre le plus précieux pour l’appréciation de la fonction
thyroïdienne. C’est « le » paramètre à demander en première intention. Les valeurs de référence admises, en Europe,
toutes techniques confondues, sont de 0,4 à 4 mUI/L.
Les hormones thyroïdiennes : T3 et T4 totales, T3 et T4 libres
La thyroxine (T4) est produite en totalité par la glande thyroïde. Sa concentration est un excellent reflet de la production
thyroïdienne. La T4 circule, dans le sang, sous formes libre (0,02 %) et liée aux protéines vectrices (albumine, transthyrétine
et TBG).
La triiodothyronine (T3) est l’hormone la plus active. T3 et T3 libres sont le reflet de la production périphérique et leur
valeur diagnostique dans l’évaluation de la fonction thyroïdienne est limitée.
Les dosages des formes libres ont supplanté ceux des formes totales. Ces dosages actuellement automatisés peuvent
présenter des problèmes méthodologiques dans certaines situations cliniques particulières comme la grossesse et
l’insuffisance rénale.
LE SEUL DOSAGE DE TSH EST SUFFISANT

Pour affirmer l’euthyroïdie en présence d’un goitre simple, d’un nodule thyroïdien isolé,

Pour adapter le traitement par la LT4 des hypothyroïdies d’origine primitivement thyroïdienne,

Pour dépister les dysfonctions thyroïdiennes chez le nouveau-né, lors de la prise de certaines médications
(amiodarone, carbonate de lithium, interféron, anti-angiogénique tous les 6 mois), après irathérapie (tous les ans),
chez les sujets porteurs d’anticorps antithyroïdiens.

Les recommandations américaines proposent un dosage de TSH tous les 5 ans à partir de 35 ans et plus fréquemment
chez les sujets à risque de dysfonction thyroïdienne.
LES ANTICORPS ANTITHYROÏDIENS
Les anticorps antithyroperoxydase (Ac anti TPO) :
Ce sont des IgG dont les taux sont corrélés à l’abondance de l’infiltrat lymphocytaire thyroïdien. Les dosages sont
actuellement très sensibles et spécifiques. La concordance entre les trousses est bonne (>90 %) bien que des problèmes de
standardisation persistent. La prévalence des Ac anti TPO, dans la population générale sans dysfonction thyroïdienne, est
de 12 %.
Les anticorps antithyroglobuline (Ac anti Tg) :
L’immunisation se fait conjointement contre la TPO et la Tg. les Ac anti TPO apparaissent plus vite et/ou sont mieux
détectés que les Ac anti Tg. Donc, dans l’évaluation de l’auto-immunité thyroïdienne, la recherche des Ac anti Tg ne doit pas
être systématique en première intention. Elle ne sera réalisée qu’en cas de forte suspicion clinique et/ou échographique et
devant une recherche d'Ac anti TPO négative. Seuls 3 % de la population présentent des Ac anti Tg sans anti TPO
détectables (étude américaine NHANES III).
Les anticorps anti-récepteur de la TSH (Ac anti RTSH) :
Ils se lient aux récepteurs de la TSH. La majorité de ces anticorps se comportent comme des Ac stimulants et constituent
un marqueur diagnostique et pronostique de la maladie de Basedow. Exceptionnellement, ils ont une activité bloquante
responsable d’hypothyroïdie avec hypotrophie de la glande. Jusqu’ici détectés par des techniques d’inhibition de liaison de
la TSH radiomarquée à des récepteurs humains ou porcins, de nouvelles méthodes automatisées ou non, avec utilisation
d’Ac monoclonal hautement spécifique sont apparues.
Centre de Biologie Pathologie Génétique Médicale du CHRU de Lille.
http://biologiepathologie.chru-lille.fr/
L’évaluation clinique de ces réactifs est bonne mais la stabilité parfois insuffisante.
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QUELS TESTS ? QUELLES INDICATIONS ?
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INTERÊT CLINIQUE DES DOSAGES D’ANTICORPS ANTITHYROÏDIENS
Ac anti TPO :

Place dans la décision thérapeutique limitée,

Prédictifs de dysfonctions thyroïdiennes lors de grossesse et de prise de certaines médications (amiodarone, lithium,
interleukines, anti-angiogéniques)
Ac anti Tg :

Validation des dosages de thyroglobuline,

Suivi des patients avec cancers différenciés thyroïdiens (ATg+),

Recherche d’une auto-immunité thyroïdienne si Ac anti TPO négatifs et forte suspicion clinique et/ou échographique,
Ac anti RTSH :

Diagnostic étiologique d’une hyperthyroïdie,

Évaluation de la rémission avant arrêt du traitement médical des maladies de Basedow,

Orbitopathie basedowienne,

Grossesse et maladie de Basedow : prédiction de dysfonction néonatale.
LES MARQUEURS DE CANCERS THYROÏDIENS
La Thyroglobuline (Tg)
Les cancers différenciés de la glande thyroïde (CDT) sont les cancers endocriniens les plus fréquents. Leur incidence s’est
accrue ces dernières années sous l’effet d’un dépistage plus actif et d’une modification des pratiques. Le pronostic
d’ensemble est favorable. Ces dernières années sont apparus de nouveaux outils de surveillance : l’échographie, la TSH
recombinante, la tomographie d’émission de positons, de nouveaux dosages de Tg et d’Ac anti Tg , des recommandations
européennes et françaises pour la prise en charge des cancers différenciés de souche vésiculaire ont été récemment
publiées.
La surveillance biologique des CDT opérés se réalise par les dosages de TSH, d’Ac anti Tg et de Tg. Le taux de Tg doit être
indétectable. Sa permanence ou sa réapparition signe la récidive ou la métastase. Il est essentiel que la surveillance
biologique des patients se fasse dans le même laboratoire.
Les dosages de Tg peuvent être minorés en présence d’Ac anti Tg positifs. Il est important, dans ces situations, de suivre le
titre des Ac anti Tg.
Le dosage de Tg dans les liquides de rinçage des aiguilles de ponction des nodules ou ganglions se généralise. Il révèle
d’excellentes performances pour détecter des métastases ganglionnaires en complément de la cytologie.
La calcitonine (CT)
La CT constitue un marqueur biologique du cancer médullaire de la thyroïde (CMT). La prévalence du CMT est faible
(proche de 0,4 %). Depuis une dizaine d’années, en Europe, ce dosage s’est généralisé en pathologie nodulaire thyroïdienne
optimisant la détection précoce des CMT, le geste chirurgical et la survie. Mais la calcitonémie peut être élevée dans
d’autres circonstances que le CMT. La prévalence de ces hyperCT non dues à un CMT a été évaluée à 4,5 %. Elles sont soit
tumorales, soit fonctionnelles liées à une hyperplasie des cellules C. Les principaux facteurs pouvant influencer un taux de
CT sérique sont l’insuffisance rénale chronique, l’hypergastrinémie, l’existence d’une autre tumeur endocrine et le
tabagisme.
EN PRATIQUE :
Exploration et surveillance des maladies thyroïdiennes
Exploration
initiale
Enquête
étiologique
Suivi
Goitre simple
TSH
-
-
Nodule isolé
TSH, (CT*)
-
-
Hypothyroïdies
TSH, (T4L)
Ac anti TPO,
(iodurie)
TSH
Hyperthyroïdies
TSH, (T3 T4 libres)
Ac anti TPO, Ac anti RTSH,
(iodurie, Tg, HCG)
T4L, TSH,
Ac anti RTSH
Thyroïdites
TSH, VS, CRP
Ac anti TPO,
(sérodiagnostics viraux)
TSH, CRP
Cancers différenciés de la
thyroïde
TSH
-
TSH, Ac anti Tg, Tg
Cancer médullaire
TSH, CT
-
TSH, CT, ACE
*CT : calcitonine
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RECOMMANDATIONS PRÉANALYTIQUES
TSH, T3, T4 libre Prélèvement : tube SEC
Calcitonine
Prélèvement : tube SEC
1 mL de sérum - Conservation à +4 °C.
1 mL de sérum - Congélation immédiate – conservation à –20 °C
VALEURS NORMALES (seuil, spécificité, type d'unités)
Il existe des valeurs spécifiques de TSH et T4 libre pendant la grossesse. L’hCG possède des homologies de séquence
peptidique avec la TSH, lui conférant une capacité (moindre, mais significative) de stimulation des récepteurs à TSH de la
thyroïde. La TSH s’abaisse donc légèrement et la T4 libre s’élève près des limites supérieures de la normale. Toutefois, les
taux de protéines transportant les hormones thyroïdiennes augmentent, conduisant à une élévation de la quantité totale
d’hormones circulantes, tout en conservant le taux d’hormones libres stables (en condition normale). Un dépistage
systématique de la TSH n’est pas recommandé pendant la grossesse, mais la TSH doit évidemment être mesurée chez
toutes les femmes présentant des facteurs de risque de troubles thyroïdiens, a fortiori les symptômes.
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INTERFÉRENCES
Le dosage de la thyroglobuline doit toujours être associé à une recherche d’anticorps anti-thyroglobuline.
NOMENCLATURE – REMBOURSEMENT
TSH : B45 code 1208
T3 libre : B45 code 1206
T4 libre : B45 code 1207
Ac anti-thyroglobuline : B65 code 1484
Ac anti-thyroperoxydase : B65 code 1487
Thyrocalcitonine : B80 code 1132
LE SAVIEZ-VOUS ? (source Wikipédia)
- Des médecins chinois de la dynastie des Tang (618-907) ont été les premiers à traiter avec succès des patients atteints de
goitre en utilisant la glande thyroïde riche en iode d'animaux comme les moutons et les porcs. Ils la faisaient prendre soit
telle quelle, soit en pilule, soit en poudre ± mêlée de vin. On en trouve la description dans un livre de Zhen Quan (mort en
643), ainsi que dans plusieurs autres.
er
Un livre chinois (La Pharmacopée du laboureur céleste) affirme que la sargasse riche en iode était utilisée au I siècle av.
J.C. pour traiter les patients atteints de goitre, mais ce livre a été écrit beaucoup plus tard.
- L'hypothyroïdie congénitale est dépistée systématiquement à la naissance, ce qui permet d'éviter une affection autrefois
dénommée crétinisme. Le dépistage systématique du dysfonctionnement de la thyroïde a été mis en place en 1975.
- L'ajout d'iode dans le sel de cuisine est une mesure efficace pour prévenir la carence en iode, en particulier dans les pays
en voie de développement. Dans tous les pays de culture occidentale, le lait et les produits laitiers transformés constituent
la première source alimentaire en iode du fait de la généralisation des aliments minéraux et vitaminés dans l’élevage, et de
l’utilisation de désinfectants iodés lors de la traite du lait. Dans ces pays, l'iode apporté par le sel iodé domestique ne
contribue donc que de façon très marginale à la couverture des besoins en iode.
- L’hyperthyroïdie est l'une des maladies hormonales les plus fréquentes des chats, souvent provoquée par une tumeur
bénigne de la thyroïde.
- La Thyroxine (T4) a été isolée par l'américain Kendall en 1910 à partir de trois tonnes de thyroïde de porc, tandis que la
Triiodothyronine (T3) a été découverte en 1952 par le français Jean Roche.
- La calcitonine est utilisée dans le traitement de l'ostéoporose post-ménopausique. La calcitonine de saumon est 20 fois
plus active que la calcitonine humaine.
REFERENCES
- Borson-Chazot F, Bardet S, et al. Guidelines for the management of differentiated thyroid carcinomas of vesicular origin.
Ann Endocrinol (Paris). 2008;69:472-86.
- Baloch Z, Carayon P, Conte-Devolx B, Demers LM, Feldt-Rasmussen U, Henry JF, LiVosli VA, Niccoli-Sire P, John R, Ruf J,
Smyth PP, Spencer CA, Stockigt JR; Guidelines Committee, National Academy of Clinical Biochemistry. Laboratory medicine
practice guidelines. Laboratory support for the diagnosis and monitoring of thyroid disease. Thyroid. 2003;13:3-126.
- D’Herbomez M. Calcitonine : indications et interprétation. Presse Médicale 2011;40:1141-6
REMERCIEMENTS
Rédacteur : Madame le Docteur Michèle D’Herbomez
Correcteur : Dr Séverine Brabant
Relecteurs : Drs Sylvain Dubucquoi, Vincent Elsermans
Correspondance [email protected]
Centre de Biologie Pathologie Génétique Médicale
1 Bd du Professeur J. Leclercq, 59037 Lille
Centre de Biologie Pathologie Génétique Médicale du CHRU de Lille.
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