je refuse - Champ freudien en Belgique
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je refuse - Champ freudien en Belgique
N° 8 LA VOIX DE LA PSYCHANALYSE EN BELGIQUE www.forumpsy.be / Juin 2016 / Numéro 8 / @Fdespsy / forumpsychoanalytici JE REFUSE que les clés de la santé mentale soient remises aux Evidence - Based Practices LETTRE OUVERTE À M. CHARLES MICHEL, PREMIER MINISTRE /// JE REFUSE, PAR JUSTINE JUNIUS / P. 2 /// QUI EST CHARLATAN ? PAR GIL CAROZ / P. 3 /// L’EFFET PLACEBO DES TCC, PAR ERIC ZULIANI / P. 4 Un nombre impressionnant d’associations professionnelles du champ psy, d’institutions de soins, d’universitaires et de soignants ont signé une lettre ouverte au Premier ministre, Monsieur Charles Michel, le mettant en garde du ravage que le projet de loi préparé par Maggie De Block produirait dans le champ de la Santé mentale en Belgique, si elle était votée. ➔ http://www.psychotherapeutes.be/lettre-ouverte-a-monsieur-charles-michel/ RÉACTIONS SUR LES « PISTES POUR L’ORGANISATION DES SOINS PSYCHOLOGIQUES »1 proposées par le KCE (Centre fédéral d’expertise des soins de santé) ■ Justine Junius T ravaillant dans un SSM à Bruxelles, en tant que psychologue clinicienne orientée par ma formation analytique continue, je décide de vous écrire pour témoigner de mon travail quotidien dans une équipe pluridisciplinaire, où contrairement à ce que vous laissez entendre aux politiciens : à savoir que nous ne parvenons pas à accueillir nos patients, à prendre le temps de les écouter, à analyser leur demande, à accueillir les crises… nous ne faisons que ça ! Et surtout avec une éthique rigoureuse et un professionnalisme lié à la responsabilité qu’engage ce type de travail. Sachez qu’au SSM dans lequel je travaille, nous recevons le patient sans lui constituer un dossier électronique, sans lui faire passer de bilan fonctionnel pour qu’il puisse poursuivre son suivi, sans limiter les séances à un nombre standard, sans prétendre être capable de diviser les maladies mentales dites « légères » ou dites « plus sérieuses » en une première ligne et une seconde ligne, faisant de surcroît, fi du transfert que le patient peut avoir envers son thérapeute… Qui peut croire à ce que vous proposez ? Lorsqu’il arrive qu’au sein de notre centre, un professionnel ne puisse VOUS VOULEZ pas recevoir de nouveaux patients, TOUT DÉTRUIRE car il manque certes parfois des places, nous prenons cependant le temps de les orienter vers un autre professionnel qui soit abordable financièrement et d’autre part, nous prenons le temps de nous informer au préalable que ce professionnel ou centre a encore de la place. Chaque demande est traitée, en équipe, une fois par semaine et dans les jours qui suivent, nous rappelons la personne pour lui proposer un rendez-vous ou une réorientation adéquate. ❛❛ ❜❜ Alors vous voulez tout détruire sur base notamment d’une étude faite sur la réalité des CGG en Flandre ? Pourtant vous écrivez vous-mêmes qu’il n’y a « pas de chiffres pour les Services de santé mentale » 2. On ne travaille pas tous de la même façon ! Venez voir comment on travaille, dans la dentelle, à la mesure de la complexité du psychisme humain. Je refuse qu’on me recommande des « bonnes pratiques » déconnectées de la réalité du terrain, qui véhiculent une idéologie déshumanisante , simpliste, dangereuse ! 1. Dans KCE : Synthèse - modèle d’organisation et de financement des soins psychologiques, https://kce.fgov.be/sites/default/files/page_documents/KCE_265Bs_Psychotherapy_synthese.pdf 2. Idem., Chapitre 2.2.4. : « Les listes sont longues ». /2 ❛❛ QUI PEUT CROIRE À CE QUE VOUS PROPOSEZ ? ❜❜ ASBL APCF Belgique – Le Forum des psychanalystes Comité éditorial : Patricia Bosquin-Caroz, Gil Caroz, Monique Kusnierek, Alexandre Stevens, Nathalie Laceur, Dominique Holvoet, Guy Poblome. / Direction de publication : Yves Vanderveken. Rue Defacqz 16 à 1000 Bruxelles. / www.forumpsy.be / [email protected] / Graphisme et impression : www.labelpages.com QUI EST CHARLATAN ? ■ Gil ❛❛ JE VOUS METS AU DÉFI DE VOUS MESURER SUR LE PLAN DE LA CLINIQUE ❜❜ Caroz A llons. Soyons sérieux. Qu’est-ce qu’un diplôme de psychologue ? Pas grand-chose. Je le dis parce que j’en ai un, que j’ai décroché il y a trente ans. Je l’ai obtenu de la même façon que je suis allé à la commune chercher ma carte d’identité, c’est-à-dire pour avoir un papier. Ensuite, il a fallu que je me forme, réellement. Car rencontrer des personnes et s’allier à leur destin n’est pas chose légère. Je savais dès le départ que le diplôme de psychologue ne me formerait en rien à accompagner des gens qui cherchent un point d’appui pour aborder leur réel. Je savais que rien ne m’autoriserait à le faire tant que je n’aurais pas eu le courage d’aborder le mien, de réel. Le diplôme de psychologue n’était que la preuve que j’avais la capacité d’être assis pendant des heures à travailler à mon bureau, d’ingurgiter un peu de savoir mort afin de le resservir, tout aussi mort, lors des examens. C’était aussi la preuve que j’étais obéissant. Que je savais repérer chez mes professeurs d’université ce qu’ils voulaient entendre et aussi ce qu’ils ne voulaient pas entendre ! Que je m’abstenais par exemple de contester leurs idées parfois délirantes, comme celle qui stipule que quand un sujet concentre son attention sur la couleur rouge d’un tableau de Rorschach, c’est le signe qu’il a une personnalité agressive ! Ou encore, qu’à caresser une souris trois fois par jour, on apprend les effets de l’acte de tendresse chez les humains. Allons, soyons sérieux. Qui peut croire qu’il s’agit là d’une science ? Comme je ne suis pas un charlatan, dès que j’ai commencé à rencontrer des « patients », après mes études de psychologie clinique, je me suis dit qu’il fallait que je me forme, cette fois-ci réellement. C’est alors que j’ai commencé une analyse. Oui, il y a trente ans, j’ai commencé une analyse et un contrôle de ma pratique. Mon cas, pas moins que le cas des autres, a dû et doit toujours être analysé, même si, à partir d’un certain moment, l’analyse verse de plus en plus dans l’autoanalyse. Sans oublier par ailleurs la lecture de textes en petits groupes (cartels), l’étude clinique dans un ❛❛ ON CROIT HALLUCINER ❜❜ institut de formation, les présentations de cas, la participation à des entretiens avec des personnes hospitalisées en psychiatrie, les colloques, les congrès, le travail institutionnel de la chose analytique… Voilà ce que je fais depuis trente ans, parce que je ne suis pas un charlatan. Par contre, brandir le diplôme de psychologue pour revendiquer la légitimité de « recevoir » des gens et s’insérer dans leur parcours est un charlatanisme de haut niveau. Monsieur le Président de la Fédération belge des psychologues, c’est à vous que j’adresse ces mots. Je crois halluciner quand je pense que vous voulez soumettre au contrôle d’un psychologue mes quelques collègues, psychanalystes laïques, hyper compétents dans leur formation analytique au sein d’une École de psychanalyse, mais qui n’ont pas un diplôme de psychologue. Certains sont philosophes, d’autres sont mathématiciens, d’autres encore sont architectes… Pourtant, je vous mets au défi de vous mesurer à eux sur le plan de la clinique. Vous dites qu’il y a « tout et n’importe quoi » dans le domaine de la formation à la psychothérapie et que c’est la raison pour laquelle il faut avoir un diplôme de psychologue pour exercer un acte psychothérapeutique. Comme par hasard, vous mentionnez à ce propos qu’on « peut se former à la psychanalyse en dix week-ends ». Voilà, vous avez jeté votre discrédit sur les psychanalystes, alors que vous savez très bien que derrière eux, il y a des Écoles bien plus sérieuses que les universités. Vous vendez votre âme au diable de l’Evidence Based pour peu de choses, pour faire partie de ceux qui veulent détenir le monopole dans ce domaine, alors que vous le savez, si vous vous prêtez réellement à traiter le réel qui frappe à votre porte, le diplôme ne garantit rien. À la troisième question qui vous est posée dans la Libre Belgique du 22 juin 2016, celle de savoir « s’il y a beaucoup de charlatans », vous ne répondez pas. Vous divaguez en parlant d’une volonté de « professionnaliser la psychothérapie pour le bien du patient ». Je veux bien. Mais alors, commencez par dire à ces patients dont vous voulez le bien ce que vous savez de la valeur du diplôme de psychologue : celle d’un simple papier. www.forumpsy.be / Juin 2016 / Numéro 8 / @Fdespsy / forumpsychoanalytici /3 ❛❛ NOS DÉCIDEURS, IL SE PEUT QUE DEMAIN, DES COMPTES LEUR SOIENT DEMANDÉS ! ❜❜ Nous les voyons donc, sous toutes sortes de formes qui vont du piétisme aux idéaux de l’efficience la plus vulgaire (…) se réfugier sous l’aile d’un psychologisme qui, chosifiant l’être humain, irait à des méfaits auprès desquels ceux du scientisme physicien ne seraient plus que bagatelles. L’EFFET PLACEBO DES TCC ■ Eric E Zulliani ❛❛ A COMMENCER PAR LES ÉTATS-UNIS, n Belgique comme en France, sur le front de la législation des pratiques thérapeutiques ou sur celui des décisions bureaucratiques concernant l’autisme, il serait bon que nos décideurs – qui s’apprêtent aveuglément à remettre les clés de la santé mentale aux seules bonnes pratiques (Evidence Based Practice) des TCC – soient un peu plus éclairés. Il se peut que dans quelques années, c’est-à-dire demain, des comptes leur soient demandés ! Dans bien des pays en effet, à commencer par les États-Unis, on en revient, comme dirait l’autre, desdites bonnes pratiques. Ceci fait l’objet d’un long article, datant du 7 janvier, d’Oliver Burkman, journaliste qui signe une étude de terrain fouillée et rafraîchissante dans le Guardian, sous le titre : « Therapy wars : the revenge of Freud ». ON EN REVIENT, DES DITES BONNES PRATIQUES Après avoir donné le contexte du triomphe des TCC aux États-Unis, Burkman fait apercevoir les ressorts Evidence Based de la situation actuelle : Depuis qu’elles sont apparues dans les années 60-70, de nombreuses études se sont succédées en faveur des TCC, de sorte que dans le jargon clinique « thérapies à support empirique » est habituellement juste un synonyme de TCC : autrement dit, ce qui est basé sur les faits. Vous cherchez aujourd’hui une thérapie agréée par la National Health Service (Sécurité Sociale), vous serez conduits (…) vers de courtes séries de réunions très structurées menées par un professionnel de la TCC, ou encore, pour intégrer des méthodes visant à interrompre votre manière de penser par catastrophisme, à une présentation PowerPoint ou à un programme en ligne. À ce propos, le journaliste cite un échange très instructif qu’il a eu avec une femme qui s’était mise en quête d’une thérapie pour une dépression survenue après la naissance de son premier enfant. Elle a d’abord été conviée à assister à une présentation PowerPoint de groupe, lui promettant, en cinq étapes, « d’améliorer » son humeur ; puis elle a démarré une TCC, d’une part, avec un thérapeute et, d’autre part, et entre ses séances chez le thérapeute, avec un ordinateur. « Je ne pense pas, dit-elle, que rien n’ai pu jamais me faire me sentir aussi seule et isolée qu’un programme informatique me demandant d’évaluer comment je me sentais sur une échelle graduée de un à cinq ; et, qu’après avoir /4 ❜❜ Illustration : Peter Gamlen (J. Lacan, Écrits, p. 217.) cliqué sur une triste Émoticône sur mon écran, je m’entendais dire par une voix préenregistrée qu’elle en était “vraiment désolée” ! Devoir par ailleurs remplir les liasses de questionnaires des TCC, sous la direction d’un thérapeute, ne s’est pas révélé beaucoup plus concluant. » Mais l’élément le plus surprenant de l’article est l’astucieuse interprétation que fait l’auteur à partir des éléments de son enquête. Il cite la recherche de deux Norvégiens qui, réexaminant les scores des essais expérimentaux depuis l’origine des TCC, concluent que l’ampleur de l’effet – une mesure technique de sa réelle utilité – a diminué de moitié depuis 1977. Et, dans le cas peu probable où cette tendance aurait à persister, poursuivent ces Norvégiens, les TCC pourraient être tout à fait stériles dans quelques décennies. Est-ce à dire que les TCC ont d’une certaine manière bénéficié d’une sorte d’effet placebo depuis tout ce temps ? Qu’elles sont demeurées efficientes tant que les gens ont cru qu’elles constituaient un remède miracle ? Allons plus loin et soulignons que l’effet placebo des TCC a d’abord un impact sur les bureaucraties sanitaires avant que de concerner les patients qui eux en pâtiront. Je travaille depuis 25 ans dans ce qu’on appelle en France le champ médico-social auprès de jeunes pris dans de complexes difficultés psychologiques invalidantes. C’est un champ très libéral où beaucoup d’approches se croisent sans s’exclure depuis l’après-guerre. Dans toutes ces approches, j’ai toujours pu constater que le travail de chaque intervenant repose sur deux principes simples : pour aider un sujet à y voir plus clair dans ses difficultés, il faut initier une conversation continue avec lui, et souvent à plusieurs ; et cette conversation crée des liens, c’est-àdire a des conséquences. Mais, comme l’a souligné récemment Gil Caroz, à principes simples concernant l’usage de la parole, formation pointue sur ce que parler veut dire. Ce sont aujourd’hui ces approches, mais aussi toutes ces professions qui les partagent dans le vaste champ de la santé mentale, qu’il faut défendre de ce curieux et dangereux effet placebo que subissent nos décideurs !