1 DES RELATIONS NOUVELLES ENTRE MARIS ET FEMMES

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1 DES RELATIONS NOUVELLES ENTRE MARIS ET FEMMES
DES RELATIONS NOUVELLES ENTRE MARIS ET FEMMES:
RELECTURE D’EPHESIENS 5,21-33
(Priscille Djomhoué, Conférence donnée à l’Université de Lausanne : Août 2009)
Ephésiens5,21-31 est un texte très prisé dans les cérémonies de mariage au
Cameroun : sur 8 mariages environ auxquels j’ai participé, ce texte est apparu au moins 7 fois,
soit dans la prédication, soit au moment des engagements. Dans les prédications, l’essentiel
du message est un enseignement donné à la femme, précisément sur son attitude vis-à-vis de
son mari. Mais à lire le texte, on réalise très vite que, trois versets seulement sont relatifs aux
devoir des femmes (5,22-24) alors que sept s’adressent particulièrement aux hommes (5,2532). Cette répartition inégale du nombre de fois que le texte interpelle les différents
constituants du couple étonne : l’auteur du texte commence par interpeller les femmes pour
s’appesantir longuement sur les devoirs des hommes. Comme Pierre Debergé, je me demande
aussi, si cette structure signifie que les maris avaient, plus que les hommes besoins d’être
instruits au sujet de leur vie de couple1. Mon hypothèse de lecture, c’est qu’effectivement, il y
a du nouveau dans ce texte, et dans une société qui était fondée sur une hiérarchie des sexes et
sur la soumission de la femme à l’homme ou à ses frères. La soumission qui semble définie
comme devoir de la femme au verset 22 est en effet mutuelle dans le couple : l’auteur
l’évoque, et passe très rapidement comme s’il mentionnait un détail, pour s’appesantir
longuement et exclusivement sur les devoirs des hommes, autrement plus astreignants que
ceux des femmes.
En effet, l’autorité autrefois reconnue à l’homme devient une primauté d’amour qui
s’oppose aux abus auxquels la situation de chef conduisait les maris. Il y a ici, un revirement ;
la relation de l’homme et de la femme, loin d’être fondée sur de critères de supériorité, doit
désormais être caractérisée par l’abandon mutuel et le sacrifice.
Comprendre le texte
Mise au point: Je ne vais pas me livrer à une discussion sur l’autorité du texte qui reste
encore contestée aujourd’hui. Toutefois, je pense que Paul est l’auteur de ce texte comme le
sont certains philosophes chef d’école et maître à penser, dont les élèves utilisent l’esprit
pour résoudre les problèmes nouveaux qui se posent aux communautés (pour le cas d’espèce).
1
Pierre Debergé, Cahier Évangile n° 126, 2003, p. 44.
1
Ce faisant, ils actualisent la pensée du maître. S’il m’arrive dans ma présentation de parler de
Paul comme auteur, entendez-le de cette manière.
Notre passage vient juste après l’exhortation qui invite à imiter Dieu en renonçant à
vivre comme dans le monde. En effet, la croyance au Christ est le point de départ d’une
nouvelle vie: « Imitez Dieu, puisque vous êtes des enfants qu'il aime; vivez dans l'amour,
comme le Christ nous a aimés et s'est livré lui-même à Dieu pour nous, en offrande et victime,
comme un parfum d'agréable odeur. » (Ephésiens5,1-2). Notre texte, qui est placé à la suite de
cette exhortation se présente comme une illustration de l’exemple qu’il faut suivre, celui du
Christ, vu sous l’angle de la relation entre le mari et la femme. Il y a une ressemblance
remarquable entre ce premier verset du chapitre et le premier verset du texte d’étude : d’une
part, « Imitez Dieu, puisque vous êtes des enfants qu'il aime » (5,1) et d’autre part « Vous qui
craignez le Christ, soumettez-vous les uns aux autres » (5,21). La remarque à faire est que les
deux passages sont adressés aux croyants dans leur ensemble, sans distinction de genre et
d’âge. Grammaticalement, la seconde personne du pluriel qui est utilisé à savoir gi/nesqe ou]n
mimhtai_ «ginèsthe oun » devenez donc des imitateurs d’une part et u(potasso/menoi
a)llh/loij « Hupotasomenoi allelois » vous subordonnant les uns aux autres d’autre part
signifie que l’exhortation est orientée vers le vous, dans lequel se retrouve toute personne
potentielle auditrice du message. Je pense que le verset 21 dans le texte, fonctionne comme un
résumé de tout ce qui sera développé par la suite. La justification de cette affirmation est
grammaticale, c’est la ponctuation qui se trouve à la fin du verset 21. Le texte grec (NA26 et
27 2
) utilise la virgule, ce qui indique une variation de ponctuation en indiquant la manière
selon laquelle doit être lu le reste du texte. Je partage le choix de la TOB et de la version
Louis Second (Révisée, 2005) qui ont traduit cette virgule en français par un point virgule. En
effet, le point virgule est utilisé dans la phrase pour marquer une pause moyenne, en séparant
deux membres de la même phrase, le premier apportant des précisions au deuxième. C’est en
effet cette fonction que la ponctuation assume dans notre texte. Ainsi, le texte dans son
ensemble, est une exhortation adressée au mari et à la femme, les invitant à se soumettre
mutuellement. Markus Barth traduit très bien cette vision dans le reste du texte lorsqu’il
affirme (que l’appel à la subordination d’un groupe à un autre est indissolublement lié à
l’ordre mutuel du verset 21) ce qui suit3 :
2
Nestlé Aland, Novum Testamentum Graece, 26e edition, 1984.
Dans Ephésiens 5,22ss, l’appel à la spécifique subordination d’un groupe sur un autre est indissolublement lié
à l’ordre mutuel proclamé en 5,21. A l’exception de certaines variantes, le terme soumettez n’est même pas
repris au v22. L’impératif du v21 anticipe tout ce que Paul va dire, non pas seulement aux femmes, enfants et
3
2
“In Eph5:22 ff., the call for specific subordination of one group to another is
indissolubly tied to the mutual order proclaim in 5:21. Except in some
variant readings … the term “subordinate” is not even repeated in vs. 22.
The single imperative of vs. 21 (“subordinate Yourselves to one another”)
anticipates all that Paul is about to say not only to wives, children and
slaves, but also to husbands, fathers and masters, about the specific respect
they owe because of Christ to those with whom they live together either by
choice or by birth, or by historical circumstances.” (1974: 609)
Autrement dit, l’amour qui unit le mari l’invite à se soumettre à son épouse, et recommande
que l’épouse fasse de même. Cette compréhension est aussi celle de Michel Boutier qui, en
commentant les versets 25 et 26 dit qu’« une même source aboutit ainsi pour la femme et pour
l’homme à ces invitations différentes l’une de l’autre : soumission et amour.» (1991: 243)
Soumission mutuelle dans le couple.
Le tout premier mot placé au début du verset 2 à savoir « femmes » est une
interpellation, une apostrophe qui prépare inconditionnellement le lecteur à écouter une parole
ou un message. La même apostrophe est utilise au verset 25 au sujet de l’homme: « Maris ».
Je pense qu’après avoir orienté cette apostrophe aux deux membres du couple, leur
recommandant une soumission mutuelle comme le témoigne l’utilisation du a)llh/loij
« alleloi » les uns aux autres au début du verset 21, l’auteur de l’épître aux Ephésiens
s’adresse à chaque membre pris individuellement et séparément, pour expliquer comment estce qu’il faudrait comprendre cette soumission, parce qu’il y a en effet, une nouvelle
compréhension de leur relation. Effectivement, il y a dans ce texte une compréhension tout à
fait nouvelle, un message qui va surprendre les juifs. Dans cette société juive, le texte retentit
à une époque très particulière ; C’est une période du développement d’un christianisme qui
vient remettre en question certaines valeurs traditionnelles. L’auteur de ce texte est entre deux
mondes : le monde gréco-romain et le monde juif. La société juive est patriarcale. Mais à
Ephèse, nous avons à faire à une ville cosmopolite où abondent plusieurs cultes,
particulièrement le culte d’Artémis et de Déméter. Dans ce contexte, les femmes dirigent les
activités culturelles et financières et peuvent subsister indépendamment des maris. Dans cette
situation, les femmes n’étaient pas seulement des prêtresses, elles menaçaient l’autorité des
hommes. Comme le mentionne Elisabeth Fiorenza, « en règle générale, les recommandations
esclaves, mais aussi aux maris, pères et maîtres, au sujet du respect qu’ils doivent à cause du Christ, à ceux avec
qui ils vivent ensemble soit par naissance, soit par choix, ou à la suite des circonstances de l’histoire.
3
prescriptives en faveur d’une soumission et d’un comportement “féminins” deviennent plus
nombreuses chaque fois que le véritable statut socioreligieux des femmes et leur pouvoir à
l’intérieur du patriarcat augmente » (1986: 169).
Ce texte, dans une certaine mesure, est l’écho des problèmes de l’Eglise, lesquels
comprennent la volonté des femmes chrétiennes d’imiter les prêtresses des cultes païens. Dans
un autre texte la recommandation prescriptive dont parle Elisabeth Fiorenza est très radicale:
Pendant l'instruction la femme doit garder le silence, en toute soumission. Je ne permets pas
à la femme d'enseigner ni de dominer l'homme. Qu'elle se tienne donc en silence. (1Tm2,1011). C’est donc dans un pareil contexte que l’auteur aux Ephésiens énonce ou redéfinit la
nature de la relation conjugale des chrétiens.
La Traduction œcuménique de la Bible (TOB) intitule ce passage « les relations
nouvelles ». Ce titre se justifie par le fait que l’apôtre Paul, au nom de l’amour de Dieu et de
la lumière qu’apporte l’Evangile, doit détruire à la base, les fondements d’une morale en
vigueur. Il va le faire par une subtile méthode pédagogique : soumettez-vous, ou subordonnezvous les uns aux autres dans la crainte du Christ (5,21). Ce verset inaugure un nouveau code
familial et social4. Toutes les relations dans le couple sont placées sous l’inspiration de la
soumission mutuelle. L’exhortation de Paul est très souvent focalisé sur l’humilité du
chrétien : Ep2,1-11 en est une illustration ; ici, il dit que celui qui réclame toute autorité doit
se courber ou s’humilier afin de recevoir cette autorité des mains de Dieu. De la même
manière, dans Ga5,13 cette soumission est recommandé dans le service que les chrétiens
doivent se rendre mutuellement: « par l'amour, mettez-vous au service les uns des autres ».
Notre texte est donc clair : dans la relation du mari et de la femme, il n’y a pas de hiérarchie,
il n’y a pas de subordination et de supériorité, il n’y a que des enfants de Dieu qui, par la
force que leur donne le christ, sont en mesure de se soumettre les uns aux autres.
Dans les écrits de Paul il y a d’autres Tables de devoirs qui semblent différentes de
celles d’Ephésiens; par exemple, Col3,18-4,1; 1Tm2,11-13 et Tt2,4-5. Ici, les détails de
l’exhortation semblent être en contradiction avec ceux d’Ephésiens: ceci à première vue,
semble paradoxal. En effet, comment affirmer qu’il n’y a pas de relation d’infériorité et de
supériorité dans le couple lorsque Paul dit « femmes, soyez soumises à vos maris? »
L’amour selon Paul (l’auteur du texte), une soumission.
4
Après Martin Luther, les allemands ont intitulé ce texte “Haustafeln” ce qui signifie les Tables Domestiques.
Michel Boutier compare cette expression à ce qui est connu sous le nom de Code Familial (240).
Personnellement, je pense qu’on peut l’appeler le Nouveau Code de la Famille, parce que c’est une nouvelle
compréhension des relations dans le couple.
4
Remarquons qu’au verset 22, le verbe u(potasso/menoi n’apparaît pas explicitement,
et l’adverbe de comparaison w(j –hos comme qui est utilisé dans l’expression traduite par
comme au Seigneur donne le réel sens de la phrase. Cet adverbe intervient deux fois : d’abord
à l’endroit de la femme, puis orienté vers le mari (v.25). Le sens des recommandations, mieux
du comportement qui est attendu du couple doit se chercher dans la signification profonde de
l’identité de la personne à qui le couple doit s’identifier dans sa relation. Autrement dit, la
femme doit se soumettre à son mari comme au Seigneur, et le mari est le chef de la femme,
non pas comme le colonel et ses troupes, mais de la même manière que Christ est le chef de
l’Eglise. Par le moyen de cette comparaison, Paul donne une signification tout à fait différente
et nouvelle, au mot kefalh_ - kefalè traduit par chef. Ainsi selon notre texte, la femme doit se
soumettre à son mari de la même manière que le mari doit se soumettre à la femme.
La subtilité de l’apôtre Paul ici se trouve au niveau du verbe se soumettre, implicite
dans ce verset. En y faisant allusion et ceci en rapport avec l’attitude de la femme envers son
mari, il évite de choquer ses contemporains dont la tradition a fait de la femme un être
inférieur. Mais, il va apporter un changement dans la signification qu’il donne à ce mot en
appelant les hommes et les femmes à reconsidérer le sens de leur relation et en changeant leur
mentalité par l’utilisation du moyen pédagogique de la comparaison. Nous avons ainsi l’usage
d’un mot auquel on est habitué, mais un mot chargé d’un nouveau contenu sémantique. Alors,
lorsque Paul dit « maris aimez vos femmes », c’est tout à fait normal dans une société où
aimer sa femme c’est l’aimer comme sa nourriture auquel on recourt lorsqu’on a faim,
nourriture que l’on peut mettre de côté lorsqu’on est rassasié. Pourtant, il faut prêter attention
à la suite de la phrase: en introduisant « comme Christ a aimé l’Eglise », il change
complètement les choses. Le sens de l’amour que le mari doit à la femme est à rechercher
dans la manière selon laquelle Christ a aimé l’Eglise. La signification du devoir de l’homme
devient donc toute nouvelle, parce que Christ a aimé l’Eglise jusqu’à la mort. Il me semble
même qu’il y a un renversement de la situation. Dans la société antique, le mari a le droit de
vie et de mort sur sa femme. Mais selon notre texte, c’est maintenant le mari qui, comme le
Christ l’a fait, doit se sacrifier, se soumettre jusqu’à la mort pour sa femme.
La relation dans le couple est ainsi, une parabole de l’amour de Dieu et de l’humanité.
Le sens de l’amour et de l’amour conjugal réside dans la manière selon laquelle Dieu nous a
aimés. Il nous a aimés tel que nous sommes, avec nos qualités et nos défauts, même si son
désir est de nous accompagner de telle sorte que nous avancions chaque jour sur la voie de la
perfection.
5
Au-delà de ce message aux Ephésiens, Paul s’adresse à nous aussi qui sommes à la
croisée des chemins, nous qui semblons être perdus entre tradition et modernisme d’une part,
et la foi chrétienne qui doit réguler les choses d’autre part. Paul présente le Nouveau Code de
la Famille, version chrétienne qui stipule que le model Chrétien de la soumission doit
s’exercer de manière tout à fait particulière dans les relations de couple, de famille et de
société : La femme se soumet volontairement à son mari et ce dernier la respecte selon le
model de l’amour du Christ pour son Eglise. Ces relations distinguent le mariage chrétien des
autres et lui confère une dignité particulière qui s’origine dans le lien qui unit Christ aux
Croyants.
Chef/Dirigeant : candidat au sacrifice.
Finalement, Paul fait usage d’une image appelée analogie. Elle est basée non pas sur
des mots pris séparément, mais sur la relation du couple.
L’analogie a pour but de redéfinir le mot qui est traduit par Chef/Tête (v23). Il s’agit
du grec Kefalè qui est utilisé dans notre texte pour qualifier le mari comme l’auteur le fait
pour le Christ : « Car le mari est le chef de la femme, tout comme le Christ est le chef de
l'Église, lui le Sauveur de son corps » (5,25). La relation Christ/Eglise est développé ici au
sens de l’amour de Dieu agapè, une relation commandée par le don de soit. Ce sacrifice de soi
est définit selon le plan de Dieu (5,25-26). Dieu est la Tête ou le Chef de son people dans ce
sens qu’il a choisi et libéré son people. Au verset 23, le mot kefalè Tête ou chef est
directement lié à Soter c'est-à-dire Sauveur. Jésus est le Chef de l’Eglise parce qu’il a donné
sa vie en sacrifice pour le salut. C’est pour cette raison que Michel Boutier pense que la fin
du verset 23 justifie la souveraineté du Christ, non pas par rapport à sa masculinité, mais en
relation avec l’acte de salut. (1991: 243)
La relation qui doit exister entre le mari et la femme est similaire à la relation qui
existe entre Christ et son Eglise, et la relation de Christ le chef et son Eglise n’est pas définit
en terme de pouvoir et de force, mais en terme d’amour. Manifestement nous ne sommes plus
situés dans une relation de pouvoir et de domination, du plus fort sur le plus faible, mais dans
une relation qui en appelle au sacrifice de soi pour faire histoire commune.
Ceci se vérifie dans le passage à travers les versets 26 à 27 qui utilisent trios fois la
conjonction grecque ina qui signifie "ainsi", et qui introduit l’objectif: les maris doivent aimer
leurs femmes comme Christ a aimé l’Eglise afin de réaliser la volonté de Dieu. Cette manière
d’aimer conduit à trios résultats: cet amour du Christ consacre l’Eglise en la purifiant par le
bain d’eau et de mot; il rend l’Eglise glorieuse devant le Seigneur, se présentant sans tâche, ni
6
souillure; il la rend sainte et sans souillure. Par analogie, la relation du mari et de la femme
conçue en terme sur les bases de l’amour et non en termes de domination produit des effets
caractéristiques : harmonie et épanouissement du couple
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Bibliographie
- Boutier, Michel, L’épître de Saint Paul aux Ephésiens, Genève, Labor et Fides,
1991.
- Debergé, Pierre, Cahier Évangile n° 126, 2003, p. 44
- Markus, Barth. Ephesians 4-6: A New translation with Introduction and
Commentary, The Anchor Bible. New York, Doubleday and Company, 1974.
- Masson, Charles, L’épître de Saint Paul aux Ephésiens, Neuchâtel, Delachaux et
Niestlé, 1953.
- Schüssler, Elisabeth Fiorenz, En Mémoire d’Elle, Paris, Cerf, 1986.
- Stoeckhardt, George, Ephesians, Translated by Sommer, Martin S., Saint Louis,
Concordia Publishing House, 1987.
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