Nicolas Bouzou

Transcription

Nicolas Bouzou
Compte rendu du déjeuner du mercredi 17 février 2016 à 12 h 45
dans les salons de l’Hôtel Raphaël (17, avenue Kléber, Paris 16e)
autour de
Nicolas Bouzou,
économiste,
auteur du Grand Refoulement – Stop à la démission démocratique
sur les perspectives économiques 2016
Liste des participants :
Évangéline Baeyens, chargée de communication à
l’Ilec, Institut de liaisons et d’études des industries de
consommation
Gérard Bailly, sénateur du Jura
Erick Billiemaz, directeur commercial de Playmobil
France
Jean Bizet, sénateur de la Manche, président de la
commission des Affaires européennes
Vincent Capo-Canellas, sénateur de la Seine-SaintDenis
Arnaud Cordelle, président d’Intersnack
Éric Doligé, sénateur du Loiret
François Ehrard, responsable de communication à
l’Ilec
Dominique Estrosi-Sassone, sénatrice des AlpesMaritimes
Grégory Gazagne, directeur général de Bolton
solitaire
Philippe Gosselin, député de la Manche
Marc Goua, député de Maine-et-Loire
Arlette Grosskost, députée du Haut-Rhin
Denis Jacquat, député de la Moselle
Philippe Le Ray, député du Morbihan
Perrine Lebrun, responsable des Relations
institutionnelles de Danone Produits Frais France
Dominique Lefebvre, député du Val-d’Oise
Jean-Baptiste Léger, responsable développement
durable et affaires publiques – Pepsico France
Jean-Claude Lenoir, sénateur de l’Orne, président
de la commission des Affaires économiques
Bruno Loutrel, consultant – Boury, Tallon &
Associés
Richard Panquiault, directeur général de l’Ilec
Didier Quentin, député de la Charente-Maritime
Claude Raynal, sénateur de la Haute-Garonne
Stéphanie Rismont, secrétaire générale chargée de la
Communication interne, de la communication
externe, des affaires publiques et du développement
durable, Brasseries Kronenbourg
Yves Rome, sénateur de l’Oise
François Scellier, député du Val-d’Oise
Laurent Scheer, VP Public Affairs France – Pernod
Ricard
Fernand Siré, député des Pyrénées-Orientales
Alain Suguenot, député de la Côte-d’Or
Pascal Tallon, directeur général de Boury, Tallon &
Associés
Jean-Marie Tétart, député des Yvelines
Alain Vasselle, sénateur de l’Oise
Fabrice Verdier, député du Gard
Ce compte rendu, rédigé à titre indicatif, est réservé aux participants. Pas de reproduction sans autorisation.
Richard Panquiault
Mesdames et messieurs, je suis très heureux que
vous soyez venus en si grand nombre pour
entendre Nicolas Bouzou, dont le livre, Le Grand
Refoulement, vous sera distribué à la fin de cette
rencontre. Je laisse la parole à notre orateur.
Nicolas Bouzou
Bonjour à tous. Le sentiment que je voudrais
partager est qu’aujourd’hui le débat public est
envahi par des sujets assez secondaires, alors que
d’autres très importants devraient retenir notre
attention.
Je pense particulièrement au fait que nous
sommes entrés dans la cinquième grande
révolution de l’humanité. Les quatre précédents
bouleversements technico-économiques furent
l’invention de l’agriculture il y a dix mille ans ;
l’invention du commerce et des échanges avec
les prémices de la mondialisation ; la
Renaissance ; la révolution industrielle.
Nous entrons dans une ère du même ordre,
souvent évoquée par les termes de « révolution
numérique ». À mon avis, cette révolution va
bien au-delà de la numérisation ; les AngloSaxons utilisent un acronyme pour la désigner et
parlent de révolution NBIC (nanotechnologies,
biotechnologies, sciences de l’information,
sciences cognitives).
La convergence de ces quatre types de
technologies génère une mutation d’ordre
économique absolument majeure, l’équivalent de
ce que nous avons connu lors de la Renaissance.
Sauf que pour la première fois dans l’histoire de
l’humanité, une révolution touche le monde dans
son ensemble. La Renaissance ne concernait que
quelques cités. Aujourd’hui, tous les pays
participent à cette révolution digitale. Ainsi, les
principaux utilisateurs de services de banque à
distance se situent en Afrique subsaharienne. Si
cette révolution touche le monde dans sa
globalité, elle accroît profondément, par ailleurs,
le phénomène de destruction créatrice, théorisé
par Schumpeter, que nous ne pouvons stopper.
En effet, nous pouvons réguler la technologie,
mais nous ne pouvons pas arrêter son évolution.
Par exemple, je ne pense pas que nous puissions
dissoudre UberPop ! De manière générique, on
ne peut pas dissoudre une technologie. Cela ne
signifie pas que des outils de régulation ne sont
pas nécessaires ; l’enjeu est justement d’adapter
nos structures institutionnelles, notre droit et
notre système fiscal.
Dans le cas d’UberPop – j’aurais pu choisir
d’autres entreprises, comme Airbnb –, il s’agit
bien d’une entreprise NBIC. Uber et Airbnb
n’ont inventé ni les VTC (voitures de tourisme
avec chauffeur), ni le concept de tourisme. Elles
ont seulement numérisé l’accès à ces services ; ce
sont donc des entreprises de technologie.
En mouvement depuis quinze ans, la grande
vague des NBIC va continuer à se développer
une quinzaine d’années encore et les
changements qu’elle porte vont être de plus en
plus importants.
Pour citer un cas concret, il y a quelques jours,
un sujet majeur a été évoqué par le ministre des
Transports des États-Unis : la voiture autonome,
c’est-à-dire sans chauffeur. Il s’agit d’un domaine
passionnant auquel je vous conseille de vous
intéresser dès maintenant.
Le débat sur la voiture autonome présente un
intérêt pour deux raisons.
La première est juridique : à qui revient la
responsabilité en cas d’accident ? En Californie,
les autorités indiquent vouloir, dans la voiture,
un chauffeur qui dispose d’un permis de
conduire. L’entreprise Google, elle, explique
avoir créé la voiture automatique pour les nonvoyants et les personnes handicapées. Dès lors,
en cas d’accident, qui sera responsable :
l’algorithme, la Google Car ? Les enjeux
juridiques sont immenses…
Le second motif d’intérêt concerne les
destructions massives d’emplois, notamment
dans le secteur des moniteurs d’auto-école. Dès
lors, il s’agit bien d’un phénomène de
destruction créatrice, dont il ne faut pas oublier
le
versant
créateur.
Ces
révolutions
technologiques
créent
potentiellement
énormément d’emplois, le plus souvent de
nouveaux emplois.
Certains économistes expliquent qu’il ne s’agit
pas d’une véritable révolution, car nous n’en
percevons pas encore les gains de productivité.
En réalité, nous assistons à l’émergence d’une
nouvelle économie où le vrai sujet de politique
économique concerne la mutation de l’emploi et
du travail. À cet effet, le président de la
République a eu raison de mettre l’accent sur la
flexisécurité. Elle reste une bonne idée, et la
question à laquelle il nous faut répondre est la
suivante : comment articuler une véritable
flexibilité du marché du travail aux phénomènes
de création et de disparition de nombreux
emplois ? Les spécialistes du marché du travail,
en France, connaissent ces sujets et sont à même
de suggérer les meilleures propositions ; ils
expliquent que plus nous détruisons d’emplois
dans une économie qui fonctionne bien, plus
nous pouvons en recréer.
En revanche, la flexibilité est inutile si nous ne
donnons pas la capacité aux individus de passer
d’un emploi à un autre. Il s’agit là des sujets de
l’apprentissage et de la formation, souvent traités
de manière secondaire et qui permettent
pourtant de résoudre l’équation suivante :
comment gère-t-on cette immense phase de
destruction créatrice ?
Nous avons beaucoup d’atouts, en France, pour
aborder cette phase essentielle. Il suffit de
regarder les statistiques nationales concernant les
start-up. De fantastiques initiatives prospèrent,
par exemple les nanotechnologies à Grenoble, le
plateau
de
Saclay
ou
le
quartier
Euroméditerranée à Marseille, consacré à la
santé. Nous disposons d’un tissu entrepreneurial
extraordinaire et les politiques publiques doivent
permettre à ce précieux moteur de prospérer et
de créer des emplois.
J’aimerais également aborder deux autres sujets
qui nous concerneront cette année. Tout
d’abord, les défis des énergies conventionnelles.
Nous n’avons pas vu venir le fait que les ÉtatsUnis sont presque devenus le premier
producteur de pétrole dans le monde. Une
nouvelle offre de pétrole s’est développée et,
dans le même temps, il y a eu un ralentissement
des économies émergentes, un choc d’offre
positif sur les hydrocarbures, un choc de
demande négatif et un écroulement des prix. À
court terme, c’est une bonne nouvelle pour un
pays comme la France. Mais d’autres pays, à
l’image de l’Algérie, voient s’écrouler leur
modèle.
Un
écroulement
économique
relativement large peut donc se produire, et
engendrer de nouvelles vagues migratoires. C’est
un sujet sur lequel il faut s’interroger, surtout
lorsqu’on sait qu’en France le taux d’emploi des
Algériens est le plus bas de toutes les
populations immigrées.
Autre sujet d’importance : le Brexit. Les résultats
du référendum sont difficiles à prévoir. À mon
avis, nous allons vers le « in », mais nous ne
pouvons pas être complètement tranquilles. Si
les Britanniques venaient à choisir le « out », il est
facile d’imaginer les réactions en chaîne, un
cercle vicieux commencerait. Nous connaîtrions
des incertitudes majeures pour les structures
économiques de l’Union européenne.
Je terminerai ce propos introductif en vous
faisant part de deux convictions. J’ai la chance de
voyager et d’avoir pu effectuer de nombreuses
comparaisons. Très honnêtement, je pense que
les problèmes français sont assez simples à
résoudre. En deux ans, il est possible de
réformer la France. Bien sûr, il y a des
contraintes, notamment les réactions de
l’opinion publique, mais sur la plupart des sujets
essentiels – la réforme du marché du travail ou
de l’Éducation nationale –, nous savons ce qu’il
faut faire. Par exemple, il est impératif de
diminuer le taux de chômage structurel en
introduisant un nouveau contrat de travail, en
réformant l’apprentissage, la fiscalité, etc. Je
pense qu’il n’y a pas de difficulté insurmontable.
Enfin, il est nécessaire de demander aux Français
de procéder à certains changements. Ce que j’ai
observé chez les gouvernements qui ont effectué
d’importantes réformes dans un temps assez
bref, c’est qu’il est possible de changer lorsqu’on
s’appuie sur des valeurs immuables. Plus nous
voudrons être progressistes et volontaristes
économiquement, plus nous devrons nous
appuyer sur des valeurs fortes.
Cet aspect vaut pour l’immigration et doit
prévaloir pour l’économie. À ce titre, la
pédagogie est nécessaire. Par exemple, j’ai pris
parti pour deux types de mesures : je suis
favorable à la dégressivité de l’indemnisation du
chômage et à l’expérimentation que veut mener
le conseil départemental du Haut-Rhin – mise
sous
condition
d’un
certain
nombre
d’allocations. Pourquoi ? Simplement pour des
raisons d’efficacité. Dans tous les pays revenus
au plein-emploi, la dégressivité existe. Dans tous
les pays qui ont réformé leur État providence, il
y a eu un équilibre entre les droits et les devoirs,
ce sont des éléments de régulation du système.
Mais le plus souvent le sens et les explications
qui justifieraient de telles réformes auprès des
citoyens manquent.
Jean Claude Lenoir
J’ai deux observations. Vous avez porté un
regard sur les pays qui nous entourent ainsi que
sur les valeurs qui doivent guider les réformes.
En France, j’ai l’impression que nous débattons
sans arrêt des valeurs. Nos voisins sont plus
pragmatiques. Les Allemands ont résolu une
partie des problèmes que nous rencontrons
parce qu’ils sont pragmatiques. À la chambre des
communes de Londres, on ne parle également
que de vrais sujets. Il nous faut, en France aussi,
du pragmatisme.
Par ailleurs, sur le plan mondial, les nouvelles
technologies risquent d’avantager les pays en
développement mais de nuire aux pays
développés. Dans des pays qui n’ont pas grandchose, elles vont permettre des activités
nouvelles. Ici, nous ne faisons que constater la
baisse des emplois : nous avons un taux de 14 %
d’emplois industriels et selon une étude récente
nous allons perdre dans les six prochaines
années la moitié de ces emplois, du fait des
nouvelles technologies. En termes géopolitiques,
cela aura des conséquences.
Enfin, concernant les énergies conventionnelles,
nous aurons encore besoin de gaz et de pétrole
pendant des dizaines d’années pour les besoins
individuels,
et
pour
les
industries
pétrochimiques. Il y a aussi le nucléaire,
fondamental pour nous, et je souhaite que nous
ne nous laissions pas embarquer dans des débats
idéologiques sur ce sujet.
Arlette Grosskost
Vous avez raison sur le fond de votre propos
introductif. Nous parlons de réformes
structurelles depuis trente ans, j’espère que
bientôt nous aurons le courage de les faire.
Je souhaite réagir à ce que vous avez dit sur
l’expérimentation d’une contrepartie à certaines
allocations dans le Haut-Rhin. Certes, je trouve
normal qu’il y ait, contre un revenu de solidarité,
une contrepartie ; la ligne des droits et des
devoirs dont vous avez parlé est essentielle. Pour
autant, il ne faut pas annoncer n’importe quoi,
car c’est ainsi que nos concitoyens ne croient
plus dans la politique. Nous réfléchissons
beaucoup, mais nous agissons peu. L’initiative
du conseil départemental du Haut-Rhin est selon
moi un buzz: d’abord parce que cette mesure ne
sera mise en œuvre que le 1er janvier 2017,
ensuite parce que d’autres élus l’ont essayée et
qu’elle a finalement été abandonnée. Nous
n’arriverons pas à réhabiliter le politique de cette
manière.
Nos voisins allemands ont engagé des réformes
structurelles il y a longtemps. Il nous faudra du
courage et de l’audace, mais nous devons les
faire. Il faut que nous prenions de vraies
décisions et que nous les expliquions. Quand
aura-t-on le courage de faire et d’agir ?
Nicolas Bouzou
J’ai tenté de réfléchir, comme vous, à cette
question : pourquoi savons-nous ce qu’il faut
faire et pourquoi ne mettons-nous pas en place
les réformes nécessaires ? À titre d’anecdote, j’ai
été ébranlé par la question que m’avait posée un
ministre danois : il me demandait pourquoi nous
ne faisions pas baisser le chômage en France ! Le
sous-entendu était que nous savons ce qu’il faut
faire pour y parvenir.
Je crois qu’il est important que tout soit
précisément annoncé pendant les campagnes
électorales. À cet égard, nous avons manqué de
clarté en 2012. La campagne de 2017 sera
importante, il faudra annoncer les choses
clairement. Ce qui compte, c’est le pragmatisme
des mesures.
Claude Raynal
Vous avez une vision très positive du
numérique. Vous avez parlé de la destruction
créatrice, or je constate qu’on détruit beaucoup,
mais qu’on reconstruit peu. De nombreux
métiers sont dans l’incertitude. Mon sentiment
est que les actifs sont entraînés qui vers le haut,
qui vers le bas, selon qu’ils disposent ou pas de
la formation pour s’adapter. J’aimerais que vous
nous donniez plus d’éclaircissements sur ce
point.
Par ailleurs, vous avez souligné les atouts de la
France et de ses jeunes pousses du numérique.
Mais face à elles il y a les GAFA, qui achètent
toutes les technologies qui fonctionnent et nous
laissent ce qui ne vaut rien. Comment garder la
qualité technologique en France ?
Didier Quentin
Vous avez évoqué la catastrophe qu’annonce la
situation préoccupante de l’Algérie. Comment
prévenir ce drame, y compris sur le plan
migratoire ? La situation pourrait être difficile
pour nous, compte tenu de notre proximité avec
ce pays et de nos relations bilatérales, qui sont
encore compliquées.
Éric Doligé
Je me demande si nous sommes en capacité
d’agir et, dans ce cas, qui serait en mesure d’agir.
Il faut trouver l’homme ou la femme en capacité
de réformer. Nous avons parlé de courage et
d’action, mais quand des décisions trop radicales
sont prises, elles sont très rapidement remises en
question… Comment les élus pourraient-ils s’y
lancer ? Des mesures difficiles et délicates
devront être prises. Nous connaissons, par
exemple, le poids de la couverture sociale, qui
n’est plus soutenable sur le plan national.
Fernand Siré
Dans le monde politique actuel, l’objectif du
politique est la réélection. Personnellement, je
suis pour un mandat unique de cinq ou dix ans,
car les individualismes particuliers prennent trop
le pas sur le reste. Il faut faire ce qui est
nécessaire, mais pas pour de mauvaises raisons
comme être réélu.
Nicolas Bouzou
Merci de ces interventions. L’une des questions
importantes est de savoir si la partie créatrice de
cette révolution sera supérieure à la partie
destructrice, qu’il est facile de constater dans
certains secteurs. Où la création aura-t-elle lieu?
Je pense que la création va l’emporter sur la
destruction. Mon argument, que vous trouverez
peut-être insuffisant, est simplement que cela
s’est toujours passé de cette façon. Les débats
que nous connaissons ont toujours existé, en
1785, en 1905, etc.
La crise de l’économie française est liée à un
phénomène de mutation mondiale, il faut faire
attention à ces périodes qui peuvent être
conflictuelles… L’idée dominante est que les
mutations technologiques vont détruire des
emplois. Je pense que l’on va en créer, mais en
haut et en bas, pour reprendre l’expression que
vous employiez. Il y aura effritement des classes
moyennes.
Or ce sont souvent ceux qui se trouvent dans
cette frange intermédiaire qui aspirent à revenir
au monde d’hier et qui alimentent le vote
extrême. Il faut reconnaître que seul le Front
National parle de ce phénomène lié à la
mondialisation, même s’il apporte la pire
réponse qui soit. Il faut donc construire une
réponse à destination des élites, certes, mais
également à l’intention des moniteurs d’autoécole qui vont perdre leur emploi à cause de la
Google Car. Seul Emmanuel Macron maîtrise
ces sujets et essaie de construire un discours sur
la façon d’articuler les technologies à notre
société.
Une complémentarité entre l’homme et la
machine est possible. Dans l’économie de la
santé, de nombreux robots très performants
sont créés aux États-Unis. Certes, des emplois de
chirurgiens et d’anesthésistes sont détruits à
cause de ces outils, mais en contrepartie le taux
d’emploi
des
infirmières
explose.
La
complémentarité s’opère parce que la création
d’une machine nécessite un haut niveau de
connaissance, mais elle nécessite également
d’être complétée et assistée dans son usage.
Ma conviction est qu’il faut continuer d’investir
dans l’innovation, car les pays les plus innovants
sont ceux où le chômage se montre le plus
faible. Regardons ce qui se passe aux États-Unis,
en Suisse, en Autriche, au Royaume-Uni ou au
Japon…
En Angleterre, la pauvreté diminue. La question
du caractère politiquement rentable d’une
politique de réforme est posée. David Cameron
et Matteo Renzi l’ont compris, puisqu’ils ont
concentré leurs réformes importantes en début
de mandat. Ce qui est incompréhensible dans les
politiques des présidents Hollande et Sarkozy,
c’est l’étalement des réformes dans le temps. Si
les réformes structurelles avaient été concentrées
en début de mandat, par exemple la TVA
sociale, des résultats positifs auraient pu se faire
sentir, notamment sur la courbe du chômage,
dont le renversement se fait encore attendre.
Pour l’Algérie, je vois deux sujets, l’un à court
terme, l’autre à long terme. À long terme, nous
aurions intérêt à réactiver l’Union pour la
Méditerranée, qui était une très bonne initiative
de coopération. À court terme, nous devons
regarder froidement les statistiques d’intégration
des immigrés en France. Je ne veux stigmatiser
personne, il s’agit simplement de constater qu’il
y a des pays d’immigration où l’intégration
économique est plus difficile qu’ailleurs. Je n’ai
pas de solution à ce problème, la seule chose que
je puisse proposer est de demander à des
spécialistes d’expliquer pourquoi l’intégration
économique se déroule mieux avec certains pays.
Par exemple avec le Mali : l’intégration
économique des Maliens en France se passe très
bien. En revanche, le taux d’emploi des femmes
algériennes, un an après leur arrivée en France,
n’est que de 13 %.
Yves Rome
Vous avez évoqué la destruction créatrice, mais
vous avez omis un point majeur : si la France et
l’Europe ont créé Internet, le numérique, lui,
nous a échappé. Je regrette le manque d’action
de notre continent face aux GAFA qui captent la
valeur et deviennent des puissances financières.
Si la France et l’Europe ne prennent pas
conscience de cette domination américaine, je
crains que la vision positive que vous avez à ce
sujet ne soit démentie avec le temps.
Alain Suguenot
Je partage votre constat et souhaite vous
interroger sur un point : qui paie cette révolution
économique ? Les États-Unis ont pris de
l’avance, alors qu‘en France nous avons une
logique d’amortisseur, où le politique apparaît
comme un ralentisseur de crises. Dès que des
initiatives sont prises, nous imposons des
contraintes, notamment pour assurer la
dimension sociale. À mon sens, le vrai débat est
de donner à notre économie les moyens de
fonctionner et non de fournir aux banques
centrales les moyens de créer toujours davantage
de monnaie. Cours du pétrole bas et faibles taux
d’intérêt sont défavorables aux réformes.
Comment donner du courage aux politiques,
pour que nous ayons enfin, en France, une
action efficace ?
Marc Goua
Je partage également votre constat. Il y a tout de
même un phénomène particulier qui se produit
depuis quelque temps : des réinternalisations de
productions qui se faisaient en Chine ou ailleurs.
Il y a sans doute ici un créneau.
Par ailleurs, les start-up, lorsqu’elles fonctionnent,
sont rachetées et l’emploi part donc hors de nos
frontières. De nombreux étudiants, notamment
étrangers, font de brillantes études ici, puis,
parce que nous ne savons pas les retenir, quittent
la France pour aller au Canada, par exemple. À
cause de cela nous perdons des marchés
africains… J’ai eu l’occasion de rencontrer
Emmanuel Macron et de lui en parler. Pour
redémarrer, il n’y a qu’une seule chose à faire :
reconstruire la confiance. Celle-ci ne se décrète
pas ; il faut davantage de stabilité, dans
l’environnement
particulièrement.
juridique
et
fiscal
Nicolas Bouzou
La régulation des GAFA est un défi de taille
avec. Au fond, leurs business models, celui
d’Amazon
ou
d’Uber,
entre
autres,
correspondent à celui hier de la sidérurgie, ce
sont des monopoles naturels, par l’effet boule de
neige des économies de réseaux : plus ils ont de
clients, plus ils en attirent. C’est ce qui explique
que Facebook, Netflix ou Spotify soient en
position dominante. Il faut apprendre à réguler
ce phénomène.
Je m’étonne que les autorités de concurrence ne
soient pas plus présentes dans ce dossier.
Google a tout de même une position dominante
et, puisque l’abus de position dominante est
condamnable, il faut que l’on regarde cet aspect
de plus près. L’économie doit demeurer
concurrentielle. Entre la production et la
distribution, il y a un juste milieu à trouver. Ces
sujets méritent une réflexion plus poussée. Il
s’agit de savoir comment réguler, sans aller
jusqu’au break up proposé par certains
parlementaires européens.
J’ai parfois l’impression d’être le seul à défendre
les hommes politiques. Les problèmes liés à
l’adoption des réformes importantes viennent
souvent de l’opinion publique, on l’a vu avec les
retraites. Le CPE proposé par Jacques Chirac,
bien qu’imparfait, constituait une bonne réforme
du marché du travail. Seulement, même si le
gouvernement de l’époque s’est montré
courageux, les Français l’ont refusée, forçant le
Premier ministre à retirer son projet de loi.
L’idée d’introduire un nouveau CDI flexible
n’était pas mauvaise.
L’essentiel, lorsqu’on souhaite réformer, est
d’emmener avec soi l’opinion publique, en lui
expliquant les défis et les enjeux. Je ne souhaite
pas qu’il y ait des réformes punitives ; si nous
proposons du sang et des larmes, cela ne
fonctionnera pas.
Prenons la réforme de la Sécurité sociale : je
souhaite naturellement que les Français aient
accès aux meilleurs traitements possibles. Les
nouvelles technologies permettent de meilleurs
traitements, notamment contre le cancer. Mais
ces traitements restent chers, il est donc
nécessaire de faire des économies pour les
financer. Nous pouvons développer les maisons
de santé, réformer les urgences, donner
davantage de moyens aux pharmaciens. Ces
réformes ont un sens, car nous les faisons pour
que notre situation s’améliore, pour que les
traitements se perfectionnent.
Il y a de nombreuses initiatives à prendre pour
mener ces grandes réformes. Il faut dire aux
Français qu’un certain nombre de problèmes de
notre pays peuvent trouver des solutions à brève
échéance. La sphère intellectuelle ne fait pas son
travail à cet égard ; j’ai beaucoup d’amitié pour
Alain Finkielkraut et Michel Onfray, mais on ne
peut pas focaliser le débat sur la IIIe République,
il nous faut nous projeter sur des sujets d’avenir.
Comme dans toutes les grandes révolutions
technologiques, il est possible d’avoir le pire,
mais aussi le meilleur. Il faut une réflexion sur la
régulation, qui peut s’appuyer sur l’éthique.
Ainsi, au sujet de la sélection des embryons et de
l’eugénisme, il faut s’interroger sur les limites à
poser ; certaines pratiques ne peuvent être
acceptées en France. En construisant une
réflexion tournée vers l’avenir et un discours sur
l’éthique, les valeurs et l’économie, il deviendra
possible d’emmener une partie des Français avec
nous.
Fernand Siré
Je m’interroge sur l’impact pour l’économie du
système où nous avons, où seules quelques
grosses centrales d’achat déterminent les prix, au
détriment des producteurs qui ne peuvent plus
intervenir.
Richard Panquiault
La destruction créatrice doit s’accompagner de
protections, afin qu’il soit possible de gérer les
périodes de transition. Nous ne pouvons que
constater aujourd’hui une destruction de valeur
et d’emplois qui pour une large part ne seront
pas remplacés. C’est le sujet qui nous préoccupe.
Cela fait écho à la question d’un marché qui
fonctionne bien, avec une concurrence qui
s’exerce et des entreprises capables d’investir. Il
faut essayer de mettre les consommateurs de
notre côté. C’est à nous, collectivement, de les
convaincre, en expliquant qu’un marché qui
fonctionne bien n’est pas exclusivement
constitué de prix bas.
Pascal Tallon
Je vous remercie pour ces échanges
passionnants. L’Ilec vous offre l’ouvrage de
Nicolas Bouzou. À très bientôt.

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