Extrait de ma Jeunesse au temps du Nazisme de M. Maschmann

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Extrait de ma Jeunesse au temps du Nazisme de M. Maschmann
OC Histoire
Analyse de source
Décembre 2011
Extrait de ma Jeunesse au temps du Nazisme de M. Maschmann
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« Que se passa-t-il pendant l’enfance de cette génération de la classe moyenne allemande
qui fit d’elle une telle source de pouvoir pour les maîtres du IIIe Reich ?
J’incriminerais surtout l’atmosphère sombre des lendemains de la première guerre
mondiale. Nos parents se plaignaient sans cesse de l’appauvrissement croissant de
l’Allemagne... Nous entendions toujours les adultes parler de tel ou tel de leurs amis qui
avait perdu son emploi et ne savait plus comment faire vivre sa famille. On comptait à la fin
six millions de chômeurs.[…]
On entendait sans cesse répéter que l’une des raisons de ce triste état de choses était
l’influence grandissante des juifs. Quand j’étais entrée à dix ans au Lycée, le tiers de mes
camarades étaient des juives et je les traitais exactement comme les autres. Mes parents
fréquentaient des collègues juifs de mon père et l’excellent vieux M. Levy, qui occupait
l’appartement au-dessous du nôtre, était un ami. Mais tout cela n’empêcha pas mes parents
d’être antisémites... Les adultes nous enseignèrent que les juifs étaient mauvais, qu’ils
faisaient cause commune avec les ennemis de l’Allemagne, etc. Pour nous, le juif faisait donc
figure d’épouvantail... J’avais acquis des tendances antisémites sans que cela troublât mes
relations avec des juifs... Cette confusion mentale me permit par la suite, de me conduire et
de penser en antisémite, sans me rendre compte de ce que cela avait d’inhumain, sans me
poser de questions sur ma propre honnêteté mentale.
Si l’orgueil national de ma génération n’avait pas été exacerbé par l’amertume de la défaite
il n’aurait jamais tourné au fanatisme, comme il le fit sous l’influence de Hitler. Dès le début
notre vision des choses manqua de modération... nous étions donc prêts pour devenir des
nazis enthousiastes... Nous rêvions de nous sacrifier à un idéal... L’idée de Hitler d’une
« association de toute la nation » me fascinait. J’imaginais que cela ferait de ce monde un
paradis où toutes les classes vivraient ensemble comme les membres d’une même famille.
Je ne pensais pas alors que quantité de gens seraient exclus de ce paradis. Hitler réussit à
nous communiquer son fanatisme... Le fanatique croit que la fin justifie les moyens. Il ne voit
que le but à atteindre et reste sourd à tout le reste. En nous, sans que nous nous en
rendions compte, peut s’estomper la frontière qui sépare le bien du mal. L’abominable, c’est
que ce ne sont pas des gangsters ni des brutes, mais des hommes bons, dont l’esprit et l’âme
étaient honorablement doués, qui se sont mis au service d’un mal sans limites.
En mars 1933, et contre le voeu de mes parents, j’adhérai secrètement aux Jeunesses
Hitlériennes...»
MASCHMANN
Melita,
« Ma
jeunesse
au
temps
du
Nazisme »,
in
http://icp.ge.ch/po/cliotexte/annees-20-30-crises-totalitarisme/nazisme.hitler.1933.html,
[En ligne], page consultée le 23.12.11
Kleinert Emilie
Pasche Christelle
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Commentaire
L’influence du nazisme sur les jeunes
Présentation
L’Europe au sortir de la première Guerre Mondiale se retrouve divisée. L’Allemagne étant la
grande perdante de cette guerre, se voit imputée d’une grande partie de ses territoires
comme la Finlande, l’Ukraine, la Pologne, etc… Ses terres lui sont confisquées par le traité de
Versailles qui représente l’armistice signé par les pays sortant de la guerre. Par ce traité,
l’Allemagne perd aussi une grande partie de son influence politique et économique. Elle
devient dès lors la République de Weimar. Au sein de cette République, la population
ressent une très grande humiliation face à cette défaite et aux conséquences liées. C’est
dans ce contexte qu’apparaît la crise économique et que la pauvreté commence à faire
surface. L’Allemagne se retrouve donc dans une impasse économique à cause des frais
engendrés par la guerre ainsi que des coûts de reconstruction. C’est dans cette atmosphère
chaotique que naît une nouvelle forme d’antisémitisme notamment introduite par la
politique hitlérienne.
Melita Maschmann (1918-2009) est un témoin type de la situation dans laquelle se trouvait
l’Allemagne à l’arrivée d’Hilter au pouvoir et de la pression faite sur les Juifs en les
considérant comme les responsables du chaos. Elle a travaillé dans la presse nazi et a
notamment été chargée d’espionnage : « […] acceptant d’espionner la famille de sa
meilleure amie juive à la demande des ses supérieurs […] » 1 Ce n’est que dans les années
1950 que Melita Maschmann se rendit compte du véritable visage du National-Socialisme.
Dès lors, elle entreprit de relater son histoire d’antisémite.
L’extrait ci-dessus est tiré de l’ouvrage Ma jeunesse au temps du Nazisme, un ouvrage publié
en 1964. L’auteur est connu également pour avoir écrit d’autres livres au sujet du nazisme.
Dans ce texte de nature informatif, elle cherche à nous décrire la vie qui pourrait être celle
de n’importe quel autre enfant allemand à l’époque du nazisme.
Structure du document
Le texte peut être divisé en trois parties :
La première partie va de la ligne 1 à la ligne 8. L’auteur y présente la situation de l’Allemagne
au sortir de la Guerre. Elle qualifie l’atmosphère de « sombre » (ligne 4). Elle évoque aussi
« l’appauvrissement croissant de l’Allemagne » (ligne 5) ainsi que les plaintes du peuple à ce
sujet. On comprend alors les difficultés économiques que l’Allemagne traverse mais
également les difficultés des familles à subvenir à leurs besoins à cause du chômage.
La deuxième partie va de la ligne 9 à la ligne 19. L’auteur y montre l’utilisation de plus en
plus fréquente des Juifs comme bouc-émissaires : « Les adultes nous enseignèrent que les
juifs étaient mauvais, qu’ils faisaient cause commune avec les ennemis de l’Allemagne, etc »
(ligne 15). Elle évoque aussi la représentation du Juif qu’elle qualifie « d’épouvantail »
(ligne 16). Elle relate également un phénomène troublant qu’elle estime comme relevant de
la « confusion mentale » (ligne 17) lorsqu’elle nous parle de ses relations avec les Juifs et de
ses tendances antisémites.
1
THALMANN Rita, Être femme sous le IIIe Reich, Paris : Robert Laffont, 1982, p.209
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Enfin, la troisième partie va de la ligne 20 à la ligne 33. L’auteur estime que les causes du
nazisme se trouvent dans l’orgueil national qui fût « exacerbé par l’amertume de la défaite »
(ligne 20). De plus, la promesse d’une nation unie aveugla une grande partie de la population
qui souhaitait se battre pour un idéal sans vouloir se rendre compte de l’exclusion de
certains. Ce qui frappe Melita Maschmann c’est que ce soit « des hommes bons, dont l’esprit
et l’âme étaient honorablement doués, qui se sont mis au service d’un mal sans limites »
(lignes 30-31).
Analyse
Ce texte est très riche et nous renseigne sur la vision d’une personne antisémite durant le
règne nazi. Elle nous explique qu’être nazi, au fond, devient une conviction par l’influence de
la propagande et de l’idéologie imposée. On ne se rend pas compte de l’influence de
l’idéologie sur les masses à cause de cette oppression d’une propagande constante.
Comme nous le rappelons dans l’introduction, ce texte a été écrit dans les années qui
suivirent la fin du IIIe Reich. Ce qui rend ce texte intéressant, c’est que le point de vue donné
est celui d’une femme ayant travaillé au service du nazisme et avec le recul de la fin de la
guerre, elle s’est rendue compte de l’absurdité du National-Socialisme. De ce fait, elle nous
illustre l’importance que joue la propagande sur les masses ainsi que l’incapacité de la
population à réagir en conséquence. Nous comprenons alors que la propagande a été
utilisée dans le but d’instaurer la peur du Juif aux allemands. « Les juifs étaient mauvais » et
« ils faisaient cause commune avec les ennemis de l’Allemagne » (lignes 14-15). « La
propagande diffusée par la presse nazie était vicieuse et macabre, agrémentée de sinistres
photos d’atrocités physiques et sexuelles prétendument commises par des Juifs et des
communistes sur d’innocentes femmes allemandes. » 2 . Il devient clair alors que la
propagande avait pour but de donner à la population allemande un sentiment de force et la
projection de la vulnérabilité sur les Juifs. « Il faut extirper toute faiblesse ».3 Comme vu
dans le texte d’Albert Jacquard et Jean-Bertrand Pontalis 4, c’est la notion de projection qui
prime ici. C’est-à-dire le fait de projeter ce qu’on aime le moins en nous sur autrui et c’est de
là que naît l’antisémitisme.
La peur devient alors un élément essentiel à l’antisémitisme et à la propagande, tout comme
la brutalité. « La brutalité et la force physique, voilà ce que les gens respectent. L’homme de
la rue éprouve le plus grand respect pur la force impitoyable. Et, sur ce plan-là, la femme
aussi. Les masses ont besoin de quelque chose qui leur donne le frison de l’horreur. »5
Le comportement de Melita Maschmann durant sa jeunesse pourrait être expliqué par
l’importance donnée aux jeunes sous le règne nazi. Le gouvernement leur a donné une place
de choix. « Les jeunes se sentaient sans but, ils étaient devenus sceptiques et pseudoromantiques.
2
RHODES Anthony, Histoire mondiale de la propagande de 1933 à 1945, Paris : Elsevier
Séquoia, 1980, p.12
3
THALMANN Rita, Être femme sous le IIIe Reich, Paris : Robert Laffont, 1982, p.187
4
JACQUARD Albert, PONTALIS Jean-Bertrand, « Entretiens : une tête qui ne me revient
pas », in Le Genre humain, 11, 1984, pp. 16-19, 23
5
RHODES Anthony, Histoire mondiale de la propagande de 1933 à 1945, Paris : Elsevier
Séquoia, 1980, p.12
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Ils attendaient que quelque chose vienne remplir le vide qu’ils ressentaient et leur apporte
ce qu’ils attendaient : le sens de leur importance, une sorte d’engagement émotionnel. »6
Ce texte, nous montre à quel point l’idéologie nazie est basée sur une réponse émotionnelle
des masses dont la peur occupe une place importante.
Bibliographie
Livres
RHODES Anthony, Histoire mondiale de la propagande de 1933 à 1945, Paris : Elsevier
Séquoia, 1980, 288p.
THALMANN Rita, Être femme sous le IIIe Reich, Paris : Robert Laffont, 1982, 274p.
WIESEL Elie, Les juifs du silence, Paris : Seuil, Histoire immédiate, 1966, 142p.
Articles
BERNAJUZAN Jean-Pierre, « La persécution antisémite », in Le Monde, le 25.10.09
BURRIN Philippe, « Les Allemands étaient-ils tous nazis ? », in L’Histoire, n°18, 2003, p.64
JACQUARD Albert, PONTALIS Jean-Bertrand, « Entretiens : une tête qui ne me revient pas »,
in Le Genre humain, 11, 1984, pp. 16-19, 23
6
RHODES Anthony, Histoire mondiale de la propagande de 1933 à 1945, Paris : Elsevier
Séquoia, 1980, p.21
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