we`re pretty fuckin` far from okay
Transcription
we`re pretty fuckin` far from okay
WE’RE PRETTY FUCKIN’ FAR FROM OKAY Lisbeth Gruwez commence le ballet classique à l’âge de 6 ans, puis se forme à la danse contemporaine au sein de l’école P.A.R.T.S. Dès 1999, elle travaille avec Jan Fabre dans la compagnie Troubleyn, où elle rencontre le musicien et compositeur Maarten Van Cauwenberghe. Ensemble, ils fondent la compagnie Voetvolk, avec laquelle ils présentent leur première création Forever Overhead en 2007, puis entament une recherche mêlant composition dansée et musicale, avec une esthétique inspirée du street style. Anarchie et contrôle sont les maîtres mots de leur recherche. Depuis sa création, Voetvolk a produit sept pièces, du solo à la pièce collective, dont Birth of Prey (2008), HeroNeroZero (2010), ou encore L’Origine (2011) et It’s going to get worse and worse and worse, my friend, qui est toujours dansé. En 2014, la pièce collective AH/HA est créée, puis le solo Lisbeth Gruwez dances Bob Dylan (2015). « La danse comme simple méthode n’est plus suffisante à la création. La danse contemporaine ne peut plus être séparée de la performance dans son sens large. Nous pensons que pour atteindre ce qui doit être dit, tous les aspects de notre pratique physique doivent être envisagés. » Lisbeth Gruwez and Maarten Van Cauwenberghe sont en résidence au Troubleyn/ Laboratorium de Jan Fabre à Anvers. We’re pretty fuckin’ far from okay travaille les peurs et les angoisses. En choisissant d’installer le public face à un couple de danseurs pris dans un dispositif simple : homme, femme, chaises, couloirs de lumière... Lisbeth Gruwez ne souhaite pas parler du couple mais de l’individu, de ses réactions émotionnelles, psychologiques et physiques quand il ressent de la peur. Par un vocabulaire de gestes inventoriés de nos réflexes naturels et quotidiens, la chorégraphe propose à chacun de se reconnaître et s’identifier. Le point de départ du travail : les films d’horreur d’Alfred Hitchcock et en particulier Les Oiseaux, car « la peur dont on y parle est irrationnelle. C’est une phobie, voire une paranoïa, qui résonne fortement dans le monde actuel ». Par une montée progressive du mouvement, par la sensation continue d’avoir de plus en plus besoin de l’autre, par des nappes sonores qui s’ajustent en temps réel et par cet acte commun de respirer, la pièce propose une expérience immersive. La peur a cette si grande force de mettre le corps en transe, d’obstruer l’esprit et de le déconnecter « du vouloir et du faire » qu’elle est un terrain de jeu virtuose pour les danseurs. Troisième volet d’une recherche sur le corps extatique, We’re pretty fuckin’ far from okay est cette fois-ci un duo en résonance avec le solo It’s going to get worse and worse and worse, my friend (2012), et la pièce collective AH/HA (2014). Quand il est question aujourd’hui de contrôler l’incontrôlable, est-il vrai que si la pensée se perd, le corps aussi ? — NEF DES IMAGES L’Origine (2011), It’s going to get worse and worse and worse, my friend (2012) et AH/HA (2014), chorégraphies Lisbeth Gruwez Quando l’uomo principale è una donna, chorégraphie Jan Fabre (2004), le 24 juillet à 11h, église des Célestins We’re pretty fuckin’ far from okay is an investigation into those fears and anxieties that have the power to obstruct the mind and to disconnect the body from the will to act. A fertile playground for this duo of virtuosos. LES DATES DE WE’RE PRETTY FUCKIN’ FAR FROM OKAY APRÈS LE FESTIVAL – les 30 et 31 août 2016 au Weimar Kunstfest (Allemagne) – les 3 et 4 septembre à La Bâtie Festival de Genève (Suisse) – du 28 au 30 septembre à l’Usine C de Montréal (Canada) – les 9 et 10 février 2017 au KVS Bruxelles (Belgique) – du 14 au 16 février au Kunstencentrum NONA de Malines (Belgique) – le 7 mars au Centre culturel de Bruges (Belgique) – du 9 au 11 mars aux Brigittines Bruxelles (Belgique) – du 15 au 17 mars au Campo Kunsten centrum de Gand (Belgique) #LISBETHGRUWEZ #FUCKINFARFROMOKAY #GYMNASEGIERA 70 e – le 22 mars au Centre culturel de Werft à Geel (Belgique) – le 23 mars au Centre culturel de Spil à Roulers (Belgique) – le 24 mars au Centre culturel de Velinx à Tongres (Belgique) – le 27 mars à Espaces Pluriels de Pau – le 29 mars au Stuk Kunstencentrum de Louvain (Belgique) – le 31 mars au Centre culturel De Grote Post d’Ostende (Belgique) – les 21 et 22 avril au Teatro Central de Séville (Espagne) – le 20 mai au Toneelhuis d’Anvers Tout le Festival sur : festival-avignon.com ÉDITION Pour vous présenter cette édition, plus de 1 750 personnes, artistes, techniciens et équipes d’organisation ont uni leurs efforts, leur enthousiasme pendant plusieurs mois. Plus de la moitié relève du régime spécifique d’intermittent du spectacle. Création 2016 ET... Dessin © Adel Abdessemed, ADAGP 2016 / Conception graphique © STUDIO ALLEZ LISBETH GRUWEZ WE’RE PRETTY FUCKIN’ FAR FROM OKAY LISBETH GRUWEZ 18 19 20 21 23 24 JUIL À 18H30 GYMNASE PAUL GIÉRA Création 2016 Anvers WE’RE PRETTY FUCKIN’ FAR FROM OKAY LISBETH GRUWEZ ENTRETIEN AVEC LISBETH GRUWEZ 18 19 20 21 23 24 JUIL À 18H30 durée 1h Avec Lisbeth Gruwez, Nicolas Vladyslav DANSE Conception, chorégraphie et costumes Lisbeth Gruwez Assistanat chorégraphie Lucius Romeo-Fromm Composition et son Maarten Van Cauwenberghe Lumière Harry Cole, Caroline Mathieu, Thomas Glorieux Dramaturgie Bart Van den Eynde Scénographie Marie Szersnovicz, Lisbeth Gruwez, Maarten Van Cauwenberghe Production Liesbeth Stas Diffusion Koen Van Hove Production Voetvolk Coproduction Festival d’Avignon, La Bâtie Festival de Genève, KVS Bruxelles, Le Phare Centre chorégraphique national du Havre Normandie, Theater Im Pumpenhaus, Les Brigittines Bruxelles, Tandem Arras-Douai, Weimar Kunstfest, Troubleyn|Jan Fabre, MA Scène nationale Pays de Montbéliard Résidences Troubleyn|Jan Fabre, Buda Kunstencentrum, Stuk, Les Brigittines Avec le soutien de Nona, Commission communautaire flamande, de la Fondation BNP Paribas, du gouvernement de la Flandre et de la Ville d’Anvers Spectacle créé le 18 juillet 2016 au Festival d’Avignon. Vous parlez d’angoisse et de peur donc d’émotions. Comment cela se transcrit-il au plateau ? Comment cette pièce prend-elle naissance ? Lisbeth Gruwez : Le point de départ de We’re pretty fuckin’ far from okay est un rapport à l’espace. Il faut imaginer deux chaises côte à côte sur la scène qui déjà créent une situation : les deux chaises sont séparées et deux mondes différents se côtoient sans se rencontrer. Il y a une séparation mais la rencontre est imminente et de toute évidence arrivera. Cette mise en espace oblige le spectateur à avoir un regard « ping-pong » de l’homme à la femme, en permanence. J’ai choisi un duo homme/femme mais en les séparant le plus longtemps possible par l’espace et aussi par deux tunnels de lumière qui séparent les corps et leurs mouvements. Le contact entre les deux vient plus tard. En premier lieu, cela ne parle pas de couple. Puis quand la rencontre se fait, l’un devient indispensable à l’autre. S’il n’y a pas l’un, l’autre tombe. J’ai choisi un homme et une femme car leurs respirations et énergies sont différentes et complémentaires. Le duo est « toi » et « moi », pas tout à fait le couple. On parle de l’autre, qui est un étranger mais pas complètement différent. Le langage chorégraphique est alors basé sur des réflexes naturels liés aux gestes quotidiens. Pour cela, nous nous sommes inspirés des mouvements des films d’horreur d’Alfred Hitchcock dont l’alphabet gestuel simple prend appui sur des mots comme « suspicion », « peur ». Ce qui règle la peur est avant tout la respiration mais m’asseoir sur une chaise – action qui m’est venue intuitivement – permet d’encadrer tout le mouvement. Pour le spectateur, une situation reconnaissable se met en place, et peut-être même un début d’histoire. Quant aux danseurs, leurs mouvements évoluent de la caresse à la frénésie, pour signifier le malaise et l’inconfort. Cette progression parle du monde dans lequel on vit, un monde qui nous demande d’être toujours vigilants, méfiants. Cet effet est amplifié avec la bande sonore, il y a le son réel et le son enregistré, multiplié, dispersé dans le lieu du théâtre. Le son tourne et emmène les spectateurs de façon immersive. Puisque vous parlez d’une expérience plus large, We’re pretty fuckin’ far from okay est-elle conçue comme une expérience collective, incluant le spectateur physiquement. Par la modification du rythme de sa respiration par exemple ? Ou encore par la compréhension du quotidien ? La peur est présente dans l’air qu’on inspire et expire. Alors oui, j’espère orchestrer la respiration du public à l’intérieur même de la pièce. Pour moi, le public n’est pas une marée noire. On a déjà eu cette expérience avec AH/HA (2014), notre précédent spectacle, où on voyait les spectateurs vibrer en même temps que nous. J’aime bien commencer une pièce de façon assez froide et conceptuelle pour enfin descendre de la tête jusqu’au ventre (en passant par les poumons). Avec We’re pretty fuckin’…, je souhaite rendre le public conscient de sa respiration en sortant de salle. Car c’est la respiration qui influence notre état émotionnel. En une respiration, l’état peut prendre feu ou se calmer. La respiration est une arme salvatrice, chacun ayant son propre rythme. Pensez-vous cette pièce de manière cathartique ? Mon but personnel avec cette pièce était d’arrêter de fumer, car c’était lié à une angoisse, et il s’agit de regarder la peur, l’angoisse, dans les yeux, pour la faire diminuer. Il y a évidemment un chemin du personnel à l’universel. Les mouvements que l’on danse ici sont issus de notre mémoire collective, le langage chorégraphique est alors fidèle aux gestes qui constituent notre quotidien, des gestes simples pour parler de la peur. En tant qu’artistes, nous sommes virtuoses par la précision, pas par la forme. Regarder ces gestes qui deviennent répétitifs peut provoquer le spectateur et son mouvement même. Il y a une certaine pensée de la catharsis mais j’aimerais qu’elle advienne tout au long de la pièce, pas seulement à la fin. Je reste assez radicale, et fidèle aux « mouvements hitchcockiens », au travail sur la respiration et à cette notion d’inconfort. Sans mettre trop de philosophie, j’utilise d’abord des verbes actifs qui se traduisent en mouvement. Ensuite la pensée vient. Il s’agit surtout de toucher les gens de manière individuelle. C’est dans le regard des spectateurs que se trouve le sens. Peut-être que certains penseront à ce qu’ils ont vécu en 2015 à Paris, aux événements liés à la peur. Le propos doit être clair mais rester ouvert. Je crée seulement le squelette, j’enlève le surplus, pour laisser le public face à son imaginaire. C’est pourquoi j’utilise peu de décors et d’effets techniques. La danse offre un langage direct pour communiquer tout en laissant le spectre large et ouvert à l’interprétation. Tout est dans la suggestion, comme dans les films d’Hitchcock. Les Oiseaux est le film qui a le plus influencé cette pièce car la peur dont on y parle est irrationnelle, c’est une phobie voire une paranoïa, incontrôlable, et ça résonne fortement dans notre monde actuel. On a une vision en tunnel quand on est soumis au stress de la peur, rien ne peut nous sortir de cet état en dehors de la respiration, c’est-à-dire de nous-mêmes. On est notre propre sauveur ou saboteur. Il y a de l’espoir dans cette pièce, mais on ne sait pas encore dans quelle mesure c’est noir ou porteur d’espoir. Votre recherche du mouvement est-elle toujours proche des gestes quotidiens dont on peut s’identifier ? J’adore les observer et rester tout près des mouvements qu’ils peuvent reconnaître. Mais il s’agit de les faire avec une telle qualité que cela devient de la danse. C’est par la répétition et la concentration que ces gestes finissent par devenir abstraits. Abstraits mais humains. C’est ça que j’apprécie chez Trisha Brown, ces mouvements simples et proches de nous. Ce que j’y ajoute, c’est un contact réel avec le public, par la musique par exemple, quelque chose qui l’emmène avec nous, qui le met en immersion. Maarten Van Cauwenberghe et moi créons aussi beaucoup en direct pendant les représentations. Cela nous donne une liberté et du vivant. Je suis convaincue que cette tension entre la technique et la scène permet d’inclure et d’envelopper le public. Une chorégraphie commence toujours par un geste très concret et devient peu à peu de la danse. We’re pretty fuckin’ far from okay fait partie d’un triptyque sur le corps extatique, avec le solo It’s going to get worse and worse and worse, my friend (2012) et la pièce collective AH/HA (2014). En effet, un corps en état de peur est une forme d’extase. Un corps en extase est un corps qui est hors contrôle, en perte de conscience, que nous tentons de contrôler par le mouvement. Il s’agit de contrôler l’incontrôlable. Car si la pensée se perd, le corps tombe. Les deux sont étroitement liés dans cet exercice. C’est pourquoi le cycle sur le corps extatique est loin du mouvement recherché et complexe, mais lié directement à l’instinct. Quand tu es en extase, tu ne penses plus. C’est pour ça qu’on ne fixe rien, on met un alphabet en place et on recrée chaque soir. — Propos recueillis par Moïra Dalant