En savoir plus - Objectif 2026

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LE NOUVELLISTE
09.02.2016, 00:01
«Une candidature suisse est tout à fait légitime»
PAR GILLES BERREAU
TORINO 2006-2016 - Evelina Christillin, la Piémontaise qui a «piqué» les JO de 2006 aux
Valaisans, dresse le bilan des Jeux de Turin dix ans plus tard. Et donne son avis sur une
éventuelle candidature valaisanne pour 2026.
Son français est parfait. On dit d’elle qu’elle a le charme de Catherine Deneuve, qu’elle a le même
accent que Margaret Thatcher en anglais et qu’elle n’a besoin que de cinq heures de sommeil par
nuit. De retour de Rome, Evelina Christillin qui a coprésidé le comité d’organisation des JO de Turin et
qui aujourd’hui pilote l’agence nationale du tourisme (voir encadré) a accepté de faire le bilan de ces
JO avec dix ans de recul, de revenir sur la concurrence avec le dossier sédunois et d’évoquer les
chances futures pour le Valais et la Suisse d’accueillir les JO.
Evelina Christillin, pour les JO 2006, quand avez-vous su que vous alliez damer le pion à Sion,
pourtant favori?
La réputation alpine de la Suisse était plus connue que la nôtre. De plus, les Italiens ont beaucoup de
qualités, mais n’avaient pas la réputation d’être de bons organisateurs. Aussi, jusqu’à l’annonce faite
par Samaranch à Séoul, nous ne savions rien, je vous le jure. J’avais de bonnes sensations, mais
Sion avait un dossier excellent qui faisait peur. Les Suisses étaient parfaits.
Mais alors pourquoi Turin, l’outsider, a-t-il été préféré?
La défaite de Sion porte un prénom et un nom: Marc Hodler. Ce membre suisse du comité
international olympique (CIO) a non seulement accusé des membres du CIO de corruption lors de
l’attribution des Jeux de 2002 à Salt Lake City, mais il a attaqué frontalement Giovanni Agnelli,
l’accusant sans preuve d’avoir carrément acheté les Mondiaux de ski alpin de 1997 à Sestriere. Ce
jour-là, j’ai serré les dents pour ne pas faire scandale.
Le choix de Turin 2006 a donc été politique?
Absolument. Après l’affaire de Salt Lake, Antonio Samaranch a fait entrer Agnelli et Henry Kissinger
dans le comité de réforme du CIO. La suite, vous la connaissez…
L’Italien et l’Américain, de grands amis qui se téléphonaient plusieurs fois par semaine,
auraient alors évité que Samaranch ne parte avec l’eau du bain de la réforme olympique… Et le
patron du CIO aurait donc renvoyé l’ascenseur aux Turinois…
Oui, tout cela est vrai. Mais si les Turinois ont été aussi machiavéliques, n’oubliez pas que c’est parce
que nous devions réagir à une attaque brutale et injuste. C’est d’autant plus dommage que
personnellement j’avais de très bons rapports avec les Suisses, notamment avec Adolf Ogi.
Les Valaisans étaient très sûrs de leur victoire, la commission d’évaluation ayant jugé leur
dossier comme le meilleur. N’ont-ils pas aussi péché sur le plan du lobbying?
Le comité sédunois de candidature était le seul qui restait dans son coin à l’hôtel à Séoul lors de
l’attribution des Jeux en 1999. C’était uniquement des hommes, principalement des militaires, des
têtes un peu carrées qui n’ont peut-être pas senti que le vent tournait. Ils étaient aussi certainement
rassurés par certains managers du CIO qui leur avaient dit que cette fois serait la bonne. Je me
souviens qu’ils étaient confiants au point d’avoir préparé des pin’s «Sion 2006 vainqueur». Nous
n’aurions jamais fait cela, ne serait-ce que par superstition.
Dix ans après les Jeux de Turin, quel bilan tirez-vous pour votre ville et sa province?
L’héritage de ces Jeux est globalement très positif. Les musées rénovés, les théâtres, les places, les
rues, beaucoup de choses qui existaient ont été mises en valeur. Sans parler du métro. Le tourisme a
explosé. Imaginez que durant les douze derniers mois, le musée égyptien a reçu 800 000 visiteurs.
On dit que la ville de Turin croule sous les dettes aujourd’hui à cause des JO.
L’administration publique n’a pas perdu un centime avec les JO. Certains montants, comme pour le
métro, ont été investis à ce moment-là, mais devaient de toute façon être dépensés.
Vous dites que la nouvelle Turin n’est pas née uniquement des JO, pourquoi?
Déjà bien avant les Jeux, Turin avait déjà amorcé un changement, elle n’était plus uniquement une
«company town», où tout tournait autour de Fiat. Les Jeux l’ont fait savoir au monde entier.
Le plus grand succès de Jeux de Turin n’est-il pas de voir aujourd’hui partout des touristes le
nez en l’air pour admirer tous ces trésors?
Et c’est vrai toute l’année. Même entre Noël et Nouvel An. Durant les Fêtes, vous ne trouvez plus une
chambre d’hôtel ou une table de restaurant sans réserver. C’est de la folie. En dix ans, nous avons
vécu un changement d’époque. Imaginez: aujourd’hui des Milanais continuent à travailler dans la
capitale lombarde, mais ont désormais déménagé à Turin, qui se trouve à 45 minutes de train, pour
des motifs financiers. Et parce que la vie y est très agréable…
Et sur le plan des infrastructures, parlez-vous aussi de bilan positif?
Oui absolument. En ville comme dans les stations, à l’exception de la piste de bob qui a coûté 120
millions d’euros. Notre comité aurait préféré utiliser les installations françaises de La Plagne, qui nous
avaient été proposées. Mais le comité olympique italien a voulu avoir sa propre installation…
Aujourd’hui, si c’’était à refaire, seriez-vous favorable à une candidature turinoise?
Je suis favorable à la candidature de Rome pour les Jeux d’été de 2024. C’est tout dire. Cela
donnerait un nouvel élan à l’Italie.
Sion fait-elle encore le poids face à Calgary si elle veut les Jeux de 2026?
Une candidature suisse autour de Sion est tout à fait légitime et réaliste. Reste à avoir une rigueur
administrative et ne pas dépenser trop d’argent dans des cérémonies grandioses. C’est la leçon que
j’ai tirée de Torino 2006. Il ne faudrait pas non plus vouloir accueillir autant d’athlètes et de journalistes
dans une petite ville comme Sion et les stations environnantes, pour des raisons pratiques, mais aussi
écologiques. Lausanne me semble plus approprié.
Et si les Suisses frappent à votre porte pour quelques conseils?
Ce serait cocasse, mais pourquoi pas, ma porte est ouverte.

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