Une femme douce de Robert Bresson (France, 1h45min) par Coline
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Une femme douce de Robert Bresson (France, 1h45min) par Coline
Une femme douce de Robert Bresson (France, 1h45min) par Coline Rousteau hypokhâgne La sensation que nous procure ce film en sortant de la salle de cinéma est une sorte de vide, mais un vide bien agréable – ne serait-ce qu’à cause de l’enchantement que nous ont procuré les images. Cette sensation est difficile à définir. Cependant, à posteriori, elle tend à se transformer en réflexion profonde, sans pour autant occulter le plaisir original. Expliquons-nous. Il s’agit de la rencontre puis de la relation de couple marié entre un jeune homme et une jeune fille, relatée par le jeune homme alors qu’elle s’est suicidée et qu’il est à son chevet. Il n’arrive pas à prier car il pense trop ; il pense à eux et surtout à elle, il essaie de la comprendre – ce qui se révèlera sans doute impossible. Le récit qu’il fait témoigne du caractère infime des dialogues ; il y a peu de mots mais les images disent beaucoup. Nous savons peu de choses concrètes sur eux, si ce n’est qu’elle paraît avoir une quinzaine d’années bien qu’elle soit un peu plus âgée. Elle a travaillé comme femme de ménage mais cela ne lui suffisait pas pour vivre correctement. Lui a aussi été pauvre mais il travaille à présent comme usurier et gagne bien sa vie. C’est d’ailleurs dans sa boutique d’usurier qu’ils font connaissance l’un de l’autre, elle se rend à sa boutique pour lui apporter des objets et il lui donne en échange de l’argent – plus qu’il ne le ferait habituellement avec d’autres personnes – ce qui instaure d’ores déjà un rapport compliqué à l’argent dans leur relation. Leur mariage, dès l’origine, est en effet placé sous le signe de l’argent et sur la non-parole ; quasiment tout se joue dans les regards. Bresson évoque « La force éjaculatrice de l’œil » dans ses Notes sur le cinématographe et elle est ici d’une capacité redoutable. Bresson exploite très souvent un élément précis dans ses films, ça peut être un sens, un élément du corps d’un individu, ou encore une certaine activité de l’homme, afin de révéler l’intériorité humaine tel qu’il le dit lui-même. Cela est vrai dans le Journal d’un curé de campagne avec la main, l’écriture et le visage du curé, cela est aussi vrai dans le Procès de Jeanne d’Arc avec la parole de Jeanne d’Arc, son visage et ses pieds. Il joue avec les associations des éléments et des sens que l’on fait communément au cinéma, entre le son et l’image par exemple. Il casse leur rapport auparavant normatisé par le spectateur. Lorsqu’il se concentre seulement sur un élément qui prend toute la place de l’écran ou de la bande-son, cela perturbe le spectateur mais cela témoigne par là-même du propre des capacités du cinématographe : révéler en plus fort ce qui nous paraissait faible ou inintéressant. Ici, ce sur quoi Bresson se concentre sont les visages des personnages et plus particulièrement leurs regards. Bien que leur manière d’interpréter leur relation soit la plus épurée possible – « À tes modèles : Il ne faut jouer ni un autre, ni soi-même. Il ne faut jouer personne. » affirme-t-il encore dans ses Notes sur le cinématographe – le fait est que leurs yeux sont extrêmement expressifs. Ils ont tous les deux de grands yeux bleus clairs qui envahissent maintes fois l’écran. Dans les débuts du film leurs regards semblent exprimer du désir de l’un envers l’autre, lui a l’air d’éprouver une espèce de fascination pour elle, elle semble davantage curieuse que fascinée mais tout de même désireuse. Puis peu à peu le silence qui était présent dès le début devient pesant, il tend à se faire entendre et une tension apparaît dans le couple. La beauté de sa femme le rend si passionné qu’il frémit de peur à l’idée qu’elle le trompe. Le sujet de l’argent devient un véritable enjeu de discorde qui nous permet de distinguer un peu leur différence de conception du monde. Il reste, malgré tout son amour pour elle, très attaché au profit dont il doit bénéficier en tant qu’usurier et il ne supporte ainsi pas qu’elle fasse crédit aux clients. Elle semble toujours hors de portée, toujours rêveuse et mélancolique, loin de son pragmatisme qu’il essaye vainement de cacher. Lors d’une visite au zoo (au début du film), il fait remarquer à sa future épouse que « Des millions de femmes espèrent le mariage » auquel elle répond « Peut-être, mais il y a aussi les singes », il lui demande alors « Toutes les femmes désirent le mariage, et vous, que désirez-vous ? » « Je ne sais pas ; autre chose, de plus large » lui répond-elle. Elle révèle ainsi que ses questionnements ont un caractère bien plus existentiel que ceux de Luc, son mari, et il s’avérera que ce décalage était trop important. La tension ne fait qu’augmenter jusqu’au geste fatal de la jeune fille. Le spectateur est troublé du fait de cette aptitude à exprimer l’évolution des sentiments en ayant recours au moins de choses possibles. Bresson prône effectivement, encore et toujours, une grande simplicité : « Ce que je rejette comme trop simple, c’est ce qui est important et qu’il faut creuser. Stupide méfiance des choses simples. » Les images sont comme épurées en raison des couleurs très claires tout en étant très contrastées, des plans très dessinés et toujours assez fixes, de la simplicité de la mise en scène. Le temps est dilaté. La douceur du visage de la jeune fille, sa blondeur et ses yeux bleus peuvent évoquer la vierge Marie. C’est peut-être pour cette raison que lui éprouve de plus en plus de jalousie, qu’il veut la posséder de plus en plus et qu’il en fait presque une sorte d’idole, de personne sacrée à laquelle personne ne peut toucher. Les raisons du suicide de la jeune fille ne peuvent, bien sûr, être absolument cernées mais il est certain que, dès l’origine, son visage est rempli d’une immense tristesse et que sa souffrance presque intrinsèque s’amplifie par l’adoration qu’il lui porte. Elle trouve une délivrance à son enfermement par la mort. Le film de Robert Bresson est une fresque splendide de l’effusion des sentiments de cette jeune fille qui est en proie à ce qui l’entoure. Il y a la redondance dans ses films des sujets de la lutte d’un homme avec ce qui l’entoure, de l’incapacité d’un homme à faire face à ce qui l’entoure, ces problèmes vont de pair avec la recherche d’une grâce qui serait de pure volonté individuelle. Ils sont ici exprimés magistralement et par ce qui émane naturellement des acteurs et par ce que dégage la communion des images.