Janus, collectionneurs d`art - Observatoire de l`art contemporain

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Janus, collectionneurs d`art - Observatoire de l`art contemporain
BUSINESS
A N A LY S E R & I N V E S T I R
Janus,
collectionneurs d’art
V I S I O N N A I R E , E X P L O R AT E U R O U A RT I S T I Q U E ,
R E N C O N T R E AV E C D E S C O L L E C T I O N N E U R S
A U X M OT I VAT I O N S M U LT I P L E S .
Par / By Nina Rodrigues-Ely et Virginie Bertrand de l’Obser vatoire de l’art contemporain
À côté des deux fondations
privées à l’initiative des deux
grands mécènes français, de
nombreux et très actifs collectionneurs français s’engagent intimement dans la passion de l’art
contemporain. Ils ont pour point
commun un œil prospectif vers
les artistes qui inventent un nouveau langage. Ces deux cas de
collectionneurs de deux générations différentes démontrent
que le secret d’un bon investissement est un investissement
durable, en avance sur les modes
et des effets de marché... avec le
plaisir à la clef.
M
ARIE-MAGDELEINE
sont des « pique-assiette ». Privée de plaisirs
LESSANA
et de contemporanéité, la seule mauvaise
L’art est à l’œuvre pour
élève d’une fratrie de sept enfants, sans
l’écrivain et psychanalyste
cesse houspillée, se cache pour copier
Marie-Magdeleine Lessana. « Je ne suis bien
« en douce » des reproductions de dessins
qu’avec des artistes ». Dans les méandres
de Vincent Van Gogh ; s’approcher au plus
d’un paysage généalogique où les noms et
près de la structure de son trait est une
les châteaux traversent les générations,
libération. Elle continue à s’émanciper à
Marie-Magdeleine Lessana tisse une filia-
travers des études de mathématiques très
tion à l’art en affinité avec une grand-mère,
poussées et « des tentatives de peindre ».
Marthe de Savignies, aristocrate anticon-
Elle devient psychanalyste et écrivain et
formiste proche des poètes et des artistes.
écrit un best-seller. Entre mère et fille :
Pour la petite-fille, cette personnalité lumi-
un ravage.
neuse est « un phare » dans le contrechamp
Dans l’atelier de Jean-Charles Blais, elle
sombre d’une enfance austère imprimée
sauve une peinture mise au rebut repré-
par ses parents ; elle n’a droit qu’au strict
sentant « un corps debout marchant dans
nécessaire, l’argent est compté, les artistes
l’eau » ; ce désir salutaire incite l’artiste à la
ressusciter et accepter de la lui vendre.
La collection s’élabore au début dans l’euphorie d’un projet de vie avec son second
mari. Ils acquièrent en 1987 une maison dans
Paris « pour y montrer de l’art et faire venir
des artistes », immergés dans l’effervescence des années 1980-1990, la jouissance
des rencontres, les soirées dans les brasse-
© Pierre Klossowski, les camionneurs, 1972
ries de Montparnasse où se mêlent artistes
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et intellectuels. Des liens étroits se nouent
avec Yvon Lambert, les achats se font dans
la légèreté d’une résonance : Richard Tuttle,
Tony Cragg... Le couple, animé par l’enthousiasme de voir naître des projets d’artistes,
produit des expositions dans son loft.
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A N A LY Z E A N D I N V E S T
MULTIFACE ART
COLLECTORS
VISIONARY, EXPLORER OR
SIMPLY PASSIONATE, MEET
WITH THREE INDIVIDUALS
WHO SIMPLY LOVE ART.
M
© Jean Charles Blais, Sans titre, 1986 • Bert Stern, Marilyn aux roses, 1962 • Xavier Veilhan, Le Gisant, 2006
In addition to two private foundations – initiative of two major
French patrons – numerous very
active French collectors are intimately involved in their passion
for contemporary art. They have
in common a prospective eye
towards artists who invent a
new language. These two cases
of two different generation collectors give the secret of a good
investment: it must be sustainable,
ahead of trends and market
effects... with pleasure included in
the equation.
ARIE-MAGDALENE
LESSANA
Art is work for the writer
In Jean-Charles Blais’ workshop, she saved a
French Pavilion at the Venice Biennale in
and psychoanalyst Marie-
painting that was put in a corner, representing
1999, “Pure Life”, “The heartbeat of my
Magdalene Lessana. “I only feel good when I
“a standing body walking in the water”; this
house”; her clouds watercolor by British
am with artists”. In the strolls of a genealogy
healthy desire pushed the artist to resurrect
artist John Richard Ballard created a sky space
landscape where names and castles cross ge-
the painting and he agreed to sell it to her.
in her bedroom... When Sophie Calle invited
nerations, Marie-Magdalene Lessana weaves
The collection was developed early in the
her to participate in her Venice Biennale pro-
ties with art just like one of her grandmo-
euphoria of a life project with her second
ject (2007), “Take care of yourself ”, where
thers, Martha de Savignies a non-conformist
husband; in 1987 they acquired a house in
107 women were asked to comment on a
aristocrat close to poets and artists.
Paris “to show art and attract artists” immer-
break-up letter the artist was the subject of,
For the granddaughter, this bright personality
sed in the excitement of years 1980 to 1990,
she accepted the experience. “I collect art at
is a “flagship” in the dark reverse shot of an
enjoyment of these meetings, evenings in
work, a moment, a piece that tells a moment”.
austere childhood created by her parents;
Montparnasse breweries mingling with artists
she was given only the bare necessities,
and intellectuals. She developed close ties
GUILLAUME HOUZÉ
money was scarce, artists were “freeloaders”.
with Yvon Lambert, purchasing is done in
Art is visionary for Guillaume Houzé, direc-
Deprived from pleasure and contemporary
the lightness of a resonance, Richard Tuttle,
tor of image and communication for Galeries
distractions, the only bad student in the fami-
Tony Cragg... The couple, driven by enthu-
Lafayette and BHV and president of the
ly of seven children, constantly criticized, she
siasm to see the birth of artists’ projects,
Galeries Lafayette Business Foundation.
hid to “quietly” reproduce Vincent Van Gogh
produced exhibitions in their loft.
“I was maybe 10 years old when I opened
drawings. Getting closer to the structure of
After her divorce, she continued to buy art,
the door and saw the portrait of an old wo-
the line was a relief. She continued towards in-
going deeper into the process, in harmony
man signed by Chaim Soutine”. This captured
dependence through extensive mathematical
with the artists; her Klossowski from the
vision of a head in the primordial nature of
studies and “attempts to paint”. She became
series “Roberte and the truckers” was the
the living is the mental trigger of a passion
a psychoanalyst and a writer, she wrote a
result of a long quest to find the rare piece;
that seized the young William Houzé in the
bestseller, “Between mother and daughter,
her great “Plasma Red” from Jean-Pierre
apartment scholarly atmosphere of Max and
a destruction”.
Bertrand was acquired after seeing the
Paulette Heilbronn, his great-grandparents.
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Après son divorce, elle continue à acheter
Cette vision captée, la peinture d’une tête
il construit depuis 2005 en complicité avec
de l’art, inscrivant une démarche plus en
dans la primordialité du vivant, est le dé-
sa grand-mère Ginette Moulin un projet
profondeur et en osmose avec les artistes.
clencheur mental d’une passion qui saisit le
de collection ouverte à la jeune création ;
Son Klossowski de la série Roberte et les
jeune Guillaume Houzé dans l’atmosphère
un fluide trans-générationnel régénérant
camionneurs est le fruit d’une longue quête
érudite de l’appartement de Max et Paulette
et une manière de conjurer le fait que ses
pour trouver la perle rare ; elle acquiert
Heilbronn,
arrière-grands-parents.
grands-parents « étaient passés à côté d’un
son grand Rouge plasmique de Jean-Pierre
L’histoire familiale sur cinq générations
Klein » dans les années 70. Jusqu’en 2012,
Bertrand après avoir vu le pavillon français
est intimement liée à celle des Galeries
la collection sera formulée en expositions
à la Biennale de Venise en 1999 : « de la vie
Lafayette fondées dans le vent de la
annuelles, Antidote, au sein des Galeries
à l’état pur », « le battement de cœur de
modernité par son aïeul Théophile Bader.
Lafayette. En visionnaire, Guillaume Houzé
ma maison ». Son aquarelle de nuages de
Il imprègne dès son plus jeune âge la culture
avance une stratégie qui relie l’entreprise
l’artiste britannique John Richard Ballard
propre à cette matrice familiale toujours
à l’art dans une dynamique pyramidale :
compose dans sa chambre un espace de
régénérée, le renouvellement des modes,
depuis les secteurs marketing, événementiel,
ciel... Quand Sophie Calle l’invite à partici-
une dynamique tournée vers la création.
mécénat ou communication interne jusqu’au
per à son projet de la Biennale de Venise
Une peinture de Erro achetée alors qu’il
partenariat officiel avec la FIAC, l’autre
(2007), Prenez soin de vous, où 107 femmes
avait 13 ou 14 ans ; l’univers des artistes de
temple du commerce, il fait résonner le nom
sont sollicitées pour commenter une lettre
la Figuration Narrative, coloré et expres-
du groupe familial dans toutes les strates de
de rupture dont l’artiste est l’objet, elle
sif, remplace aisément les bandes dessi-
la création.
adhère à l’expérience. « Je collectionne l’art
nées dont on s’abreuve à l’adolescence.
L’argent est « Un moyen pour arriver à une
à l’œuvre, un moment, une œuvre qui dit
Son parcours singulier s’oriente vite vers
fin ». C’est-à-dire une énergie productive
un moment ».
des artistes de sa génération, guidé par des
qui définit clairement les contours de son
marchands à l’œil prospectif, Olivier Antoine
engagement personnel dans l’art, au cœur
de la galerie Art : Concept, Michel Rein, les
de son écosystème : aider les galeries émer-
Valentin, Clémence and Didier Krzentowski
gentes et permettre le renouvellement des
de la galerie Kréo, ou Edouard Mérino et
artistes, activer le marché français, faire
Florence Bonnefous de Air de Paris...
rayonner les artistes français à l’interna-
Chez lui, les œuvres agissent sans ostenta-
tional, initier le secteur Lafayette à la FIAC
tion comme des présences, dans l’intensité
ainsi qu’un prix aujourd’hui incontournable,
d’un questionnement. Mais plutôt que
tissé d’un partenariat avec le Palais de
« d’accumuler des trophées dans son salon »,
Tokyo... À 32 ans, Guillaume Houzé est en
avec la nécessité d’insuffler un sens à une
train de faire bouger les lignes du monde de
action et de l’inscrire dans le long terme,
l’art en France.
GUILLAUME HOUZÉ
L’art est visionnaire pour Guillaume Houzé,
directeur de l’image et de la communication des Galeries Lafayette et du BHV,
président de la fondation d’entreprise
Galeries Lafayette. « J’avais peut-être 10 ans
quand j’ai ouvert la porte et vu le portrait
d’une vieille femme signé Chaïm Soutine ».
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© Claude Lévéque, Rise of the poisoned youth, 2009
Guillaume Houzé
ses
A N A LY Z E A N D I N V E S T
Marie-Magdeleine Lessana
© Whitney Bedford, Purple sky iceberg, 2006
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The five generations family history is inti-
With him, the works act as unostentatious
FIAC, the other commerce temple, he makes
mately linked to that of Galleries Lafayette,
presences in the intensity of questioning.
the name of the family group resonate in all
based in the wind of modernity by his ances-
But rather than “accumulating trophies in
strata of creation.
tor, Théophile Bader. From a young age, he
his living room”, with the need to provide
Money is “A means to an end”. That is to say
created the specific familial culture, always
meaning to an action and enter it in the long
a productive energy that clearly defines the
regenerated, the renewal of modes, a dyna-
run, he has been building since 2005 with
contours of his personal engagement in art, in
mic focused on creation.
the complicity of his grandmother Ginette
the heart of his ecosystem: helping emerging
An Erro painting bought when he was 13 or
Moulin, a collection project open to young
galleries and allowing artists renewal, enabling
14 years; the world of Narrative Figuration
artists; a trans-generational regenerating
the French market, internationally showcasing
artists, colorful and expressive, easily repla-
fluid and a way to counter the fact that his
French artists, teaching the Lafayette sector
cing comics from adolescence. His unusual
grandparents “missed a Klein” in the 70’s.
about the FIAC and the unavoidable price
career is moving quickly towards artists of his
Until 2012, the collection included annual ex-
woven with a partnership with the Palace of
generation guided by merchants with a pros-
hibitions, Antidote, in the Galeries Lafayette.
Tokyo... At 32, William Houzé is now moving
pective eye, Olivier Antoine of the Art gallery:
As a visionary professional, William Houzé
lines from the world art in France.
Concept, Michel Rein, the Valentin, Clémence
uses a strategy that links the company to art
and Didier Krzentowski of the Kréo gallery, or
in a pyramidal dynamic: marketing sectors,
Edouard Merino and Florence Bonnefous of
events, sponsorship or Internal communi-
Air de Paris...
cation up to formal partnership with the
La rubrique Analyser & Investir a été élaborée en partenariat avec :
This “Analyze and Invest” section is produced in partnership with:
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