Gestion de production : zéro rebut sur des pièces aéronautiques
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Gestion de production : zéro rebut sur des pièces aéronautiques
Solutions GEST I O N D E P R O D U C T I O N Zéro rebut sur des pièces aéronautiques complexes La mise en œuvre des matériaux composites mêle étapes manuelles et automatisées. Elle peut s’avérer délicate à maîtriser. Pour preuve, Composites Atlantic Limited a vu ses taux de rebuts grimper à 13 % sur une production de pièces pour Bombardier. La société canadienne a bien sûr tenté de remédier au problème. Sans succès. Elle a alors fait appel à Intercim qui, grâce à l’utilisation du logiciel Pertinence Suite et de son module d’analyse intelligente de données, a pu éliminer la presque totalité des non-conformités en sortie des chaînes de fabrication. L es matériaux composites représentent aujourd’hui plus de la moitié des pièces qui constituent la structure d’un avion. Insensibles à l’oxydation, ces matériaux (des fibres de verre, de carbone ou de Kevlar noyés dans une matrice de résine) contribuent à réduire considérablement le poids des appareils. De plus, en faisant varier la densité des fibres et leur orientation, les concepteurs peuvent ajuster la résistance mécanique des pièces dans certaines directions. Ces formidables atouts tirent la demande. Mais les constructeurs d’avions imposent des cadences touL’essentiel jours plus élevées, Composites Atlantic Limited pour des coûts de profabrique des pièces duction toujours plus structurelles d’avion en bas. Faibles coûts tout matériaux composites. à fait relatifs, lorsque La société canadienne était l’on sait qu’une pièce confrontée à un problème de fuselage d’une de non-conformité sur ces quinzaine de mètres pièces. de long peut atteindre Grâce au logiciel Pertinence 1 million de dollars. Suite d’Intercim, et Toutefois, si ces matéà son module d’analyse de riaux composites se données, les pièces ne sont démocratisés desont plus rebutées, et les puis plusieurs dizaines reprises sont réduites. d’années, leur concep Bombardier a financé l’achat tion ainsi que leur fadu logiciel après que son brication restent très équipe d’ingénieurs envoyée délicates. Seules quelsur place n’a pas trouvé de réponse au problème. ques entreprises ayant développé des compé- 60 tences spécifiques dans ce domaine en maîtrisent la production. Composites Atlantic Limited (CAL), société canadienne basée à Lunenburg, en Nouvelle-Ecosse, fait partie de ce cercle d’experts. Aujourd’hui filiale à 100 % d’EADS Sogerma, elle est depuis vingt ans présente sur les marchés de l’aéronautique, du spatial, de la Défense et de l’énergie. Elle maîtrise toutes les technologies de fabrication de composites. Malgré sa longue expérience, la société s’est trouvée confrontée en 2005 à un problème de qualité sur une pièce spécifique : le “bord d’attaque” d’une aile d’avion (l’arête située à l’avant de l’aile). Ces éléments de structure, chargés de séparer le flux d’air entre le dessous et le dessus de l’aile, sont soumis à de très fortes contraintes. Ils sont fabriqués en utilisant la technique du “drapage”, pour laquelle on utilise de grandes surfaces de fibres tissées (ici du Kevlar), qui sont pré imprégnées de résine et que l’on colle les unes sur les autres autour d’un moule (ou matrice). Le drapage autorise l’obtention d’un maximum de résistance aux endroits où cela est nécessaire. Mais ce processus, impérativement effectué à la main, est à la fois très coûteux et relativement imprévisible. En effet, il est impossible de simuler avec suffisamment de précision le comportement des draps de composites, lors du collage comme lors de la cuisson qui solidifie la résine. Les risques de non-conformité sont multiples, et le plus souvent impossibles à prévoir. Mais surtout, les défauts ne sont identifiés qu’à la fin du cycle de fabrication (une semaine ou plus selon les pièces), en sortie du four, alors que la fabrication de la pièce est quasiment achevée. Des bulles peuvent se former entre deux couches de fibres (défaut de porosité), et une ou plusieurs couches peuvent se décoller aux extrémités de la pièce. C’est ce type de défaut, appelé “délaminage”, qui a été relevé par Composites Atlantic Limited sur le bord d’attaque de l’avion Bombardier Q400. Un taux de rebuts qui atteignait jusqu’à 13 % de la production Ce délaminage se détecte par des contrôles visuels et ultrasonores en sortie de chaîne. Lorsque quelques couches externes sont décollées, on effectue une opération de reprise sur la pièce. Mais lorsque le décollement intervient au milieu des couches de fibres, toute la pièce doit être rebutée. D’où des pertes financières conséquentes. Or le problème était devenu récurrent, à tel point que les pertes pouvaient parfois concerner jusqu’à 13 % de la production. Les pièces à reprendre, quant à elles, pouvaient représenter jusqu’à 28 % des lots. Il est même arrivé sur certaines périodes que près de 40 % de la production ne passe pas du premier coup les contrôles qualité. Les opérations de reprise entraînaient l’engorgement des chaînes de production. Derek Kinsman, vice-président de Composites Atlantic Limited, se souvient que « ces taux de rebuts inexplicables et inexpliqués avaient de lourdes conséquences : des retards des livraisons pouvant parfois atteindre jusqu’à six mois, un surcoût du programme à absorber en interne, et un risque accru de perte de confiance de notre client. Sans compter notre propre frustration face à notre incapacité à résoudre ce problème ». Bien entendu, les responsables de CAL ont pris en compte ces retards de production, afin que son client ne soit pas trop impacté. Ils ont dû faire face aux augmentations de cadences, atteignant deux lots par semaine, imposées par les commandes de leur donneur d’ordre. En 2006, devant les difficultés rencontrées par son sous-trai- MESURES 807 - SEPTEMBRE 2008 - www.mesures.com Solutions Sur ces photos du Bombardier Q400, on peut distinguer (en noir) la pièce composite qui présentait des problèmes de délaminage. Il s’agit du bord d’attaque, la partie avant de l’aile de l’appareil. tant, Bombardier dépêche une équipe d’ingénieurs chez CAL. Ces derniers travaillent pendant environ un an à l’identification du problème. Ils mettent en place un suivi systématique de près d’une centaine de paramètres, concernant à la fois les matières premières, les procédés de fabrication et des informations sur les opérateurs. Mais aucune amélioration n’est constatée. Tout le processus est maîtrisé, toutes les données entrent dans le cadre des spécifications, et les responsables de chaque étape de fabrication respectent leur cahier des charges. Or le procédé de fabrication ne donne toujours pas entièrement satisfaction. L’apparition de pièces mauvaises semble aussi aléatoire qu’inexplicable. Aucune relation directement identifiable entre les paramètres Les responsables de CAL se lancent alors à la recherche d’une solution capable de s’adapter à une production si complexe. Ils identifient Pertinence Suite, la suite logicielle proposée par le groupe Intercim. Cet ensemble de logiciels de Management des opérations de fabrication est capable de repérer des corrélations entre plusieurs paramètres parmi des masses de données. Les dirigeants d’Intercim sont convaincus de pouvoir apporter une solution à CAL, mais les moyens limités de la société canadienne ne lui permettent pas de s’offrir les services de Pertinence Suite. La société Bombardier, directement concernée par la résolution du problème, décide alors de prendre à sa charge l’achat du logiciel. L’implémentation du logiciel Pertinence Suite powered by Velocity et de son module Process Rules Discovery a commencé au début de l’année 2007. Au bout de trois semaines, l’analyse des données a pu commencer. Elle s’est appuyée sur le volume important de données de production que les équipes de CAL, puis de Bombardier, avaient récolté depuis deux ans. « D’ordinaire, expli- que Romain Lavault, responsable du développement mondial chez Intercim, notre premier travail, quand nous démarrons un nouveau projet, consiste à identifier les paramètres à mesurer, puis nous travaillons avec les techniciens à la mise en place des différents outils d’instrumentation et de collecte des données. Car c’est uniquement grâce à de grandes quantités de données que l’analyse peut se révéler parfaitement pertinente. Dans le cas du bord d’attaque de CAL, toutes les données liées au processus sans exception avaient déjà fait l’objet de relevés minutieux. C’est ainsi que nous avons pu être en mesure de soumettre les premières pistes de solution en un peu moins de six semaines. » Parmi la centaine de paramètres déjà identifiés et mesurés, près de la moitié concernait les caractéristiques de la matière première. Pour le reste, rien n’était laissé au hasard : toutes les données relatives au stockage des matériaux étaient conservées, de même que les paramètres de production (température et durée de cuisson, niveau de vide et d’hygrométrie dans l’atelier, mais aussi des données concernant le technicien en charge de l’opération, jusqu’à savoir si la fabrication avait eu lieu durant la nuit ou durant la journée). L’analyse des données par le module de recherche de règles de production a abouti à l’élimination de la plupart des ➜ Composites Atlantic Limited en bref Aujourd’hui filiale à 100 % du groupe EADS Sogerma, la société Composites Atlantic Limited est l’un des spécialistes mondiaux dans le domaine de la conception et de la fabrication de pièces composites complexes, ainsi que dans l’intégration de sous-systèmes composites pour l’aérospatiale, la Défense et les marchés des transports. Elle compte plus de 400 collaborateurs, et produit des éléments de structures et des conduites d’aération pour avions et hélicoptères, des corps de missiles et de lanceurs, des caissons hermétiques pour les satellites et autres engins spatiaux. Cette société, basée à Lunenburg (Nouvelle-Ecosse), compte parmi ses clients Airbus, Bœing, Bombardier, Dassault, EADS, Eurocopter, Lockheed Martin, etc. A noter que EADS Sogerma possède également une filiale française. Basée dans la région bordelaise, Composites Aquitaine dispose de 25 ans d’expérience dans la fabrication de pièces composites. A l’instar de son homologue canadien, elle maîtrise toutes les techniques de mise en œuvre et produit des éléments pour l’aéronautique, la Défense, le ferroviaire, le stockage de gaz, etc. MESURES 807 - SEPTEMBRE 2008 - www.mesures.com 61 Solutions Trois techniques de fabrication de pièces composites Le drapage supérieures à 120 °C. La technique de drapage est relativement complexe à mettre en œuvre, et une grande maîtrise dans la conception des pièces et dans l’industrialisation est nécessaire pour obtenir les performances mécaniques demandées au meilleur coût. Le RTM (Resine Transfer Molding) L’enroulement filamentaire (pour les pièces de révolution) La technologie de drapage est basée sur la mise en œuvre de tissus de fibres (verre, aramide, carbone, Kevlar, etc.) imprégnés au préalable d’une résine (époxy ou phénolique, le plus souvent). L’utilisation de ces tissus préimprégnés permet de réaliser des structures finies performantes et fiables du point de vue de la résistance mécanique. L’essentiel des structures “sandwich”, à âme en nid-d’abeilles ou en mousse, est réalisé par drapage. On utilise également cette technique pour renforcer des pièces localement. Pour cela, des drapages de pièces de tissus de tailles dégressives sont déposés un par un sur la zone à renforcer. La géométrie ainsi obtenue est beaucoup plus précise qu’avec une technique de moulage. La polymérisation (opération de solidification de la résine) est assurée en étuve, sous presse ou dans un autoclave selon la nature des pièces à réaliser. L’autoclave (ou four à vide) permet la polymérisation sous vide de la résine à des températures L’enroulement filamentaire est une technologie de mise en œuvre rapide, fiable et automatisée. Elle est adaptée, d’une façon générale, à toutes les pièces de révolution, quelle que soit la forme de la courbe génératrice. L’enroulement filamentaire permet d’accéder à des composites de hautes performances (teneur volumique de fibres supérieure à 60 %) avec tous les types de fibres (verre, aramide, carbone, etc.). Il s’agit d’une technique visant à placer les fibres dans un moule fermé, puis à injecter la résine sous faible pression (de 1 à 3 bar). Cette dernière vient imprégner progressivement le renfort. Ce procédé, plus simple à automatiser que le drapage, abaisse les coûts de fabrication. Toutefois, cette technologie convient davantage pour la réalisation de pièces peu sollicitées (habillage ou garnissage par exemple). Elle est encore peu employée dans le domaine des pièces de structure, compte tenu des difficultés de mise en œuvre. Mais les premières pièces structurelles injectées commencent néanmoins à voir le jour. Source : Composites Aquitaine Les relations discrètes ne sont plus secrètes L’offre Pertinence Suite powered by Velocity d’Intercim est née de la fusion en 2007 avec la société française Pertinence. L’éditeur américain était déjà spécialisé dans les solutions de gestion de production par le biais de son logiciel Velocity. Pertinence y a ajouté son savoir-faire en matière d’analyse intelligente de données. Le module d’analyse de données est capable de déceler des relations entre des paramètres qui ne sauraient être découvertes par des outils d’analyse classiques, plans d’expérience ou autres. Non seulement un responsable de production peut connaître l’état d’une production en temps réel, mais il est surtout capable de déterminer si les paramètres de la production en cours vont aboutir à des pièces conformes ou non aux spécifications. 62 ➜ paramètres, pour n’en laisser qu’une dizaine ayant effectivement un impact sur la qualité finale du bord d’attaque. Process Rules Discovery a également identifié des conditions initiales qui aboutissent systématiquement à des pièces mauvaises, ainsi que celles qui aboutissent systématiquement à des pièces conformes. C’est l’un des points forts du logiciel. Il décèle des combinaisons non triviales de paramètres qui posent problème à coup sûr. « Ce sont pour la plupart des combinaisons “sournoises”, mettant en jeu jusqu’à trois paramètres à la fois, précise Romain Lavault. L’analyse a montré en effet que les défauts résultaient le plus souvent de combinaisons malheureuses entre des paramètres de matières premières et des paramètres de production. C’est la raison pour laquelle les équipes de CAL et de Bombardier n’étaient pas parvenues à les identifier. » Parmi les problèmes identifiés par Process Rules Discovery, il est apparu que certaines caractéristiques de viscosité de la résine, pourtant parfaitement conformes aux spécifications, pouvaient entraîner des défauts en fonction des temps passés sous vide et à l’air libre. Le temps passé par la pièce dans l’autoclave et dans les magasins de stockage peut en effet varier selon que l’opération est effectuée durant la semaine ou pendant un week-end. Eviter les productions à risque, sans modifier les spécifications Une fois l’analyse des données et l’identification des règles de fabrication terminées, une phase de “production sous contrôle” est lancée en utilisant les modules “Process Execution” et “Operations Advisor” de Pertinence Suite. Il s’agit désormais de surveiller en permanence la production pour détecter au plus tôt les situations à risque et prendre les mesures adéquates pour rétablir MESURES 807 - SEPTEMBRE 2008 - www.mesures.com Solutions Composites Aquitaine La fabrication des bords d’attaque nécessite l’emploi de fours sous vide (ou autoclaves) tels que celui-ci. Ils servent à polymériser les résines entourant les fibres de Kevlar. Il est impossible de connaître les caratéristiques finales d’une pièce tant qu’elle n’est pas sortie du four, d’où les difficultés éprouvées par Atlantic Composites Limited à diminuer le nombre de rebuts. l’orientation du processus de fabrication. « On peut comparer la production sous contrôle à une autoroute à trois voies, commente Romain Lavault. En effet, si l’on roule sur la voie du milieu et que l’on aperçoit un obstacle devant soi suffisamment tôt, il est toujours possible de se décaler sur l’une ou l’autre des voies pour pouvoir continuer son chemin sans encombres. » Pour les responsables de CAL, l’aspect le plus intéressant est d’avoir mis en place cette production maîtrisée sans qu’aucune modification des spécifications ni des procédés de fabrications ne soit nécessaire. « Cela coûte très cher de durcir les spécifications, surtout en ce qui concerne les matières premières, ajoute Séverine Guitton, responsable du service méthodes chez Composites Atlantic Limited. Certes, les nonconformités atteignaient 40 %, mais il nous fallait penser aux 60 % de pièces bonnes, pour lesquelles un tri plus sévère des matières premières n’aurait servi à rien. Avec Pertinence Suite, tout ce que nous avons eu à faire fut d’ajouter quelques règles supplémentaires simples à nos fiches opérateurs. Comme par exemple : si une pièce passe le week-end dans le magasin de stockage avant d’être passée dans le four, alors il faut la faire cuire plus longtemps. » Les retards sont rattrapés, plus aucune pièce n’est éliminée Grâce à cette production maîtrisée, les dirigeants de CAL n’ont plus aucun rebut à déplorer. Ils ont totalement éliminé les 13 % de défauts sévères. Et en ce qui concerne les pièces à reprendre, pour lesquelles il faut recoller quelques couches externes de fibres, leur nombre est passé de 28 % à moins de 1 %. Des chiffres qui parlent d’eux-mêmes… Par cette amélioration significative de la qualité des pièces, CAL a été en mesure de rattraper en sept mois le retard accumulé en deux ans ! Aujourd’hui, la solution Pertinence Suite d’Intercim est utilisée pour trois autres familles de bords d’attaque. En ce qui concerne les autres fabrications, le logiciel est employé pour des besoins ponctuels, pour aider à la résolution de problèmes, mais pas encore pour un contrôle systématique en cours de production. La société canadienne n’en a pas les moyens. Elle a dû faire des compromis pour utiliser au juste coût les capacités du logiciel. Elle a d’ailleurs maintenu pour l’instant un fonctionnement “manuel” du logiciel. Les techniciens du service qualité recueillent les données manuellement, les mettent en forme sous Excel, puis les injectent dans Pertinence Suite. Mais cela ne pose pas de problème compte tenu de la relative lenteur des différents cycles opératoires. Selon Romain Lavault, « il manquait à CAL un logiciel véritablement orienté “production”, car leur système MES existant (Manufacturing Execution System) restait axé sur les aspects administratifs et transactionnels de l’entreprise. Nous nous sommes aperçus que cette situation était relativement récurrente dans l’aéronautique, car il n’existe pas de logiciel standard en management des opérations pour ce secteur ». Il souligne par ailleurs ce bel exemple de collaboration entre un constructeur et son fournisseur, pour résoudre un problème de production complexe. Frédéric Parisot MESURES 807 - SEPTEMBRE 2008 - www.mesures.com 63