Connaissances de l`histoire africaine - esad

Transcription

Connaissances de l`histoire africaine - esad
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Femme bochiman du Botswana.
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Femme masaï du Kenya.
3
Homme pygmée du Congo.
Femme touareg du Niger.
Atlas historique de l’Afrique, Catherine Coquery-Vidrovitch
et Georges Laclavères, éditions du jaguar, Paris, 1988.
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5
Connaissances
de l’histoire africaine
En couverture:
mahawa kandé
Carte anglaise de l’Afrique en 1895, partage du monde colonial au XIXe siècle.
école régionale des beaux-arts de Valence
Diplôme national supérieur d’expression plastique
Option design, mention design graphique
Juin 2009
6
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13
Introduction
Partie 1.
21
Connaissance et exploration
du territoire
32
Les explorations européennes
Partie 2.
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Ambivalences des discours
sur l’Afrique
Image actuelle de l’Afrique
L’Afrique par les Africains
La vision biaisée de la réalité de l’Afrique
L’éthique journalistique bancale
Le journalisme : une marchandise comme
les autres.
Du colonisateur à l’humanitaire
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64 Histoire d’un regard
Du racisme « scientifique »…
…vers un racisme colonial et « populaire »
91 Les sources de l’histoire de l’Afrique
Les documents écrits
Les traditions orales
Les vestiges archéologiques
Les arts premiers
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9
Partie 3.
107Les publications sur l’Afrique
Les supports éditoriaux
Les maisons d’éditions spécialisées
109
Les « beaux » livres
Une histoire du temps présent
Partie 4.
123Mon projet
131Conclusion
137Bibliographie
145Remerciements
10
11
Introduction
12
13
26 avril 2008
Dans un train. Une voyageuse m’aborde et me
demande de quelle ethnie je suis. La spécificité
de la question est surprenante. Elle est surprise
par ma réponse ; celle concernant mon pays
d’origine ne la renseignera pas davantage.
7 juillet 2008
Un film. Le thème : l’ascension politique du Léopard
de Kinshasa1 dans son milieu presque naturel.
Je sais tout du Zaïre, je ne connais rien.
ous ces événements sont vrais et même s’ils ne l’étaient
T
pas, ils sont crédibles. Je me trouve confrontée à mon
manque de connaissances parfois, à l’ignorance des autres
aussi ; et pire : à ceux qui pensent savoir qu’ils savent.
Et en même temps, je suis confrontée au manque de
documen­tations, d’archives, de supports qui pourraient
traduire la complexité, la richesse plurielle de l’histoire de
l’Afrique.
es Africains ne se ressemblent pas tous ; ils ne sont pas
L
tous frères et l’Afrique n’est pas un pays.
14
15
En tant que designer ou simplement amatrice
d’histoire, je ne peux que constater l’existence de
milliers de livres sur l’Afrique Noire. Outre les pseudoreportages illustrant une Afrique sauvage et étincelante
qui représentent 90% des livres en question, il reste
les travaux scientifiques, fruits de recherches sur le
terrain et / ou dans les archives. Ces recherches sont
encore souvent difficiles d’accès, non seulement pour
le public, fût-il cultivé, mais aussi pour les spécialistes
africanistes eux-même, dès lors qu’ils sortent de leur
discipline. Le langage technique des sciences humaines,
les problématiques et les champs d’investigation tendent
à s’affiner et à se diversifier au point que la communication
devient de plus en plus ardue d’un domaine à l’autre et
parfois à l’intérieur de certains d’entre eux.
Trop souvent encore, les ouvrages les plus
documentés et les plus pointus sont destinés tant dans leur
forme, que dans leur diffusion, uniquement aux historiens,
anthropologues, étudiants spécialisés et chercheurs.
Les sites et blogs afro-orientés sont, quant à eux, assez
difficiles d’accès dès lors qu’on ne rentre pas dans une
recherche spécifique.
Le manque de supports visant à démocratiser des
pans peu ou pas connus de l’histoire entrave la volonté,
s’il y a lieu, du lecteur lambda qui souhaite s’informer sur
l’histoire méconnue du continent africain. L’histoire de
l’Afrique fut et est encore liée à celle de l’Occident. Mais,
dorénavant, il faut prendre en compte la participation de
plus en plus importante de la diaspora africaine, autant
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dans les supports écrits que sur Internet.
Mes origines auraient pu, depuis longtemps m’amener
à me confronter aux différents supports qui interrogent
l’Afrique dans tous ses états. C’est en réalité le hasard de
mes lectures, rencontres et visionnages de documentaires
qui m’ont poussée à m’interroger sur l’histoire de ce
continent et les moyens employés pour la transmettre.
Dans le but d’une bonne et honnête vulgarisation, il
pourrait être intéressant d’allier les qualités de divers
supports pour transmettre cette histoire. Concilier la
précision de la recherche, la qualité documentaire,
la valeur esthétique de l’objet et pourquoi pas l’acte
politique. Malheureusement, trop souvent encore en
France, les Africains ne s’intéressent qu’à leur pays
d’origine. Montrer la relation entre ces divers États
permettrait à chacun de se sentir concerné. De la même
manière, confronter les différents points de vue, que ce
soit l’expatrié en Afrique, en France, l’Africain en Afrique,
est une manière d’ouvrir les possibles d’une réflexion
sérieuse, tout en popularisant l’histoire avec justesse.
Le continent africain et son histoire regorgent d’un
potentiel culturel et esthétique qui est encore très peu
utilisé. L’interaction entre les différents pays, plus qu’une
synthèse sur un pays permet d’avoir une vision plus juste
des événements. À ce sujet, l’image de l’Afrique souffre
encore de la troncature qu’en font les médias occidentaux.
Bien sûr, il est impossible d’être exhaustif sur l’histoire de
l’Afrique ou celle de ses divers États. Mon impossibilité
à définir mon appartenance totale à un seul pays me
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pousse à associer les différentes facettes de l’histoire
de l’Afrique en général et celles de ses territoires plus
particulièrement. Donner à voir une histoire imbriquée à
celle de l’Europe m’est apparue comme une évidence.
Il s’agirait alors de donner à voir cette Afrique impalpable
auquel chacun est lié de manière directe ou indirecte.
L’histoire de l’Afrique est en constante évolution, et
cela d’autant plus si l’on tient compte des changements
de l’historiographie qui ont ouvert les possibles. Elle se
doit aujourd’hui de s’adapter aux éventuels divers publics,
suivre les modifications comportementales. Comment
raconter cette histoire plurielle, complexe ? Quelle est la
véritable utilité de raconter l’histoire de l’Afrique dans
les pays d’Occident ? Comment tenir compte des multiples
points de vue qui jalonnent cette histoire tout en restant
juste et précis ? Comment la création de supports peut elle
répondre aux manques actuels ?
Notes
1. Film documentaire Mobutu roi du Zaïre, Réalisateur Thierry Michel, production
Canvas Africa Productions, Les Films d’ici, Les Films de la Passerelle, Flemish
Radio- and Television Network (VRT), Image Création.Com, Belgique, 1999.
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Partie 1.
Connaissance et exploration
du continent africain
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21
Carte du monde selon Hérodote, environ 450 av. J.C.
L’Enquête, Hérodote, traduction en français par Andrée Barguet,
Folio Gallimard, Paris, 1985.
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Carte Kangnido réalisée par Kim Sa-hyeong, Yi Mu et Yi Hoe,
La connaissance du contour réel de l’Afrique indique des explorations précoces
à partir de données chinoises, 1402, Corée.
de la région, antérieures aux voyages de Bartolomeu Dias et de Vasco de Gama.
La carte décrit de façon très détaillée l’Empire de Chine, ainsi que la Corée et le
La pointe sud de l’Afrique a des contours généraux corrects et laisse apparaître
Japon, même si les positions relatives des trois pays ne sont pas exactes. À l’Ouest,
un fleuve qui pourrait être l’Orange. Au nord du continent, au delà du «blanc» de la
la péninsule arabique, l’Afrique et l’Europe, bien que ces aires continentales soient
carte, une pagode symbolise le phare d’Alexandrie, près du mot arabe Misr (Égypte)
montrées plus petites qu’elles ne le sont, comparativement à la Chine.
translittéré en chinois.
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Carte du Monde selon Claudius Ptolémée, v. 90-168,
Cosmographia, Ulm, 1482.
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Bien que le continent africain soit la partie la plus
ancienne de l’Ancien Monde, il ne fut exploré par les
Européens que relativement tard. La notion de découverte
est quelque peu ambiguë lorsqu’il s’agit d’un territoire,
habité de surcroît, l’Afrique existant avant que les
premiers Européens ne « découvrent » le continent.
La tendance consistant à commencer l’histoire de peuples
extra-européens au moment où les Européens les ont
rencontrés pour la première fois persiste encore. La
raison est parfois simple. Dans bien des cas, les premières
sources écrites, matériau privilégié de l’histoire, ne
peuvent être tirées que des récits de première ou
seconde main d’auteurs européens. Lorsque j’étais au
lycée, l’Antiquité c’était la Grèce, Rome et l’Égypte.
Il semblerait que les choses n’aient pas beaucoup
changé depuis. D’autant plus que les égyptologues
étaient assez peu tournés vers le reste de l’Afrique.
La gloire associée à l’Égypte a poussé certains à nier
qu’elle soit en Afrique. L’européocentrisme a longtemps
marqué et marque encore parfois les civilisations dites
« exotiques » (exotiques aux yeux des Européens).
Déjà pour les Romains, l’Africa1 correspondait seulement
à l’actuelle Tunisie. Ce n’est qu’après l’invasion
arabe, à la fin du Moyen-Âge, que le terme a été
étendu à sa signification actuelle. Pour les Anciens, le
continent dans son ensemble était connu sous le nom
de Libye, les peuples au visage basané, littéralement
« brûlé », étant désignés sous le terme générique
d’« Éthiopiens », les Noirs à proprement parler étant les
« Nubiens », référence à la Haute-Égypte et à l’actuel
28
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Soudan. Seule l’Afrique du Nord, Égypte comprise,
leur était véritablement familière. Au delà des limites
de l’Empire romain, l’Afrique était terra ignota.
D’ailleurs, il est difficile de ne pas mettre en
doute la pertinence des connaissances sur l’Afrique
en Europe pendant l’Antiquité. Jusqu’au XVe siècle,
la connaissance géographique de l’Afrique reste très
fragmentaire. La plupart des informations de cette
époque proviennent d’interlocuteurs arabophones
qui ont des contacts ponctuels avec l’Afrique
subsaharienne. Ce n’est qu’au début du XVIe siècle
que le continent africain s’ouvre à la convoitise et à
la connaissance et à la convoitise des Européens.
Au milieu du XVIIIe siècle, l’intérêt des Lumières pour
les grands voyages ainsi que la volonté des Anglais,
Français et Portugais d’apporter la « civilisation » en
Afrique, accélèrent les événements. Jusqu’alors, ces
voyages avaient davantage été freinés par des sociétés
organisées et hostiles que par les risques sanitaires et
les difficultés du climat. Le voyage devient alors une
véritable expédition soutenue par les gouvernements.
Entre 1880 et 1914, le continent africain est presque
entièrement colonisé par les puissances européennes.
Seuls l’Éthiopie et le Libéria fondé au début du
XIXe siècle par des esclaves noirs libérés revenus
des Amérique 2 échappent à la colonisation.
Ces périples sont l’occasion de rédiger des livres
illustrés et des articles de journaux qui activent
l’imaginaire des Occidentaux. Vers la moitié du XIXe
siècle, les rivalités politiques pousseront chaque État
à obtenir de plus en plus de territoires pour son pays.
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31
Les explorations européennes
Même si les explorations européennes permirent
de fournir des données géographiques sur l’Afrique, il
favorisèrent aussi le morcellement et l’exploitation du
continent.
Les navigateurs portugais furent les premiers
Européens à rentrer en contact avec l’Afrique. Au XVe
siècle, ils longèrent les côtes occidentales et l’Afrique
Australe. Les Britanniques et les Hollandais s’installèrent
par la suite dans cette région. Les portugais longèrent
aussi les rivages orientaux, précédés de plusieurs siècles
par les commerçants arabes et indiens.
Entre 1788 et 1831, l’African Association de Londres
entreprit les plus grandes explorations. Portée à la fois
par les considérations économiques et scientifiques,
l’Association fut pionnière dans l’exploration européenne
en Afrique. Mungo Park fut le premier à suivre le cours
du fleuve Niger, en partant de la Gambie. Mollien explora
le Sénégal et le Fouta-Djalon, René Caillié voyagea à
Tombouctou et Djenné. Les frères Lander reconnurent le
cours inférieur du Niger en progressant à partir de
son delta. Alors que vers 1830 la géographie de l’Afrique
occidentale est assez bien connue des Européens,
ce n’est qu’un quart de siècle plus tard que l’Afrique
orientale arrive à des résultats comparables. Dans
cette région la Royal Geographical Society succéda à
l’African Association. Aidée par la Church Missionary
Society, elle favorisa la recherche des sources du Nil et la
reconnaissance du système hydrographique qui lui est lié
en Afrique orientale et centrale.
32
Au milieu du XIXe siècle, trois explorateurs
acquièrent une réputation particulière. Les motivations
anti-esclavagistes de David Livingston le pousseront à
effectuer deux expéditions afin de trouver des « produits
commerciaux » pour remplacer la traite. Heinrich Barth
linguiste, géographe, ethnologue et anthropologue,
révéla à l’Europe l’existence du mode de gouvernement
centralisé en vigueur dans les royaumes haoussa-peul tel
celui de Kanouri, qui existait au Soudan occidental. Henri
Morton Stanley, en expédition pour retrouver Livingston
que l’on croyait disparu, porta secours par la même
occasion au gouverneur des provinces équatoriales de
l’Égypte. Il installera aussi des comptoirs commerciaux le
long du fleuve Zaïre pour le Roi Léopold II de Belgique.
Après la Conférence de Berlin (1884-1885) qui
entérina le processus de partage de l’Afrique par et pour
les puissances coloniales, la finalité des expéditions devint
l’acquisition territoriale.
À partir du XXe siècle, les explorations se poursuivront
et évolueront considérablement. D’une part, grâce aux
données accumulées depuis un siècle et demi et d’autre
part, avec la mise en place d’administrations coloniales,
le contexte des expéditions européennes en Afrique s’était
métamorphosé.
L’ère de l’explorateur se refermait pour laisser la
place au règne du globe-trotter auquel succédera celui
du touriste. Enfin, si les Africains figurent rarement
au tableau d’honneur des explorateurs (El Shabeeny,
33
Benjamin Anderson ou Georges Ekem Ferguson
représentant à cet égard, des exceptions), les expéditions
européennes étaient tributaires du savoir local.
Explorations en Afrique
Notes
1. Les Romains nommaient la province Africa ce qui correspond aujourd’hui
à l’Afrique du Nord.
2. The National Colonization Society of America,
« La Société Nationale d’Amérique de la Colonisation » fonde
le Libéria en 1822 pour les esclaves libérés.
1780 - 1830
1830 - 1865
1865 - 1890
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Partie 2.
Ambivalences des discours
sur l’Afrique
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37
Image actuelle de l’Afrique
Bien que l’exploration du continent africain,
que ce soit par les Africains eux-même ou par les
Européens, soit déjà ancienne, ce n’est que depuis
environ un demi siècle que de véritables changements
dans la façon de raconter l’histoire ont été apportés.
En effet, jusqu’à vers 1950, l’histoire de l’Afrique
rédigée à l’occidentale dominait. À partir de ce moment
qui est aussi la période jusqu’aux années 1980 de la
décolonisation africaine, on assiste enfin à l’émergence
de l’intelligentsia africaine. Durant cette période, les
premières maisons d’édition en France ayant pour but
de donner à connaître la culture et les questions sociales
offrent aussi un terreau fertile pour s’exprimer. Ainsi,
une méthodologie spécifique d’approche interdisciplinaire
des sources de l’histoire de l’Afrique se fonde. Les
événements, quelles que soient leurs sources, sont
évalués en tenant compte de la morale du temps.
Les traditions orales sont analysées, la précarité
de la communication orale soulignée, tout comme
l’importance des problèmes d’interprétation. Ainsi
la pluralité des sources en ce qui concerne l’histoire
africaine, loin de brouiller les pistes, participe à une
meilleure connaissance de qualité du continent. D’une
certaine manière, l’Afrique fait de plus en plus débat
dans les médias qui l’évoquent de façon impartiale.
Il s’agit maintenant d’ajuster l’ensemble afin d’ouvrir
les possibles, d’éviter les clichés en revisitant les systèmes
pour transmettre cette histoire. Aujourd’hui, ce ne
sont plus seulement les historiens qui étudient les faits
dans le respect intransigeant de la véracité des faits.
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L’Afrique par les Africains
Après l’élection de Barack Obama, Theophile
Kouamouo, journaliste, membre de l’Atelier des médias
et blogueur à Abidjan en Côte d’Ivoire, a souhaité
mettre en place un échange via blogs interposés sur
le thème : « Pourquoi bloguer sur l’Afrique ? »
« À bien y réfléchir, cela ne va pas de soi, déjà
parce qu’Internet n’est pas une réalité franchement
démocratique en Afrique. Bloguons-nous pour la
diaspora et le vaste monde ? Blogue-t-on sur l’Afrique
comme on blogue sur l’Europe ou l’Asie ? La blogosphère
afro-orientée a-t-elle quelque chose de spécifique
à offrir au concert de l’universel version 2.0 ? »
Les réponses de la blogosphère africaniste
sur la raison de bloguer sur l’Afrique sont
indissociables de l’importance d’envisager l’histoire
de l’Afrique du point de vue des Africains.
« Il faut que l’Afrique soit visible… Historiquement
l’Afrique sort de six siècles de silence… Aujourd’hui elle a
les moyens techniques, technologiques de s’exprimer, de
parler d’elle, alors qu’en général on a plutôt parlé d’elle
à sa place… Il n’y donc aucune raison qu’elle n’en profite
pas pour se rendre plus visible, plus audible à travers les
nouveaux moyens de communication comme le net. »1
40
« Je blogue sur l’Afrique avec joie, parce que je crois
que c’est de nos voix individuelles et mêlées que naîtra
la renaissance africaine qui arrivera aussi sûrement
que le rêve de Martin Luther King est devenu réalité
quarante années plus tard. Je lis les blogs afro-orientés
avec bonheur parce qu’ils me donnent une image moins
monolithique et moins catastrophique du continent et de
ses habitants. » 2
« De manière générale je blogue pour communiquer ma
passion pour l’Afrique, le web, les nouvelles technologies,
l’innovation et l’entreprenariat. Je pense que le blog est
un très bon moyen d’expression facile à mettre en place et
à maintenir, il devrait être mis dans les mains de tous les
Africains afin de libérer encore plus l’expression des uns
et des autres. Le blog représente une chance énorme pour
les fils de notre continent de se rencontrer, d’échanger,
d’agir et de faire avancer le débat.
Ainsi donc je blogue sur l’Afrique pour :
– essayer de gommer la mauvaise image qui colle à ce
continent à mon niveau ;
– rencontrer d’autres personnes ayant le même idéal ;
– informer les autres peuples sur les réalités africaines ;
– faire bouger les choses ;
– participer au débat planétaire ;
– faire entendre la voix de l’Afrique ;
– discuter de nos problèmes et essayer d’y apporter des
solutions. »3
41
« La réponse qui me vient tout de suite, c’est parce que
l’Afrique ne peut se soustraire du monde. Ensuite bloguer
sur l’Afrique, est la preuve que ce continent a une vie,
existe, a des voix. Que ce soit des blogueurs vivants sur
le sol africain ou ailleurs, c’est une manière de montrer
que ce continent existe dans sa diversité, a une existence
historique, politique, économique, sociale. Le monde
du numérique étant plus facilement accessible, hormis
son coût élevé en Afrique, il permet de porter aux yeux
du reste du monde, les réalités de ce continent. Les
observations et les opinions divergent, et c’est aussi
cela une vie, mais avant tout le débat existe. Ce débat
conduira de toute façon à des solutions, elles aussi
divergentes, mais bien comprises, porteront leurs fruits.
Pour moi bloguer sur l’Afrique c’est un peu cela. » 4
« Le blog, un outil de communication qui autorise
une large liberté d’expression, s’est imposé telle une
révolution en termes de NTIC5, et qui favorise une
ouverture immédiate et instantanée vers un monde
incontestablement globalisé. Alors si bloguer permet d’une
manière générale de rentrer en contact permanent avec
le monde extérieur, bloguer en l’occurrence sur l’Afrique
est pour moi, une manière de pouvoir, quoiqu’il arrive,
conserver « le cordon ombilical » qui me lie avec elle.
Et vu « d’ailleurs », il s’impose comme un moyen efficace
pour la diaspora d’avoir l’impression d’y vivre malgré
la distance, de se sentir plus imprégnée des réalités
continentales et donc d’agir quand elle le souhaite.
Une façon aussi de témoigner tous (vivant ou non sur le
42
continent) par nos contributions, de l’intérêt que nous
portons à cette Afrique et dans une commune mesure
d’apporter un regard personnel soumis à la blogosphère.
La « virtualité » de cet espace favorise ce que bien souvent
nous réussissons avec beaucoup de peine dans l’espace
public réel : le dialogue grâce à l’inter-réactivité qui en est
l’enjeu primordial. La blogosphère afro-orientée pourra
porter assez haute sa voix si Internet se vulgarise en ces
lieux et si son message est relayé par d’autres supports
de communication (TV, radio, presse écrite, etc.) pour
étayer à un plus grand nombre, l’apport bénéfique de son
contenu. En outre, même si la « façon » de bloguer peut
différer d’un continent à un autre, le but recherché est le
même. C’est à dire, communiquer. »6
Je parle de « blogosphère afro-orientée » et non
de « blogosphère africaine ». Lors de mes premières
recherches de blogs sur différents pays d’Afrique, je suis
tombée dans un premier temps, sur des blogs d’expatriés
en Afrique ou encore d’Africains vivant en Occident que
ce soit en Europe, en Amérique ou au Canada. Bien que
ce type de blog m’intéressent, leur abondance m’a poussé
à m’interroger sur l’importance relative de l’Internet
sur le continent africain et à envisager les sources que
je recherchais comme des blogs parlant avant tout de
l’Afrique et non pas des blogs systématiquement
en Afrique.
Selon l’agrégateur Afrigator 7, on répertorie environ
4400 blogs sur des thèmes divers et variés concernant
l’Afrique. Pourtant cela peut paraître absurde
43
lorsqu’on sait qu’en décembre 2008, seulement
5,6% d’Africains, tous pays confondus, utilisent
Internet ; en sachant qu’à l’intérieur même du
continent, les inégalités sont très grandes.
Pénétration d’internet dans le monde
100%
80
60
40
20
0%
Le coût élevé d’Internet est probablement la
raison principale de la faiblesse de l’accès à Internet
en Afrique. En effet, deux opérateurs détiennent le
monopole de la téléphonie et le transit des connexions
par l’international est quasiment systématique. Malgré
cela, l’utilisation d’Internet se généralise. Il ne s’agit
plus seulement de consulter les email ou de pratiquer
des appels via la toile. Progressivement, la blogosphère
se structure attirant de plus en plus de nouveaux
blogueurs et lecteurs. D’ailleurs, on notera qu’en 2007
et en 2008, ce sont deux Africains, à savoir Cédric
Kalonji8 et Israël Yoroba9, qui ont remporté la « Coupe
du monde des blogs » organisée par la radio Deutsche
Welle dans la catégorie « blogs francophones. »
Dans leur majorité, les blogs afro-orientés furent
consacrés dans un premier temps à l’expression
d’opinions politiques. Au fur et à mesure, les contenus
se diversifient. Ainsi, le blog « Africa2point0 » évoque,
comme son nom l’indique, les mutations liées au web
2.0 sur le continent. « Kotonteej » parle de musique,
Raphaël Adjobi aborde l’histoire de l’Afrique noire au
travers de la littérature, tout comme Alain Mabanckou.
Le fait que peu de personnes soient capables
d’écrire, que l’accès à Internet soit difficile, que la
Source : http://www.internetworldstats.com/
44
45
tenue d’un blog demande du temps, de la volonté
pour l’alimenter régulièrement, transforme le fait de
bloguer sur l’Afrique en un acte quasiment militant.
Bien que la majorité des blogueurs afro-orientés
vivent en Occident, on en retrouve d’autres dans
les grandes villes du continent africain, et même
dans des villes de province. Ainsi, Churchill Mambe
Nanje blogue depuis Buéa, dans le Sud-Ouest du
Cameroun, ou encore Hilaire Kouakou blogue depuis
la zone semi-rurale de Divo, en Côte d’Ivoire.
Cependant beaucoup de blogs afro-orientés
se revendiquent d’Afrique du Sud. Aussi n’est-il
pas surprenant que les blogs en question soient
majoritairement en anglais, suivis par les blogs en
français et parfois aussi dans des langues nationales.
Ainsi on peut se rendre compte au travers de cette
chaîne de réponses que chacun blogue pour essayer
de gommer la mauvaise image qui colle à l’Afrique,
d’informer les autres continents des réalités africaines.
Car l’Afrique, ce n’est pas seulement la guerre et
les autres calamités. C’est aussi, et de plus en plus,
un continent qui s’affirme et qui veut tenir une place
stratégique dans le monde. Il s’agit de montrer les espoirs
des Africains et leur volonté de s’intégrer et de partager
ce que les médias traditionnels refusent de montrer.
Il s’agit en Afrique de passer outre les contraintes de
la presse écrite10 ou de la radio qui sont censurées.
Parler de politique est un sujet très délicat, même dans
46
les « démocraties. » Bloguer est également pour les
Africains une manière de participer à la conversation
mondiale, offrant à tout un chacun la possibilité d’avoir
des informations via parfois la seule source possible.
Pourtant le manque d’accès à Internet pour la majorité
des Africains impose quelque peu le blog comme une
pratique de privilégiés n’ayant finalement que peu
d’impact pour changer les choses. Alors en tenant
compte de cette faiblesse, les blogueurs voient ce
médium comme un moyen d’interpeller l’élite éclairée,
ceux qui ont les moyens intellectuels ou financiers,
ceux qui ont la possibilité de transmettre le message
ou tout simplement pour réfléchir dans un élan
commun sur l’avenir de l’Afrique et sa renaissance.
Les blogs afro-orientés ne sont pas les seuls à
donner à voir une Afrique plus conforme à la réalité de
nos jours. Internet n’est d’ailleurs pas le seul endroit
pour cela. En effet, en tenant compte qu’il y a un style
radiophonique africain, il est normal d’y retrouver une
émission radiophonique telle que L’Afrique enchantée
qui officie sur France Inter. Fort de son succès,
le programme est passé d’une diffusion estivale en 2006
et 2007, à une diffusion hebdomadaire depuis 2008.
L’émission est présentée par Souleymane Coulibaly,
alias Soro Solo et Vladimir Cagnolari. Chaque épisode
traite d’un pays, un pan de l’histoire, une tradition,
une question d’actualité, la musique étant le fil rouge
de chaque émission. Les thèmes sont enrichis par des
témoignages divers, des interviews et bien évidemment
47
des chansons suivant l’idée développée. Le ton
décomplexé, mais en même temps pointu donne à voir une
Afrique inconnue de beaucoup. Soro Solo a su optimiser
les qualités de la radio en France tout en se servant
de celles de l’Afrique où la radio est le premier média
loin devant la télévision et la presse écrite. L’Afrique
enchantée a réussi à intéresser un public bien plus large
que celui des personnes originaires d’Afrique en France.
En effet, les thèmes abordés le sont selon plusieurs
points de vue ; la sélection musicale pointue est traduite,
commentée, décortiquée, analysée permettant à chacun
d’avoir les outils de compréhension satisfaisant la curiosité
de chacun. Cette émission met aussi en avant les écrivains,
penseurs, chanteurs et autres éclairés afro-optimistes
qui ont participé par leur travaux à une histoire de
l’Afrique plus juste. Cette émission est didactique en plus
d’être divertissante. L’importance de la radio en Afrique
s’explique par l’illettrisme ainsi que par le coût peu
élevé d’un récepteur. En France c’est le ton singulier des
présentateurs, leur spontanéité et l’interaction continuelle
entre eux qui participe au style atypique de l’émission.
La vision biaisée de la réalité de l’Afrique
Les chaînes hertziennes occidentales, et en particulier
les françaises, ont beaucoup de peine à couvrir les
événements liés à l’Afrique car le thème est considéré
comme « peu vendeur. » En effet, lorsque les médias
occidentaux évoquent l’actualité africaine, c’est souvent
48
sous forme de brève. Plus le temps passe et moins les
médias s’intéressent à l’Afrique. Les pérégrinations
des candidats des émissions de télé-réalité captent
bien plus l’attention que n’importe quelle victime de
dictatures, guerres civiles ou pandémies. Il ne faut bien
évidemment pas généraliser la couverture de l’actualité
de l’Afrique noire par les médias occidentaux. La presse
écrite spécialisée ne se laisse pas distraire pour autant,
et n’hésite pas à suivre avec précision les événements
afin de les traduire correctement. Le cas de Courrier
international est assez représentatif de ce point de vue.
Cependant parfois encore le traitement est biaisé par
une allusion aux préjugés les moins glorieux et les plus
ancrés dans l’opinion publique. Il est difficile de connaître
le bien fondé de la diffusion d’images insoutenables,
notamment de l’Afrique, quand cela est proscrit en
Occident. L’information que diffusent des chaînes telles
que TF1, France 2, France 3 et M6 est faussée. Parler de
l’Afrique ne suffit pas, il faut aussi être juste. Il ne s’agit
pas de faire le journal des bonnes nouvelles sur l’Afrique,
mais de ne pas minorer certains événements importants.
Ce qui frappe, c’est non seulement la constance de ce
traitement globalement négatif d’un espace composé
de cinquante sept pays et où vivent plus de 900 millions
de personnes, mais aussi l’absence de profondeur et
de volonté de comprendre au-delà de l’évocation d’une
réalité sans aucun doute plus complexe qu’elle n’y
paraît. Raconter les travers de l’Afrique sans tomber
uniquement dans l’émotion est assez rare sur ces chaînes.
49
Enfant soldat. Mousapha, 12 ans, est porté à la salle d’opération des chirurgiens de MSF,
Marcus Bleasdale, Agence VII, Darfour, 2007
Le Monde 2, n° 202, supplément au Monde n° 19574 du samedi 29 décembre 2007.
50
51
L’éthique journalistique bancale
La « sauvagerie africaine » n’est que trop souvent
le thème de prédilection qui permet à l’information sur
l’Afrique noire de trouver une place dans l’actualité.
Les signaux d’alerte de conflits qui couvent depuis
longtemps ne semblent pas suffisants pour secouer
les services « étrangers » des médias de l’Hexagone.
Aux membres de Médecins Sans Frontière venus
indiquer la gravité de événements en cours au
Zimbabwe, un responsable de l’information d’une
chaîne de télévision hertzienne répondit que « les
téléspectateurs étaient las de ces drames africains,
désespérément semblables à eux-mêmes au fil des
années », raconte Rony Brauman, fondateur de MSF.
À côté de cela, l’assassinat de quelques fermiers
blancs et la confiscation de leurs terres provoquent un
afflux d’envoyés spéciaux que même les péripéties des
élections présidentielles entre Robert Mugabe et Morgan
Tsvangirai n’ont su provoquer.
Patrick Robert, de l’agence Sygma, qui se trouvait
également à Kigali, le 9 avril 1994, rapporte les
consignes entendues par ses confrères américains dont la
rédaction ordonne le retour : “Too dangerous, not enough
interest... deep Africa, you know, middle of nowhere.”11
Au-delà de ces problèmes, on constate aussi
une pénurie de « spécialistes-Afrique ». Ceux qui ne
se complaisent dans un confort sont rares ou ils ne
sont que trop rarement confrontés à la critique des
52
Extrait Rwanda, le pays hanté, Christophe Calais, 1994.
lecteurs-auditeurs-spectateurs. Le Mauritanien Abdallah
Ahmedou Ould, représentant spécial du secrétaire
général des Nations unies au Burundi de novembre
1993 à octobre 1995, a été l’un des spectateurs de
l’attitude et du raisonnement des journalistes occidentaux
dans un pays qui focalisait l’attention : « On arrive
toujours quelque part avec des préjugés. En Afrique,
surtout lorsqu’il y a crise, les journalistes néophytes
ont la conviction de débarquer dans des pays arriérés,
violents, peuplés d’incompétents et de sauvages ».
Ces éléments sont sûrement accentués par le
traitement de l’information africaine en Occident. Il
y a un manque de pudeur notable quand il s’agit de
montrer la mort, la souffrance en Afrique. On notera
entre autre, la photographie de Kevin Carter, le vautour
53
Conflit en Côte d’Ivoire, Patrick Robert, Agence Sygma Corbis, L’Express, 2003
54
55
et l’enfant12, ou encore la vidéo de la torture la et la
mutilation de l’ex-président du Libéria Samuel Doe
en 1990, dont les images qui firent le tour du monde.
Dans les cas cités et d’autres, les scènes insoutenables,
participent à banaliser une certaine image de l’Afrique.
On constatera même que la décence était de mise lors
des attentats du 11 septembre 2001 où, hormis les
images en direct, on ne reverra plus les images des
personnes sautant par les fenêtres des Twin Towers.
Le vautour et l’enfant, Kevin Carter, Agence Sygma, 1993.
Le journalisme :
une marchandise comme les autres
sont pas les seules causes de la marginalisation de
l’information sur l’Afrique noire dans les « médias
grand public ». À partir du moment où l’on considère
que l’information est un produit que l’on consomme et
qui a une valeur marchande, on constate que l’Afrique
manque cruellement de consommateurs potentiels prêts
à en payer le prix, ce qui condamne irrémédiablement la
diffusion du journalisme sur place. Peu de journalistes se
considèrent comme un élément d’un projet commercial
global de réponse au marché. Cependant l’exercice
professionnel quotidien met à rude épreuve le libre
arbitre, le libre choix des sujets des journalistes.
Au final, « les journalistes choisissent les sujets qui
selon eux, intéressent le public. Il y a ici une dimension
commerciale », reconnaît Thomas Ferenzi. Après avoir
proposé à diverses reprises, dans différents médias,
des sujets sur l’Afrique T. Ferenzi constata qu’il fallait
répondre à un certain nombre de contraintes pour être
diffusé :
− ça n’intéresse pas le public français ;
− le reportage coûte trop cher ;
− il faudrait profiter d’un voyage de presse
pour aller là-bas ;
− il faut trouver un angle qui intéresse les Français, par exemple ce que ça leur coûte en impôts ;
− il faut qu’on puisse mettre le mot « France »
dans le titre.
Les préjugés des journalistes et leur comportement
face à l’histoire en direct du continent africain ne
56
57
Le manque d’audace des rédactions, dès lors
qu’il s’agit d’évoquer l’Afrique noire correspond à une
volonté d’adéquation du produit média au marché.
L’éthique des journalistes étant très aléatoire selon les
situations, les mêmes journalistes qui se félicitaient de
ne pas avoir montré les restes humains des victimes
du World Trade Center, n’hésitaient pas à figer les
corps dans un état de putréfaction avancée après le
génocide du Rwanda. Un jeune journaliste interrogé
par un étudiant de l’EHESS reconnaît la dissolution
du mythe du journaliste. « Je n’ai plus la même vision
de l’information. Avant, je voyais ça comme un travail
créatif, et puis… et maintenant je le vis plus comme une
prestation qui a un caractère quelque peu commercial ».
La mondialisation n’a fait qu’accentuer cette
adéquation. En effet, les instruments d’analyse de
l’information tendent à se standardiser. Là où il y a
trente ou quarante ans, l’instinct et l’éthique auraient
permis au rédacteur en chef d’un média de proposer un
sujet plutôt qu’un autre, aujourd’hui ce sont des études
de marchés qui motiveront ce choix. En l’occurrence un
sujet sur l’Afrique noire serait contre-productif en terme
d’audience. La presse, la télévision et la radio privilégient
l’appât du gain en fabriquant les informations qu’ils
pensent que le public attend, plutôt que de répondre
à un quelconque devoir d’information impartial.
58
Angelo, a rwandan odyssey, Christophe Calais, Goma, ex-Zaïre, juillet 1994.
Du colonisateur à l’humanitaire
Une forme de journalisme, le journalisme humanitaire,
a participé à mettre en scène l’histoire actuelle de
l’Afrique. L’Afrique en crise s’inscrit désormais pour
les journalistes sous un nouveau label, celui des
catastrophes humanitaires. Au fur et à mesure que
s’éloigne l’épisode colonial, l’image de « l’homme blanc
sauveur » s’accentue. Le spectacle offert par un convoi
de vivres en route vers des affamés ou par un médecin
penché sur son blessé, est comme taillé sur mesure
pour le petit écran. Rapide, simple et concrète, l’action
humanitaire mise en scène dans les médias, et non pas
l’acte en lui-même, offre une forme aisément assimilable
et tout à fait valorisante avec le duo victime/sauveur.
59
Il est facile de présenter à un public européen crédule
des pays africains comme autant de sociétés en crise où
règne l’impunité, où la justice est en échec à cause de la
corruption et l’immobilisme de l’État et où « L’homme
Blanc », hier colonisateur, venant éduquer, aujourd’hui
humanitaire, peut revêtir de nouveau un uniforme de
sauveur. Cette vision désuète tend à s’imposer, en
altérant le regard des auditeurs/lecteurs/téléspectateurs,
mais aussi celui des journalistes eux-même.
Bien qu’occasionnels dans les médias, quelques
programmes s’engagent à traiter de l’Afrique sous
des thèmes divers et variés, dédramatisant la vision
caricaturale que l’on peut en avoir sans pour autant
ignorer la réalité de ce continent. Ces programmes
se démarquent par une approche décomplexée face à
l’histoire sans pour autant tomber dans le divertissement
pour le divertissement ou dans la vulgarité.
Arte a réussi a traiter l’information, sans vision
européocentriste et en respectant une variété des points
de vue afin d’être en phase avec l’actualité internationale.
Arte Info et les soirées Thema d’Arte aident à la
compréhension au-delà de montrer simplement des
faits. L’unité de programme Thema intitulé Freedom13
traite de l’esclavage au travers entre autre de la saga
Racines 14 qui suit une famille d’esclaves afro-américains
sur plusieurs générations, un portrait de Sydney Poitier
qui fut le premier acteur noir à avoir un premier rôle
dans un film et à obtenir un Oscar, une description du
photographe malien Malick Sidibé et de son travail,
60
l’esclavage qui perdure encore aujourd’hui en Mauritanie
ou encore les émeutes de Soweto, dans la banlieue de
Johannesburg qui, les premières, troublèrent l’apartheid.
« Et comme on dit au Cameroun : même le poisson qui vit
dans l’eau a toujours soif. »
« Et comme on dit au Bénin : un grain de maïs a toujours
tort devant une poule. »
« Et comme on dit en Éthiopie : un seul morceau de bois
donne de la fumée mais pas de feu. »
À la télévision un programme court avait su
s’implanter sur I>Télé entre 2001 et 2007. L’émission
I>Afrique présentée par Joseph Andjou, avait pour
but de redynamiser l’image du continent à travers des
reportages, des interviews, un agenda et des images
des chaînes de télévision africaines. Ces dernières sont
d’ailleurs extrêmement rares en France pour ne pas dire
inexistantes. Le journaliste ponctuait la fin de chaque
émission d’un dicton d’un pays d’Afrique différent,
ce qui a d’ailleurs participé à la popularité du programme.
C’était le seul endroit dans le paysage audiovisuel
français où un Africain parlait de ce continent.
Ce programme se voulait et était plus en phase avec une
réalité de l’Afrique. Ainsi la place des personnes âgées
dans les sociétés africaines était traitée, tout comme
les inventeurs noirs du XIXe siècle, abordant ainsi la
culture, les traditions, les pans oubliés de l’histoire.
Joseph Andjou donne à voir l’Afrique dans son unité.
Les Africains se connaissant sans se connaître,
61
étant à la fois semblables et différents. Pour lui, il faut
que les Africains soient plus cohérents et plus solidaires
pour faire avancer les choses, en développant des actions
de lobbying. L’histoire commune des Africains étant
leur couleur de peau, il faut faire face à cette réalité
et aller de l’avant, s’affranchissant des problèmes de
discrimination à l’intérieur même du continent.
pas l’apanage de l’Afrique en particulier et existent
depuis l’Antiquité. Ceci n’équivaut certes pas à dire que
les Africains sont moins coupables que d’autres ou encore
qu’ils sont des imitateurs de ceux qui les ont précédés.
Nombreux sont les journalistes d’Occident qui
montrent depuis des années la voie d’une couverture
moins terrifiante des questions africaines. La Belge
Colette Braeckmann, grand reporter au quotidien
bruxellois Le Soir, ou l’Irlandais Fergal Keane, journaliste
de la BBC. Sans doute comme l’écrit Keane : « Beaucoup
trop de reportages consacrés à l’Afrique sont tributaires
d’une vision du continent dans laquelle ses habitants sont
des misérables tâches noirs s’étirant sur des décennies,
du Congo des années soixante au Rwanda des années
quatre-vingt-dix. » C’est cette image, et d’autres clichés
du même genre à propos de l’Afrique qu’il convient
d’effacer avant de porter son regard sur ce continent.
En définitive, le problème, c’est davantage la posture
intellectuelle, l’orientation du regard et non pas la réalité
rapportée. Ce qui fait défaut, c’est l’application sans fard
des règles de base du journalisme, ajoutée au respect
minimum dû aux autres. Le journaliste doit essayer
de comprendre les logiques économiques, politiques,
territoriales et les dimensions identitaires, qu’il y a en
Afrique, comme ailleurs. Après tout, les conflits ne sont
62
63
Histoire d’un regard
« Dans cette partie principale de l’Afrique, il ne peut y
avoir d’histoire proprement dite. Ce qui se produit, c’est
une suite d’accidents, de faits surprenants. Il n’existe pas
ici un but, un État qui pourrait constituer un objectif.
Il n’y a pas une subjectivité, mais seulement une masse
de sujets qui se détruisent. Jusqu’ici on n’a guère
prêté attention au caractère particulier de ce mode de
conscience de soi dans lequel se manifeste l’Esprit. »15
« Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est
pas assez entré dans l’histoire. Le paysan africain, qui
depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l’idéal
de vie est d’être en harmonie avec la nature, ne connaît
que l’éternel recommencement du temps rythmé par
la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes
paroles. Dans cet imaginaire où tout recommence
toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine,
ni pour l’idée de progrès. »16
Pour le sociologue Jean-Marc Ela, cet univers de
fantasme dans lequel l’Afrique est perçu en Occident n’a
rien de nouveau. Selon ses dires « L’Afrique n’a jamais
été perçu que négativement ». Et il est vrai que depuis
le philosophe allemand Hegel pour qui « l’Afrique n’a pas
d’histoire » , en passant par Nicolas Sarkozy, l’Afrique
est restée dans l’imaginaire occidental une humanité
qu’il faut domestiquer, le fardeau de l’homme blanc en
résumé. Au-delà du propos de quelques journalistes,
le regard que l’Occident porte sur l’Afrique persiste
depuis des siècles et pose un problème plus général.
64
Du racisme « scientifique »…
« La nature a fait une race d’ouvriers. C’est la race
chinoise d’une dextérité de main merveilleuse, sans
presque aucun sentiment d’honneur ; gouvernez-la
avec justice en prélevant d’elle pour le bienfait d’un
tel gouvernement un ample douaire au profit de la
race conquérante, elle sera satisfaite ; une race de
travailleurs de la terre, c’est le nègre : soyez pour lui
bon et humain, et tout sera dans l’ordre; une race de
maîtres et de soldats, c’est la race européenne. Que
chacun fasse ce pour quoi il est fait et tout ira bien. »17
Bonne année 1904, Anonyme, 1903.
65
À partir de la fin du XIXe siècle, dans un souci
d’éducation, et parce que les colonisateurs européens
pensaient qu’il y avait une différence hiérarchique
entre eux et ceux qu’ils appelaient les « sauvages »,
l’anthropologie et de l’ethnologie se développèrent.
C’est à cette période que se popularisèrent les expositions
ethnologiques que les Européens organisèrent entre autres
avec des Nubiens. Lors des expositions universelles ou
coloniales, Geoffroy Saint-Hillaire18 fut l’un de ceux qui
organisa des « reconstitutions de villages indigènes »
notamment au jardin d’acclimatation de Paris.
Ces exhibitions servaient à construire et ancrer une
imagerie autour du mythe du « sauvage primitif ». Face
à « l’autre » inconnu, se forgea alors un stéréotype qui
visait à légitimer la violence colonisatrice. Un ersatz de
pays d’origine était reconstitué, un lieu où les Soudanais
et Libyens rejouaient des scènes de conquêtes.
Même si certaines personnes exhibées parlaient
français, elles feignaient pour l’occasion de parler
« petit nègre » afin de correspondre aux attentes des
Occidentaux. Il arrivait aussi que des populations
modifient leurs origines, selon le pays d’Europe et donc
selon le colonisateur. Les mêmes Africains, pouvaient
jouer le rôle de Togolais, de Sénégalais, de Nubiens etc.
Les zoos humains entre 1870 et 1931 furent un moyen
d’asseoir la domination européenne sur les pays colonisés.
il constituera, pour la grande majorité des métropolitains,
le premier contact avec l’altérité. L’impact social de ces
spectacles dans la construction de l’image de l’« Autre »
est immense. Il y avaient une volonté de montrer le rare,
66
Timbre émis pour l’exposition coloniale de 1931 en France.
le curieux, l’étrange, toutes les expressions de l’inhabituel
et du différent, et non de provoquer une rencontre entre
différents individus ou cultures.
À l’occasion de ces expositions qui permettaient
à chacun dans les pays colonisateurs de mesurer la
grandeur de l’Empire, des affiches et des brochures
67
étaient conçues afin d’informer les Français, Portugais,
Britanniques et Allemands de l’événement. Ils avaient
aussi la possibilité d’acheter des cartes postales, des
timbres ; souvenirs qui marquaient cette expérience
comme un véritable saut vers l’inconnu, une sorte de
tour du monde express. Dans cette « animalisation »
par l’Occident, la mise en scène de transgressions
des valeurs et des normes de ce qui constitue, pour
l’Europe, la civilisation, est un élément moteur.
La nature d’homme achevé des Africains est niée,
ils sont donc colonisables ; il faut donc les conduire
à l’état d’homme civilisé. Ces expositions sont
l’illustration du discours légitimant l’action coloniale
de l’Occident. L’anthropologie contribuera d’ailleurs
à renforcer cette idée de « races » inférieures.
À partir du XIXe siècle, les travaux scientifiques
démontrent et accentuent sans cesse les ressemblances
supposées entre les Noirs et les singes. Bérenger-Fréaud,
qui exerça en qualité de médecin pendant plusieurs
années au Sénégal, se contenta de remarquer que les
femmes Wolofs possédaient une colonne vertébrale qui les
prédisposaient à être quadrupède plutôt que bipède.
C’est ainsi qu’il en déduit que les Noirs appartenaient plus
au règne animal qu’à l’espèce humaine. La description du
naturaliste Georges Cuvier ne laisse aucun doute quant
à sa propension à considérer l’homme noir comme un
animal, un singe. « Teint noir, cheveux crépus, crâne
comprimé, nez écrasé, museau saillant et grosses lèvres
sont une somme de traits qui le rapproche des singes. »19
68
Affiche pour l’exposition coloniale de Paris de 1906, Firmin Bouisset, Paris.
69
L’angle facial selon Petrus Camper, Dissertation sur les variétés naturelles qui
caractérisent la physionomie des hommes, La Haye, J. Van Cleef, 1791.
Après des mesures sur les crânes d’humains de différentes origines et d’animaux,
Camper conclut que le passage de la bête à l’homme idéal, représenté par
«l’antique grec», se traduit par une ouverture régulière de l’angle facial de 30° à
100°, en passant par des graduations constantes correspondant chacune, à une
race animale ou humaine parfaitement déterminée.
«Il s’ensuit de là — conclut-il — que l’angle de la ligne facéale a dans la nature un
maximum et un minimum, c’est-à-dire une grandeur et une petitesse déterminées
de 70 à 80 degrés; et tout ce que va au-delà est fait d’après les règles de l’art
et ce qui descend au-dessous de 70 degrés donne au visage une ressemblance
aux singes…»
70
71
Le parallèle entre les Noirs et les singes se
généralisera lorsque Cuvier présentera la Venus
hottentot20. Buffon ayant été pionnier de cette
assimilation avec sa description des Hottentots.
« La tête est couverte de cheveux hérissés ou d’une laine
crépue ; la face voilée par une longue barbe, surmontée
de deux croissants de poils encore plus grossiers qui,
par leur largeur et leur saillie, raccourcissent le front et
lui font perdre son caractère auguste, et non seulement
mettent les yeux dans l’ombre, mais les enfoncent et les
arrondissent comme ceux des animaux ; les lèvres épaisses
et avancées ; nez aplati ; le regard stupide et farouche ;
les oreilles, le corps et les membres velus ; la peau dure
comme un cuir noir ou tanné ; les ongles longs, épais et
crochus ; une semelle calleuse, en forme de corne sous
la plante des pieds ; et pour les attributs du sexe, des
mamelles longues et molles, la peau du ventre pendant
jusqu’aux genoux ; les enfants se vautrant dans l’ordure
et se traînant à quatre pattes; le père et la mère assis
sur leurs talons, tous hideux, tous couverts d’une crasse
empestée. » Buffon considère d’ailleurs cette vision
comme un « portrait flatté » de l’Hottentot, la réalité
étant, selon lui sans doute plus terrible.
L’image de la « femme sauvage » assise sur ses
talons, en écho avec la posture de la guenon sera souvent
employée par les explorateurs. La Venus hottentot,
emmenée en Europe par un Anglais, fut exhibée dans
divers cirques entre l’Angleterre et la France. C’est après
sa mort que Georges Cuvier récupère son corps. Après
son autopsie, il le moulera afin de garder une trace de
cette stéatopygie21 et de cette macronymphie22, isolant
le squelette, disséquant le cerveau, prélevant les organes
génitaux dont les caractères particuliers l’intriguaient.23
L’anthropométrie concluera à l’infériorité
intellectuelle du Noir, en raison de la différence
de l’angle facial entre ce dernier et un Européen.
L’ouverture de cet angle indiquant pour les
anatomistes « des instincts nobles et élevés ».
La Vénus hottentot, gravure, vers 1814, collection privée.
72
73
…vers un racisme colonial et « populaire »
Moi monsieur j’ai fait la colo
Dakar Conakry Bamako
Moi monsieur j’ai eu la belle vie
Au temps béni des colonies
On pense encore à toi oh Bwana
Dis-nous ce que t’as pas on en a
Y’a pas d’café pas de coton pas d’essence
En France mais des idées
On pense encore à toi oh Bwana
Dis-nous ce que t’as pas nous on en a
Les guerriers m’appelaient Grand Chef
Au temps glorieux de l’A.O.F.
J’avais des ficelles au képi
Au temps béni des colonies
Moi monsieur j’ai tué des panthères
A Tombouctou sur le Niger
Et des hippos dans l’Oubangui
Au temps béni des colonies
On pense encore à toi oh Bwana
Dis-nous ce que t’as pas on en a
Y’a pas d’café pas de coton pas d’essence
En France mais des idées ça on en a
Nous on pense
On pense encore à toi oh Bwana
Dis-nous ce que t’as pas nous on en a
Entre le gin et le tennis
Les réceptions et le pastis
On se s’rait cru au paradis
Au temps béni des colonies
Pour moi monsieur rien n’égalait
Les tirailleurs Sénégalais
Qui mouraient tous pour la patrie
Au temps béni des colonies
On pense encore à toi oh Bwana
Dis-nous ce que t’as pas on en a
Y’a pas d’café pas de coton pas d’essence
En France mais des idées ça on en a
Nous on pense
On pense encore à toi oh Bwana
Dis-nous ce que t’as pas nous on en a.24
Autrefois à Colomb-Béchar
J’avais plein de serviteurs noirs
Et quatre filles dans mon lit
Au temps béni des colonies
74
75
À partir du début de la première guerre mondiale,
l’utilisation de l’image de l’Africain s’élargit : que ce
soit pour la publicité de produits importés d’Afrique,
des illustration de la guerre en cours ou simplement des
évocations des caractéristiques attribuées aux Noirs. Les
calembours et les jeux de mots sur la couleur noir seront
nombreux. Une femme blanche par exemple fait « nègre
le vendredi » ou « prend son chocolat au lit » évoque
un homme noir dans son lit ; « avoir des noirs » signifie
avoir des bleus, « être noir, être gris » signifie être ivre.
En ce qui concerne les tirailleurs sénégalais,
leur popularité pendant la première guerre mondiale
n’empêchera pas les caricaturistes et illustrateurs de
malmener leur image. Le graphisme consiste toujours
à faire ressortir les grosses lèvres, les cheveux
crépus, les yeux écarquillés et le « petit nègre »25 :
« Eh bien ! Bamboula, li brave poilu, maccache bono :
y’a bon » 26. Cette dernière expression restera dans
les annales au travers des publicités Banania.
Une de Kladderadatsch, 23 juillet 1916, revue satyrique fondée en 1848 à Berlin.
76
77
Au-delà de la dimension économique, les affiches
publicitaires datant de la moitié du XIXe siècle au XXe
siècle donnent à voir l’évolution des relations entre
l’Afrique et l’Occident.
Parmi les affiches les plus marquantes : les campagnes
publicitaires de la marque Banania.
C’est en 1912 que le journaliste Pierre Lardet
rapporte d’un voyage cette boisson à base de cacao,
de farine de banane, de céréales et de sucres.
La première affiche pour la marque présentera déjà
les caractéristiques qui seront récurrentes par la suite.
Banania, c’est le fond jaune qui rappelle la couleur des
bananes, le tirailleur sénégalais avec son large sourire, la
chéchia rouge au pompon bleu pour évoquer le patriotisme
français et le nom de la marque inscrit en capitales bleues.
Le slogan « Y’a bon.. », apparut en 1925, disparaîtra
dans les années 1980. Sur cette première affiche le visage
du tirailleur n’était pas stylisé, pas plus que son attitude
d’ailleurs. Vers 1920, le tirailleur disparaît pour laisser
sa place à un serviteur Noir portant un tablier. Ce dernier
apporte une tasse de Banania à un enfant enthousiaste. La
supériorité de l’enfant blanc est clairement montrée, car il
domine l’homme Noir. Le visage poupin de l’enfant permet
de l’exclure du monde des adultes.
Affiche Banania, Anonyme, Strasbourg, 1917.
78
Publicité Banania, Jolliot, l’Illustration numéro 4182 du 28 avril 1923.
79
80
À partir de ce moment le slogan insiste davantage
sur le côté « remède » du produit. En 1930, un tournant
s’amorce ; le dessinateur commence à styliser les traits du
tirailleur. L’affichiste Sepo créera ainsi la figure suivante
de Banania. Désormais la tête du tirailleur apparaît
suspendue dans le vide, la main tient la cuillère tel qu’on
le verra aussi par la suite.
Vers 1957 Hervé Morvan rajeunit l’image de marque
de Banania. La tête d’un tirailleur est simplifiée à
l’extrême, ainsi que ses mains. Son corps est formé par
deux bananes accolées dos à dos. Le visage du personnage
n’est plus brun, mais totalement noir. Il ne reste plus que
le sourire et la chéchia du tirailleur de 1917. Dorénavant
les yeux sont aussi présent que le reste et pour la première
et dernière fois la pompon sera à gauche. Cette affiche ne
sera pas conservée en l’état.
Affiche Banania, Anonyme, Paris, 1925.
Affiche Banania, Hervé Morvan, Paris, 1961.
81
Par la suite, Morvan concevra une nouvelle affiche
où la peau est à nouveau brune, le pompon de la
chéchia à droite, le fond jaune ainsi que le slogan « Y’a
bon.. » Sur cette affiche renouvelée, les mains avaient
une plus grande importance, permettant d’attirer
notre attention sur la tasse fumante de Banania. Cette
affiche percutante marqua autant les esprits que son
prédécesseur. Vers 1980, le tirailleur stylisé se change
en écusson. Un personnage emprunté au registre des
dessins animés Walt Disney prendra sa place. De grands
yeux, des pommettes saillantes, un sourire qui ne sont
pas sans rappeler le tirailleur sénégalais. Le slogan
ne résistera pas à l’heure où les Noirs s’imposaient
dans la publicité. Étrangement la version actuelle des
emballages de la marque reprend un tirailleur plus
stylisé que jamais, les yeux écarquillés, un large sourire
avec des lèvres rouges pour compléter le cliché. Les
couleurs rouge, bleu et jaune sont toujours conservées.
Autre point de vue du colonialisme : la bandedessinée de Tintin au Congo, publiée en 1930. Le
Congo Belge27, territoire quatre-vingt fois plus grand
que la Belgique manque de main d’œuvre. Aussi, Hergé
sous l’influence de l’abbé Wallez, directeur du Petit
Vingtième entreprit d’écrire l’album afin de faire de
la publicité. L’importance de l’imaginaire autour de
l’Afrique y prend toute son importance lorsqu’on voit le
nombre de clichés colonialistes. Chasse aux lions, aux
crocodiles ; Tintin donnant un cours d’histoire/géographie
aux Congolais sur « Votre patrie, la Belgique » ;
Affiche La Negrita Rhum, Paris, 1892.
82
83
Tintin au Congo, extrait de Les aventures de Tintin reporter au Petit Vingtième
au Congo, Hergé, 1931, supplément du journal Le Vingtième Siècle.
84
85
missionnaires gérant des écoles et des hôpitaux, etc.
En 1946, Hergé remanie la version, réduisant
le nombre de planches, limitant les clichés
colonialistes, notamment en transformant la
leçon de Tintin en cours de mathématique.
La femme noire n’est pas laissée en reste. Dans
la publicité, elle oscille entre deux variantes : soit la
domestique, soit le fantasme sexuel offert au désir de
l’homme. La femme noire est vue comme une personne
à la plantureuse poitrine qui traîne au sol, une impudeur
innée lui faisait préférer déambuler nue plutôt que de se
soucier de sa toilette. Le mythe d’une femme sensuelle,
soumise aux charmes des Français restait de mise.
La première variante se trouve dans la publicité pour
le rhum Negrita (soit « la petite négresse ») qui est alors
une humble servante ; allusion à l’exotisme du lieu de
production. Du reste, je constate que même si l’image
de cette femme noire a considérablement évolué sur
les affiches, elle est en revanche restée la même sur les
étiquettes. La seconde variante prend place, entre autres
sur les affiches faisant la promotion des « revues nègres » ;
revues intitulées « danse sauvage » dans lesquelles les
chorégraphies consistaient en des mouvements lascifs et
suggestifs, interprétés par des danseuses quasiment nues,
contrairement au music-hall parisien où le burlesque était
de mise.
Affiche de la Revue Nègre au Music-Hall, Paul Colin, Paris, 1925.
De fait, à partir du XIX siècle, l’imaginaire colonial
répondit aussi à un certain nombre de réflexes iconiques.
Le noir et le blanc furent des signes, des pôles de
e
86
87
référence dans les choix des couleur qui formèrent
un ensemble de codes, de repères spécifiques.
Le noir symbolise le négatif et le mal, tandis que
le blanc représente le positif et le bien. C’est donc tout
naturellement que la relation homme blanc/masse noire
s’intègre dans ce mécanisme imagé. L’opposition entre
les Noirs et les Blancs est accentuées par les tenues
vestimentaires. Les Noirs portent souvent des tenues de
serviteurs ou rayées des esclaves, alors que les Blancs
portent plutôt des vêtements unis.
Ces différents éléments de l’image constituent
une mise en scène du colonisé et du Blanc, mais aussi
des colonisés entre eux qui vont marquer durablement
la production iconographique coloniale. Les visages
en gros plan des personnages noirs, insistent sur les
stéréotypes raciaux en les rendant presque monstrueux.
Les caractéristiques physiques caricaturées, les yeux
exorbités, les lèvres lippues, les dents toutes dehors,
le nez exagérément épaté, sont associées à l’idée
d’infériorité soulignée par le langage « petit nègre »,
signe de l’incapacité des Noirs à assimiler pleinement la
culture occidentale. Le colonial est naturellement mis en
valeur, placé dans une situation favorable, il est soit plus
grand, soit en position dominante dans la construction
de l’image.
Le colonisé est bien souvent placé à droite de l’image,
le côté négatif car dans l’imaginaire judéo-chrétien, les
bons sont assis à la droite de Dieu, c’est-à-dire à gauche,
par effet de miroir. Les colonisés sont représentés en
foules « grouillantes », c’est la masse qui domine, alors
88
que l’Européen est le plus souvent individualisé.
Très vite, pour renforcer l’idée que le colonisé est plus
proche de l’état de nature que de l’état de culture,
il est souvent représenté nu, sauf quand il est censé
être christianisé où il est tourné en dérision, habillé
maladroitement à l’occidentale. Cet anonymat des
« Indigènes », se retrouve dans les présentations de
profil, de dos, qui occultent le visage et insistent sur la
puissance physique du corps. L’utilisation d’accessoires
associés aux personnes procède du même fonctionnement:
l’anneau dans l’oreille pour les « sauvages », l’os dans les
cheveux ou dans le nez pour les « anthropophages » ou
les Kanak, les armes pour les guerriers « sanguinaires. »
Enfin, dernier élément d’association, la proximité avec
l’animal. La culture, symbolisée par l’Occident, rencontre
la nature d’où émerge l’indigène. Ce dernier, comme
les animaux sauvages, est une bête curieuse que l’on
vient voir, que ce soit au Jardin d’Acclimatation ou tout
simplement à l’Exposition universelle de 1900 à Paris.
L’image des Noirs dans la publicité, que ce soit
des affiches, des « chromos », des buvards ou des
emballages, faisait systématiquement référence au
corps noir, qui synthétisait toutes les phantasmes. Que
ce soit la malédiction de Cham28 ou la physiognomonie,
chacune de ces approches idéologiques participeront
à justifier la domination économique, politique,
culturelle, sexuelle des Blancs sur les Noirs.
89
Les sources de l’histoire de l’Afrique
Les sources pour retracer l’histoire de l’Afrique
sont très disparates. Jusqu’au XVIIIe siècle,
la difficulté à trouver des traces, des documents,
pousse l’historien parfois à extrapoler.
Pendant la période coloniale, l’histoire n’était que très
peu, pour ne pas dire pas du tout, considérée. Elle
faisait partie alors de ce que l’on appelait l’« histoire
universelle ». À cause du manque de documents
écrits et d’archéologie monumentale, les historiens
européens considéraient l’Afrique comme un continent
sans histoire. Et la discipline étant fondée sur l’étude
des écrits, l’histoire africaine ne commença, pour les
historiens occidentaux, qu’à partir du moment où ils
se mirent à l’écrire. L’écriture permettait de stabiliser
une affirmation originale. En somme tout le contraire
de la tradition orale, plutôt de mise sur le continent,
qui, par essence même, est en perpétuel mouvement.
Après l’accession à l’indépendance, après la seconde
guerre mondiale, le nationalisme africain apparaît.
Les historiens africains souhaitent acquérir une identité
culturelle propre. Dans ce but, ils regroupent les faits
historiques du passé africain afin d’en faire une critique
pour saisir les événements dans leur véritable contexte.
« Le devoir de l’historien est de donner une
image véridique de l’histoire — image nécessaire
à la prise de conscience historique des masses
dans leur lutte pour l’indépendance nationale,
politique, économique, sociale et culturelle ».29
90
91
Comme n’importe quel historien, l’historien
africain se doit de rapporter des faits réels. Toutefois,
il doit tenir compte des possibles altérations de ce
passé découlant des préjugés, de la dépendance
d’une grande partie de l’Afrique et d’une ignorance
réelle ; d’autant plus que l’histoire de l’Afrique
fut durant la colonisation, un élément quasiment
anodin dans l’histoire du pays colonisateur.
Les documents écrits
Il y a moins de documents écrits en Afrique que sur
les autres continents. La majorité des documents écrits
sont d’origine étrangère, ils doivent en conséquence
être réinterprétés dans une perspective africaine.
Même s’ils sont effectivement moins nombreux, il sont
surtout très disparates selon les régions et les périodes.
Ainsi on compte : les sources antiques (égyptiennes,
nubiennes, et gréco-latines) ; les sources arabes ; les
sources européennes ou soviétiques ; les sources africaines
« récentes » (méroïtiques, éthiopiennes, en langue ou en
écriture arabe, en écriture africaine moderne, en langue
européenne…) ; les sources asiatiques ou américaines.
Les sources arabes datent du VIIIe siècle. Elles sont parmi
les plus importantes et les plus anciennes et concerne
l’Afrique musulmane. Les principaux auteurs, qui ne
sont pas tous arabes, Masoudi, Ibn Hawkal, Al Bakri, Al
Adrisi, Aboulfeda, Al Omari, Ibn Battouta, Ibn Khaldoun,
92
AI Hasan (I. Léon l’Africain), Mahmoud Kati, Es Saadi.
L’Institut d’Études Africaines du Ghana a découvert
des centaines de documents écrits, et notamment, un
document Haoussa relatant les origines des royaumes
Mossi. De même, les Universités d’Ibadan et Kaduna
ont constitué un corpus encore plus important. Les
sources en Swahili sont recherchées aussi avec intérêt,
et dans les bibliothèques du Maghreb, du Proche et
du Moyen-Orient, il est probable que les publications
maintenant disparues, des universités médiévales du
Soudan Occidental, existent au moins sous forme de
reproductions, de traductions en turc, en persan, etc.
Les sources européennes, à partir du Moyen-Âge, ne
manquent pas non plus.30 Ces sources viennent ainsi
compléter les sources arabes. Les fonds privés sont
encore à exploiter, dans les familles des ports négriers,
dans les maisons mères des Sociétés missionnaires,
dans les archives du Vatican et chez les héritiers des
premiers voyageurs. Il faut aussi tenir compte des
sources portugaises et de la littérature d’Amérique
Latine exploitable à cet égard. De plus, il faut citer les
documents d’origine proprement africaine comme les
récits historiques du Sultan Njoya, en écriture Bamoum.
Considérer que l’Afrique Noire est un territoire
sans écriture serait une erreur. En effet, même
si le continent africain n’a pas une écriture à
large diffusion, cela n’empêche pas l’invention
relativement récente d’alphabets dont la graphie
trouve ses origines il y a des millénaires. Parmi les
93
écritures africaines les plus connues on notera
la Vaï qui apparut en 1833 au Libéria, l’écriture Mende
en Sierra Leone, l’écriture Nsibi du sud-est du Nigéria
ou encore l’écriture Bamoum au Cameroun. Ces écritures
se lisent pour la plupart de gauche à droite. La fonction
de ces écritures est probablement la raison de leur
importance toute relative en Afrique. En effet, il ne s’agit
pas de conserver une trace écrite de l’oral ; il s’agit de
figurer ce que la parole ne dit pas. La rareté actuelle
des documents écrits est cependant l’un des principaux
problèmes de l’historiographie africaine.
Il s’agit au travers des différentes sources
d’envisager chaque élément, même le plus anodin
comme historique. En accord avec l’évolution de la
discipline en Occident, l’histoire n’est pas seulement les
grandes guerres, les hommes politiques, les traités, etc.
Le banal participe aussi à une meilleure connaissance
historique. Une histoire poly-sources et polyvalente
prend en compte toutes les traces humaines laissées
par l’homme. Plutôt que les termes « Préhistoire »,
« Protohistoire » ou « Ethno-histoire », il faudrait préférer
le mot « d’histoire sans textes »31. En effet, rien ne dit
que l’histoire sans textes soit moins valable du strict
point de vue de la compréhension, de l’explication et de
la restitution du passé. Les traces archéologiques sont
parfois des témoins plus sûrs par rapport au témoignage
écrit de l’historien interprétant la réalité exhumée.
Sans nier l’importance fondamentale des écrits,
les « témoins malgré eux » dont parle Marc Bloch
Signes graphique vaï, L’Afrique dans l’Antiquité, Théophile Obenga,
Présence Africaine, Paris, 1973.
94
95
sont souvent plus éloquents et moins sujets à
caution que les relations écrites qui sont parfois
laissées pour les besoins de la cause. En fait,
l’historiographie africaine entre en scène
à un moment où une révolution s’opère dans la conception
générale de l’histoire : l’histoire se voulant plus globale.
La tradition orale
« Aussi loin que nous remontons dans le temps, une forme
d’histoire existe, l’histoire c’est, si l’on veut, la mémoire
collective du groupe. La mémoire du groupe travaille par
élimination, comme la mémoire individuelle. Collective elle
aboutit donc à un discours qui permet une récitation, une
remémoration collective de l’essentiel. »32
Les sociétés africaines, à l’exception de celles situées
au nord du Sahara, étaient des sociétés où la mémoire
était transmise oralement d’une génération à une autre.
C’est pourquoi il est essentiel d’aborder les problèmes
présentés par les traditions orales que l’on considérera
ici comme « tous les témoignages oraux concernant le
passé qui se sont transmis de bouche à oreille » 33. Ces
témoignages sont non seulement des sources capitales
pour l’histoire des peuples où l’écriture n’est pas autant
privilégiée qu’en Occident, mais aussi des sources à
l’origine d’écrits de l’Antiquité et du Moyen-Âge.
La tradition orale reste encore une source historique
qui porte à polémique en raison de l’absence assurée de
96
relations causales assurant leur crédibilité.
Mais la plupart des historiens de l’Afrique admettent
maintenant la validité de la tradition, même si beaucoup
la considèrent comme moins dense que les sources écrites,
ou la recoupe avec une autre source pour confirmer sa
validité. De nombreux auteurs, comme H. Deschamps,
J. Vanisna, D.F. McCall, Person considèrent la tradition
orale comme une source aussi respectable quoique en
général moins précise que les écrits. Dans certains cas et
avec une méthodologie appropriée, elle apporte le degré
de certitude qu’on attend normalement de la connaissance
historique. Le problème n’est donc pas de savoir si elle
est valable à priori, ou si elle doit bénéficier ou non
d’appuis extérieurs, mais de construire la méthode propre
à distinguer les traditions et à sélectionner avec certitude
celles qui sont dignes de servir de sources pour l’histoire.
La tradition est souvent auto-controlée par les
nombreux témoins qui veillent à sa conservation. Ce
n’est pas une personne ou une famille seulement qui
en est garante, c’est toute une communauté qui en
assure le bon aloi. La critique interne de la tradition est
possible, si l’on connaît la typologie des témoignages
transmis et la technique de la littérature orale avec ses
stéréotypes, ses métaphores et ses formules ésotériques.
Chaque type a ses canons et sa présentation formelle
qui a pu évoluer au cours des âges, si bien que le style
trahit parfois l’âge du document oral. Les études de
ce type devraient être multipliées et les techniques
de collecte des textes oraux perfectionnées.
97
Les vestiges archéologiques
Les témoignages archéologiques sont un moyen
de comprendre les activités humaines. Cependant,
l’archéologie souffre en Afrique, outre du manque de
moyens, d’handicaps dûs à la fragilité du terrain et à la
violence de l’érosion. Il faut compter avec les ravages
des termites, la rouille et la désagrégation chimique
par l’humidité et l’acidité des sols, l’absence de fossiles
directeurs, les saccages des profanes. Néanmoins, des
techniques telles que le Carbone 14 ou le test au fluor,
permettent de donner des approximations chronologiques
satisfaisantes. Signalons enfin le triste sort réservé, en
raison des impératifs du développement économique, aux
monuments et vestiges de Nubie, à jamais enfouis après
la mise en service du haut barrage d’Assouan et cela
malgré l’effort (suscité par l’Unesco) de certains États ou
organismes privés.
Malgré tous ces handicaps, l’archéologie a largement
contribué à l’histoire africaine. Certains archéologues
ont parfois exhumé des civilisations entières, apportant
parfois des confirmations à la tradition orale, par exemple
en pays Louba. Ce peuple racontait, en effet, que toutes
leurs chefferies étaient issues d’un prototype situé dans
la région du lac Kisalé. Et, l’archéologie y a effectivement
découvert d’immenses cimetières contenant les restes
d’une culture du fer et du cuivre, et d’une économie basée
sur la pêche et le commerce dès le VIIIe siècle. Même
concordance à Bweyoréré, l’une des premières capitales
des rois de l’Ankolé dont l’emplacement avait été repéré
98
par R. Olivier grâce à la tradition orale. Les fouilles de
M. Posnansky ont vérifié la conformité de la tradition qui
faisait état de deux occupations successives de ce site.
Bien d’autres exemples démontrent que
l’archéologie corrobore les faits cités lorsqu’elle est
mise en rapport avec d’autres sources. Elle a aussi
permis de mettre à jour les vestiges d’objets d’art
et d’artisanat d’Afrique. Mais, depuis la fin du XIXe
siècle, on assiste à une véritable razzia initiée par
Paul Torday, Léo Frobénius et Marcel Griaule.
Les arts premiers en Europe
À partir du XVe siècle, les navigateurs portugais
explorent l’Afrique et découvrent peu à peu les arts
africains. Ces navigateurs arrivent accompagnés de
missionnaires chrétiens qui veulent convertir les peuples
autochtones qualifiés de « barbares. » Les objets d’art
sont considérés comme des fétiches. C’est dans cet esprit
de reconversion que des milliers d’objets traditionnels
africains furent détruits. Les arts africains ne présentant
aucun intérêt pour les Européens furent assimilés aux
outils des hommes préhistoriques.
Dans leur contexte originel, ces artefacts étaient
des créations symboliques en lien avec les traditions
religieuses ou sociales. Ainsi, certains masques ne peuvent
dévoiler leurs capacités que lorsqu’ils sont en mouvement,
pendant une danse rituelle par exemple. Les arts africains sont donc symboliques ; ils sont d’une
99
100
Fétiche, Yombe, Zaïre, bois et matériaux divers, Musée royal de l’Afrique centrale,
Masque Ioniakê, Tusyan, Burkina-Faso, bois fibre végétales et graines, Musée
Tervuren, Belgique.
Barbier-Müller, Genève.
101
certaine manière une écriture, c’est-à-dire un ensemble
d’objets considérés comme des signifiants. Ainsi, l’objet
est proprement un objet-symbole, c’est-à-dire un
caractère qui induit une modification du sens courant
de la notion d’écriture, de sorte que celle-ci ne s’entend
plus uniquement comme étant la transcription d’un signe
abstrait sur une surface plane. Les objets africains sont,
en effet, des idéogrammes dont la possession des codes
d’interprétation est nécessaire pour leur compréhension.
Les arts africains se sont exprimés surtout dans le bois,
matière très fragile sous ces climats. On notera l’aide que
peut apporter l’histoire pour une interprétation correcte
des données par l’artisan, l’anthropologue, l’étudiant en
religions, etc. Ainsi, le fait de savoir qu’au Bénin, la même
corporation d’artisans travaillait l’ivoire et le bois, tandis
qu’une autre utilisait la terre cuite et le bronze, est une
donnée historique importante pour l’interprétation des
styles. Mais ici comme ailleurs, on n’arrive pas souvent
à des conclusions catégoriques.
Dans les années 1920, ces objets deviennent des
œuvres « d’art nègre. » Puis, avec le soutien d’André
Malraux, ils deviennent des œuvres d’art à part entière.
En 1966, à l’occasion du festival des arts nègres à
Dakar, le ministre français de la culture prononça un
discours appelant à la reconnaissance de l’art africain
qu’il qualifia de « Grand art » comparable à l’art grec
de l’époque de Périclès et à l’art roman. Dès lors, il ne
sera plus question que d’arts africains. La notion même
d’arts dits « premiers » ou « primitifs » semble n’exister
qu’en Occident alors que dans leur pays d’origine, ces
102
objets sont considérés comme de l’artisanat. Le statut
d’œuvre d’art est une invention de l’homme tout comme
l’histoire. Ainsi la relation esthétique que les Européens
entretiennent avec ces objets participent à leur nouveau
statut. Le terme de « premier » succède aux appellations
de « sauvages, exotiques, nègres, primitifs. » Il
souhaite s’approcher du côté tribal, sans pour autant
effectuer de comparaison avec l’art occidental afin de les
considérer comme les premières créations de l’histoire
de l’art.
Notes
1. Theophile Kouamouo, Entrevue accordée à RFI , août 2008.
2. Réponse de Théophile Kouamouo sur son blog http://kouamouo.ivoire-blog.com.
3. Etum du blog http://africa2point0.com
4. Hilaire Kouakou du blog http://hilairekouakou.blogspot.com/
5. Nouvelles technologies de l’information et de la communication.
6. Mohamed Billy du blog http://mohamed-billy.blogspot.com/
7. Afrigator est un agrégateur/réseau social pour les bloggeurs, podcasteurs, etc.,
africain, lancé en avril 2007 par Justin Hartmanet basé à Johannesburg.
8. http://www.congoblog.net/
9. http://leblogdeyoro.ivoire-blog.com/
10. Le numéro de mars 2009 de Jeune Afrique (n°282) fut interdit à la diffusion
en Algérie, l’un des dossiers traitant des rapports de Boutefklika, des décisionnaires
militaires et de l’influence de ces derniers dans l’élection et la réélection du
président algérien.
11. Traduction: «Trop dangereux, pas assez intéressant… l’Afrique profonde, tu
vois… le milieu de nulle part.» Extrait de l’article «De la françafrique à la maffiafrique»,
publié le 29 juillet 2002 (première publication le 17 mai 2002) par Jean-François
Dupaquier paru dans n° 21/22 (mai/août 2002) de la revue Mouvement.
12. Photographie publiée dans le New York Times en 1993, prix Pulitzer en 1994
13. Émissions Au loin, la liberté, Racines, Vies d’esclaves, La boxe, mon combat,
Jack Johnson, Le champion qui divisa l’Amérique, Soweto, Les swenkas, Wattstax,
Citizen King, Sidney Poitier, première star noire à Hollywood, Les tabous de l’esclavage,
Malcom X, Mission Nollywood, Malick Sidibé diffusées entre le 1er juin et le 11 juillet
2008 sur Arte.
14. Titre original: Roots, série américaine créée en 1977. Racines s’inspire du livre
éponyme écrit par Alex Haley. Dans ce dernier, Haley narre le destin de la famille Kinte,
103
qui est en réalité la sienne. En effet, au cours des années soixante, Haley a appris de ses
parents que le premier esclave de la famille s’appelait Kunta Kinte. Retraité, il entreprit
de longues recherches parvint à retrouver dans les archives le nom et la provenance du
bateau sur lequel son ancêtre avait été embarqué.
15. La raison dans l’histoire, Friedrich Hegel, Hatier, 2000.
16. Allocution de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, prononcée à
l’Université de Dakar, 26 juillet 2007.
17. La réforme intellectuelle et morale, Ernest Renan, Complexe, 1999.
18. Étienne Geoffroy Saint-Hilaire (Étampes 1772-Paris 1844) naturaliste
français ayant contribué au développement de l’anatomie comparée des animaux et
de l’embryologie, et ayant également pris part à la genèse de la notion d’évolution
biologique. Il fréquente les cours de Jussieu et de Daubenton. Ce dernier le fait nommer,
en mars 1793, démonstrateur au Jardin du roi. En juin 1793, cet établissement devient
le Muséum national d’histoire naturelle, et à vingt et un ans Geoffroy Saint-Hilaire y
est nommé professeur de zoologie et donne les premiers cours sur les mammifères et
les oiseaux. Il achète les animaux de la ménagerie du roi à Versailles, d’autres exhibés
dans des foires, et crée ainsi la ménagerie du Jardin des Plantes.En 1795, Haüy lui
recommande un jeune provincial doué, Georges Cuvier. Geoffroy Saint-Hilaire le fait
venir à Paris, lui trouve un poste au Muséum. Ils travaillent ensemble et publient
notamment Histoire naturelle des orangs-outans et Sur les espèces d’éléphants (1795).
19. Anthropologie du racisme. Essai sur la genèse des mythes racistes, Xavier
Yvanoff, L’Harmattan, Paris, 2005
20. De son vrai nom Saartjie Baartman, elle fut arrachée à son pays d’origine,
la colonie du Cap de Bonne Espérance.
21. Dont le tissu adipeux est très développé au niveau des fesses; qui a de très
grosses fesses.
22. Dont les organes génitaux sont protubérants.
23. La loi du 21 février 2002 a rendu possible le transfert de la dépouille de Saartjie
Baartman vers son pays natal, l’Afrique du Sud. Ses restes ont ainsi été restitués avant
de faire l’objet d’obsèques solennelles, le 9 août au Cap, sa province natale.
24. Le temps des colonies, Album La vieille, Michel Sardou, 1976,
paroles Michel Sardou et Pierre Delanoë, musique Jacques Revaux.
25. Langue véhiculaire utilisée au début du XXe siècle dans certaines colonies
françaises consistant en une version simplifiée du français.
26. Extrait d’une illustration de Jean Chaperon datant de 1918.
27. Nom de l’actuelle République Démocratique du Congo entre 1908 et 1960.
28. Extrait de la Bible, Ancien testament, la Genèse, chapitre 9, verset 20-27.
«Noé commença à cultiver la terre, et planta de la vigne.
Il but du vin, s’enivra, et se découvrit au milieu de sa tente.
Cham, père de Canaan, vit la nudité de son père, et il le rapporta dehors à ses deux frères.
Alors Sem et Japhet prirent le manteau, le mirent sur leurs épaules, marchèrent à
reculons, et couvrirent la nudité de leur père; comme leur visage était détourné, ils ne
virent point la nudité de leur père.
Lorsque Noé se réveilla de son vin, il apprit ce que lui avait fait son fils cadet.
104
Et il dit: Maudit soit Canaan! qu’il soit l’esclave des esclaves de ses frères!
Il dit encore: Béni soit l’Éternel, Dieu de Sem, et que Canaan soit leur esclave!
Que Dieu étende les possessions de Japhet, qu’il habite dans les tentes de Sem,
et que Canaan soit leur esclave!»
La malédiction de Cham alimente la polémique selon laquelle les Noirs, descendants de
Cham seraient noirs pour être punis des pêchés que celui-ci a commis, à savoir d’avoir
abusé sexuellement son père. Cette théorie aurait été le point de départ pour cautionner
la traite des Noirs et l’esclavage.
29. Article Devoirs et responsabilités des historiens africains, M. Achufusi, numéro
27/28, Paris, 1959.
30. Cresques Abraham figurera d’ailleurs l’Empereur du Mali sur un portulan.
31. Encyclopédie de la Pléiade, Éditions Gallimard, publiée depuis 1955.
32. Histoire quantitative, histoire sérielle, Pierre Chaunu, dans Cahiers des Annales,
n°37, Paris, 1978.
33. De la tradition orale. Essai de méthode historique, dans
les Annales du Musée Royal de l’Afrique Centrale, Série in-8°,
Sciences humaines, n°36 - Jan. Vansina, Tervueren, 1961.
105
Partie 3.
Les publications
sur l’Afrique
106
107
Les supports éditoriaux
Les maisons d’éditions spécialisées
On peut considérer les livres comme le premier
moyen d’accéder à cette histoire africaine si complexe et
plurielle. En l’occurrence ce n’est pas vraiment les maisons
d’éditions ou les collections spécialisées qui manquent.
Il y a les éditions L’Harmattan et Présence Africaine, puis
les éditions Karthala et la collection Terre humaine des
éditions Plon. Cette partie ne se veut pas un catalogue
de toutes les maisons d’édition existantes, mais plutôt
une analyse de l’existant afin de comprendre ce qui fait la
spécificité de ce type d’ouvrage, l’originalité de certaines.
La collection Terre Humaine fut fondée par
l’ethnologue et géographe Jean Malaurie en 1955.
Cette collection réunissait les récits des confrontations
d’un auteur et de son périple. Il s’agissait pour J. Malaurie
d’une sorte d’anthropologie réflexive « proche des
hommes et à la portée du public », une sorte de Comédie
humaine de toutes les civilisations, écrite dans la lignée
des Balzac, des Zola, « une chronique des mœurs de
la vie contemporaine. » Cette collection met en avant
l’expérience, l’exploration, la littérature de voyage,
d’où une ambiguïté entre sciences sociales et littérature
qui a sûrement participé au succès de la collection.
Elle s’est enrichie par la suite d’une collection de poche
(Pocket-Terre humaine) et de la collection Courant de
pensée qui réunit des textes inédits des auteurs principaux
de Terre Humaine. Terre Humaine n’a jamais eu pour but
de ne parler que du continent africain, il s’agissait plutôt
108
109
d’être un porte-parole de tous les peuples considérés
comme opprimés à travers le monde. Jean Malaurie
confrontait pour la première fois dans le monde de
l’édition sur un plan d’égalité la « civilisation du livre »
et les « civilisations sans écriture ». C’est la passion qui
anime Jean Malaurie et qui donne à cette collection ce
regard à part, explorant tous les traits de ces civilisations,
y compris les moins glorieux. Il est utile d’évoquer aussi la
façon dont Jean Malaurie a su diversifier les supports avec
entre autre des fonds documentaires, mais aussi des films
documentaires qui améliorent la précision des faits.
Je dois évoquer un élément qui a attiré mon attention,
peut-être en tant qu’amatrice de livres : les titres des
livres. En effet, l’imaginaire entretenu autour des livres
de cette collection est très éloigné, de celui des ouvrages
habituels d’histoire, d’ethnologie, d’anthropologie.
Quel que soit le titre du livre, le côté sibyllin, presque
poétique, intrigue et laisse une place au lecteur potentiel.
L’invitation et la curiosité sont privilégiées plutôt que
l’explicité sans pour autant trahir l’objet du livre. Les
derniers rois de Thulé, L’été grec ou Le souffle du mort :
on oscille entre une vision métaphorique et un traitement
explicite. Devant l’impossibilité de résumer un livre en
quelques mots dans le titre, il doit donner envie de lire, et
son choix est à la fois celui de l’auteur et de l’éditeur.
La mort sara, Robert Jaulin, Plon, Paris, 1992.
110
111
Les éditions Karthala, quant à elles, proposent
dès 1980 des questionnements de sciences humaines,
politiques et sociales consacrées à l’Afrique, au monde
arabe, à l’Amérique latine et aux Caraïbes. La collection
Méridiens est une synthèse sur un pays d’Afrique,
d’Asie, des Caraïbes ou d’Europe de l’Est. Il s’agit
d’une vulgarisation (dans le bon sens du terme) ; ces
ouvrages s’adressent plus à un public de néophytes
voyageurs ou curieux qu’à un public de spécialistes.
D’une autre manière, la maison d’éditions Présence
Africaine, créée en 1949, dirigée aujourd’hui par Yandé
Christiane Diop, fut un moyen de fédérer les penseurs,
écrivains et autres intellectuels du monde noir afin
de faire circuler leurs œuvres. Les livres publiés chez
Présence Africaine sensibilisent et questionnent les
thèmes de la colonisation, de la vie publique africaine,
les esthétiques africaines et les histoires africaines.
La Guinée, Muriel Devey, éditions Katharla, collection méridiens, Paris, 1997
112
Les titres de L’Harmattan concernent aussi bien
la philosophie, la littérature que les sciences humaines
ou politiques. Fondée par Denis Bernard Désiré Pryen,
la maison d’édition a fortement participé à la visibilité
de l’Afrique noire. En effet, il existe une Maison de
l’Amérique latine, un institut du Monde Arabe, mais
aucun organisme pour promouvoir l’Afrique noire.
Malgré la qualité de L’Harmattan, très peu d’ouvrages
sont vendus en Afrique. Les coéditions avec une maison
d’édition du continent africain est quasi impossible à cause
du manque de structures. Les coups élevés des livres et
113
du transport n’arrangent pas les choses. La coédition
permettrait un investissement financier moins fort par
titre et une diffusion mieux gérée. Là encore, il faudrait
réviser la question des subventions qui sont inexistantes
pour 300 ou 400 exemplaires, empêchant ainsi la
recherche d’être diffusée. En Afrique ce n’est pas un livre
qu’il faut aider, mais un éditeur dans les investissements
qui lui sont nécessaires. Plutôt que de subventionner
un auteur qui profite de ses bonnes relations avec les
pouvoirs, c’est l’éditeur qu’il faudrait aider. Au delà de
cela, le livre sur l’Afrique a encore du mal à percer en
France. Les Africains vivant en France ne s’intéressent
pas outre mesure à l’Afrique, hormis leur pays d’origine.
Cela correspond donc à des micro-marchés.
Pourtant les études africaines sont encore demandées.
En revanche, les contrats des auteurs de L’Harmattan
peuvent prêter à débat. Les auteurs ne perçoivent pas de
droits d’auteur et doivent souvent faire la maquette de
leur livre. Du côté de la maison d’édition, ceci se justifie.
Ce système permettant selon leurs dires, d’éditer des
livres qui seront probablement peu vendus.
Le vocabulaire formel, s’il en est, de L’Harmattan,
est assez symptomatique de ce que l’on voit dans le
domaine de l’édition de livres sur l’histoire et de l’Afrique
en l’occurrence. Il semblerait que la ligne graphique de
L’Harmattan ait très peu changé depuis sa création, et
les variantes entre les collections (À la rencontre de…,
Études africaines, Afrique 2000, etc.) dans les thèmes qui
nous intéressent sont quasi insignifiantes. Les premières
114
de couvertures sont monochromes, orange pour Le Mali
de Joseph Roger de Benoist. Une simple photographie en
noir et blanc de ce que l’on suppose être une Malienne
avec son enfant, comme entrée en matière sur le pays en
question. Comme pour la plupart des livres, on peut lire
sur la quatrième de couverture, un bref résumé de ce que
l’on trouvera à l’intérieur, suivi par une mini-biographie
de l’auteur qui permettra de cautionner son propos. Le
livre commence par une carte générale du Mali, suivi
par la définition des sigles et acronymes. Par la suite,
le récit sur le Mali commence, parfois ponctué par
des cartes géographiques en noir et blanc. Au milieu,
sont regroupés des photographies en noir et blanc sur
des thèmes divers et variés. Le livre se termine par
différentes annexes, l’index et la table des matières.
Les ouvrages d’ethnographie, d’anthropologie,
d’histoire entretiennent un rapport difficile avec l’image.
Alors, les visuels sont assez rares dans des propos où
cela semblerait évident. D’autre part le rapport au
design graphique est quasiment inexistant, ce dernier
est sûrement vécu comme un parasite à un propos
sérieux pour les uns, ou alors un luxe sans grande
importance pour les autres. Le manque de photographie
peut être frustrant pour le lecteur, mais cela n’est
parfois qu’un exemple des difficultés des auteurs ou des
maisons d’édition pour obtenir les droits d’auteur.
Alors que ce genre de livre pourrait attirer par hasard un
lecteur, accroché par un titre, une image, une qualité de
confection du livre, ce n’est que le fond qui est considéré,
laissant de côté la praticité et le plaisir. C’est aussi la
115
singularité de chaque maison d’édition et des valeurs de
chacune d’entre elle qui est abandonné. Pour ce qui est
d’un premier achat sur un thème, c’est plus le hasard qui
va diriger mon choix ou la réputation de l’édition, ce qui
ne voudra pas forcément dire que c’est le meilleur livre
sur le thème en question. Rien ne permet au néophyte,
au curieux d’avoir un aperçu sur le ton, la qualité et le
point de vue du livre à cause d’un no-design presque
systématique.
forme de frustration. Malheureusement, trop souvent
encore ces « beaux » livres, pour ce qui est du domaine
de l’histoire, se résument à des visuels en grands formats,
pas forcément reproduits sur un papier de qualité où les
fonds textuels sont pratiquement inexistants, laissant la
porte ouverte à toutes les spéculations possibles sur le
contexte de l’image en question.
Les « beaux » livres
Il est compliqué de définir à quoi correspond ce type
de livres, d’autant plus que cette appellation est devenue
arbitraire depuis les progrès techniques de reproduction.
Le « beau » livre est une possibilité intéressante à la
fois pour le marché et aussi pour les qualités qu’il offre.
Il reste impossible pour moi d’associer ce terme à une
quelconque maison d’édition dès lors qu’il s’agit de livres
d’histoire ou d’anthropologie plus particulièrement.
En effet, ces livres souvent de grands formats, répondent
à des normes qualitatives spécifiques correspondant à
des thèmes tels que la photographie, l’art, la cuisine,
le tourisme et pour le cas qui m’intéresse, l’histoire et
l’anthropologie.
Face à des thèmes peu ou pas abordés, et pour
des personnes dont beaucoup ne sont jamais allées sur
place, le visuel prend toute son importance, ouvrant un
imaginaire et en même temps cherchant à éviter toute
116
Fastueuse Afrique, p 170-171, Angela Fisher, Éditions Chêne, 1984.
117
Une histoire du temps présent
L’un de mes professeurs d’histoire/géographie m’a dit
un jour que l’histoire s’écrivait au quotidien.
À l’époque, la phrase ne m’a pas surprise. Aujourd’hui,
je me rends compte qu’à l’ère de la diffusion des
contenus en temps réel, les temporalités de l’histoire
et de l’actualité sont trop différentes pour être
considérées comme un ensemble indissociable.
Les magazines sur le thème de l’Afrique sont encore
assez rares, que ce soit sur des thèmes précis ou plus
généralistes. On notera parmi les plus connus Jeune
Afrique, Afrique Magazine et Politique Africaine.
Sans s’attacher à l’analyse complète d’un magazine en
particulier, je souhaitais ici mettre en exergue,
les éléments qui font l’intérêt de la lecture de l’histoire
de l’Afrique dans des revues tant dans le fond que
dans la forme. Ce qui fait l’intérêt de ces revues,
c’est leur capacité à alterner d’un numéro à un autre
ou à l’intérieur même d’un numéro, des recherches,
des articles, des dossiers sur les pays d’Afrique et
différentes approches, qu’elles soient sociologique,
économique, politique etc. d’un même thème. Certaines
revues telle que Politique Africaine sont thématiques
et chaque numéro équivaut à un petit livre collectif,
où divers spécialistes construisent un matériau
composite, une analyse autour de thèmes d’actualité.
Les photographies, les illustrations, les graphiques :
savoir de qui on parle, de quoi on parle, participe à
assouvir la curiosité du lecteur, le fidélise parfois et
118
119
constitue un aspect didactique. Ils participent d’une
volonté d’être exhaustif dans le propos. Ici, contrairement
au monde de l’édition, l’image prend une véritable
valeur informative, documentaire, symbolique, etc.
Il faut de toute façon tenir compte de l’image
dans le domaine de l’histoire. Même si dans mon cas,
en tant que simple amatrice d’histoire et designer
graphique, elles ne peuvent prétendre, dans le
cadre de mon projet, à l’exigence de scientificité de
l’historien, elles participeront à renouveler l’approche
des faits historiques relatifs à l’Afrique noire et leurs
représentations. Il faudra toutefois prendre en compte
l’image dans son sens le plus large (photographie,
gravure, dessin de presse, screen shot etc.), cette
approche transdisciplinaire participera à une lecture
plus juste de l’histoire de l’Afrique qui est en constant
mouvement tout en évitant une simple illustration.
Dans mon projet j’ai souhaité associer entre
autres, les qualités qui définissent la presse écrite et
le livre. J’ai volontairement choisi des pans de l’histoire
peu, voire pas connus en Occident. Cela n’était pas
une volonté de trouver les « niches » historiques. En
réalité chacune de ces périodes permet de mieux
appréhender les faits historiques qui ont suivi, comme
l’apartheid ou encore la décolonisation. La presse est
un bon moyen de poser les bases en ce qui concerne
l’histoire obscur de l’Afrique, d’autant plus qu’elle est
moins intimidante qu’un livre. Le lecteur ayant cette
possibilité de « picorer » différentes formes d’écriture.
120
121
Partie 4.
Mon projet
122
123
Très vite, concevoir des livres m’est apparu comme
une évidence. En effet l’histoire s’écrit, il s’agissait de
laisser une trace de cette réflexion, de ces pérégrinations
entre les diverses ressources que j’avais effectué en
un an. Une sorte d’aventure éditoriale, littéraire et
historique en somme. Dès le début, au travers de mes
lectures je me suis rendu compte qu’il existait certes
des milliers de faits ayant marqué l’histoire en Afrique,
mais ils étaient peu, voire pas du tout relayés dans le
monde de l’édition en Occident. C’est ainsi que mon
choix s’est finalement porté sur la guerre des Boers
en Afrique du Sud, la vie de l’Almami Samory Touré
en Guinée et l’islam dans l’archipel des Comores.
Même si je souhaitais évoquer dans chaque livre
un pays en particulier, il ne s’agissait pas pour moi de
faire une monographie de l’État. Cette solution aurait
été selon moi un moyen d’éviter la difficulté, de rester
dans les stéréotypes parce que tout aurait été survolé
au dépens de la spécificité historique de chaque pays.
Alors, chacun de ces pans de l’histoire est un moyen de
comprendre des faits historiques souvent peu évoqués
en Occident, et de considérer l’histoire de ces pays,
du continent comme faisant partie d’un enchaînement
de conséquences. Choisir ces morceaux d’histoire, ces
thèmes, était un moyen de montrer l’Afrique dans sa
diversité géographique, ethnique, religieuse et même
historique. J’ai pris conscience aussi des conséquences
de la Conférence de Berlin dans la manière d’envisager
l’histoire en Afrique. En effet, même si on compartimente
chaque pays, il est plus juste de parler de territoire quand
124
125
on sait que les frontières actuelles correspondent en aucun
cas à la réalité politique et ethnique de l’Afrique en 1895.
La guerre des Boers fut pour moi une sorte de
surprise du début à la fin. En effet, plusieurs éléments
ont attiré mon attention, entre autres, l’ouverture des
premiers camps de concentration durant cet affrontement
contrairement à ce que la majorité des personnes
pensent. Mais aussi l’évolution des tenues de l’armée
britannique qui sont passées du rouge vif au kaki pour
mieux se camoufler, les raisons de la si forte présence
de personnes originaires de Hollande ou d’Angleterre
en Afrique du Sud encore aujourd’hui, ou encore
l’apparition de la guerilla et du fil de fer barbelé.
Étrangement, bien que toutes ces évolutions en
font la première guerre moderne, bien que d’autres
pays se soient associés à l’Angleterre ou à la Hollande
afin de mener cette guerre, elle est méconnue du grand
public. En ce qui concerne les historiens de l’Afrique et
plus précisément de l’Afrique du Sud, ils la considèrent
comme la véritable première guerre mondiale.
En ce qui concerne l’Almami Samory Touré, peu,
pour ne pas dire personne en France serait capable de
dire qui il s’agit. Pourtant, dès que j’ai questionné des
personnes d’origine guinéenne, les récits ont fusé. Il est
considéré comme le pionner de l’indépendance guinéenne,
ayant construit un empire à travers toute l’Afrique de
l’Ouest qui n’est pas sans rappeler la vie épique de
Napoléon Bonaparte, dont il était contemporain.
126
Il imposera l’Islam dans une grande partie de son
territoire et devra finalement céder devant l’arrivée des
colons français. Il faut bien dire que son engouement
pour la conquête motivera par la suite le peuple à
réclamer son indépendance. Les avis extrêmement
divergents concernant l’homme ont éveillé ma
curiosité. Certains le considérent comme un héros
et d’autres comme un véritable tortionnaire.
Jusqu’au bout j’ai douté de mon choix de l’archipel
des Comores, et plus encore lorsque Mayotte a voté
pour devenir un département d’Outre-mer. Cependant,
il m’a semblé utile d’évoquer un territoire français situé
en Afrique Noire et d’autant plus que ce dernier est à
99% musulman. Le fait que les Comoriens s’identifient
comme français, mais revendiquent aussi avec force
leur religion, m’a intrigué. Les questionnements qui
entraient en jeux avec ce lieu français en Afrique,
avec une culture à la limite entre celle de l’Occident
et l’Orient, m’ont pousser à m’interroger sur ce qui
faisait l’identité de cet archipel, et comment la religion
omniprésente participait grandement à cela.
La cartographie a une importance majeure dans le
cadre de ce projet, et pour cause l’image géographique
que nous avons de l’Afrique aujourd’hui ne correspond
en rien aux réalités. D’autant plus que la diversité
de l’Afrique tant au niveau géographique, ethnique,
religieux, climatique, linguistique, etc. prouvent à
quel point je me devais d’envisager l’Afrique selon ces
127
points de vue, et non pas en me fiant systématiquement
à un territoire géopolitique. C’est d’ailleurs la raison
pour laquelle dès le début de cette étude j’utilisais
l’expression d’« Afrique dans tous ces états » en laissant
volontairement l’ambiguïté sur le terme état/État.
C’est aussi la raison pour laquelle j’ai choisi
d’appeler la collection de livres « Afriques », en
mettant le nom propre au pluriel. C’était pour
moi le moyen de montrer cette pluralité avant
même de rentrer dans les thèmes précis.
Au travers de mes pérégrinations sur Internet,
j’ai découvert, avec les blogs, à quel point la diaspora
africaine se sentait réellement concernée et impliquée
dans l’histoire de son territoire que ce soit le continent
ou un pays en particulier. J’ai alors souhaité réunir dans
un portail ces différentes approches, chacune traitant
de l’Afrique selon ce qui l’intéresse, le touche. Un site
internet est aussi un moyen d’ajouter des éléments
après la lecture du livre, de mettre à jour certaines
polémiques. C’est notamment le cas avec la chanson
De La Rey de Bok van Blerk, groupe afrikaans. Cette
chanson prônant la fierté afrikaans, et défendant un
certain nationalisme, ravive les pensées de beaucoup
de Blancs en Afrique du Sud qui se sentent quelque
peu exclus de la politique du nouveau gouvernement.
Cette polémique prend toute son importance lorsqu’on
sait qu’après la guerre, les Boers avaient mis en place
un système les rendant prioritaires sur les emplois aux
dépens des Noirs. Il n’est donc pas difficile de voir
128
cet évènement comme le prémice de l’apartheid.
D’autre part, le site internet était aussi un
moyen de donner des repères chronologiques au
lecteur, en mettant en relation les faits historiques
que j’évoque dans les livres, mais aussi avec les
faits historiques plus connus et mieux diffusés.
À travers les livres, les cartographies, le site
internet, j’ai souhaité montrer l’importance de l’Afrique.
Cependant j’ai aussi voulu montrer à quel point le lecteur
fait partie intégrante de la collection. C’est le lecteur
qui participe à la dispersion de cette pensée plus juste
concernant ce continent ; le lecteur qui participe à la
pérennité d’une collection ; montrer aussi que l’histoire
de l’Afrique ne doit pas être écrite seulement par des
Africains, contrairement à ce que certains souhaiteraient.
En convoquant tous les acteurs de cette histoire, je
souhaite m’approcher d’une certaine forme de vérité.
En essayant de comprendre les sociétés africaines,
l’histoire africaine, en enquêtant, j’ai dû
observer avec la plus grande lucidité, montrer
ce qu’il y a de bien comme de moins bien afin
d’en faire prendre conscience à d’autres.
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Conclusion
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La mémoire de l’Afrique existe depuis toujours. Elle
s’est transmise sous des formes diverses, et en particulier,
oralement. L’écriture du récit historique a permis une
temporalité avec un avant et un après. L’histoire de
l’Afrique doit, même si elle concerne d’abord le public
africain, viser un plus large public et notamment dans les
anciens pays colonisateurs. Critiquer la vision que l’on
peut avoir dans les pays occidentaux sans pour autant
donner les moyens d’apporter une véritable réflexion
serait une erreur. Cette vulgarisation est importante dès
lors qu’on considère que les pays colonisateurs et les pays
colonisés ont un passé commun.
Au-delà, la méconnaissance du passé de l’Afrique
est dommage car celle-ci est grandement imbriquée
avec celle des anciens pays colonisateurs. Les regards
croisés entre les historiens, ethnologues, anthropologues,
archéologues africains et leurs homologues des autres
continents est un moyen de conserver une approche
riche et plurielle. Cependant les uns ne doivent pas
fournir la matière et les autres l’analyser. Il ne s’agit
plus maintenant d’écrire une histoire idéologiquement
orientée, mais une histoire issue du travail entre diverses
communautés scientifiques et humaines. C’est peut-être
là l’enjeu de l’histoire de l’Afrique aujourd’hui.(
Certes l’histoire de l’Afrique a été malmenée,
quand elle n’a pas été simplement niée. Elle fut le fruit
de grandes affabulations à ses débuts, jusqu’à il y a
peu. Ceci était en contradiction totale avec l’objectivité
et la distance que suppose l’écriture de l’histoire.
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Écrire l’histoire de « l’Autre » n’est pas chose aisée.
L’écriture de l’histoire de l’Afrique doit être envisagée
comme une relation entre les différents territoires. Afin
de participer à sa construction, il s’agit de penser cette
écriture, éviter la vision manichéenne, dépasser l’idée
selon laquelle l’histoire de l’Afrique est indivisible. Il y
a des histoires de l’Afrique. Améliorer la qualité et la
visibilité de l’histoire de l’Afrique participera à donner des
réponses pour son futur, contourner l’écueil d’une Afrique
phantasmée.
Contrairement à ce que certains imaginent,
mon intérêt pour l’Afrique progressif. Je crois
même pouvoir affirmer que ma situation m’offre
plusieurs points de vue, et c’est sûrement cette
ambiguïté qui est à l’origine de ce projet.
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Bibliographie
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137
Livres
• Pierre Alexandre, Les Africains : initiation à
une longue histoire et à de vieilles civilisations,
de l’aube de l’humanité au début de la
colonisation, éd. Lidis-Brepols, Paris, 1981
• Gérald Arnaud et Henrie Lecomte, Musiques de
toutes les Afrique, éd. Fayard, Paris, 2006
• Raymond Bachollet et alii, Négripub, l’image des
Noirs dans la publicité depuis un siècle, éd. Bibliothèque
Forney, Paris, 1987
• Pascale Barthélemy, Écrire l’histoire de l’Afrique
autrement ?, éd. L’Harmattan, Paris, 2004
• Marc Bloch, Apologie pour l’histoire ou métier
d’historien, Armand Colin, Paris, 1997
• Hervé Bourges et Claude Wauthier, Les 50
Afrique, Tome 1, éd. Seuil, Paris, 1979
• Alain-Michel Boyer, Les Arts d’Afrique :
guide des arts, éd. Hazan, Paris, 2006
• Louis-Jean Calvet, Histoire de
l’écriture, Plon, Paris, 1996
• Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme suivi de
Discours sur la négritude, éd. Présence africaine, Paris,
première édition 1955 et 2004 pour la présente édition
• Roger Chartier, Au bord de la falaise. L’histoire entre
certitudes et inquiétude, éd. Albin Michel, Paris, 1998
• Catherine Coquery-Vidrovich, Histoire et devenir de
l’Afrique noire au XXe siècle, éd. L’harmattan, Paris, 2003
• Anne Dhoquois, Comment je suis devenu
ethnologue, éd. Le cavalier bleu, Paris, 2008
138
139
• Ernst Hans Gombrich, Histoire de
l’art, éd. Phaidon, Paris, 2001
• Georg Wilhelm Friedrich Hegel, La raison
dans l’histoire, éd. Hatier, Paris, 2007
• Joseph Ki-Zerbo, Histoire de l’Afrique
Noire, Hatier, Paris, 1972
• Jacques Le Goff, Histoire et mémoire,
éd. Folio, Paris, 1988
• Claude Lévi-Strauss, Race et histoire,
éd. Gallimard, Paris, 1987
• Albert Mban, Les problèmes des archives en Afrique.
À quand la solution ?, éd. L’Harmattan, Paris, 2007
• Olivier Orban, Terre Humaine. Cinquante
ans d’une collection. Entretien avec Jean
Malaurie, éd. BNF, Paris, 2005
• Sally Price, Arts primitifs ; regards
civilisés, éd. Énsb-a, Paris, 1995
• Pierre Salmon, Nouvelle introduction à l’histoire
de l’Afrique, éd. L’Harmattan, Paris, 2007
• William Rubin et Jean-Louis Paudrat,
Le primitivisme dans l’art du XXe siècle,
Volume 1, éd. Flammarion, Paris, 1991
• Xavier Yvanoff, Anthropologie du racisme : essai sur la
genèse des mythes racistes, éd. L’Harmattan, Paris, 2006
• Sous la direction d’Anne Zali et d’Annie Berthier,
L’aventure des écritures. Naissances, BNF, Paris, 1997
140
Articles
• Abolade Adeniji , « L’historiographie africaine, l’histoire
universelle et le défi de la mondialisation », Bulletin de
CODESRIA numéro 1 et 2, Department of History and
International Affairs Lagos State University, Nigeria, 2004
• Nicolas Bancel, Pascal Blanchard et Sandrine
Lemaire, « Ces zoos humains de la République
coloniale », Le Monde Diplomatique et réédité dans
le numéro spécial de Manière de voir, été 2001
• Jean-Pierre Chrétien, Afrique & Histoire. Pourquoi
l’Afrique, pourquoi l’histoire ?, numéro 1, 2003
• Collectif, « Quelle place pour l’Afrique et
Madagascar dans les médias ? La couverture de
l’information. Les entretiens de l’information »,
Maison de la radio, Paris, 3 avril 2003
• Jean-François Dupaquier, « De la françafrique
à la maffiafrique », numéro 21/22 Mouvements,
première publication le 17 mai 2002,
deuxième publication mai/août 2002
Documentaires
• Raymond Depardon, Afriques: comment ça
va avec la douleur ?, Arte vidéo, 1996
Émissions
• Émission La fabrique de l’histoire, « Histoire de
l’Afrique », France Inter, du 5 au 8 Janvier 2009
• « Présence africaine avec son Directeur de la rédaction
Romuald Fonkoua », Canal académie, 15 mars 2007
141
http://www.canalacademie.com/Larevue-Presence-africaine.html
• « Réflexions sur le sens et l’éthique de Terre Humaine »,
Enregistrement Privé, Jean Malaurie, 11 Mai 2004
• Émission Thema, « Zoos humains, Vous avez
dit sauvage ? », Arte, 12 février 2006
Sites internet
• Centre d’études africaines http://ceaf.ehess.fr/
• http://www.afrik.com/
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Remerciements
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145
Je tiens à remercier toute l’équipe pédagogique du
DNSEP : Alexis Chazard, Luc Dall’Armellina, Annick
Lantenois, Samuel Vermeil, Gilles Rouffineau.
Je tiens également à remercier pour leur aide :
ma mère, Sékou Kandé et Soizic Legrand.
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Achevé d’imprimer à Valence en mai 2009.
Cet ouvrage a été composé en New Bell (dessiné par
Aurèle Sack en 2007) et en Akkurat (dessiné par Laurenz
Brunner en 2004) sur le papier Centaure naturel 110g.
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