Connaissances de l`histoire africaine - esad
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Connaissances de l`histoire africaine - esad
1 Femme bochiman du Botswana. 2 Femme masaï du Kenya. 3 Homme pygmée du Congo. Femme touareg du Niger. Atlas historique de l’Afrique, Catherine Coquery-Vidrovitch et Georges Laclavères, éditions du jaguar, Paris, 1988. 4 5 Connaissances de l’histoire africaine En couverture: mahawa kandé Carte anglaise de l’Afrique en 1895, partage du monde colonial au XIXe siècle. école régionale des beaux-arts de Valence Diplôme national supérieur d’expression plastique Option design, mention design graphique Juin 2009 6 7 13 Introduction Partie 1. 21 Connaissance et exploration du territoire 32 Les explorations européennes Partie 2. 37 Ambivalences des discours sur l’Afrique Image actuelle de l’Afrique L’Afrique par les Africains La vision biaisée de la réalité de l’Afrique L’éthique journalistique bancale Le journalisme : une marchandise comme les autres. Du colonisateur à l’humanitaire 39 64 Histoire d’un regard Du racisme « scientifique »… …vers un racisme colonial et « populaire » 91 Les sources de l’histoire de l’Afrique Les documents écrits Les traditions orales Les vestiges archéologiques Les arts premiers 8 9 Partie 3. 107Les publications sur l’Afrique Les supports éditoriaux Les maisons d’éditions spécialisées 109 Les « beaux » livres Une histoire du temps présent Partie 4. 123Mon projet 131Conclusion 137Bibliographie 145Remerciements 10 11 Introduction 12 13 26 avril 2008 Dans un train. Une voyageuse m’aborde et me demande de quelle ethnie je suis. La spécificité de la question est surprenante. Elle est surprise par ma réponse ; celle concernant mon pays d’origine ne la renseignera pas davantage. 7 juillet 2008 Un film. Le thème : l’ascension politique du Léopard de Kinshasa1 dans son milieu presque naturel. Je sais tout du Zaïre, je ne connais rien. ous ces événements sont vrais et même s’ils ne l’étaient T pas, ils sont crédibles. Je me trouve confrontée à mon manque de connaissances parfois, à l’ignorance des autres aussi ; et pire : à ceux qui pensent savoir qu’ils savent. Et en même temps, je suis confrontée au manque de documentations, d’archives, de supports qui pourraient traduire la complexité, la richesse plurielle de l’histoire de l’Afrique. es Africains ne se ressemblent pas tous ; ils ne sont pas L tous frères et l’Afrique n’est pas un pays. 14 15 En tant que designer ou simplement amatrice d’histoire, je ne peux que constater l’existence de milliers de livres sur l’Afrique Noire. Outre les pseudoreportages illustrant une Afrique sauvage et étincelante qui représentent 90% des livres en question, il reste les travaux scientifiques, fruits de recherches sur le terrain et / ou dans les archives. Ces recherches sont encore souvent difficiles d’accès, non seulement pour le public, fût-il cultivé, mais aussi pour les spécialistes africanistes eux-même, dès lors qu’ils sortent de leur discipline. Le langage technique des sciences humaines, les problématiques et les champs d’investigation tendent à s’affiner et à se diversifier au point que la communication devient de plus en plus ardue d’un domaine à l’autre et parfois à l’intérieur de certains d’entre eux. Trop souvent encore, les ouvrages les plus documentés et les plus pointus sont destinés tant dans leur forme, que dans leur diffusion, uniquement aux historiens, anthropologues, étudiants spécialisés et chercheurs. Les sites et blogs afro-orientés sont, quant à eux, assez difficiles d’accès dès lors qu’on ne rentre pas dans une recherche spécifique. Le manque de supports visant à démocratiser des pans peu ou pas connus de l’histoire entrave la volonté, s’il y a lieu, du lecteur lambda qui souhaite s’informer sur l’histoire méconnue du continent africain. L’histoire de l’Afrique fut et est encore liée à celle de l’Occident. Mais, dorénavant, il faut prendre en compte la participation de plus en plus importante de la diaspora africaine, autant 16 dans les supports écrits que sur Internet. Mes origines auraient pu, depuis longtemps m’amener à me confronter aux différents supports qui interrogent l’Afrique dans tous ses états. C’est en réalité le hasard de mes lectures, rencontres et visionnages de documentaires qui m’ont poussée à m’interroger sur l’histoire de ce continent et les moyens employés pour la transmettre. Dans le but d’une bonne et honnête vulgarisation, il pourrait être intéressant d’allier les qualités de divers supports pour transmettre cette histoire. Concilier la précision de la recherche, la qualité documentaire, la valeur esthétique de l’objet et pourquoi pas l’acte politique. Malheureusement, trop souvent encore en France, les Africains ne s’intéressent qu’à leur pays d’origine. Montrer la relation entre ces divers États permettrait à chacun de se sentir concerné. De la même manière, confronter les différents points de vue, que ce soit l’expatrié en Afrique, en France, l’Africain en Afrique, est une manière d’ouvrir les possibles d’une réflexion sérieuse, tout en popularisant l’histoire avec justesse. Le continent africain et son histoire regorgent d’un potentiel culturel et esthétique qui est encore très peu utilisé. L’interaction entre les différents pays, plus qu’une synthèse sur un pays permet d’avoir une vision plus juste des événements. À ce sujet, l’image de l’Afrique souffre encore de la troncature qu’en font les médias occidentaux. Bien sûr, il est impossible d’être exhaustif sur l’histoire de l’Afrique ou celle de ses divers États. Mon impossibilité à définir mon appartenance totale à un seul pays me 17 pousse à associer les différentes facettes de l’histoire de l’Afrique en général et celles de ses territoires plus particulièrement. Donner à voir une histoire imbriquée à celle de l’Europe m’est apparue comme une évidence. Il s’agirait alors de donner à voir cette Afrique impalpable auquel chacun est lié de manière directe ou indirecte. L’histoire de l’Afrique est en constante évolution, et cela d’autant plus si l’on tient compte des changements de l’historiographie qui ont ouvert les possibles. Elle se doit aujourd’hui de s’adapter aux éventuels divers publics, suivre les modifications comportementales. Comment raconter cette histoire plurielle, complexe ? Quelle est la véritable utilité de raconter l’histoire de l’Afrique dans les pays d’Occident ? Comment tenir compte des multiples points de vue qui jalonnent cette histoire tout en restant juste et précis ? Comment la création de supports peut elle répondre aux manques actuels ? Notes 1. Film documentaire Mobutu roi du Zaïre, Réalisateur Thierry Michel, production Canvas Africa Productions, Les Films d’ici, Les Films de la Passerelle, Flemish Radio- and Television Network (VRT), Image Création.Com, Belgique, 1999. 18 19 Partie 1. Connaissance et exploration du continent africain 20 21 Carte du monde selon Hérodote, environ 450 av. J.C. L’Enquête, Hérodote, traduction en français par Andrée Barguet, Folio Gallimard, Paris, 1985. 22 23 24 Carte Kangnido réalisée par Kim Sa-hyeong, Yi Mu et Yi Hoe, La connaissance du contour réel de l’Afrique indique des explorations précoces à partir de données chinoises, 1402, Corée. de la région, antérieures aux voyages de Bartolomeu Dias et de Vasco de Gama. La carte décrit de façon très détaillée l’Empire de Chine, ainsi que la Corée et le La pointe sud de l’Afrique a des contours généraux corrects et laisse apparaître Japon, même si les positions relatives des trois pays ne sont pas exactes. À l’Ouest, un fleuve qui pourrait être l’Orange. Au nord du continent, au delà du «blanc» de la la péninsule arabique, l’Afrique et l’Europe, bien que ces aires continentales soient carte, une pagode symbolise le phare d’Alexandrie, près du mot arabe Misr (Égypte) montrées plus petites qu’elles ne le sont, comparativement à la Chine. translittéré en chinois. 25 Carte du Monde selon Claudius Ptolémée, v. 90-168, Cosmographia, Ulm, 1482. 26 27 Bien que le continent africain soit la partie la plus ancienne de l’Ancien Monde, il ne fut exploré par les Européens que relativement tard. La notion de découverte est quelque peu ambiguë lorsqu’il s’agit d’un territoire, habité de surcroît, l’Afrique existant avant que les premiers Européens ne « découvrent » le continent. La tendance consistant à commencer l’histoire de peuples extra-européens au moment où les Européens les ont rencontrés pour la première fois persiste encore. La raison est parfois simple. Dans bien des cas, les premières sources écrites, matériau privilégié de l’histoire, ne peuvent être tirées que des récits de première ou seconde main d’auteurs européens. Lorsque j’étais au lycée, l’Antiquité c’était la Grèce, Rome et l’Égypte. Il semblerait que les choses n’aient pas beaucoup changé depuis. D’autant plus que les égyptologues étaient assez peu tournés vers le reste de l’Afrique. La gloire associée à l’Égypte a poussé certains à nier qu’elle soit en Afrique. L’européocentrisme a longtemps marqué et marque encore parfois les civilisations dites « exotiques » (exotiques aux yeux des Européens). Déjà pour les Romains, l’Africa1 correspondait seulement à l’actuelle Tunisie. Ce n’est qu’après l’invasion arabe, à la fin du Moyen-Âge, que le terme a été étendu à sa signification actuelle. Pour les Anciens, le continent dans son ensemble était connu sous le nom de Libye, les peuples au visage basané, littéralement « brûlé », étant désignés sous le terme générique d’« Éthiopiens », les Noirs à proprement parler étant les « Nubiens », référence à la Haute-Égypte et à l’actuel 28 29 Soudan. Seule l’Afrique du Nord, Égypte comprise, leur était véritablement familière. Au delà des limites de l’Empire romain, l’Afrique était terra ignota. D’ailleurs, il est difficile de ne pas mettre en doute la pertinence des connaissances sur l’Afrique en Europe pendant l’Antiquité. Jusqu’au XVe siècle, la connaissance géographique de l’Afrique reste très fragmentaire. La plupart des informations de cette époque proviennent d’interlocuteurs arabophones qui ont des contacts ponctuels avec l’Afrique subsaharienne. Ce n’est qu’au début du XVIe siècle que le continent africain s’ouvre à la convoitise et à la connaissance et à la convoitise des Européens. Au milieu du XVIIIe siècle, l’intérêt des Lumières pour les grands voyages ainsi que la volonté des Anglais, Français et Portugais d’apporter la « civilisation » en Afrique, accélèrent les événements. Jusqu’alors, ces voyages avaient davantage été freinés par des sociétés organisées et hostiles que par les risques sanitaires et les difficultés du climat. Le voyage devient alors une véritable expédition soutenue par les gouvernements. Entre 1880 et 1914, le continent africain est presque entièrement colonisé par les puissances européennes. Seuls l’Éthiopie et le Libéria fondé au début du XIXe siècle par des esclaves noirs libérés revenus des Amérique 2 échappent à la colonisation. Ces périples sont l’occasion de rédiger des livres illustrés et des articles de journaux qui activent l’imaginaire des Occidentaux. Vers la moitié du XIXe siècle, les rivalités politiques pousseront chaque État à obtenir de plus en plus de territoires pour son pays. 30 31 Les explorations européennes Même si les explorations européennes permirent de fournir des données géographiques sur l’Afrique, il favorisèrent aussi le morcellement et l’exploitation du continent. Les navigateurs portugais furent les premiers Européens à rentrer en contact avec l’Afrique. Au XVe siècle, ils longèrent les côtes occidentales et l’Afrique Australe. Les Britanniques et les Hollandais s’installèrent par la suite dans cette région. Les portugais longèrent aussi les rivages orientaux, précédés de plusieurs siècles par les commerçants arabes et indiens. Entre 1788 et 1831, l’African Association de Londres entreprit les plus grandes explorations. Portée à la fois par les considérations économiques et scientifiques, l’Association fut pionnière dans l’exploration européenne en Afrique. Mungo Park fut le premier à suivre le cours du fleuve Niger, en partant de la Gambie. Mollien explora le Sénégal et le Fouta-Djalon, René Caillié voyagea à Tombouctou et Djenné. Les frères Lander reconnurent le cours inférieur du Niger en progressant à partir de son delta. Alors que vers 1830 la géographie de l’Afrique occidentale est assez bien connue des Européens, ce n’est qu’un quart de siècle plus tard que l’Afrique orientale arrive à des résultats comparables. Dans cette région la Royal Geographical Society succéda à l’African Association. Aidée par la Church Missionary Society, elle favorisa la recherche des sources du Nil et la reconnaissance du système hydrographique qui lui est lié en Afrique orientale et centrale. 32 Au milieu du XIXe siècle, trois explorateurs acquièrent une réputation particulière. Les motivations anti-esclavagistes de David Livingston le pousseront à effectuer deux expéditions afin de trouver des « produits commerciaux » pour remplacer la traite. Heinrich Barth linguiste, géographe, ethnologue et anthropologue, révéla à l’Europe l’existence du mode de gouvernement centralisé en vigueur dans les royaumes haoussa-peul tel celui de Kanouri, qui existait au Soudan occidental. Henri Morton Stanley, en expédition pour retrouver Livingston que l’on croyait disparu, porta secours par la même occasion au gouverneur des provinces équatoriales de l’Égypte. Il installera aussi des comptoirs commerciaux le long du fleuve Zaïre pour le Roi Léopold II de Belgique. Après la Conférence de Berlin (1884-1885) qui entérina le processus de partage de l’Afrique par et pour les puissances coloniales, la finalité des expéditions devint l’acquisition territoriale. À partir du XXe siècle, les explorations se poursuivront et évolueront considérablement. D’une part, grâce aux données accumulées depuis un siècle et demi et d’autre part, avec la mise en place d’administrations coloniales, le contexte des expéditions européennes en Afrique s’était métamorphosé. L’ère de l’explorateur se refermait pour laisser la place au règne du globe-trotter auquel succédera celui du touriste. Enfin, si les Africains figurent rarement au tableau d’honneur des explorateurs (El Shabeeny, 33 Benjamin Anderson ou Georges Ekem Ferguson représentant à cet égard, des exceptions), les expéditions européennes étaient tributaires du savoir local. Explorations en Afrique Notes 1. Les Romains nommaient la province Africa ce qui correspond aujourd’hui à l’Afrique du Nord. 2. The National Colonization Society of America, « La Société Nationale d’Amérique de la Colonisation » fonde le Libéria en 1822 pour les esclaves libérés. 1780 - 1830 1830 - 1865 1865 - 1890 34 35 Partie 2. Ambivalences des discours sur l’Afrique 36 37 Image actuelle de l’Afrique Bien que l’exploration du continent africain, que ce soit par les Africains eux-même ou par les Européens, soit déjà ancienne, ce n’est que depuis environ un demi siècle que de véritables changements dans la façon de raconter l’histoire ont été apportés. En effet, jusqu’à vers 1950, l’histoire de l’Afrique rédigée à l’occidentale dominait. À partir de ce moment qui est aussi la période jusqu’aux années 1980 de la décolonisation africaine, on assiste enfin à l’émergence de l’intelligentsia africaine. Durant cette période, les premières maisons d’édition en France ayant pour but de donner à connaître la culture et les questions sociales offrent aussi un terreau fertile pour s’exprimer. Ainsi, une méthodologie spécifique d’approche interdisciplinaire des sources de l’histoire de l’Afrique se fonde. Les événements, quelles que soient leurs sources, sont évalués en tenant compte de la morale du temps. Les traditions orales sont analysées, la précarité de la communication orale soulignée, tout comme l’importance des problèmes d’interprétation. Ainsi la pluralité des sources en ce qui concerne l’histoire africaine, loin de brouiller les pistes, participe à une meilleure connaissance de qualité du continent. D’une certaine manière, l’Afrique fait de plus en plus débat dans les médias qui l’évoquent de façon impartiale. Il s’agit maintenant d’ajuster l’ensemble afin d’ouvrir les possibles, d’éviter les clichés en revisitant les systèmes pour transmettre cette histoire. Aujourd’hui, ce ne sont plus seulement les historiens qui étudient les faits dans le respect intransigeant de la véracité des faits. 38 39 L’Afrique par les Africains Après l’élection de Barack Obama, Theophile Kouamouo, journaliste, membre de l’Atelier des médias et blogueur à Abidjan en Côte d’Ivoire, a souhaité mettre en place un échange via blogs interposés sur le thème : « Pourquoi bloguer sur l’Afrique ? » « À bien y réfléchir, cela ne va pas de soi, déjà parce qu’Internet n’est pas une réalité franchement démocratique en Afrique. Bloguons-nous pour la diaspora et le vaste monde ? Blogue-t-on sur l’Afrique comme on blogue sur l’Europe ou l’Asie ? La blogosphère afro-orientée a-t-elle quelque chose de spécifique à offrir au concert de l’universel version 2.0 ? » Les réponses de la blogosphère africaniste sur la raison de bloguer sur l’Afrique sont indissociables de l’importance d’envisager l’histoire de l’Afrique du point de vue des Africains. « Il faut que l’Afrique soit visible… Historiquement l’Afrique sort de six siècles de silence… Aujourd’hui elle a les moyens techniques, technologiques de s’exprimer, de parler d’elle, alors qu’en général on a plutôt parlé d’elle à sa place… Il n’y donc aucune raison qu’elle n’en profite pas pour se rendre plus visible, plus audible à travers les nouveaux moyens de communication comme le net. »1 40 « Je blogue sur l’Afrique avec joie, parce que je crois que c’est de nos voix individuelles et mêlées que naîtra la renaissance africaine qui arrivera aussi sûrement que le rêve de Martin Luther King est devenu réalité quarante années plus tard. Je lis les blogs afro-orientés avec bonheur parce qu’ils me donnent une image moins monolithique et moins catastrophique du continent et de ses habitants. » 2 « De manière générale je blogue pour communiquer ma passion pour l’Afrique, le web, les nouvelles technologies, l’innovation et l’entreprenariat. Je pense que le blog est un très bon moyen d’expression facile à mettre en place et à maintenir, il devrait être mis dans les mains de tous les Africains afin de libérer encore plus l’expression des uns et des autres. Le blog représente une chance énorme pour les fils de notre continent de se rencontrer, d’échanger, d’agir et de faire avancer le débat. Ainsi donc je blogue sur l’Afrique pour : – essayer de gommer la mauvaise image qui colle à ce continent à mon niveau ; – rencontrer d’autres personnes ayant le même idéal ; – informer les autres peuples sur les réalités africaines ; – faire bouger les choses ; – participer au débat planétaire ; – faire entendre la voix de l’Afrique ; – discuter de nos problèmes et essayer d’y apporter des solutions. »3 41 « La réponse qui me vient tout de suite, c’est parce que l’Afrique ne peut se soustraire du monde. Ensuite bloguer sur l’Afrique, est la preuve que ce continent a une vie, existe, a des voix. Que ce soit des blogueurs vivants sur le sol africain ou ailleurs, c’est une manière de montrer que ce continent existe dans sa diversité, a une existence historique, politique, économique, sociale. Le monde du numérique étant plus facilement accessible, hormis son coût élevé en Afrique, il permet de porter aux yeux du reste du monde, les réalités de ce continent. Les observations et les opinions divergent, et c’est aussi cela une vie, mais avant tout le débat existe. Ce débat conduira de toute façon à des solutions, elles aussi divergentes, mais bien comprises, porteront leurs fruits. Pour moi bloguer sur l’Afrique c’est un peu cela. » 4 « Le blog, un outil de communication qui autorise une large liberté d’expression, s’est imposé telle une révolution en termes de NTIC5, et qui favorise une ouverture immédiate et instantanée vers un monde incontestablement globalisé. Alors si bloguer permet d’une manière générale de rentrer en contact permanent avec le monde extérieur, bloguer en l’occurrence sur l’Afrique est pour moi, une manière de pouvoir, quoiqu’il arrive, conserver « le cordon ombilical » qui me lie avec elle. Et vu « d’ailleurs », il s’impose comme un moyen efficace pour la diaspora d’avoir l’impression d’y vivre malgré la distance, de se sentir plus imprégnée des réalités continentales et donc d’agir quand elle le souhaite. Une façon aussi de témoigner tous (vivant ou non sur le 42 continent) par nos contributions, de l’intérêt que nous portons à cette Afrique et dans une commune mesure d’apporter un regard personnel soumis à la blogosphère. La « virtualité » de cet espace favorise ce que bien souvent nous réussissons avec beaucoup de peine dans l’espace public réel : le dialogue grâce à l’inter-réactivité qui en est l’enjeu primordial. La blogosphère afro-orientée pourra porter assez haute sa voix si Internet se vulgarise en ces lieux et si son message est relayé par d’autres supports de communication (TV, radio, presse écrite, etc.) pour étayer à un plus grand nombre, l’apport bénéfique de son contenu. En outre, même si la « façon » de bloguer peut différer d’un continent à un autre, le but recherché est le même. C’est à dire, communiquer. »6 Je parle de « blogosphère afro-orientée » et non de « blogosphère africaine ». Lors de mes premières recherches de blogs sur différents pays d’Afrique, je suis tombée dans un premier temps, sur des blogs d’expatriés en Afrique ou encore d’Africains vivant en Occident que ce soit en Europe, en Amérique ou au Canada. Bien que ce type de blog m’intéressent, leur abondance m’a poussé à m’interroger sur l’importance relative de l’Internet sur le continent africain et à envisager les sources que je recherchais comme des blogs parlant avant tout de l’Afrique et non pas des blogs systématiquement en Afrique. Selon l’agrégateur Afrigator 7, on répertorie environ 4400 blogs sur des thèmes divers et variés concernant l’Afrique. Pourtant cela peut paraître absurde 43 lorsqu’on sait qu’en décembre 2008, seulement 5,6% d’Africains, tous pays confondus, utilisent Internet ; en sachant qu’à l’intérieur même du continent, les inégalités sont très grandes. Pénétration d’internet dans le monde 100% 80 60 40 20 0% Le coût élevé d’Internet est probablement la raison principale de la faiblesse de l’accès à Internet en Afrique. En effet, deux opérateurs détiennent le monopole de la téléphonie et le transit des connexions par l’international est quasiment systématique. Malgré cela, l’utilisation d’Internet se généralise. Il ne s’agit plus seulement de consulter les email ou de pratiquer des appels via la toile. Progressivement, la blogosphère se structure attirant de plus en plus de nouveaux blogueurs et lecteurs. D’ailleurs, on notera qu’en 2007 et en 2008, ce sont deux Africains, à savoir Cédric Kalonji8 et Israël Yoroba9, qui ont remporté la « Coupe du monde des blogs » organisée par la radio Deutsche Welle dans la catégorie « blogs francophones. » Dans leur majorité, les blogs afro-orientés furent consacrés dans un premier temps à l’expression d’opinions politiques. Au fur et à mesure, les contenus se diversifient. Ainsi, le blog « Africa2point0 » évoque, comme son nom l’indique, les mutations liées au web 2.0 sur le continent. « Kotonteej » parle de musique, Raphaël Adjobi aborde l’histoire de l’Afrique noire au travers de la littérature, tout comme Alain Mabanckou. Le fait que peu de personnes soient capables d’écrire, que l’accès à Internet soit difficile, que la Source : http://www.internetworldstats.com/ 44 45 tenue d’un blog demande du temps, de la volonté pour l’alimenter régulièrement, transforme le fait de bloguer sur l’Afrique en un acte quasiment militant. Bien que la majorité des blogueurs afro-orientés vivent en Occident, on en retrouve d’autres dans les grandes villes du continent africain, et même dans des villes de province. Ainsi, Churchill Mambe Nanje blogue depuis Buéa, dans le Sud-Ouest du Cameroun, ou encore Hilaire Kouakou blogue depuis la zone semi-rurale de Divo, en Côte d’Ivoire. Cependant beaucoup de blogs afro-orientés se revendiquent d’Afrique du Sud. Aussi n’est-il pas surprenant que les blogs en question soient majoritairement en anglais, suivis par les blogs en français et parfois aussi dans des langues nationales. Ainsi on peut se rendre compte au travers de cette chaîne de réponses que chacun blogue pour essayer de gommer la mauvaise image qui colle à l’Afrique, d’informer les autres continents des réalités africaines. Car l’Afrique, ce n’est pas seulement la guerre et les autres calamités. C’est aussi, et de plus en plus, un continent qui s’affirme et qui veut tenir une place stratégique dans le monde. Il s’agit de montrer les espoirs des Africains et leur volonté de s’intégrer et de partager ce que les médias traditionnels refusent de montrer. Il s’agit en Afrique de passer outre les contraintes de la presse écrite10 ou de la radio qui sont censurées. Parler de politique est un sujet très délicat, même dans 46 les « démocraties. » Bloguer est également pour les Africains une manière de participer à la conversation mondiale, offrant à tout un chacun la possibilité d’avoir des informations via parfois la seule source possible. Pourtant le manque d’accès à Internet pour la majorité des Africains impose quelque peu le blog comme une pratique de privilégiés n’ayant finalement que peu d’impact pour changer les choses. Alors en tenant compte de cette faiblesse, les blogueurs voient ce médium comme un moyen d’interpeller l’élite éclairée, ceux qui ont les moyens intellectuels ou financiers, ceux qui ont la possibilité de transmettre le message ou tout simplement pour réfléchir dans un élan commun sur l’avenir de l’Afrique et sa renaissance. Les blogs afro-orientés ne sont pas les seuls à donner à voir une Afrique plus conforme à la réalité de nos jours. Internet n’est d’ailleurs pas le seul endroit pour cela. En effet, en tenant compte qu’il y a un style radiophonique africain, il est normal d’y retrouver une émission radiophonique telle que L’Afrique enchantée qui officie sur France Inter. Fort de son succès, le programme est passé d’une diffusion estivale en 2006 et 2007, à une diffusion hebdomadaire depuis 2008. L’émission est présentée par Souleymane Coulibaly, alias Soro Solo et Vladimir Cagnolari. Chaque épisode traite d’un pays, un pan de l’histoire, une tradition, une question d’actualité, la musique étant le fil rouge de chaque émission. Les thèmes sont enrichis par des témoignages divers, des interviews et bien évidemment 47 des chansons suivant l’idée développée. Le ton décomplexé, mais en même temps pointu donne à voir une Afrique inconnue de beaucoup. Soro Solo a su optimiser les qualités de la radio en France tout en se servant de celles de l’Afrique où la radio est le premier média loin devant la télévision et la presse écrite. L’Afrique enchantée a réussi à intéresser un public bien plus large que celui des personnes originaires d’Afrique en France. En effet, les thèmes abordés le sont selon plusieurs points de vue ; la sélection musicale pointue est traduite, commentée, décortiquée, analysée permettant à chacun d’avoir les outils de compréhension satisfaisant la curiosité de chacun. Cette émission met aussi en avant les écrivains, penseurs, chanteurs et autres éclairés afro-optimistes qui ont participé par leur travaux à une histoire de l’Afrique plus juste. Cette émission est didactique en plus d’être divertissante. L’importance de la radio en Afrique s’explique par l’illettrisme ainsi que par le coût peu élevé d’un récepteur. En France c’est le ton singulier des présentateurs, leur spontanéité et l’interaction continuelle entre eux qui participe au style atypique de l’émission. La vision biaisée de la réalité de l’Afrique Les chaînes hertziennes occidentales, et en particulier les françaises, ont beaucoup de peine à couvrir les événements liés à l’Afrique car le thème est considéré comme « peu vendeur. » En effet, lorsque les médias occidentaux évoquent l’actualité africaine, c’est souvent 48 sous forme de brève. Plus le temps passe et moins les médias s’intéressent à l’Afrique. Les pérégrinations des candidats des émissions de télé-réalité captent bien plus l’attention que n’importe quelle victime de dictatures, guerres civiles ou pandémies. Il ne faut bien évidemment pas généraliser la couverture de l’actualité de l’Afrique noire par les médias occidentaux. La presse écrite spécialisée ne se laisse pas distraire pour autant, et n’hésite pas à suivre avec précision les événements afin de les traduire correctement. Le cas de Courrier international est assez représentatif de ce point de vue. Cependant parfois encore le traitement est biaisé par une allusion aux préjugés les moins glorieux et les plus ancrés dans l’opinion publique. Il est difficile de connaître le bien fondé de la diffusion d’images insoutenables, notamment de l’Afrique, quand cela est proscrit en Occident. L’information que diffusent des chaînes telles que TF1, France 2, France 3 et M6 est faussée. Parler de l’Afrique ne suffit pas, il faut aussi être juste. Il ne s’agit pas de faire le journal des bonnes nouvelles sur l’Afrique, mais de ne pas minorer certains événements importants. Ce qui frappe, c’est non seulement la constance de ce traitement globalement négatif d’un espace composé de cinquante sept pays et où vivent plus de 900 millions de personnes, mais aussi l’absence de profondeur et de volonté de comprendre au-delà de l’évocation d’une réalité sans aucun doute plus complexe qu’elle n’y paraît. Raconter les travers de l’Afrique sans tomber uniquement dans l’émotion est assez rare sur ces chaînes. 49 Enfant soldat. Mousapha, 12 ans, est porté à la salle d’opération des chirurgiens de MSF, Marcus Bleasdale, Agence VII, Darfour, 2007 Le Monde 2, n° 202, supplément au Monde n° 19574 du samedi 29 décembre 2007. 50 51 L’éthique journalistique bancale La « sauvagerie africaine » n’est que trop souvent le thème de prédilection qui permet à l’information sur l’Afrique noire de trouver une place dans l’actualité. Les signaux d’alerte de conflits qui couvent depuis longtemps ne semblent pas suffisants pour secouer les services « étrangers » des médias de l’Hexagone. Aux membres de Médecins Sans Frontière venus indiquer la gravité de événements en cours au Zimbabwe, un responsable de l’information d’une chaîne de télévision hertzienne répondit que « les téléspectateurs étaient las de ces drames africains, désespérément semblables à eux-mêmes au fil des années », raconte Rony Brauman, fondateur de MSF. À côté de cela, l’assassinat de quelques fermiers blancs et la confiscation de leurs terres provoquent un afflux d’envoyés spéciaux que même les péripéties des élections présidentielles entre Robert Mugabe et Morgan Tsvangirai n’ont su provoquer. Patrick Robert, de l’agence Sygma, qui se trouvait également à Kigali, le 9 avril 1994, rapporte les consignes entendues par ses confrères américains dont la rédaction ordonne le retour : “Too dangerous, not enough interest... deep Africa, you know, middle of nowhere.”11 Au-delà de ces problèmes, on constate aussi une pénurie de « spécialistes-Afrique ». Ceux qui ne se complaisent dans un confort sont rares ou ils ne sont que trop rarement confrontés à la critique des 52 Extrait Rwanda, le pays hanté, Christophe Calais, 1994. lecteurs-auditeurs-spectateurs. Le Mauritanien Abdallah Ahmedou Ould, représentant spécial du secrétaire général des Nations unies au Burundi de novembre 1993 à octobre 1995, a été l’un des spectateurs de l’attitude et du raisonnement des journalistes occidentaux dans un pays qui focalisait l’attention : « On arrive toujours quelque part avec des préjugés. En Afrique, surtout lorsqu’il y a crise, les journalistes néophytes ont la conviction de débarquer dans des pays arriérés, violents, peuplés d’incompétents et de sauvages ». Ces éléments sont sûrement accentués par le traitement de l’information africaine en Occident. Il y a un manque de pudeur notable quand il s’agit de montrer la mort, la souffrance en Afrique. On notera entre autre, la photographie de Kevin Carter, le vautour 53 Conflit en Côte d’Ivoire, Patrick Robert, Agence Sygma Corbis, L’Express, 2003 54 55 et l’enfant12, ou encore la vidéo de la torture la et la mutilation de l’ex-président du Libéria Samuel Doe en 1990, dont les images qui firent le tour du monde. Dans les cas cités et d’autres, les scènes insoutenables, participent à banaliser une certaine image de l’Afrique. On constatera même que la décence était de mise lors des attentats du 11 septembre 2001 où, hormis les images en direct, on ne reverra plus les images des personnes sautant par les fenêtres des Twin Towers. Le vautour et l’enfant, Kevin Carter, Agence Sygma, 1993. Le journalisme : une marchandise comme les autres sont pas les seules causes de la marginalisation de l’information sur l’Afrique noire dans les « médias grand public ». À partir du moment où l’on considère que l’information est un produit que l’on consomme et qui a une valeur marchande, on constate que l’Afrique manque cruellement de consommateurs potentiels prêts à en payer le prix, ce qui condamne irrémédiablement la diffusion du journalisme sur place. Peu de journalistes se considèrent comme un élément d’un projet commercial global de réponse au marché. Cependant l’exercice professionnel quotidien met à rude épreuve le libre arbitre, le libre choix des sujets des journalistes. Au final, « les journalistes choisissent les sujets qui selon eux, intéressent le public. Il y a ici une dimension commerciale », reconnaît Thomas Ferenzi. Après avoir proposé à diverses reprises, dans différents médias, des sujets sur l’Afrique T. Ferenzi constata qu’il fallait répondre à un certain nombre de contraintes pour être diffusé : − ça n’intéresse pas le public français ; − le reportage coûte trop cher ; − il faudrait profiter d’un voyage de presse pour aller là-bas ; − il faut trouver un angle qui intéresse les Français, par exemple ce que ça leur coûte en impôts ; − il faut qu’on puisse mettre le mot « France » dans le titre. Les préjugés des journalistes et leur comportement face à l’histoire en direct du continent africain ne 56 57 Le manque d’audace des rédactions, dès lors qu’il s’agit d’évoquer l’Afrique noire correspond à une volonté d’adéquation du produit média au marché. L’éthique des journalistes étant très aléatoire selon les situations, les mêmes journalistes qui se félicitaient de ne pas avoir montré les restes humains des victimes du World Trade Center, n’hésitaient pas à figer les corps dans un état de putréfaction avancée après le génocide du Rwanda. Un jeune journaliste interrogé par un étudiant de l’EHESS reconnaît la dissolution du mythe du journaliste. « Je n’ai plus la même vision de l’information. Avant, je voyais ça comme un travail créatif, et puis… et maintenant je le vis plus comme une prestation qui a un caractère quelque peu commercial ». La mondialisation n’a fait qu’accentuer cette adéquation. En effet, les instruments d’analyse de l’information tendent à se standardiser. Là où il y a trente ou quarante ans, l’instinct et l’éthique auraient permis au rédacteur en chef d’un média de proposer un sujet plutôt qu’un autre, aujourd’hui ce sont des études de marchés qui motiveront ce choix. En l’occurrence un sujet sur l’Afrique noire serait contre-productif en terme d’audience. La presse, la télévision et la radio privilégient l’appât du gain en fabriquant les informations qu’ils pensent que le public attend, plutôt que de répondre à un quelconque devoir d’information impartial. 58 Angelo, a rwandan odyssey, Christophe Calais, Goma, ex-Zaïre, juillet 1994. Du colonisateur à l’humanitaire Une forme de journalisme, le journalisme humanitaire, a participé à mettre en scène l’histoire actuelle de l’Afrique. L’Afrique en crise s’inscrit désormais pour les journalistes sous un nouveau label, celui des catastrophes humanitaires. Au fur et à mesure que s’éloigne l’épisode colonial, l’image de « l’homme blanc sauveur » s’accentue. Le spectacle offert par un convoi de vivres en route vers des affamés ou par un médecin penché sur son blessé, est comme taillé sur mesure pour le petit écran. Rapide, simple et concrète, l’action humanitaire mise en scène dans les médias, et non pas l’acte en lui-même, offre une forme aisément assimilable et tout à fait valorisante avec le duo victime/sauveur. 59 Il est facile de présenter à un public européen crédule des pays africains comme autant de sociétés en crise où règne l’impunité, où la justice est en échec à cause de la corruption et l’immobilisme de l’État et où « L’homme Blanc », hier colonisateur, venant éduquer, aujourd’hui humanitaire, peut revêtir de nouveau un uniforme de sauveur. Cette vision désuète tend à s’imposer, en altérant le regard des auditeurs/lecteurs/téléspectateurs, mais aussi celui des journalistes eux-même. Bien qu’occasionnels dans les médias, quelques programmes s’engagent à traiter de l’Afrique sous des thèmes divers et variés, dédramatisant la vision caricaturale que l’on peut en avoir sans pour autant ignorer la réalité de ce continent. Ces programmes se démarquent par une approche décomplexée face à l’histoire sans pour autant tomber dans le divertissement pour le divertissement ou dans la vulgarité. Arte a réussi a traiter l’information, sans vision européocentriste et en respectant une variété des points de vue afin d’être en phase avec l’actualité internationale. Arte Info et les soirées Thema d’Arte aident à la compréhension au-delà de montrer simplement des faits. L’unité de programme Thema intitulé Freedom13 traite de l’esclavage au travers entre autre de la saga Racines 14 qui suit une famille d’esclaves afro-américains sur plusieurs générations, un portrait de Sydney Poitier qui fut le premier acteur noir à avoir un premier rôle dans un film et à obtenir un Oscar, une description du photographe malien Malick Sidibé et de son travail, 60 l’esclavage qui perdure encore aujourd’hui en Mauritanie ou encore les émeutes de Soweto, dans la banlieue de Johannesburg qui, les premières, troublèrent l’apartheid. « Et comme on dit au Cameroun : même le poisson qui vit dans l’eau a toujours soif. » « Et comme on dit au Bénin : un grain de maïs a toujours tort devant une poule. » « Et comme on dit en Éthiopie : un seul morceau de bois donne de la fumée mais pas de feu. » À la télévision un programme court avait su s’implanter sur I>Télé entre 2001 et 2007. L’émission I>Afrique présentée par Joseph Andjou, avait pour but de redynamiser l’image du continent à travers des reportages, des interviews, un agenda et des images des chaînes de télévision africaines. Ces dernières sont d’ailleurs extrêmement rares en France pour ne pas dire inexistantes. Le journaliste ponctuait la fin de chaque émission d’un dicton d’un pays d’Afrique différent, ce qui a d’ailleurs participé à la popularité du programme. C’était le seul endroit dans le paysage audiovisuel français où un Africain parlait de ce continent. Ce programme se voulait et était plus en phase avec une réalité de l’Afrique. Ainsi la place des personnes âgées dans les sociétés africaines était traitée, tout comme les inventeurs noirs du XIXe siècle, abordant ainsi la culture, les traditions, les pans oubliés de l’histoire. Joseph Andjou donne à voir l’Afrique dans son unité. Les Africains se connaissant sans se connaître, 61 étant à la fois semblables et différents. Pour lui, il faut que les Africains soient plus cohérents et plus solidaires pour faire avancer les choses, en développant des actions de lobbying. L’histoire commune des Africains étant leur couleur de peau, il faut faire face à cette réalité et aller de l’avant, s’affranchissant des problèmes de discrimination à l’intérieur même du continent. pas l’apanage de l’Afrique en particulier et existent depuis l’Antiquité. Ceci n’équivaut certes pas à dire que les Africains sont moins coupables que d’autres ou encore qu’ils sont des imitateurs de ceux qui les ont précédés. Nombreux sont les journalistes d’Occident qui montrent depuis des années la voie d’une couverture moins terrifiante des questions africaines. La Belge Colette Braeckmann, grand reporter au quotidien bruxellois Le Soir, ou l’Irlandais Fergal Keane, journaliste de la BBC. Sans doute comme l’écrit Keane : « Beaucoup trop de reportages consacrés à l’Afrique sont tributaires d’une vision du continent dans laquelle ses habitants sont des misérables tâches noirs s’étirant sur des décennies, du Congo des années soixante au Rwanda des années quatre-vingt-dix. » C’est cette image, et d’autres clichés du même genre à propos de l’Afrique qu’il convient d’effacer avant de porter son regard sur ce continent. En définitive, le problème, c’est davantage la posture intellectuelle, l’orientation du regard et non pas la réalité rapportée. Ce qui fait défaut, c’est l’application sans fard des règles de base du journalisme, ajoutée au respect minimum dû aux autres. Le journaliste doit essayer de comprendre les logiques économiques, politiques, territoriales et les dimensions identitaires, qu’il y a en Afrique, comme ailleurs. Après tout, les conflits ne sont 62 63 Histoire d’un regard « Dans cette partie principale de l’Afrique, il ne peut y avoir d’histoire proprement dite. Ce qui se produit, c’est une suite d’accidents, de faits surprenants. Il n’existe pas ici un but, un État qui pourrait constituer un objectif. Il n’y a pas une subjectivité, mais seulement une masse de sujets qui se détruisent. Jusqu’ici on n’a guère prêté attention au caractère particulier de ce mode de conscience de soi dans lequel se manifeste l’Esprit. »15 « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l’idéal de vie est d’être en harmonie avec la nature, ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles. Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrès. »16 Pour le sociologue Jean-Marc Ela, cet univers de fantasme dans lequel l’Afrique est perçu en Occident n’a rien de nouveau. Selon ses dires « L’Afrique n’a jamais été perçu que négativement ». Et il est vrai que depuis le philosophe allemand Hegel pour qui « l’Afrique n’a pas d’histoire » , en passant par Nicolas Sarkozy, l’Afrique est restée dans l’imaginaire occidental une humanité qu’il faut domestiquer, le fardeau de l’homme blanc en résumé. Au-delà du propos de quelques journalistes, le regard que l’Occident porte sur l’Afrique persiste depuis des siècles et pose un problème plus général. 64 Du racisme « scientifique »… « La nature a fait une race d’ouvriers. C’est la race chinoise d’une dextérité de main merveilleuse, sans presque aucun sentiment d’honneur ; gouvernez-la avec justice en prélevant d’elle pour le bienfait d’un tel gouvernement un ample douaire au profit de la race conquérante, elle sera satisfaite ; une race de travailleurs de la terre, c’est le nègre : soyez pour lui bon et humain, et tout sera dans l’ordre; une race de maîtres et de soldats, c’est la race européenne. Que chacun fasse ce pour quoi il est fait et tout ira bien. »17 Bonne année 1904, Anonyme, 1903. 65 À partir de la fin du XIXe siècle, dans un souci d’éducation, et parce que les colonisateurs européens pensaient qu’il y avait une différence hiérarchique entre eux et ceux qu’ils appelaient les « sauvages », l’anthropologie et de l’ethnologie se développèrent. C’est à cette période que se popularisèrent les expositions ethnologiques que les Européens organisèrent entre autres avec des Nubiens. Lors des expositions universelles ou coloniales, Geoffroy Saint-Hillaire18 fut l’un de ceux qui organisa des « reconstitutions de villages indigènes » notamment au jardin d’acclimatation de Paris. Ces exhibitions servaient à construire et ancrer une imagerie autour du mythe du « sauvage primitif ». Face à « l’autre » inconnu, se forgea alors un stéréotype qui visait à légitimer la violence colonisatrice. Un ersatz de pays d’origine était reconstitué, un lieu où les Soudanais et Libyens rejouaient des scènes de conquêtes. Même si certaines personnes exhibées parlaient français, elles feignaient pour l’occasion de parler « petit nègre » afin de correspondre aux attentes des Occidentaux. Il arrivait aussi que des populations modifient leurs origines, selon le pays d’Europe et donc selon le colonisateur. Les mêmes Africains, pouvaient jouer le rôle de Togolais, de Sénégalais, de Nubiens etc. Les zoos humains entre 1870 et 1931 furent un moyen d’asseoir la domination européenne sur les pays colonisés. il constituera, pour la grande majorité des métropolitains, le premier contact avec l’altérité. L’impact social de ces spectacles dans la construction de l’image de l’« Autre » est immense. Il y avaient une volonté de montrer le rare, 66 Timbre émis pour l’exposition coloniale de 1931 en France. le curieux, l’étrange, toutes les expressions de l’inhabituel et du différent, et non de provoquer une rencontre entre différents individus ou cultures. À l’occasion de ces expositions qui permettaient à chacun dans les pays colonisateurs de mesurer la grandeur de l’Empire, des affiches et des brochures 67 étaient conçues afin d’informer les Français, Portugais, Britanniques et Allemands de l’événement. Ils avaient aussi la possibilité d’acheter des cartes postales, des timbres ; souvenirs qui marquaient cette expérience comme un véritable saut vers l’inconnu, une sorte de tour du monde express. Dans cette « animalisation » par l’Occident, la mise en scène de transgressions des valeurs et des normes de ce qui constitue, pour l’Europe, la civilisation, est un élément moteur. La nature d’homme achevé des Africains est niée, ils sont donc colonisables ; il faut donc les conduire à l’état d’homme civilisé. Ces expositions sont l’illustration du discours légitimant l’action coloniale de l’Occident. L’anthropologie contribuera d’ailleurs à renforcer cette idée de « races » inférieures. À partir du XIXe siècle, les travaux scientifiques démontrent et accentuent sans cesse les ressemblances supposées entre les Noirs et les singes. Bérenger-Fréaud, qui exerça en qualité de médecin pendant plusieurs années au Sénégal, se contenta de remarquer que les femmes Wolofs possédaient une colonne vertébrale qui les prédisposaient à être quadrupède plutôt que bipède. C’est ainsi qu’il en déduit que les Noirs appartenaient plus au règne animal qu’à l’espèce humaine. La description du naturaliste Georges Cuvier ne laisse aucun doute quant à sa propension à considérer l’homme noir comme un animal, un singe. « Teint noir, cheveux crépus, crâne comprimé, nez écrasé, museau saillant et grosses lèvres sont une somme de traits qui le rapproche des singes. »19 68 Affiche pour l’exposition coloniale de Paris de 1906, Firmin Bouisset, Paris. 69 L’angle facial selon Petrus Camper, Dissertation sur les variétés naturelles qui caractérisent la physionomie des hommes, La Haye, J. Van Cleef, 1791. Après des mesures sur les crânes d’humains de différentes origines et d’animaux, Camper conclut que le passage de la bête à l’homme idéal, représenté par «l’antique grec», se traduit par une ouverture régulière de l’angle facial de 30° à 100°, en passant par des graduations constantes correspondant chacune, à une race animale ou humaine parfaitement déterminée. «Il s’ensuit de là — conclut-il — que l’angle de la ligne facéale a dans la nature un maximum et un minimum, c’est-à-dire une grandeur et une petitesse déterminées de 70 à 80 degrés; et tout ce que va au-delà est fait d’après les règles de l’art et ce qui descend au-dessous de 70 degrés donne au visage une ressemblance aux singes…» 70 71 Le parallèle entre les Noirs et les singes se généralisera lorsque Cuvier présentera la Venus hottentot20. Buffon ayant été pionnier de cette assimilation avec sa description des Hottentots. « La tête est couverte de cheveux hérissés ou d’une laine crépue ; la face voilée par une longue barbe, surmontée de deux croissants de poils encore plus grossiers qui, par leur largeur et leur saillie, raccourcissent le front et lui font perdre son caractère auguste, et non seulement mettent les yeux dans l’ombre, mais les enfoncent et les arrondissent comme ceux des animaux ; les lèvres épaisses et avancées ; nez aplati ; le regard stupide et farouche ; les oreilles, le corps et les membres velus ; la peau dure comme un cuir noir ou tanné ; les ongles longs, épais et crochus ; une semelle calleuse, en forme de corne sous la plante des pieds ; et pour les attributs du sexe, des mamelles longues et molles, la peau du ventre pendant jusqu’aux genoux ; les enfants se vautrant dans l’ordure et se traînant à quatre pattes; le père et la mère assis sur leurs talons, tous hideux, tous couverts d’une crasse empestée. » Buffon considère d’ailleurs cette vision comme un « portrait flatté » de l’Hottentot, la réalité étant, selon lui sans doute plus terrible. L’image de la « femme sauvage » assise sur ses talons, en écho avec la posture de la guenon sera souvent employée par les explorateurs. La Venus hottentot, emmenée en Europe par un Anglais, fut exhibée dans divers cirques entre l’Angleterre et la France. C’est après sa mort que Georges Cuvier récupère son corps. Après son autopsie, il le moulera afin de garder une trace de cette stéatopygie21 et de cette macronymphie22, isolant le squelette, disséquant le cerveau, prélevant les organes génitaux dont les caractères particuliers l’intriguaient.23 L’anthropométrie concluera à l’infériorité intellectuelle du Noir, en raison de la différence de l’angle facial entre ce dernier et un Européen. L’ouverture de cet angle indiquant pour les anatomistes « des instincts nobles et élevés ». La Vénus hottentot, gravure, vers 1814, collection privée. 72 73 …vers un racisme colonial et « populaire » Moi monsieur j’ai fait la colo Dakar Conakry Bamako Moi monsieur j’ai eu la belle vie Au temps béni des colonies On pense encore à toi oh Bwana Dis-nous ce que t’as pas on en a Y’a pas d’café pas de coton pas d’essence En France mais des idées On pense encore à toi oh Bwana Dis-nous ce que t’as pas nous on en a Les guerriers m’appelaient Grand Chef Au temps glorieux de l’A.O.F. J’avais des ficelles au képi Au temps béni des colonies Moi monsieur j’ai tué des panthères A Tombouctou sur le Niger Et des hippos dans l’Oubangui Au temps béni des colonies On pense encore à toi oh Bwana Dis-nous ce que t’as pas on en a Y’a pas d’café pas de coton pas d’essence En France mais des idées ça on en a Nous on pense On pense encore à toi oh Bwana Dis-nous ce que t’as pas nous on en a Entre le gin et le tennis Les réceptions et le pastis On se s’rait cru au paradis Au temps béni des colonies Pour moi monsieur rien n’égalait Les tirailleurs Sénégalais Qui mouraient tous pour la patrie Au temps béni des colonies On pense encore à toi oh Bwana Dis-nous ce que t’as pas on en a Y’a pas d’café pas de coton pas d’essence En France mais des idées ça on en a Nous on pense On pense encore à toi oh Bwana Dis-nous ce que t’as pas nous on en a.24 Autrefois à Colomb-Béchar J’avais plein de serviteurs noirs Et quatre filles dans mon lit Au temps béni des colonies 74 75 À partir du début de la première guerre mondiale, l’utilisation de l’image de l’Africain s’élargit : que ce soit pour la publicité de produits importés d’Afrique, des illustration de la guerre en cours ou simplement des évocations des caractéristiques attribuées aux Noirs. Les calembours et les jeux de mots sur la couleur noir seront nombreux. Une femme blanche par exemple fait « nègre le vendredi » ou « prend son chocolat au lit » évoque un homme noir dans son lit ; « avoir des noirs » signifie avoir des bleus, « être noir, être gris » signifie être ivre. En ce qui concerne les tirailleurs sénégalais, leur popularité pendant la première guerre mondiale n’empêchera pas les caricaturistes et illustrateurs de malmener leur image. Le graphisme consiste toujours à faire ressortir les grosses lèvres, les cheveux crépus, les yeux écarquillés et le « petit nègre »25 : « Eh bien ! Bamboula, li brave poilu, maccache bono : y’a bon » 26. Cette dernière expression restera dans les annales au travers des publicités Banania. Une de Kladderadatsch, 23 juillet 1916, revue satyrique fondée en 1848 à Berlin. 76 77 Au-delà de la dimension économique, les affiches publicitaires datant de la moitié du XIXe siècle au XXe siècle donnent à voir l’évolution des relations entre l’Afrique et l’Occident. Parmi les affiches les plus marquantes : les campagnes publicitaires de la marque Banania. C’est en 1912 que le journaliste Pierre Lardet rapporte d’un voyage cette boisson à base de cacao, de farine de banane, de céréales et de sucres. La première affiche pour la marque présentera déjà les caractéristiques qui seront récurrentes par la suite. Banania, c’est le fond jaune qui rappelle la couleur des bananes, le tirailleur sénégalais avec son large sourire, la chéchia rouge au pompon bleu pour évoquer le patriotisme français et le nom de la marque inscrit en capitales bleues. Le slogan « Y’a bon.. », apparut en 1925, disparaîtra dans les années 1980. Sur cette première affiche le visage du tirailleur n’était pas stylisé, pas plus que son attitude d’ailleurs. Vers 1920, le tirailleur disparaît pour laisser sa place à un serviteur Noir portant un tablier. Ce dernier apporte une tasse de Banania à un enfant enthousiaste. La supériorité de l’enfant blanc est clairement montrée, car il domine l’homme Noir. Le visage poupin de l’enfant permet de l’exclure du monde des adultes. Affiche Banania, Anonyme, Strasbourg, 1917. 78 Publicité Banania, Jolliot, l’Illustration numéro 4182 du 28 avril 1923. 79 80 À partir de ce moment le slogan insiste davantage sur le côté « remède » du produit. En 1930, un tournant s’amorce ; le dessinateur commence à styliser les traits du tirailleur. L’affichiste Sepo créera ainsi la figure suivante de Banania. Désormais la tête du tirailleur apparaît suspendue dans le vide, la main tient la cuillère tel qu’on le verra aussi par la suite. Vers 1957 Hervé Morvan rajeunit l’image de marque de Banania. La tête d’un tirailleur est simplifiée à l’extrême, ainsi que ses mains. Son corps est formé par deux bananes accolées dos à dos. Le visage du personnage n’est plus brun, mais totalement noir. Il ne reste plus que le sourire et la chéchia du tirailleur de 1917. Dorénavant les yeux sont aussi présent que le reste et pour la première et dernière fois la pompon sera à gauche. Cette affiche ne sera pas conservée en l’état. Affiche Banania, Anonyme, Paris, 1925. Affiche Banania, Hervé Morvan, Paris, 1961. 81 Par la suite, Morvan concevra une nouvelle affiche où la peau est à nouveau brune, le pompon de la chéchia à droite, le fond jaune ainsi que le slogan « Y’a bon.. » Sur cette affiche renouvelée, les mains avaient une plus grande importance, permettant d’attirer notre attention sur la tasse fumante de Banania. Cette affiche percutante marqua autant les esprits que son prédécesseur. Vers 1980, le tirailleur stylisé se change en écusson. Un personnage emprunté au registre des dessins animés Walt Disney prendra sa place. De grands yeux, des pommettes saillantes, un sourire qui ne sont pas sans rappeler le tirailleur sénégalais. Le slogan ne résistera pas à l’heure où les Noirs s’imposaient dans la publicité. Étrangement la version actuelle des emballages de la marque reprend un tirailleur plus stylisé que jamais, les yeux écarquillés, un large sourire avec des lèvres rouges pour compléter le cliché. Les couleurs rouge, bleu et jaune sont toujours conservées. Autre point de vue du colonialisme : la bandedessinée de Tintin au Congo, publiée en 1930. Le Congo Belge27, territoire quatre-vingt fois plus grand que la Belgique manque de main d’œuvre. Aussi, Hergé sous l’influence de l’abbé Wallez, directeur du Petit Vingtième entreprit d’écrire l’album afin de faire de la publicité. L’importance de l’imaginaire autour de l’Afrique y prend toute son importance lorsqu’on voit le nombre de clichés colonialistes. Chasse aux lions, aux crocodiles ; Tintin donnant un cours d’histoire/géographie aux Congolais sur « Votre patrie, la Belgique » ; Affiche La Negrita Rhum, Paris, 1892. 82 83 Tintin au Congo, extrait de Les aventures de Tintin reporter au Petit Vingtième au Congo, Hergé, 1931, supplément du journal Le Vingtième Siècle. 84 85 missionnaires gérant des écoles et des hôpitaux, etc. En 1946, Hergé remanie la version, réduisant le nombre de planches, limitant les clichés colonialistes, notamment en transformant la leçon de Tintin en cours de mathématique. La femme noire n’est pas laissée en reste. Dans la publicité, elle oscille entre deux variantes : soit la domestique, soit le fantasme sexuel offert au désir de l’homme. La femme noire est vue comme une personne à la plantureuse poitrine qui traîne au sol, une impudeur innée lui faisait préférer déambuler nue plutôt que de se soucier de sa toilette. Le mythe d’une femme sensuelle, soumise aux charmes des Français restait de mise. La première variante se trouve dans la publicité pour le rhum Negrita (soit « la petite négresse ») qui est alors une humble servante ; allusion à l’exotisme du lieu de production. Du reste, je constate que même si l’image de cette femme noire a considérablement évolué sur les affiches, elle est en revanche restée la même sur les étiquettes. La seconde variante prend place, entre autres sur les affiches faisant la promotion des « revues nègres » ; revues intitulées « danse sauvage » dans lesquelles les chorégraphies consistaient en des mouvements lascifs et suggestifs, interprétés par des danseuses quasiment nues, contrairement au music-hall parisien où le burlesque était de mise. Affiche de la Revue Nègre au Music-Hall, Paul Colin, Paris, 1925. De fait, à partir du XIX siècle, l’imaginaire colonial répondit aussi à un certain nombre de réflexes iconiques. Le noir et le blanc furent des signes, des pôles de e 86 87 référence dans les choix des couleur qui formèrent un ensemble de codes, de repères spécifiques. Le noir symbolise le négatif et le mal, tandis que le blanc représente le positif et le bien. C’est donc tout naturellement que la relation homme blanc/masse noire s’intègre dans ce mécanisme imagé. L’opposition entre les Noirs et les Blancs est accentuées par les tenues vestimentaires. Les Noirs portent souvent des tenues de serviteurs ou rayées des esclaves, alors que les Blancs portent plutôt des vêtements unis. Ces différents éléments de l’image constituent une mise en scène du colonisé et du Blanc, mais aussi des colonisés entre eux qui vont marquer durablement la production iconographique coloniale. Les visages en gros plan des personnages noirs, insistent sur les stéréotypes raciaux en les rendant presque monstrueux. Les caractéristiques physiques caricaturées, les yeux exorbités, les lèvres lippues, les dents toutes dehors, le nez exagérément épaté, sont associées à l’idée d’infériorité soulignée par le langage « petit nègre », signe de l’incapacité des Noirs à assimiler pleinement la culture occidentale. Le colonial est naturellement mis en valeur, placé dans une situation favorable, il est soit plus grand, soit en position dominante dans la construction de l’image. Le colonisé est bien souvent placé à droite de l’image, le côté négatif car dans l’imaginaire judéo-chrétien, les bons sont assis à la droite de Dieu, c’est-à-dire à gauche, par effet de miroir. Les colonisés sont représentés en foules « grouillantes », c’est la masse qui domine, alors 88 que l’Européen est le plus souvent individualisé. Très vite, pour renforcer l’idée que le colonisé est plus proche de l’état de nature que de l’état de culture, il est souvent représenté nu, sauf quand il est censé être christianisé où il est tourné en dérision, habillé maladroitement à l’occidentale. Cet anonymat des « Indigènes », se retrouve dans les présentations de profil, de dos, qui occultent le visage et insistent sur la puissance physique du corps. L’utilisation d’accessoires associés aux personnes procède du même fonctionnement: l’anneau dans l’oreille pour les « sauvages », l’os dans les cheveux ou dans le nez pour les « anthropophages » ou les Kanak, les armes pour les guerriers « sanguinaires. » Enfin, dernier élément d’association, la proximité avec l’animal. La culture, symbolisée par l’Occident, rencontre la nature d’où émerge l’indigène. Ce dernier, comme les animaux sauvages, est une bête curieuse que l’on vient voir, que ce soit au Jardin d’Acclimatation ou tout simplement à l’Exposition universelle de 1900 à Paris. L’image des Noirs dans la publicité, que ce soit des affiches, des « chromos », des buvards ou des emballages, faisait systématiquement référence au corps noir, qui synthétisait toutes les phantasmes. Que ce soit la malédiction de Cham28 ou la physiognomonie, chacune de ces approches idéologiques participeront à justifier la domination économique, politique, culturelle, sexuelle des Blancs sur les Noirs. 89 Les sources de l’histoire de l’Afrique Les sources pour retracer l’histoire de l’Afrique sont très disparates. Jusqu’au XVIIIe siècle, la difficulté à trouver des traces, des documents, pousse l’historien parfois à extrapoler. Pendant la période coloniale, l’histoire n’était que très peu, pour ne pas dire pas du tout, considérée. Elle faisait partie alors de ce que l’on appelait l’« histoire universelle ». À cause du manque de documents écrits et d’archéologie monumentale, les historiens européens considéraient l’Afrique comme un continent sans histoire. Et la discipline étant fondée sur l’étude des écrits, l’histoire africaine ne commença, pour les historiens occidentaux, qu’à partir du moment où ils se mirent à l’écrire. L’écriture permettait de stabiliser une affirmation originale. En somme tout le contraire de la tradition orale, plutôt de mise sur le continent, qui, par essence même, est en perpétuel mouvement. Après l’accession à l’indépendance, après la seconde guerre mondiale, le nationalisme africain apparaît. Les historiens africains souhaitent acquérir une identité culturelle propre. Dans ce but, ils regroupent les faits historiques du passé africain afin d’en faire une critique pour saisir les événements dans leur véritable contexte. « Le devoir de l’historien est de donner une image véridique de l’histoire — image nécessaire à la prise de conscience historique des masses dans leur lutte pour l’indépendance nationale, politique, économique, sociale et culturelle ».29 90 91 Comme n’importe quel historien, l’historien africain se doit de rapporter des faits réels. Toutefois, il doit tenir compte des possibles altérations de ce passé découlant des préjugés, de la dépendance d’une grande partie de l’Afrique et d’une ignorance réelle ; d’autant plus que l’histoire de l’Afrique fut durant la colonisation, un élément quasiment anodin dans l’histoire du pays colonisateur. Les documents écrits Il y a moins de documents écrits en Afrique que sur les autres continents. La majorité des documents écrits sont d’origine étrangère, ils doivent en conséquence être réinterprétés dans une perspective africaine. Même s’ils sont effectivement moins nombreux, il sont surtout très disparates selon les régions et les périodes. Ainsi on compte : les sources antiques (égyptiennes, nubiennes, et gréco-latines) ; les sources arabes ; les sources européennes ou soviétiques ; les sources africaines « récentes » (méroïtiques, éthiopiennes, en langue ou en écriture arabe, en écriture africaine moderne, en langue européenne…) ; les sources asiatiques ou américaines. Les sources arabes datent du VIIIe siècle. Elles sont parmi les plus importantes et les plus anciennes et concerne l’Afrique musulmane. Les principaux auteurs, qui ne sont pas tous arabes, Masoudi, Ibn Hawkal, Al Bakri, Al Adrisi, Aboulfeda, Al Omari, Ibn Battouta, Ibn Khaldoun, 92 AI Hasan (I. Léon l’Africain), Mahmoud Kati, Es Saadi. L’Institut d’Études Africaines du Ghana a découvert des centaines de documents écrits, et notamment, un document Haoussa relatant les origines des royaumes Mossi. De même, les Universités d’Ibadan et Kaduna ont constitué un corpus encore plus important. Les sources en Swahili sont recherchées aussi avec intérêt, et dans les bibliothèques du Maghreb, du Proche et du Moyen-Orient, il est probable que les publications maintenant disparues, des universités médiévales du Soudan Occidental, existent au moins sous forme de reproductions, de traductions en turc, en persan, etc. Les sources européennes, à partir du Moyen-Âge, ne manquent pas non plus.30 Ces sources viennent ainsi compléter les sources arabes. Les fonds privés sont encore à exploiter, dans les familles des ports négriers, dans les maisons mères des Sociétés missionnaires, dans les archives du Vatican et chez les héritiers des premiers voyageurs. Il faut aussi tenir compte des sources portugaises et de la littérature d’Amérique Latine exploitable à cet égard. De plus, il faut citer les documents d’origine proprement africaine comme les récits historiques du Sultan Njoya, en écriture Bamoum. Considérer que l’Afrique Noire est un territoire sans écriture serait une erreur. En effet, même si le continent africain n’a pas une écriture à large diffusion, cela n’empêche pas l’invention relativement récente d’alphabets dont la graphie trouve ses origines il y a des millénaires. Parmi les 93 écritures africaines les plus connues on notera la Vaï qui apparut en 1833 au Libéria, l’écriture Mende en Sierra Leone, l’écriture Nsibi du sud-est du Nigéria ou encore l’écriture Bamoum au Cameroun. Ces écritures se lisent pour la plupart de gauche à droite. La fonction de ces écritures est probablement la raison de leur importance toute relative en Afrique. En effet, il ne s’agit pas de conserver une trace écrite de l’oral ; il s’agit de figurer ce que la parole ne dit pas. La rareté actuelle des documents écrits est cependant l’un des principaux problèmes de l’historiographie africaine. Il s’agit au travers des différentes sources d’envisager chaque élément, même le plus anodin comme historique. En accord avec l’évolution de la discipline en Occident, l’histoire n’est pas seulement les grandes guerres, les hommes politiques, les traités, etc. Le banal participe aussi à une meilleure connaissance historique. Une histoire poly-sources et polyvalente prend en compte toutes les traces humaines laissées par l’homme. Plutôt que les termes « Préhistoire », « Protohistoire » ou « Ethno-histoire », il faudrait préférer le mot « d’histoire sans textes »31. En effet, rien ne dit que l’histoire sans textes soit moins valable du strict point de vue de la compréhension, de l’explication et de la restitution du passé. Les traces archéologiques sont parfois des témoins plus sûrs par rapport au témoignage écrit de l’historien interprétant la réalité exhumée. Sans nier l’importance fondamentale des écrits, les « témoins malgré eux » dont parle Marc Bloch Signes graphique vaï, L’Afrique dans l’Antiquité, Théophile Obenga, Présence Africaine, Paris, 1973. 94 95 sont souvent plus éloquents et moins sujets à caution que les relations écrites qui sont parfois laissées pour les besoins de la cause. En fait, l’historiographie africaine entre en scène à un moment où une révolution s’opère dans la conception générale de l’histoire : l’histoire se voulant plus globale. La tradition orale « Aussi loin que nous remontons dans le temps, une forme d’histoire existe, l’histoire c’est, si l’on veut, la mémoire collective du groupe. La mémoire du groupe travaille par élimination, comme la mémoire individuelle. Collective elle aboutit donc à un discours qui permet une récitation, une remémoration collective de l’essentiel. »32 Les sociétés africaines, à l’exception de celles situées au nord du Sahara, étaient des sociétés où la mémoire était transmise oralement d’une génération à une autre. C’est pourquoi il est essentiel d’aborder les problèmes présentés par les traditions orales que l’on considérera ici comme « tous les témoignages oraux concernant le passé qui se sont transmis de bouche à oreille » 33. Ces témoignages sont non seulement des sources capitales pour l’histoire des peuples où l’écriture n’est pas autant privilégiée qu’en Occident, mais aussi des sources à l’origine d’écrits de l’Antiquité et du Moyen-Âge. La tradition orale reste encore une source historique qui porte à polémique en raison de l’absence assurée de 96 relations causales assurant leur crédibilité. Mais la plupart des historiens de l’Afrique admettent maintenant la validité de la tradition, même si beaucoup la considèrent comme moins dense que les sources écrites, ou la recoupe avec une autre source pour confirmer sa validité. De nombreux auteurs, comme H. Deschamps, J. Vanisna, D.F. McCall, Person considèrent la tradition orale comme une source aussi respectable quoique en général moins précise que les écrits. Dans certains cas et avec une méthodologie appropriée, elle apporte le degré de certitude qu’on attend normalement de la connaissance historique. Le problème n’est donc pas de savoir si elle est valable à priori, ou si elle doit bénéficier ou non d’appuis extérieurs, mais de construire la méthode propre à distinguer les traditions et à sélectionner avec certitude celles qui sont dignes de servir de sources pour l’histoire. La tradition est souvent auto-controlée par les nombreux témoins qui veillent à sa conservation. Ce n’est pas une personne ou une famille seulement qui en est garante, c’est toute une communauté qui en assure le bon aloi. La critique interne de la tradition est possible, si l’on connaît la typologie des témoignages transmis et la technique de la littérature orale avec ses stéréotypes, ses métaphores et ses formules ésotériques. Chaque type a ses canons et sa présentation formelle qui a pu évoluer au cours des âges, si bien que le style trahit parfois l’âge du document oral. Les études de ce type devraient être multipliées et les techniques de collecte des textes oraux perfectionnées. 97 Les vestiges archéologiques Les témoignages archéologiques sont un moyen de comprendre les activités humaines. Cependant, l’archéologie souffre en Afrique, outre du manque de moyens, d’handicaps dûs à la fragilité du terrain et à la violence de l’érosion. Il faut compter avec les ravages des termites, la rouille et la désagrégation chimique par l’humidité et l’acidité des sols, l’absence de fossiles directeurs, les saccages des profanes. Néanmoins, des techniques telles que le Carbone 14 ou le test au fluor, permettent de donner des approximations chronologiques satisfaisantes. Signalons enfin le triste sort réservé, en raison des impératifs du développement économique, aux monuments et vestiges de Nubie, à jamais enfouis après la mise en service du haut barrage d’Assouan et cela malgré l’effort (suscité par l’Unesco) de certains États ou organismes privés. Malgré tous ces handicaps, l’archéologie a largement contribué à l’histoire africaine. Certains archéologues ont parfois exhumé des civilisations entières, apportant parfois des confirmations à la tradition orale, par exemple en pays Louba. Ce peuple racontait, en effet, que toutes leurs chefferies étaient issues d’un prototype situé dans la région du lac Kisalé. Et, l’archéologie y a effectivement découvert d’immenses cimetières contenant les restes d’une culture du fer et du cuivre, et d’une économie basée sur la pêche et le commerce dès le VIIIe siècle. Même concordance à Bweyoréré, l’une des premières capitales des rois de l’Ankolé dont l’emplacement avait été repéré 98 par R. Olivier grâce à la tradition orale. Les fouilles de M. Posnansky ont vérifié la conformité de la tradition qui faisait état de deux occupations successives de ce site. Bien d’autres exemples démontrent que l’archéologie corrobore les faits cités lorsqu’elle est mise en rapport avec d’autres sources. Elle a aussi permis de mettre à jour les vestiges d’objets d’art et d’artisanat d’Afrique. Mais, depuis la fin du XIXe siècle, on assiste à une véritable razzia initiée par Paul Torday, Léo Frobénius et Marcel Griaule. Les arts premiers en Europe À partir du XVe siècle, les navigateurs portugais explorent l’Afrique et découvrent peu à peu les arts africains. Ces navigateurs arrivent accompagnés de missionnaires chrétiens qui veulent convertir les peuples autochtones qualifiés de « barbares. » Les objets d’art sont considérés comme des fétiches. C’est dans cet esprit de reconversion que des milliers d’objets traditionnels africains furent détruits. Les arts africains ne présentant aucun intérêt pour les Européens furent assimilés aux outils des hommes préhistoriques. Dans leur contexte originel, ces artefacts étaient des créations symboliques en lien avec les traditions religieuses ou sociales. Ainsi, certains masques ne peuvent dévoiler leurs capacités que lorsqu’ils sont en mouvement, pendant une danse rituelle par exemple. Les arts africains sont donc symboliques ; ils sont d’une 99 100 Fétiche, Yombe, Zaïre, bois et matériaux divers, Musée royal de l’Afrique centrale, Masque Ioniakê, Tusyan, Burkina-Faso, bois fibre végétales et graines, Musée Tervuren, Belgique. Barbier-Müller, Genève. 101 certaine manière une écriture, c’est-à-dire un ensemble d’objets considérés comme des signifiants. Ainsi, l’objet est proprement un objet-symbole, c’est-à-dire un caractère qui induit une modification du sens courant de la notion d’écriture, de sorte que celle-ci ne s’entend plus uniquement comme étant la transcription d’un signe abstrait sur une surface plane. Les objets africains sont, en effet, des idéogrammes dont la possession des codes d’interprétation est nécessaire pour leur compréhension. Les arts africains se sont exprimés surtout dans le bois, matière très fragile sous ces climats. On notera l’aide que peut apporter l’histoire pour une interprétation correcte des données par l’artisan, l’anthropologue, l’étudiant en religions, etc. Ainsi, le fait de savoir qu’au Bénin, la même corporation d’artisans travaillait l’ivoire et le bois, tandis qu’une autre utilisait la terre cuite et le bronze, est une donnée historique importante pour l’interprétation des styles. Mais ici comme ailleurs, on n’arrive pas souvent à des conclusions catégoriques. Dans les années 1920, ces objets deviennent des œuvres « d’art nègre. » Puis, avec le soutien d’André Malraux, ils deviennent des œuvres d’art à part entière. En 1966, à l’occasion du festival des arts nègres à Dakar, le ministre français de la culture prononça un discours appelant à la reconnaissance de l’art africain qu’il qualifia de « Grand art » comparable à l’art grec de l’époque de Périclès et à l’art roman. Dès lors, il ne sera plus question que d’arts africains. La notion même d’arts dits « premiers » ou « primitifs » semble n’exister qu’en Occident alors que dans leur pays d’origine, ces 102 objets sont considérés comme de l’artisanat. Le statut d’œuvre d’art est une invention de l’homme tout comme l’histoire. Ainsi la relation esthétique que les Européens entretiennent avec ces objets participent à leur nouveau statut. Le terme de « premier » succède aux appellations de « sauvages, exotiques, nègres, primitifs. » Il souhaite s’approcher du côté tribal, sans pour autant effectuer de comparaison avec l’art occidental afin de les considérer comme les premières créations de l’histoire de l’art. Notes 1. Theophile Kouamouo, Entrevue accordée à RFI , août 2008. 2. Réponse de Théophile Kouamouo sur son blog http://kouamouo.ivoire-blog.com. 3. Etum du blog http://africa2point0.com 4. Hilaire Kouakou du blog http://hilairekouakou.blogspot.com/ 5. Nouvelles technologies de l’information et de la communication. 6. Mohamed Billy du blog http://mohamed-billy.blogspot.com/ 7. Afrigator est un agrégateur/réseau social pour les bloggeurs, podcasteurs, etc., africain, lancé en avril 2007 par Justin Hartmanet basé à Johannesburg. 8. http://www.congoblog.net/ 9. http://leblogdeyoro.ivoire-blog.com/ 10. Le numéro de mars 2009 de Jeune Afrique (n°282) fut interdit à la diffusion en Algérie, l’un des dossiers traitant des rapports de Boutefklika, des décisionnaires militaires et de l’influence de ces derniers dans l’élection et la réélection du président algérien. 11. Traduction: «Trop dangereux, pas assez intéressant… l’Afrique profonde, tu vois… le milieu de nulle part.» Extrait de l’article «De la françafrique à la maffiafrique», publié le 29 juillet 2002 (première publication le 17 mai 2002) par Jean-François Dupaquier paru dans n° 21/22 (mai/août 2002) de la revue Mouvement. 12. Photographie publiée dans le New York Times en 1993, prix Pulitzer en 1994 13. Émissions Au loin, la liberté, Racines, Vies d’esclaves, La boxe, mon combat, Jack Johnson, Le champion qui divisa l’Amérique, Soweto, Les swenkas, Wattstax, Citizen King, Sidney Poitier, première star noire à Hollywood, Les tabous de l’esclavage, Malcom X, Mission Nollywood, Malick Sidibé diffusées entre le 1er juin et le 11 juillet 2008 sur Arte. 14. Titre original: Roots, série américaine créée en 1977. Racines s’inspire du livre éponyme écrit par Alex Haley. Dans ce dernier, Haley narre le destin de la famille Kinte, 103 qui est en réalité la sienne. En effet, au cours des années soixante, Haley a appris de ses parents que le premier esclave de la famille s’appelait Kunta Kinte. Retraité, il entreprit de longues recherches parvint à retrouver dans les archives le nom et la provenance du bateau sur lequel son ancêtre avait été embarqué. 15. La raison dans l’histoire, Friedrich Hegel, Hatier, 2000. 16. Allocution de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, prononcée à l’Université de Dakar, 26 juillet 2007. 17. La réforme intellectuelle et morale, Ernest Renan, Complexe, 1999. 18. Étienne Geoffroy Saint-Hilaire (Étampes 1772-Paris 1844) naturaliste français ayant contribué au développement de l’anatomie comparée des animaux et de l’embryologie, et ayant également pris part à la genèse de la notion d’évolution biologique. Il fréquente les cours de Jussieu et de Daubenton. Ce dernier le fait nommer, en mars 1793, démonstrateur au Jardin du roi. En juin 1793, cet établissement devient le Muséum national d’histoire naturelle, et à vingt et un ans Geoffroy Saint-Hilaire y est nommé professeur de zoologie et donne les premiers cours sur les mammifères et les oiseaux. Il achète les animaux de la ménagerie du roi à Versailles, d’autres exhibés dans des foires, et crée ainsi la ménagerie du Jardin des Plantes.En 1795, Haüy lui recommande un jeune provincial doué, Georges Cuvier. Geoffroy Saint-Hilaire le fait venir à Paris, lui trouve un poste au Muséum. Ils travaillent ensemble et publient notamment Histoire naturelle des orangs-outans et Sur les espèces d’éléphants (1795). 19. Anthropologie du racisme. Essai sur la genèse des mythes racistes, Xavier Yvanoff, L’Harmattan, Paris, 2005 20. De son vrai nom Saartjie Baartman, elle fut arrachée à son pays d’origine, la colonie du Cap de Bonne Espérance. 21. Dont le tissu adipeux est très développé au niveau des fesses; qui a de très grosses fesses. 22. Dont les organes génitaux sont protubérants. 23. La loi du 21 février 2002 a rendu possible le transfert de la dépouille de Saartjie Baartman vers son pays natal, l’Afrique du Sud. Ses restes ont ainsi été restitués avant de faire l’objet d’obsèques solennelles, le 9 août au Cap, sa province natale. 24. Le temps des colonies, Album La vieille, Michel Sardou, 1976, paroles Michel Sardou et Pierre Delanoë, musique Jacques Revaux. 25. Langue véhiculaire utilisée au début du XXe siècle dans certaines colonies françaises consistant en une version simplifiée du français. 26. Extrait d’une illustration de Jean Chaperon datant de 1918. 27. Nom de l’actuelle République Démocratique du Congo entre 1908 et 1960. 28. Extrait de la Bible, Ancien testament, la Genèse, chapitre 9, verset 20-27. «Noé commença à cultiver la terre, et planta de la vigne. Il but du vin, s’enivra, et se découvrit au milieu de sa tente. Cham, père de Canaan, vit la nudité de son père, et il le rapporta dehors à ses deux frères. Alors Sem et Japhet prirent le manteau, le mirent sur leurs épaules, marchèrent à reculons, et couvrirent la nudité de leur père; comme leur visage était détourné, ils ne virent point la nudité de leur père. Lorsque Noé se réveilla de son vin, il apprit ce que lui avait fait son fils cadet. 104 Et il dit: Maudit soit Canaan! qu’il soit l’esclave des esclaves de ses frères! Il dit encore: Béni soit l’Éternel, Dieu de Sem, et que Canaan soit leur esclave! Que Dieu étende les possessions de Japhet, qu’il habite dans les tentes de Sem, et que Canaan soit leur esclave!» La malédiction de Cham alimente la polémique selon laquelle les Noirs, descendants de Cham seraient noirs pour être punis des pêchés que celui-ci a commis, à savoir d’avoir abusé sexuellement son père. Cette théorie aurait été le point de départ pour cautionner la traite des Noirs et l’esclavage. 29. Article Devoirs et responsabilités des historiens africains, M. Achufusi, numéro 27/28, Paris, 1959. 30. Cresques Abraham figurera d’ailleurs l’Empereur du Mali sur un portulan. 31. Encyclopédie de la Pléiade, Éditions Gallimard, publiée depuis 1955. 32. Histoire quantitative, histoire sérielle, Pierre Chaunu, dans Cahiers des Annales, n°37, Paris, 1978. 33. De la tradition orale. Essai de méthode historique, dans les Annales du Musée Royal de l’Afrique Centrale, Série in-8°, Sciences humaines, n°36 - Jan. Vansina, Tervueren, 1961. 105 Partie 3. Les publications sur l’Afrique 106 107 Les supports éditoriaux Les maisons d’éditions spécialisées On peut considérer les livres comme le premier moyen d’accéder à cette histoire africaine si complexe et plurielle. En l’occurrence ce n’est pas vraiment les maisons d’éditions ou les collections spécialisées qui manquent. Il y a les éditions L’Harmattan et Présence Africaine, puis les éditions Karthala et la collection Terre humaine des éditions Plon. Cette partie ne se veut pas un catalogue de toutes les maisons d’édition existantes, mais plutôt une analyse de l’existant afin de comprendre ce qui fait la spécificité de ce type d’ouvrage, l’originalité de certaines. La collection Terre Humaine fut fondée par l’ethnologue et géographe Jean Malaurie en 1955. Cette collection réunissait les récits des confrontations d’un auteur et de son périple. Il s’agissait pour J. Malaurie d’une sorte d’anthropologie réflexive « proche des hommes et à la portée du public », une sorte de Comédie humaine de toutes les civilisations, écrite dans la lignée des Balzac, des Zola, « une chronique des mœurs de la vie contemporaine. » Cette collection met en avant l’expérience, l’exploration, la littérature de voyage, d’où une ambiguïté entre sciences sociales et littérature qui a sûrement participé au succès de la collection. Elle s’est enrichie par la suite d’une collection de poche (Pocket-Terre humaine) et de la collection Courant de pensée qui réunit des textes inédits des auteurs principaux de Terre Humaine. Terre Humaine n’a jamais eu pour but de ne parler que du continent africain, il s’agissait plutôt 108 109 d’être un porte-parole de tous les peuples considérés comme opprimés à travers le monde. Jean Malaurie confrontait pour la première fois dans le monde de l’édition sur un plan d’égalité la « civilisation du livre » et les « civilisations sans écriture ». C’est la passion qui anime Jean Malaurie et qui donne à cette collection ce regard à part, explorant tous les traits de ces civilisations, y compris les moins glorieux. Il est utile d’évoquer aussi la façon dont Jean Malaurie a su diversifier les supports avec entre autre des fonds documentaires, mais aussi des films documentaires qui améliorent la précision des faits. Je dois évoquer un élément qui a attiré mon attention, peut-être en tant qu’amatrice de livres : les titres des livres. En effet, l’imaginaire entretenu autour des livres de cette collection est très éloigné, de celui des ouvrages habituels d’histoire, d’ethnologie, d’anthropologie. Quel que soit le titre du livre, le côté sibyllin, presque poétique, intrigue et laisse une place au lecteur potentiel. L’invitation et la curiosité sont privilégiées plutôt que l’explicité sans pour autant trahir l’objet du livre. Les derniers rois de Thulé, L’été grec ou Le souffle du mort : on oscille entre une vision métaphorique et un traitement explicite. Devant l’impossibilité de résumer un livre en quelques mots dans le titre, il doit donner envie de lire, et son choix est à la fois celui de l’auteur et de l’éditeur. La mort sara, Robert Jaulin, Plon, Paris, 1992. 110 111 Les éditions Karthala, quant à elles, proposent dès 1980 des questionnements de sciences humaines, politiques et sociales consacrées à l’Afrique, au monde arabe, à l’Amérique latine et aux Caraïbes. La collection Méridiens est une synthèse sur un pays d’Afrique, d’Asie, des Caraïbes ou d’Europe de l’Est. Il s’agit d’une vulgarisation (dans le bon sens du terme) ; ces ouvrages s’adressent plus à un public de néophytes voyageurs ou curieux qu’à un public de spécialistes. D’une autre manière, la maison d’éditions Présence Africaine, créée en 1949, dirigée aujourd’hui par Yandé Christiane Diop, fut un moyen de fédérer les penseurs, écrivains et autres intellectuels du monde noir afin de faire circuler leurs œuvres. Les livres publiés chez Présence Africaine sensibilisent et questionnent les thèmes de la colonisation, de la vie publique africaine, les esthétiques africaines et les histoires africaines. La Guinée, Muriel Devey, éditions Katharla, collection méridiens, Paris, 1997 112 Les titres de L’Harmattan concernent aussi bien la philosophie, la littérature que les sciences humaines ou politiques. Fondée par Denis Bernard Désiré Pryen, la maison d’édition a fortement participé à la visibilité de l’Afrique noire. En effet, il existe une Maison de l’Amérique latine, un institut du Monde Arabe, mais aucun organisme pour promouvoir l’Afrique noire. Malgré la qualité de L’Harmattan, très peu d’ouvrages sont vendus en Afrique. Les coéditions avec une maison d’édition du continent africain est quasi impossible à cause du manque de structures. Les coups élevés des livres et 113 du transport n’arrangent pas les choses. La coédition permettrait un investissement financier moins fort par titre et une diffusion mieux gérée. Là encore, il faudrait réviser la question des subventions qui sont inexistantes pour 300 ou 400 exemplaires, empêchant ainsi la recherche d’être diffusée. En Afrique ce n’est pas un livre qu’il faut aider, mais un éditeur dans les investissements qui lui sont nécessaires. Plutôt que de subventionner un auteur qui profite de ses bonnes relations avec les pouvoirs, c’est l’éditeur qu’il faudrait aider. Au delà de cela, le livre sur l’Afrique a encore du mal à percer en France. Les Africains vivant en France ne s’intéressent pas outre mesure à l’Afrique, hormis leur pays d’origine. Cela correspond donc à des micro-marchés. Pourtant les études africaines sont encore demandées. En revanche, les contrats des auteurs de L’Harmattan peuvent prêter à débat. Les auteurs ne perçoivent pas de droits d’auteur et doivent souvent faire la maquette de leur livre. Du côté de la maison d’édition, ceci se justifie. Ce système permettant selon leurs dires, d’éditer des livres qui seront probablement peu vendus. Le vocabulaire formel, s’il en est, de L’Harmattan, est assez symptomatique de ce que l’on voit dans le domaine de l’édition de livres sur l’histoire et de l’Afrique en l’occurrence. Il semblerait que la ligne graphique de L’Harmattan ait très peu changé depuis sa création, et les variantes entre les collections (À la rencontre de…, Études africaines, Afrique 2000, etc.) dans les thèmes qui nous intéressent sont quasi insignifiantes. Les premières 114 de couvertures sont monochromes, orange pour Le Mali de Joseph Roger de Benoist. Une simple photographie en noir et blanc de ce que l’on suppose être une Malienne avec son enfant, comme entrée en matière sur le pays en question. Comme pour la plupart des livres, on peut lire sur la quatrième de couverture, un bref résumé de ce que l’on trouvera à l’intérieur, suivi par une mini-biographie de l’auteur qui permettra de cautionner son propos. Le livre commence par une carte générale du Mali, suivi par la définition des sigles et acronymes. Par la suite, le récit sur le Mali commence, parfois ponctué par des cartes géographiques en noir et blanc. Au milieu, sont regroupés des photographies en noir et blanc sur des thèmes divers et variés. Le livre se termine par différentes annexes, l’index et la table des matières. Les ouvrages d’ethnographie, d’anthropologie, d’histoire entretiennent un rapport difficile avec l’image. Alors, les visuels sont assez rares dans des propos où cela semblerait évident. D’autre part le rapport au design graphique est quasiment inexistant, ce dernier est sûrement vécu comme un parasite à un propos sérieux pour les uns, ou alors un luxe sans grande importance pour les autres. Le manque de photographie peut être frustrant pour le lecteur, mais cela n’est parfois qu’un exemple des difficultés des auteurs ou des maisons d’édition pour obtenir les droits d’auteur. Alors que ce genre de livre pourrait attirer par hasard un lecteur, accroché par un titre, une image, une qualité de confection du livre, ce n’est que le fond qui est considéré, laissant de côté la praticité et le plaisir. C’est aussi la 115 singularité de chaque maison d’édition et des valeurs de chacune d’entre elle qui est abandonné. Pour ce qui est d’un premier achat sur un thème, c’est plus le hasard qui va diriger mon choix ou la réputation de l’édition, ce qui ne voudra pas forcément dire que c’est le meilleur livre sur le thème en question. Rien ne permet au néophyte, au curieux d’avoir un aperçu sur le ton, la qualité et le point de vue du livre à cause d’un no-design presque systématique. forme de frustration. Malheureusement, trop souvent encore ces « beaux » livres, pour ce qui est du domaine de l’histoire, se résument à des visuels en grands formats, pas forcément reproduits sur un papier de qualité où les fonds textuels sont pratiquement inexistants, laissant la porte ouverte à toutes les spéculations possibles sur le contexte de l’image en question. Les « beaux » livres Il est compliqué de définir à quoi correspond ce type de livres, d’autant plus que cette appellation est devenue arbitraire depuis les progrès techniques de reproduction. Le « beau » livre est une possibilité intéressante à la fois pour le marché et aussi pour les qualités qu’il offre. Il reste impossible pour moi d’associer ce terme à une quelconque maison d’édition dès lors qu’il s’agit de livres d’histoire ou d’anthropologie plus particulièrement. En effet, ces livres souvent de grands formats, répondent à des normes qualitatives spécifiques correspondant à des thèmes tels que la photographie, l’art, la cuisine, le tourisme et pour le cas qui m’intéresse, l’histoire et l’anthropologie. Face à des thèmes peu ou pas abordés, et pour des personnes dont beaucoup ne sont jamais allées sur place, le visuel prend toute son importance, ouvrant un imaginaire et en même temps cherchant à éviter toute 116 Fastueuse Afrique, p 170-171, Angela Fisher, Éditions Chêne, 1984. 117 Une histoire du temps présent L’un de mes professeurs d’histoire/géographie m’a dit un jour que l’histoire s’écrivait au quotidien. À l’époque, la phrase ne m’a pas surprise. Aujourd’hui, je me rends compte qu’à l’ère de la diffusion des contenus en temps réel, les temporalités de l’histoire et de l’actualité sont trop différentes pour être considérées comme un ensemble indissociable. Les magazines sur le thème de l’Afrique sont encore assez rares, que ce soit sur des thèmes précis ou plus généralistes. On notera parmi les plus connus Jeune Afrique, Afrique Magazine et Politique Africaine. Sans s’attacher à l’analyse complète d’un magazine en particulier, je souhaitais ici mettre en exergue, les éléments qui font l’intérêt de la lecture de l’histoire de l’Afrique dans des revues tant dans le fond que dans la forme. Ce qui fait l’intérêt de ces revues, c’est leur capacité à alterner d’un numéro à un autre ou à l’intérieur même d’un numéro, des recherches, des articles, des dossiers sur les pays d’Afrique et différentes approches, qu’elles soient sociologique, économique, politique etc. d’un même thème. Certaines revues telle que Politique Africaine sont thématiques et chaque numéro équivaut à un petit livre collectif, où divers spécialistes construisent un matériau composite, une analyse autour de thèmes d’actualité. Les photographies, les illustrations, les graphiques : savoir de qui on parle, de quoi on parle, participe à assouvir la curiosité du lecteur, le fidélise parfois et 118 119 constitue un aspect didactique. Ils participent d’une volonté d’être exhaustif dans le propos. Ici, contrairement au monde de l’édition, l’image prend une véritable valeur informative, documentaire, symbolique, etc. Il faut de toute façon tenir compte de l’image dans le domaine de l’histoire. Même si dans mon cas, en tant que simple amatrice d’histoire et designer graphique, elles ne peuvent prétendre, dans le cadre de mon projet, à l’exigence de scientificité de l’historien, elles participeront à renouveler l’approche des faits historiques relatifs à l’Afrique noire et leurs représentations. Il faudra toutefois prendre en compte l’image dans son sens le plus large (photographie, gravure, dessin de presse, screen shot etc.), cette approche transdisciplinaire participera à une lecture plus juste de l’histoire de l’Afrique qui est en constant mouvement tout en évitant une simple illustration. Dans mon projet j’ai souhaité associer entre autres, les qualités qui définissent la presse écrite et le livre. J’ai volontairement choisi des pans de l’histoire peu, voire pas connus en Occident. Cela n’était pas une volonté de trouver les « niches » historiques. En réalité chacune de ces périodes permet de mieux appréhender les faits historiques qui ont suivi, comme l’apartheid ou encore la décolonisation. La presse est un bon moyen de poser les bases en ce qui concerne l’histoire obscur de l’Afrique, d’autant plus qu’elle est moins intimidante qu’un livre. Le lecteur ayant cette possibilité de « picorer » différentes formes d’écriture. 120 121 Partie 4. Mon projet 122 123 Très vite, concevoir des livres m’est apparu comme une évidence. En effet l’histoire s’écrit, il s’agissait de laisser une trace de cette réflexion, de ces pérégrinations entre les diverses ressources que j’avais effectué en un an. Une sorte d’aventure éditoriale, littéraire et historique en somme. Dès le début, au travers de mes lectures je me suis rendu compte qu’il existait certes des milliers de faits ayant marqué l’histoire en Afrique, mais ils étaient peu, voire pas du tout relayés dans le monde de l’édition en Occident. C’est ainsi que mon choix s’est finalement porté sur la guerre des Boers en Afrique du Sud, la vie de l’Almami Samory Touré en Guinée et l’islam dans l’archipel des Comores. Même si je souhaitais évoquer dans chaque livre un pays en particulier, il ne s’agissait pas pour moi de faire une monographie de l’État. Cette solution aurait été selon moi un moyen d’éviter la difficulté, de rester dans les stéréotypes parce que tout aurait été survolé au dépens de la spécificité historique de chaque pays. Alors, chacun de ces pans de l’histoire est un moyen de comprendre des faits historiques souvent peu évoqués en Occident, et de considérer l’histoire de ces pays, du continent comme faisant partie d’un enchaînement de conséquences. Choisir ces morceaux d’histoire, ces thèmes, était un moyen de montrer l’Afrique dans sa diversité géographique, ethnique, religieuse et même historique. J’ai pris conscience aussi des conséquences de la Conférence de Berlin dans la manière d’envisager l’histoire en Afrique. En effet, même si on compartimente chaque pays, il est plus juste de parler de territoire quand 124 125 on sait que les frontières actuelles correspondent en aucun cas à la réalité politique et ethnique de l’Afrique en 1895. La guerre des Boers fut pour moi une sorte de surprise du début à la fin. En effet, plusieurs éléments ont attiré mon attention, entre autres, l’ouverture des premiers camps de concentration durant cet affrontement contrairement à ce que la majorité des personnes pensent. Mais aussi l’évolution des tenues de l’armée britannique qui sont passées du rouge vif au kaki pour mieux se camoufler, les raisons de la si forte présence de personnes originaires de Hollande ou d’Angleterre en Afrique du Sud encore aujourd’hui, ou encore l’apparition de la guerilla et du fil de fer barbelé. Étrangement, bien que toutes ces évolutions en font la première guerre moderne, bien que d’autres pays se soient associés à l’Angleterre ou à la Hollande afin de mener cette guerre, elle est méconnue du grand public. En ce qui concerne les historiens de l’Afrique et plus précisément de l’Afrique du Sud, ils la considèrent comme la véritable première guerre mondiale. En ce qui concerne l’Almami Samory Touré, peu, pour ne pas dire personne en France serait capable de dire qui il s’agit. Pourtant, dès que j’ai questionné des personnes d’origine guinéenne, les récits ont fusé. Il est considéré comme le pionner de l’indépendance guinéenne, ayant construit un empire à travers toute l’Afrique de l’Ouest qui n’est pas sans rappeler la vie épique de Napoléon Bonaparte, dont il était contemporain. 126 Il imposera l’Islam dans une grande partie de son territoire et devra finalement céder devant l’arrivée des colons français. Il faut bien dire que son engouement pour la conquête motivera par la suite le peuple à réclamer son indépendance. Les avis extrêmement divergents concernant l’homme ont éveillé ma curiosité. Certains le considérent comme un héros et d’autres comme un véritable tortionnaire. Jusqu’au bout j’ai douté de mon choix de l’archipel des Comores, et plus encore lorsque Mayotte a voté pour devenir un département d’Outre-mer. Cependant, il m’a semblé utile d’évoquer un territoire français situé en Afrique Noire et d’autant plus que ce dernier est à 99% musulman. Le fait que les Comoriens s’identifient comme français, mais revendiquent aussi avec force leur religion, m’a intrigué. Les questionnements qui entraient en jeux avec ce lieu français en Afrique, avec une culture à la limite entre celle de l’Occident et l’Orient, m’ont pousser à m’interroger sur ce qui faisait l’identité de cet archipel, et comment la religion omniprésente participait grandement à cela. La cartographie a une importance majeure dans le cadre de ce projet, et pour cause l’image géographique que nous avons de l’Afrique aujourd’hui ne correspond en rien aux réalités. D’autant plus que la diversité de l’Afrique tant au niveau géographique, ethnique, religieux, climatique, linguistique, etc. prouvent à quel point je me devais d’envisager l’Afrique selon ces 127 points de vue, et non pas en me fiant systématiquement à un territoire géopolitique. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle dès le début de cette étude j’utilisais l’expression d’« Afrique dans tous ces états » en laissant volontairement l’ambiguïté sur le terme état/État. C’est aussi la raison pour laquelle j’ai choisi d’appeler la collection de livres « Afriques », en mettant le nom propre au pluriel. C’était pour moi le moyen de montrer cette pluralité avant même de rentrer dans les thèmes précis. Au travers de mes pérégrinations sur Internet, j’ai découvert, avec les blogs, à quel point la diaspora africaine se sentait réellement concernée et impliquée dans l’histoire de son territoire que ce soit le continent ou un pays en particulier. J’ai alors souhaité réunir dans un portail ces différentes approches, chacune traitant de l’Afrique selon ce qui l’intéresse, le touche. Un site internet est aussi un moyen d’ajouter des éléments après la lecture du livre, de mettre à jour certaines polémiques. C’est notamment le cas avec la chanson De La Rey de Bok van Blerk, groupe afrikaans. Cette chanson prônant la fierté afrikaans, et défendant un certain nationalisme, ravive les pensées de beaucoup de Blancs en Afrique du Sud qui se sentent quelque peu exclus de la politique du nouveau gouvernement. Cette polémique prend toute son importance lorsqu’on sait qu’après la guerre, les Boers avaient mis en place un système les rendant prioritaires sur les emplois aux dépens des Noirs. Il n’est donc pas difficile de voir 128 cet évènement comme le prémice de l’apartheid. D’autre part, le site internet était aussi un moyen de donner des repères chronologiques au lecteur, en mettant en relation les faits historiques que j’évoque dans les livres, mais aussi avec les faits historiques plus connus et mieux diffusés. À travers les livres, les cartographies, le site internet, j’ai souhaité montrer l’importance de l’Afrique. Cependant j’ai aussi voulu montrer à quel point le lecteur fait partie intégrante de la collection. C’est le lecteur qui participe à la dispersion de cette pensée plus juste concernant ce continent ; le lecteur qui participe à la pérennité d’une collection ; montrer aussi que l’histoire de l’Afrique ne doit pas être écrite seulement par des Africains, contrairement à ce que certains souhaiteraient. En convoquant tous les acteurs de cette histoire, je souhaite m’approcher d’une certaine forme de vérité. En essayant de comprendre les sociétés africaines, l’histoire africaine, en enquêtant, j’ai dû observer avec la plus grande lucidité, montrer ce qu’il y a de bien comme de moins bien afin d’en faire prendre conscience à d’autres. 129 Conclusion 130 131 La mémoire de l’Afrique existe depuis toujours. Elle s’est transmise sous des formes diverses, et en particulier, oralement. L’écriture du récit historique a permis une temporalité avec un avant et un après. L’histoire de l’Afrique doit, même si elle concerne d’abord le public africain, viser un plus large public et notamment dans les anciens pays colonisateurs. Critiquer la vision que l’on peut avoir dans les pays occidentaux sans pour autant donner les moyens d’apporter une véritable réflexion serait une erreur. Cette vulgarisation est importante dès lors qu’on considère que les pays colonisateurs et les pays colonisés ont un passé commun. Au-delà, la méconnaissance du passé de l’Afrique est dommage car celle-ci est grandement imbriquée avec celle des anciens pays colonisateurs. Les regards croisés entre les historiens, ethnologues, anthropologues, archéologues africains et leurs homologues des autres continents est un moyen de conserver une approche riche et plurielle. Cependant les uns ne doivent pas fournir la matière et les autres l’analyser. Il ne s’agit plus maintenant d’écrire une histoire idéologiquement orientée, mais une histoire issue du travail entre diverses communautés scientifiques et humaines. C’est peut-être là l’enjeu de l’histoire de l’Afrique aujourd’hui.( Certes l’histoire de l’Afrique a été malmenée, quand elle n’a pas été simplement niée. Elle fut le fruit de grandes affabulations à ses débuts, jusqu’à il y a peu. Ceci était en contradiction totale avec l’objectivité et la distance que suppose l’écriture de l’histoire. 132 133 Écrire l’histoire de « l’Autre » n’est pas chose aisée. L’écriture de l’histoire de l’Afrique doit être envisagée comme une relation entre les différents territoires. Afin de participer à sa construction, il s’agit de penser cette écriture, éviter la vision manichéenne, dépasser l’idée selon laquelle l’histoire de l’Afrique est indivisible. Il y a des histoires de l’Afrique. Améliorer la qualité et la visibilité de l’histoire de l’Afrique participera à donner des réponses pour son futur, contourner l’écueil d’une Afrique phantasmée. Contrairement à ce que certains imaginent, mon intérêt pour l’Afrique progressif. Je crois même pouvoir affirmer que ma situation m’offre plusieurs points de vue, et c’est sûrement cette ambiguïté qui est à l’origine de ce projet. 134 135 Bibliographie 136 137 Livres • Pierre Alexandre, Les Africains : initiation à une longue histoire et à de vieilles civilisations, de l’aube de l’humanité au début de la colonisation, éd. Lidis-Brepols, Paris, 1981 • Gérald Arnaud et Henrie Lecomte, Musiques de toutes les Afrique, éd. Fayard, Paris, 2006 • Raymond Bachollet et alii, Négripub, l’image des Noirs dans la publicité depuis un siècle, éd. Bibliothèque Forney, Paris, 1987 • Pascale Barthélemy, Écrire l’histoire de l’Afrique autrement ?, éd. L’Harmattan, Paris, 2004 • Marc Bloch, Apologie pour l’histoire ou métier d’historien, Armand Colin, Paris, 1997 • Hervé Bourges et Claude Wauthier, Les 50 Afrique, Tome 1, éd. Seuil, Paris, 1979 • Alain-Michel Boyer, Les Arts d’Afrique : guide des arts, éd. Hazan, Paris, 2006 • Louis-Jean Calvet, Histoire de l’écriture, Plon, Paris, 1996 • Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme suivi de Discours sur la négritude, éd. Présence africaine, Paris, première édition 1955 et 2004 pour la présente édition • Roger Chartier, Au bord de la falaise. L’histoire entre certitudes et inquiétude, éd. Albin Michel, Paris, 1998 • Catherine Coquery-Vidrovich, Histoire et devenir de l’Afrique noire au XXe siècle, éd. L’harmattan, Paris, 2003 • Anne Dhoquois, Comment je suis devenu ethnologue, éd. Le cavalier bleu, Paris, 2008 138 139 • Ernst Hans Gombrich, Histoire de l’art, éd. Phaidon, Paris, 2001 • Georg Wilhelm Friedrich Hegel, La raison dans l’histoire, éd. Hatier, Paris, 2007 • Joseph Ki-Zerbo, Histoire de l’Afrique Noire, Hatier, Paris, 1972 • Jacques Le Goff, Histoire et mémoire, éd. Folio, Paris, 1988 • Claude Lévi-Strauss, Race et histoire, éd. Gallimard, Paris, 1987 • Albert Mban, Les problèmes des archives en Afrique. À quand la solution ?, éd. L’Harmattan, Paris, 2007 • Olivier Orban, Terre Humaine. Cinquante ans d’une collection. Entretien avec Jean Malaurie, éd. BNF, Paris, 2005 • Sally Price, Arts primitifs ; regards civilisés, éd. Énsb-a, Paris, 1995 • Pierre Salmon, Nouvelle introduction à l’histoire de l’Afrique, éd. L’Harmattan, Paris, 2007 • William Rubin et Jean-Louis Paudrat, Le primitivisme dans l’art du XXe siècle, Volume 1, éd. Flammarion, Paris, 1991 • Xavier Yvanoff, Anthropologie du racisme : essai sur la genèse des mythes racistes, éd. L’Harmattan, Paris, 2006 • Sous la direction d’Anne Zali et d’Annie Berthier, L’aventure des écritures. Naissances, BNF, Paris, 1997 140 Articles • Abolade Adeniji , « L’historiographie africaine, l’histoire universelle et le défi de la mondialisation », Bulletin de CODESRIA numéro 1 et 2, Department of History and International Affairs Lagos State University, Nigeria, 2004 • Nicolas Bancel, Pascal Blanchard et Sandrine Lemaire, « Ces zoos humains de la République coloniale », Le Monde Diplomatique et réédité dans le numéro spécial de Manière de voir, été 2001 • Jean-Pierre Chrétien, Afrique & Histoire. Pourquoi l’Afrique, pourquoi l’histoire ?, numéro 1, 2003 • Collectif, « Quelle place pour l’Afrique et Madagascar dans les médias ? La couverture de l’information. Les entretiens de l’information », Maison de la radio, Paris, 3 avril 2003 • Jean-François Dupaquier, « De la françafrique à la maffiafrique », numéro 21/22 Mouvements, première publication le 17 mai 2002, deuxième publication mai/août 2002 Documentaires • Raymond Depardon, Afriques: comment ça va avec la douleur ?, Arte vidéo, 1996 Émissions • Émission La fabrique de l’histoire, « Histoire de l’Afrique », France Inter, du 5 au 8 Janvier 2009 • « Présence africaine avec son Directeur de la rédaction Romuald Fonkoua », Canal académie, 15 mars 2007 141 http://www.canalacademie.com/Larevue-Presence-africaine.html • « Réflexions sur le sens et l’éthique de Terre Humaine », Enregistrement Privé, Jean Malaurie, 11 Mai 2004 • Émission Thema, « Zoos humains, Vous avez dit sauvage ? », Arte, 12 février 2006 Sites internet • Centre d’études africaines http://ceaf.ehess.fr/ • http://www.afrik.com/ 142 143 Remerciements 144 145 Je tiens à remercier toute l’équipe pédagogique du DNSEP : Alexis Chazard, Luc Dall’Armellina, Annick Lantenois, Samuel Vermeil, Gilles Rouffineau. Je tiens également à remercier pour leur aide : ma mère, Sékou Kandé et Soizic Legrand. 146 147 Achevé d’imprimer à Valence en mai 2009. Cet ouvrage a été composé en New Bell (dessiné par Aurèle Sack en 2007) et en Akkurat (dessiné par Laurenz Brunner en 2004) sur le papier Centaure naturel 110g. 148 149 150 151 152