Entreprises de transport de marchandises et territoires productifs
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Entreprises de transport de marchandises et territoires productifs
Entreprises de transport de marchandises et territoires productifs régionaux Jérôme Lombard (INRETS) Rapport DRAST/PREDIT n°96 MT 41 1. Présentation Ce rapport conclut la deuxième tranche d’un programme de recherche lancé en 1995 et intitulé : Transport de marchandises et territoires - Bassins industriels et nœuds de transports dans le nord de la France. Cette deuxième tranche a bénéficié d’un financement du Ministère français des Transports sous la forme d’une convention passée avec la DRAST sur le thème suivant : Entreprises de transport et territoires productifs régionaux. À partir de l’exemple des marchés de transport issus de la construction du tunnel sous la Manche, le précédent rapport de convention avait initié une réflexion sur les territoires d’entreprises de transport et montré combien cette notion n’est pas le fait du hasard mais plutôt le résultat d’une construction dans le temps et dans l’espace d’un ensemble de conditions favorisant le développement d’une entreprise de transport. L’élément central - ou celui qui apparaît comme le moteur de la construction - est l’entrepreneur, avec son histoire, son expérience, son savoir-faire, ses relations sociales. Dans ce rapport-ci, l’analyse est plus globale et réinsère l’entreprise dans l’espace et dans le temps, en considérant que sa construction n’est possible que dans la durée et dans un lieu donné. Autrement dit, l’analyse des territoires d’entreprises interroge autant l’histoire propre de l’entreprise, de l’entrepreneur et des chauffeurs que l’histoire du lieu, c’est-à-dire l’évolution industrielle locale et générale, les transformations du secteur des transports, les mentalités et les relations sociales qui s’y nouent. Ce rapport voit donc la réflexion progressivement évoluer : du territoire d’entreprise au territoire du transport. Trois parties le composent et s’emboîtent les unes dans les autres comme autant d’éléments d’un même ensemble. 1. La première partie est une réflexion sur les entreprises de transport considérées dans leur globalité, c’est-àdire en adoptant un double mode de lecture de l’entreprise : d’une part, l’entité en tant que telle, avec un entrepreneur, des chauffeurs, d’autres catégories de métiers, un parc de véhicules, etc... ; d’autre part, l’entité dans son environnement, qui y réfère en permanence et qui en est, en même temps, une composante, qui est caractérisée par des marchés, des clients, un espace d’activité. Trois cas d’entreprises servent de fil directeur à cette partie. 2. En apparence, la deuxième partie fait rupture avec la première en présentant un atlas des entreprises de TRM dans la région Nord - Pas-de-Calais. En fait, ce type d’analyse, souvent utilisé, a pour vocation de montrer non seulement toute la richesse que l’on peut tirer d’une telle présentation pour la compréhension des disparités spatiales, mais aussi les limites d’une telle démarche. L’analyse statistique et cartographique révèle en effet l’existence d’espaces de plus ou moins grande concentration d’entreprises de TRM, selon des particularités bien spécifiques (taille d’entreprise, effectif salarié, type d’activité de transport, etc). Par contre, elle ne rend pas compte de la réalité des tissus d’entreprises dans les espaces considérés, de leur évolution, des relations aux clients, bref de la constitution de territoires locaux du transport dans lesquels, prises individuellement, les entreprises de transport s’insèrent. C’est en cela que cette deuxième partie fait le lien entre la première et la troisième partie. 3. Dans la dernière partie, l’attention est focalisée sur un bassin industriel du nord de la France - précisément celui de Saint-Omer - dans lequel un nombre important d’entreprises de TRM est présent. L’analyse statistique et cartographique menée dans la deuxième partie montre l’existence d’une telle concentration spatiale d’entreprises, mais ne dévoile rien de l’imbrication entre elles des entreprises industrielles et de transport, de l’épaisseur des relations sociales, du savoir-faire des entrepreneurs de transport, des territoires des entreprises de TRM. L’intérêt est ici de restituer l’étude des territoires d’entreprises de TRM dans une analyse plus globale des dynamiques de transport existantes dans un lieu donné. En outre, cette partie vise à montrer en quoi les trajectoires d’entreprises de TRM sont fonction des interactions entre acteurs du transport, qu’ils soient locaux ou non, notamment les entreprises industrielles. Le rapport présenté ici reprend pour partie les travaux menés dans le cadre de la convention DRAST par des étudiants de géographie de diverses universités françaises. Il s’appuie aussi sur les réflexions entamées avec des collègues de l’INRETS et du CNRS-LET sur les territoires d’entreprises de TRM. 2. Territoires d'entreprises Les pages qui suivent sont la synthèse de travaux présentés en 1997 dans la revue Recherche-TransportsSécurité et en 1998 à la 8ième Conférence Mondiale de Recherche sur les Transports d’Anvers de juillet 1998. Cette partie du rapport appréhende le territoire d’entreprise de TRM en montrant comment, au gré des enquêtes dans les entreprises, la réflexion sur cette question a évolué. Les deux premiers exemples d’entreprises, choisis dans le nord de la France, montrent une entreprise analysée en tant que telle, essentiellement à travers l’histoire de l’entrepreneur et sa pratique quotidienne de l’activité de transport. Une longue phase d’observation menée dans chaque entreprise a été nécessaire pour décrypter cette histoire et cette pratique. Le troisième exemple, pris dans le sud-est de la France et analysé avec L. Grand et G. Marotel, est celui d’un entrepreneur qui, progressivement, en accumulant un savoir-faire, une expérience, a monté sa propre entreprise de transport, et qui, en tirant profit des nombreuses relations qu’il a accumulées au cours des années, a construit un territoire d’entreprise à sa mesure. Cet exemple montre surtout combien l’interaction avec d’autres acteurs du transport, situés à proximité du siège de l’entreprise ou éloignés, fonde en partie le développement de l’entreprise. Synthèse L'analyse territoriale d'entreprises artisanales de transport amène à formuler deux remarques. La première concerne la taille des entreprises prises ici en exemple : ce sont des petites entreprises voire artisanales (sans salarié autre que l’artisan). La différence entre elles et des entreprises plus grandes vient peut-être de la possibilité qui est offerte à ces dernières, de par leur taille, de par la présence de responsables logistiques et de cadres commerciaux, de par le rachat de petites entreprises implantées localement, d’agir sur l’espace et de maîtriser plus facilement un territoire en raison de la multitude de relations tissées avec d’autres acteurs et du savoir-faire de certains de ses agents. En d’autres termes, les grandes entreprises maîtrisent-elles plus facilement et plus efficacement le territoire de leur activité ? La deuxième remarque porte sur la valeur illustrative des exemples présentés dans ce rapport qui éclairent la dynamique des interactions entrepreneurs/autres acteurs. Celle-ci renvoie à une analyse spatiale plus globale de l’activité économique, des relations sociales, des évolutions institutionnelles qui non seulement entourent l’entreprise de transport, mais dont les interactions fondent le développement d’une telle entreprise. L’importance d’approches qui permettent de prendre en compte l’histoire collective des acteurs, les dynamiques entre groupes d’acteurs, au sein des transports et entre transports et territoires, s’avère indispensable pour comprendre le secteur des TRM. Sans elles, les territoires d’entreprises ne signifient plus rien car ils renvoient à des parcours d’entreprises isolés de leur contexte. Avec elles, le territoire de l’entreprise, mais aussi le territoire socio-culturel, le territoire productif, dont le transport est partie prenante, prennent de l’épaisseur et amènent le chercheur à penser la globalité. 3. Statistiques et territoires du transport : Atlas des entreprises de TRM dans la région Nord - Pas-de-Calais Avant d’analyser dans un territoire particulier les relations entre acteurs du transport, constitutives de la vie et de la mort des entreprises de TRM, cette partie montre tout l’intérêt mais aussi toutes les limites de l’analyse statistique et cartographique lorsque l’on parle de territoire. L’analyse des évolutions du secteur des entreprises de TRM peut s’opérer dans l’espace lorsque sont affectées à chaque portion de l’espace des statistiques. L’analyse devient spatiale et permet de repérer les disparités géographiques, les parties de l’espace dans lesquelles la concentration des entreprises est forte ou faible, les activités de transport dominantes ou marginales, etc... Mais ce développement cartographique permet également d’insister sur les limites d’un tel exercice qui ne rend pas compte des relations entre acteurs situés dans la portion de l’espace ainsi considérée. Informative sur l’évolution spatiale du secteur dans la région Nord, cette partie se veut aussi méthodologique, l’analyse statistique et cartographique devant être doublée d’un travail d’analyse territoriale très fin. Une cartographie aussi exhaustive que possible - présentée sous la forme d’un mini-atlas de cartes - servira de support à l’analyse des différenciations spatiales. Cet atlas est issu d’un travail réalisé par un étudiant de géographie de l’université d’Artois dont la mission principale a été de cartographié l’ensemble des statistiques, ayant trait aux entreprises de TRM de la région Nord - Pas-de-Calais, collectées sur les dix dernières années . Basé sur les données du fichier SIRENE, le travail a privilégié la représentation par zone A, ou bassin d’emploi, qui sert d’entité géographique de base à l’INSEE. L’utilisation de la zone A est ici intéressante dans la mesure où l’espace qu’elle représente concentre, généralement dans une agglomération urbaine, une proportion importante d’entreprises de transport. La cartographie ainsi réalisée donne une image des entreprises de la zone considérée relativement juste et met en évidence des caractéristiques assez homogènes de taille d’entreprise, d’activité, d’ancienneté, d’emploi. L’atlas est présenté en deux parties. La première partie regroupe les cartes générales présentant l’évolution dans le temps de la répartition des entreprises de TRM dans l’espace : parc total d’entreprises, créations d’entreprises, tailles d’entreprises, effectifs salariés. Cette partie met en lumière les disparités spatiales importantes qui se développent notamment au profit de l’agglomération lilloise. La seconde partie focalise l’attention sur la dispersion géographique des phénomènes : ancienneté et origine géographique des entreprises, importance de certaines catégories d’entreprises. En outre, et principalement, ce second recueil de cartes met l’accent sur les caractéristiques d’une zone A particulière, celle de Saint-Omer sur laquelle nous reviendrons ultérieurement. Synthèse L’analyse cartographique attribue à un espace considéré certaines caractéristiques, en l’occurrence ici celles des entreprises de TRM. La zone de Saint-Omer apparaît ainsi comme un secteur particulièrement intéressant où l’histoire des entreprises de TRM mérite une analyse approfondie. Les limites de l’exercice cartographique sont de trois ordres. D’une part, l’homogénéité de chaque zone A n’est pas dans tous les cas évidente, notamment lorsque celle-ci est composée de différentes catégories d’entreprises de transport plus ou moins nombreuses et qui parfois n’ont rien à voir entre elles. D’autre part, le découpage cartographique, tel que réalisé ici, enferme les entreprises de TRM et les dynamiques du transport dans des limites qui ne sont pas toujours les leurs. Le transport n’est pas seulement local, les entreprises, par leur histoire, leurs marchés, leurs salariés, leur organisation en multiples établissements, opèrent à différentes échelles géographiques dont le niveau local n’est qu’une des dimensions. Enfin, troisième limite à cet exercice de représentation, l’analyse statistique et cartographique ne rend absolument pas compte des relations tissées entre acteurs intervenant dans le transport : industriels, transporteurs, sous-traitants, administrations, entrepreneurs, salariés, chauffeurs, etc... Les statistiques n’ont pas pour objet de révéler de telles relations, mais elles sont insuffisantes pour comprendre le transport lorsque ces relations entre acteurs, locales ou pas, fondent en partie l’évolution des entreprises, notamment de transport. 4. Entreprises de transport de marchandises dans le bassin industriel de Saint-Omer L’analyse des territoires d’entreprises de TRM révèle l’imbrication dans le temps et dans l’espace des acteurs du transport : non seulement des transporteurs, mais aussi des entreprises industrielles et commerciales, le secteur bancaire, des individus comme les entrepreneurs et les chauffeurs de véhicules ou encore les mécaniciens de garages, etc... Cette analyse des territoires plonge aussi dans la société, dans les identités, dans les représentations notamment de l’espace et des métiers, dans les groupes sociaux, etc... L’analyse historique est également un puissant éclairage des évolutions passées et à venir et des relations entre ces multiples acteurs, notamment lorsqu’ils sont situés dans un lieu donné. Nous avons choisi d’analyser ces relations entre acteurs dans un lieu précis de la région Nord - Pas-de-Calais, l’Audomarois. La particularité de ce secteur géographique provient de la présence d'importantes entreprises concentrées dans l’agglomération de Saintt-Omer : la Verrerie Cristallerie d'Arques, leader mondial dans le créneau de l'art de la table, Bonduelle-Renescure, premier transformateur européen de légumes, plusieurs établissements de l’industrie papetière de la vallée de l'Aa. Par ailleurs, dans cette même zone, le développement depuis la seconde guerre mondiale de nombreuses entreprises de transport routier de marchandises est très lié au dynamisme des entreprises industrielles qui les affrètent régulièrement, et pour certaines, exclusivement. Pour ce travail, nous avons procédé de deux façons : d’une part, un recensement statistique de différentes données concernant l’activité industrielle locale, le secteur du transport, etc..., d’autre part, une multitude d’entretiens très ouverts - et parfois répétés - avec des chefs d’entreprises de transport, des directeurs logistiques d’établissements industriels, des responsables de l’aménagement local, des présidents d’institutions comme la CCI ou l’Union patronale, des responsables syndicaux, etc. Il a manqué par contre une série d’entretiens auprès d’acteurs, d’habitude peu interrogés, comme les mécaniciens, les garagistes, les agriculteurs et les artisans qui auraient permis de comprendre encore plus finement l’histoire des relations entre entreprises industrielles et dynamique des transports. Cette troisième partie de rapport s’appuie sur le travail d’une étudiante de DESS de Paris 1 dont le mémoire est consacré à l’analyse des relations entre développement industriel et développement des transports (et des entreprises de TRM) dans le bassin d’activités de l’Audomarois . Dans la première sous partie, l’activité économique de l’Audomarois est présentée succinctement. Dans la deuxième sous partie, les relations entre dynamique des entreprises industrielles de l’Audomarois, génératrices de fret, et dynamique des transports sont abordées et caractérisent les interactions avec système de circulation et système de transport. La troisième sous partie analyse l’évolution du secteur des entreprises de transport de marchandises dans l’Audomarois en partant de leurs relations aux donneurs de fret locaux. La quatrième sous partie conclut sur l’identité locale du TRM de l’Audomarois. Synthèse Les transports de marchandises sont illustratifs des dynamiques spatiales en cours. Le territoire audomarois participe de l’évolution spatiale générale qui placent les territoires en relation permanente avec d’autres. Une histoire commune aux industriels et aux transporteurs de l’Audomarois a rythmé les 30 dernières années de l’activité de transport et a contribué au développement des transporteurs locaux. Néanmoins, l’interaction du territoire audomarois avec d’autres territoires place les entreprises de transport au cœur d’une compétition pour le fret, tant locale qu’extérieure. Les transporteurs maîtrisent plus ou moins leur territoire dans la mesure où ils mobilisent tout ce qui est possible dans les systèmes localisés de relations pour faire évoluer leur entreprise, les marchés, l’accès au fret : savoir-faire, expérience, avantages réels, partage de valeurs communes, etc. On peut faire l’hypothèse que certaines entreprises maîtrisent mieux leurs territoires et supportent plus aisément cette concurrence que d’autres. Les territoires des entreprises de transport montrent aussi ce qu’est un territoire en général : non borné par des limites géographiques strictes, mais ouvert aux interactions, produit des interactions tout autant qu’il en génère, un territoire en définitive en évolution constante, qui se construit, qui n’est pas figé dans le local ni perdu dans le global, en quelque sorte un territoire qui est une symbiose entre ici et là-bas. 5. Synthèse générale Le territoire d’entreprise est une construction dans le temps et dans l’espace qui met en scène différents acteurs dont l’entrepreneur et les salariés de l’entreprise en question, mais aussi toutes les personnes, institutions, partenaires, autres entreprises qui entrent en relation avec elle. Cette construction se fait dans la durée et dans l’espace. Le territoire de l’entreprise de transport a cette particularité que l’espace est un support permanent qui évolue quotidiennement, quand l’entrepreneur négocie un marché avec l’industriel proche, quand les camions roulent vers leur lieu de déchargement ou de rechargement, quand les chauffeurs rentrent chez eux avec leur camion (si possible pas trop loin de l’entreprise ou du lieu de chargement). Le transport c’est consommer du temps dans l’espace, selon P. Merlin [1991]. Le territoire de l’entreprise, c’est avant tout un espace de relations maîtrisé dans le temps. Cet espace de relations est essentiel pour comprendre les dynamiques du transport. Il l’est d’autant plus qu’il est commun à de multiples entreprises de transport, comme c’est le cas dans l’Audomarois. Cette région du nord de la France est un territoire du transport dans la mesure où il est façonné par les interactions d’acteurs divers, intervenant dans le transport routier de marchandises, à commencer par les établissements industriels de l’agglomération de Saint-Omer et par les entreprises de transports, qu’elles soient grandes, moyennes ou petites. Pour appréhender la réalité de ce territoire local, les travaux de G. Di Méo sont très précieux. Ce dernier avance la notion de formation socio-spatiale qui repose sur deux hypothèses : « selon la première, il existe des unités et des discontinuités socio-spatiales significatives, fondées, dans un cadre géographique repérable, sur des interrelations spécifiques entre l’espace et la société... Seconde hypothèse, il se dégage de l’interaction des diverses instances économique, géographique, idéologique et politique, propres à chaque formation sociospatiale, des schèmes de représentation et d’action qui contribuent à modeler le comportement des acteurs sociaux ». L’hypothèse d’interrelations entre espace et société, distinguant l’unité audomaroise des voisines de façon significative, est d’autant plus intéressante à analyser qu’on peut envisager que les comportements des acteurs intervenant dans le TRM réagissent aussi à des schémas de pensée très spécifiques de l’Audomarois, issus d’interactions permanentes, anciennes mais évolutives, de multiples instances objectives (CCI, union patronale, syndicats de patrons ou de salariés, contacts entre transporteurs et industriels, ...) mais aussi subjectives (préférence locale, paternalisme industriel, état du marché des transports, concurrence, etc.). Di Méo poursuit la réflexion sur la formation socio-spatiale en précisant que cette notion ne donne qu’une idée partielle du territoire local. Celui-ci s’appréhende aussi à travers « ... la somme des pratiques et des aventures individuelles, ces trajectoires innombrables que décrivent les hommes dans le rapport quotidien (à la fois personnel et socialisé) qu’ils nouent à l’espace de leur vie... ». Di Méo s’appuie sur le concept de métastructure spatiale individuelle, « ensemble des multiples structures, constituées d’éléments et de rapports tant sociaux que spatiaux, propres à chaque individu et qui le rattachent au monde ». Dans le cas de l’Audomarois, les entreprises de TRM, prises dans leur globalité, pourraient être considérées comme des individus intervenant dans la formation socio-spatiale, et dont les multiples structures qui les composent forment une métastructure spatiale individuelle. La question est de savoir si ce concept ne s’applique pas d’abord à des personnes plus qu’à des entités comme les entreprises. Auquel cas les individus seraient plutôt des entrepreneurs qui sont à la tête des entreprises de transport audomaroises, souvent depuis leur création, ou qui ont transmis la société à un membre de leur famille. Mais ce serait oublier la diversité des composantes d’une entreprise de transport salariés/patron, cadres/carristes/chauffeurs, etc. - dont les trajectoires collectives et individuelles sont variées. Dans les travaux qui portent sur d'autres espaces urbains (notamment du littoral de la région Nord - Pas-deCalais), il est intéressant de reprendre cette notion de formation socio-spatiale et de comprendre en quoi elle peut être appréhendée à travers les métastructures spatiales individuelles du transport routier de marchandises. Néanmoins, regarder les dynamiques d’évolution du TRM dans un territoire local (selon l’expression de G. Di Méo) nécessitera une mise en perspective géographique de la formation socio-spatiale. En effet, l’analyse ne doit pas viser à isoler l’entité spatiale en question, mais à montrer en quoi les dynamiques du TRM qui y ont cours ont des ressorts de différentes natures, sociaux, économiques et politiques (ce que Di Méo dit), locaux et externes (ce que dit moins Di Méo). Or, c’est bien cela que l’exemple de l’Audomarois laisse à penser : il y a une interaction permanente des territoires, fondée notamment sur les dynamiques d’évolution propres aux métastructures spatiales individuelles (par exemple les entreprises). Il sera aussi très productif de poursuivre les travaux sur les lieux de concentration des entreprises de TRM, ce que l’on nomme communément plate-forme de fret. En effet, ce que l’exemple de l’Audomarois met en exergue, c’est l’enfermement relatif des entreprises de TRM locales sur leur territoire. On peut faire l’hypothèse que, dans ces lieux de concentration, souvent décidés et aménagés par la puissance publique, les territoires d’entreprises s’inscrivent dans un contexte concurrentiel qui conduit les entreprises à entamer un processus d’adaptation indispensable. Ces entreprises se situeraient alors moins dans le cadre d’une formation socio-spatiale. Par contre, elles subiraient de plein fouet les effets de la concurrence qu’une formation socio-spatiale attachée à un territoire local tendrait à atténuer. On saisit ici toute la portée potentielle de ces réflexions si on les rapproche des multiples programmes d’aménagement visant à promouvoir de telles plates-formes de fret. 6. Références Cambrézy L. et de Maximy R., La cartographie en débat - Représenter ou convaincre, Karthala-ORSTOM, Paris, 1995. Di Méo G., Les territoires de la localité. L’espace géographique, 4, 1993, 306-317. Grand L., Lombard J. et Marotel G., The territories of road freight transport companies, dans Meersman H., Van de Voorde E. et Winkelmans W. (editors), Selected Proceedings from the 8th World Conference on Transport Research, Elsevier Science Ltd-Pergamon, Amsterdam, 1999, vol. 1. Lombard J., Que sont les artisans-transporteurs devenus ? Recherche-Transports-Sécurité, 55, 1997, 67-81. Lombard J. et Jouveneaux N., Entreprises de transport de marchandises et territoires productifs régionaux Première étape du projet. INRETS, Villeneuve d'Ascq, rapport de convention à la DRAST, 1996. Lombard J. et Lukaszczyk K., Pré-atlas régional des entreprises de transport routier de marchandises, INRETS, Villeneuve d’Ascq, 1997. Merlin P., Géographie, économie et planification des transports, PUF, Paris, 1991. Révillon I., Transport, production et territoire : l’exemple de la région de Saint-Omer, Université de Paris IVSorbonne, mémoire de DESS « Transport, Logistique, échanges internationaux », 1997. Voir [Lombard et Jouveneaux, 1996] Voir [Lombard, 1997] Voir [Grand, Lombard et Marotel, 1999] Voir Lombard et Lukaszczyk [1997]. Sur ces questions de découpage et de représentation, voir [Cambrézy et de Maximy, 1995] Voir : [Révillon, 1997]. Cette sous-partie doit beaucoup à la collaboration au sein de l’équipe INRETS-TRACES entre géographie et économie industrielle (Antje Burmeister) qui a débouché sur l’encadrement commun de l’étudiante de Paris 1 [Di Méo, 1991, p.307] [Di Méo, op. cit., même page] [Di Méo, op. cit., même page] Les travaux de recherche des prochaines années seront menés dans l’optique d’approfondir les analyses sur les interactions d’acteurs du transport de marchandises, en utilisant les notions de territoire, de formation sociospatiale et de métastructure spatiale individuelle. Ces travaux portent actuellement sur les agglomérations urbaines et portuaires du littoral de la région Nord - Pas-de-Calais, à savoir Boulogne, Calais et Dunkerque. A l’instar de l’Audomarois, ces agglomérations concentrent un secteur du TRM très développé et souvent spécialisé dans un type de transport. En outre, au regard de l’activité portuaire - et industrielle qui lui est liée qui fonde une partie du développement de ces trois agglomérations, l’analyse du TRM local et de ses dimensions internationales interroge la notion de formation socio-spatiale mais aussi celle de territoire local. Là aussi, il sera précieux de comprendre en quoi les lieux de concentration d’entreprises que sont les plates-formes de fret d’origine publique - qui sont implantées dans ces agglomérations - participent d’une recomposition des territoires locaux en général..