Centres commerciaux et flux urbains Étude de cas : Century City en
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Centres commerciaux et flux urbains Étude de cas : Century City en
Note de recherche Centres commerciaux et flux urbains Étude de cas : Century City en Afrique du Sud Léa Kalaora n 2000, un « méga-projet » : centre multifonctionnel incluant le plus grand centre commercial d’Afrique du Sud, un parc à thème, des espaces de récréation, des bureaux et des logements fut construit à Cape Town en Afrique du Sud. Ce centre, dénommé Century City, situé dans la municipalité de Blaauwberg (1), banlieue nord de la ville relativement aisée, peut être considéré comme une véritable ville dans la ville. E Ce centre fut accusé de ne pas être intégré à la ville et d’être, au contraire, un amplificateur des nouvelles formes de fragmentation urbaine (2). Différents critiques affirmèrent que Century City était un espace « introverti » dans les deux sens du terme : espace qui ne se voit pas de l’extérieur et espace qui peut se passer de l’extérieur, qui crée son « extérieur » dans l’intérieur. Pour Fabio Todeschini, par exemple, Century City est « a bizzare blot on the Cape landscape » (3). Vu depuis le ciel, Century City semble effectivement être un véritable « paquebot » urbain. Cependant, une étude approfondie du fonctionnement de ce centre montre qu’il n’est pas si « flottant » que cela : il n’existe qu’en tant que partie de ville et est finement inscrit dans un ensemble de réseaux et de flux urbains. Century City est notamment inscrit dans le réseau des déplacements des employés, qui peut être considéré comme le flux le plus représentatif de sa dépendance à la ville. CENTURY CITY ET L’EMPLOI Loin d’être « flottant » et de se passer de l’espace urbain qui l’entoure, Century City fonctionne grâce à des employés qui habitent dans diverses parties de la ville. Plus de 20 000 personnes travaillent actuellement à Century City, il est prévu qu’elles soient 40 000 en 2015 (4). Par comparaison 120 000 personnes travaillent aujourd’hui dans le centre ville de Cape Town. Parmi ces 20 000 personnes plus de 6 000 occupent des emplois « directs », les autres sont les employés de bureaux ou de magasins ayant ouvert un stand à Century City. L’ouverture de Century City est également à l’origine de la création de nombreux emplois indirects en dehors du site (5). Outre ces emplois, 8 000 autres furent créés sur le site lors de la construction de Century City. Parmi les 6 000 emplois directs, 50 à 70 % Dossier 63 Flux n° 50 Octobre - Décembre 2002 Century City, photographie aérienne Source : Monex Development Company (Pty) Ltd, 2000 sont de nouveaux emplois. Certes, ces emplois ne sont pas là où les urbanistes voudraient qu’ils soient (dans les quartiers défavorisés situés dans le sud-est de la ville) mais au moins ils existent. de 13 % proviennent des quartiers défavorisés (du Sud-Est de la ville), les autres sont originaires de diverses autres parties de la ville. Century City s’inscrit donc dans des réseaux d’employés dispersés géographiquement. La majorité de ces emplois s’adresse aux populations défavorisées sans formation poussée : 60 % des emplois directs sont destinés à des catégories « low skill ». J’ai peu d’indications sur ces employés : combien y a t-il de noirs, de blancs, de métis ? Quel âge ont-ils ? Quel est leur niveau exact d’études ? Quel était leur précédent emploi ? Autant de questions qui mériteraient d’être approfondies pour déterminer de façon précise quels sont les réseaux d’employés créés par Century City. La plupart viennent actuellement travailler à Century City en voiture particulière (environ 70 % d’entre eux) (7), ceux qui utilisent les transports publics sont majoritairement les employés directs de Century City, en particulier ceux en provenance des quartiers défavorisés. Par exemple, les employés en provenance du Sud-Est de la ville prennent matin et soir soit deux bus, soit un train puis un bus pour venir travailler. L’origine géographique des employés de Century City est relativement variée (6) : la majorité d’entre eux habitent dans la région nord, à proximité de Century City (plus de 50 %) ; plus 64 Dossier L’insertion de Century City dans les flux de transports laisse à désirer pour le moment, mais elle devrait rapidement s’améliorer. Dans peu de temps, Century City sera desservi par le train et par un nombre important de bus. Le taux des personnes Note de recherche Activités Quelques chiffres Century City est composé d’un canal autour duquel sont situés un centre commercial régional, des théâtres, des restaurants, des magasins, des bureaux, des hôtels et des logements. Canal Walk : le plus grand centre commercial d’Afrique du Sud : 124 000 m2 de commerces (pour le moment 520 magasins), 3 500 m2 de zone multi-média et de jeux comprenant le plus grand complexe de cinéma et le plus grand « interactive science centre » d’Afrique du Sud, des salles de conférences, 80 000 m2 de bureaux et plus de 45 cafés et restaurants. Le grand Canal : 4,5 km de long. Il est navigable. Intaka Iisland : 16 hectares de parc. Ratanga Junction : parc d’attraction : 30 attractions, 11 fast food, 5 restaurants, 13 magasins. Le parc de bureaux : 80 000 m2 incorporés dans le centre commercial, 120 000 m2 dans un parc de bureaux indépendant. Le parc de logements : en construction, il devrait comprendre 3 700 unités résidentielles. Les hôtels : en construction, 3 hôtels sont prévus (1 000 chambres). Une boîte de nuit venant en voiture particulière devrait alors diminuer de 20 % (8). L’intégration de Century City dans les flux de transport n’est donc négligée ni par les promoteurs ni par les politiques, lesquels souhaitent notamment faciliter l’accès en transports publics aux consommateurs. De plus, l’ouverture de Century City devrait avoir pour effet d’améliorer les flux de transports publics urbains en donnant l’opportunité de créer des interconnexions Nord-Sud. La construction de routes engendrée par Century City dans le but de l’intégrer spatialement à la ville devrait également améliorer la circulation au nord de la ville. Les emplois créés sont également à l’origine de flux financiers et ont donc des retombées économiques sur la métropole. CENTURY CITY ET LES FLUX FINANCIERS Les nouveaux emplois créés à Century City sont à l’origine de nouveaux flux financiers et les emplois issus d’une redistribution géographique modifient quant à eux certains flux financiers existants (par exemple, un employé d’une entreprise, autrefois installée dans le centre ville qui s’est déplacée à Century City, ne fera plus ses courses dans le centre ville mais dans le centre commercial de Century City). Situation : 20 minutes en voiture du centre ville, des banlieues Est et des banlieues Sud. Accessibilité : en voiture, en bus du centre ville (environ 35 minutes) et en shuttles de certains hôtels du centre ville. Promoteur : la compagnie privée Monex, dirigée par Martin Wragge. Ouverture : Ratanga Junction a ouvert en décembre 1998 et Canal Walk en octobre 2000. Espace : 250 hectares. Coût : R3 milliards (environ 3 milliars de francs). Nombre de visiteurs : plus de 2 millions par mois à Canal Walk, plus de 30 000 par jour dans les autres activités (Ratanga Junction, Intaka Island et le Grand Canal). Nombre d’employés : plus de 20 000 sur le site. Les employés de Century City représentent des consommateurs potentiels pour le Cap. L’argent qu’ils gagnent sera réinvesti dans l’économie du Cap : au total 42 % de leur salaire sera dépensé dans le commerce, 15 % dans le logement, 11 % en impôt et 10 % en transport (9). Où cet argent est-il réinvesti et à qui bénéficie-t-il ? Nous avons pour le moment très peu d’indications sur les réseaux monétaires. Par exemple un employé habitant dans le Sud-Est de la ville y dépense-t-il son argent ? Des études sur les dépenses réalisées par les habitants des townships (10) manquent encore pour répondre à cette question. Cependant nous pouvons supposer qu’une partie de l’argent gagné par les habitants des townships est dépensée sur place, dans les townships, ou investie pour leur réhabilitation (dépenses liées au logement par exemple). Century City participe ainsi de manière indirecte à l’intégration économique des townships. La forme que prend cette intégration reste pour le moment en grande partie inconnue. Plutôt que de favoriser la fragmentation, la déconnexion des territoires urbains, Century City contribue donc au contraire, selon des modalités certes encore mal définies, à les intégrer économiquement grâce aux réseaux d’emplois auxquels il participe. Dossier 65 Flux n° 50 Octobre - Décembre 2002 extérieurs à leur lieu d’habitation mais ce, à condition que les transports publics se développent. CONCLUSION Century City, souvent accusé, comme d’autres centres multifonctionnels, d’être un « paquebot urbain » et d’accroître la fragmentation urbaine, est donc en réalité intégré dans des flux et des réseaux. Dans ce sens, il n’est qu’une partie de ville, une « commercial suburb ». Cette insertion de Century City dans les réseaux urbains devrait encore s’améliorer. Non seulement Century City est intégré dans des flux, mais de plus, ces flux permettent à certaines populations d’être intégrées à la ville, notamment économiquement. Dans ce sens, loin de participer à la fragmentation urbaine, il favorise son intégration. En effet, si on a longtemps pensé que le seul moyen d’intégrer les quartiers les plus défavorisés et leurs habitants à la ville était de créer des bases économiques sur place, l’exemple de Century City montre que ces populations peuvent être intégrées selon une logique de réseaux, grâce à la création d’emplois dans des lieux Pour conclure, nous pourrions dire que si Century City est partiellement isolé du point de vue morphologique et territorial, il est inséré dans la ville selon une logique de réseaux. D’ailleurs « les réseaux apparaissent aujourd’hui de plus en plus comme des espaces de “plein exercice” concurrents ou complémentaires des territoires mais en tout cas comparables » (11). Mais pour qu’un centre commercial soit pleinement inséré dans des réseaux urbains de toute nature, il est nécessaire qu’il soit accessible, c’est alors que logique de réseaux et logique territoriale se rencontrent. Léa Kalaora Elle est étudiante en géographie à l’université Paris X Nanterre. Elle vient de réaliser un mémoire de maîtrise sur Century City sous la direction du professeur Alain Dubresson. Email : [email protected] NOTES tés. (1) Cape Town était divisé jusqu’en 2001 en 7 municipali- (2) Marks R., Bezzoli M., 2000, « Palaces of Desire : Century City and the Ambiguities of Development », papier présenté à la conférence the Urban Futures, Johannesburg. (3) Todeschini. F., 2001, « Century city, a bizzare blot on the landscape », Sunday Argus, 10 juin, pp. 10-14. (4) chiffres extraits de A. Prinsloo D., Viruly F., Larsen P., 1999. (5) plus de 11 000. (6) informations tirées de Arup (Pty) Ltd., 1999. (7) op. cit. (8) op. cit. (9) A Prinsloo D., Viruly F., Larsen P., 1999. (10) Les townships sont les quartiers d’habitations qui étaient destinés aux noirs et aux métis durant l’apartheid. Ce sont pour la plupart des quartiers en très mauvais état et mal desservis en eau et électricité. (11) Levy J., 1999. BIBLIOGRAPHIE A PRINSLOO D., VIRULY F., LARSEN P., 1999, Century City Economic Impact Survey. Prepared for Monex Development Company (Pty) Ltd. Cape Town, Urban Studies & JHI. ARUP (Pty) Ltd., 1999, Century City : Revised Development Scenario and Macro Traffic Impact Assessment, Cape Town. KALAORA L., 2002, Étude d’un méga projet à Cape Town : fragmentation/intégration urbaine, Maîtrise de géographie. 66 Dossier LEVY J., 1999, Le tournant géographique, penser l’espace pour lire le monde, Paris, Belin. MARKS R., BEZZOLI M., 2000, « Palaces of Desire : Century City and the ambiguities of Development », papier présenté à la conférence « the Urban Futures », Johannesbourg.