le devoir de conseil : une nouvelle obligation réglementaire
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le devoir de conseil : une nouvelle obligation réglementaire
Mission de commissaire aux comptes ou d’expert comptable LE DEVOIR DE CONSEIL : UNE NOUVELLE OBLIGATION RÉGLEMENTAIRE ? Origine du devoir de conseil 20 Le devoir de conseil est historiquement une obligation mise à la charge des professionnels par la jurisprudence qui emploie indifféremment les termes de devoir ou d’obligation de conseil. Depuis le 1er décembre 2007, l’obligation de conseil pour les experts-comptables est devenue une disposition réglementaire issue de l’article 15 du code de déontologie de la profession (décret n° 2007-1387 du 27 septembre 2007). Cette intégration est le prolongement d’une jurisprudence bien établie. La référence se fait plus précise puisqu’on ajoute à l’obligation jurisprudentielle une obligation déontologique et réglementaire. Pour autant, sur le fond, aucune modification : la rédaction de l’article 15 n’apporte aucun élément complémentaire sur la définition, l’étendue ou le contenu de l’obligation de conseil. Définition « […] cette obligation prétorienne dépasse le cadre de la convention (et même de la loi) et vise à protéger le non-professionnel au nom de l’équité économique des usagers » (1). Le devoir de conseil, né du déséquilibre présumé de connaissances entre le professionnel et son client, consiste à évaluer les différentes possibilités, préconiser des solutions, éclairer. L’expert-comptable ne saurait en effet être « un simple scribe n’ayant à répondre que de ses erreurs arithmétiques et non, sur un plan plus élevé, de la méthode suivie, de l’organisation générale et de l’exactitude économique et juridique de la comptabilité », pour reprendre l’expression utilisée par les juges de la cour d’appel de Montpellier le 24 mai 1977 (reprise par leurs homologues parisiens le 30 avril 1987). Etendue L'obligation de conseil s’applique à toutes les missions de l’expert-comptable et présente un caractère absolu. Cependant, cette obligation reste limitée au cadre normal de la mission initiale et ne saurait être étendue à des domaines dépassant le champ d’intervention contractuellement défini. Ne pourrait être ainsi retenu comme responsable, l’expert-comptable n’ayant pas décelé les détournements de fonds commis par une secrétaire comptable salariée dès lors que sa mission se bornait à établir les déclarations R.F.C. 409 Avril 2008 fiscales à partir des documents remis, et non pas à établir la comptabilité ou établir des bilans (arrêt de la cour d’appel d’Aix-enProvence, 3 janvier 2006). Toutefois, le devoir de conseil constitue une obligation générale : la limitation contractuelle de la mission dévolue ne dispense pas l’expert-comptable de son devoir général de conseil à l’égard du client. Ainsi l’exclusion contractuelle d’un contrôle spécifique interdit de reprocher à l'expert-comptable l’absence dudit contrôle. En revanche, l'absence d'information du client à propos d'une jurisprudence publiée et largement relayée de la Cour de cassation mettant en cause la pratique bancaire des dates de valeur, peut caractériser un manquement de l'expert-comptable à son obligation de conseil dès lors qu’il y a préjudice (arrêt de la cour d’appel de Versailles, 24 mai 2005). Contenu A la lumière des nombreuses décisions de justice, le devoir de conseil comporte quatre obligations à la charge du professionnel : l’information, la mise en garde, l’exigence, le refus de toute complaisance. Informer Le devoir de conseil est, dans un premier temps, constitué par l'obligation d'informer et d'éclairer les parties. L’expertcomptable doit porter à la connaissance de son client les obligations légales et réglementaires attachées au fonctionnement de son entreprise et l’ensemble des informations (fiscales, sociales, comptables, juridiques,…) pouvant concerner sa situation. Ainsi, un expert-comptable doit informer son client de la possibilité d’adhérer à un centre de gestion agréé en lui en présentant les avantages et inconvénients (cour d’appel de Besançon, 21 juin 2006, réaffirmant la position des cours d’appel de Douai et de Paris, respectivement du 30 septembre 2004 et du 17 janvier 2003). En outre, le professionnel doit étudier les opportunités et chercher les solutions alternatives. Mettre en garde La mise en garde peut être définie comme le devoir d’alerter le client dès que toute 1. E. Lampert, « Le rôle de la profession comptable », Les petites affiches, n° 191, 25 septembre 2000, p. 14. action ou omission de sa part dans les domaines de compétence de l’expertcomptable pourrait être de nature à lui causer un préjudice. Il doit non seulement faire connaître à son client l’information mais lui en commenter la portée et le sens : conséquences du non respect des obligations, dysfonctionnements et anomalies observés, entorses aux règles de prudence, retards dans les délais, risques de préjudices, etc. Ainsi, l’expert-comptable qui n’a pas informé son client du risque de requalification du licenciement pour cas de force majeure en licenciement sans cause réelle et sérieuse n’a pas rempli son obligation de mise en garde, (1re chambre civile de la Cour de cassation, 27 septembre 2005). Exiger L’expert-comptable ne doit pas rester passif devant les errements de son client. Le devoir de conseil ne se contente donc pas uniquement d’une alerte mais demande des agissements positifs. L’expert-comptable doit être capable d’user de son autorité et d’imposer à son client, les mesures conformes à son intérêt (incitation active à l’adoption de solutions appropriées, préconisation impérieuse des régularisations indispensables, formulation de réserves circonstanciées,…). Refuser toute complaisance Le dernier niveau de l’obligation de conseil impose à l’expert-comptable de refuser toute complaisance vis-à-vis de son client. Ce refus se matérialise par une réprobation claire qui met le professionnel à l’abri de tout reproche (1re chambre civile de la Cour de cassation, 4 octobre 1972) : abstention, suspension des travaux, rupture. *** L’expert-comptable se doit donc d’être vigilant afin d’échapper à d’éventuelles mises en cause. La rigueur dans l’exécution de ses missions sera confortée par une stricte application des normes professionnelles conçues pour l’aiguiller utilement. Pour en savoir plus Recueils de jurisprudence Infores, consultables à Bibliotique, 88 rue de Courcelles – 75008 Paris. ■ Eric FERDJALLAH-CHEREL