Financement immobilier : les leçons de l`arrêt Hold

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Financement immobilier : les leçons de l`arrêt Hold
expertise
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Financement immobilier : les leçons
de l’arrêt Hold - Cœur Défense
L
a société par actions simplifiée Heart
of La Defense «Hold», dont le capital est entièrement détenu par une
société holding, la société Dame
Luxembourg, a acquis par l’intermédiaire
d’une SCI, l’ensemble immobilier à usage
de bureaux destiné à la location, dénommé
«Cœur Défense».
Pour les besoins du financement de cette
acquisition, la société HOLD a contracté
auprès de la société Lehman Brothers
Bankhaus AG deux prêts garantis par une
hypothèque inscrite sur l’actif immobilier, par
une cession de créances professionnelles
portant sur l’ensemble des créances de
loyers et charges au titre des baux existants
ou futurs conclus par la société HOLD et par
le nantissement de la totalité des actions
de celle-ci consenti par la société Dame
Luxembourg avec pacte commissoire.
Les prêts portant intérêt à taux variable, la
société HOLD a également contracté deux
contrats de couverture du risque de leur
variation avec la société Lehman Brothers
international.
Dans le cadre d’une opération de titrisation,
la créance du prêteur a été ensuite cédée
Cœur Défense en bref
• Le plus grand immeuble de bureaux d’Europe avec une surface de 180 000 m2.
• Acquisition en 2007 par la société HOLD, filiale à 100 % de la société de droit
luxembourgeois Dame Luxembourg, elle-même contrôlée par plusieurs
sociétés du groupe Lehman Brothers.
Conditions d’acquisition :
-› prix : 2,1 milliards d’euros ;
-› endettement à hauteur de 1,6 milliard d’euros auprès de la banque Lehman
Brothers AG.
des instruments de couverture de taux
d’intérêts après la déconfiture de Lehman
Brothers, les sociétés HOLD et Dame
Luxembourg ont sollicité toutes les deux le
bénéfice de l’ouverture d’une procédure de
sauvegarde.
Le 3 novembre 2008 1 , le tribunal a accueilli
ces demandes et, le 9 septembre 2009 2, a
été arrêté le plan de sauvegarde. Le 25 février
2010 , la cour d’appel de Paris a rétracté les
jugements du tribunal de commerce de Paris
du 3 novembre 2008 et ainsi annulé la procédure de sauvegarde en estimant
que les sociétés débitrices n’étaient pas suffisantes pour leur permettre de se placer
«Il existe quelques parades permettant de garantir
les droits des créanciers confrontés à des cas
de défaut de leurs débiteurs.»
au fonds commun de titrisation Windermere
XII, dont la société Eurotitrisation est le
gestionnaire.
Les sociétés Lehman Brothers international
et Inc. ayant fait l’objet, au Royaume-Uni et
aux Etats-Unis, de procédures collectives, la
société Eurotitrisation a demandé une nouvelle contrepartie en indiquant que les contrats de couverture n’étaient plus conformes
aux critères de notation, ce qui constituait un
cas de défaut.
Les sociétés HOLD et Dame Luxembourg ont,
alors, chacune, demandé le 28 octobre 2008,
l’ouverture d’une procédure de sauvegarde.
Placées en difficulté pour remettre en place
sous la protection du droit des procédures
collectives.
Cependant, le 8 mars 2011 3, la Cour de cassation a accueilli ces deux demandes.
Pour motiver sa décision, la Cour de cassation
a précisé qu’une procédure de sauvegarde ne
peut être refusée si la société débitrice justifie
de difficultés qu’elle n’est pas en mesure de
surmonter et qui sont de nature à la conduire
à la cessation des paiements. La Haute juridiction rappelle que la loi est applicable dès
lors que les conditions d’application claires et
explicites de l’article L. 620-1 du Code de commerce sont remplies.
A cet égard, peu importe que la procédure de
sauvegarde 4 soit revendiquée par les débiteurs dans un contexte étranger aux objectifs
du législateur, et donc instrumentalisé.
Par un arrêt rendu le 19 janvier 2012, la cour
d’appel de Versailles, statuant sur renvoi,
confirme l’ouverture de la procédure de
sauvegarde .
C’est dans ce contexte juridique que les créanciers ont été alarmés de surcroît par le fait
que la Cour a ouvert le bénéfice de la procédure de sauvegarde à une société de droit
luxembourgeois, après avoir constaté que le
centre de ses intérêts vitaux était en France.
Il convient d’attirer l’attention des prêteurs
sur le fait qu’il est extrêmement difficile de
protéger les créanciers de l’ouverture d’une
procédure de sauvegarde au bénéfice d’une
société française détenant un immeuble en
France.
Néanmoins, il existe quelques parades permettant de garantir les droits des créanciers
confrontés à des cas de défaut de leurs
débiteurs (2).
1. Compétence de la juridiction
française à l’égard d’une société
luxembourgeoise
La cour d’appel de Versailles a confirmé la
compétence du juge français pour ouvrir
une procédure de sauvegarde à l’égard de la
holding luxembourgeoise après une analyse
de faisceaux d’indices concordants.
Au sens de l’article 3 du Règlement européen n° 1346/2000 du 29 mai 2000, le
centre des intérêts principaux est présumé,
jusqu’à preuve contraire, être le lieu du
siège statutaire. Un arrêt récent de la Cour
de justice de l’Union européenne précise
que lorsque la direction et le contrôle d’une
société se trouvent au lieu de son siège statutaire, et que les décisions de gestion sont
prises, en ce lieu, la présomption ne peut pas
être renversée 5 .
Toutefois, la Cour a considéré que la présomption pouvait être renversée au motif
que la société holding avait été constituée
au Luxembourg dans le seul but de bénéficier d’un régime fiscal plus avantageux que
le régime fiscal français. En outre, elle attribue
la compétence au juge français dès lors qu’il
résultait d’un faisceau d’indices concordants
que ses principaux centres d’intérêt étaient
gérés en France.
2. Le choix de la structuration du
financement
et charges au titre des baux existants ou
futurs, ainsi que par une garantie autonome ;
L’une des solutions pour surmonter les problématiques actuelles du marché et assurer
la pérennité des financements, consiste à
inverser le montage «courant» du financement immobilier dans lequel la fille emprunte,
et la société mère accorde la garantie.
Dans le nouveau schéma, la holding emprunte
dans le but de financer sa fille par apport en
capital, par un ou plusieurs prêts. Tout l’intérêt
repose sur le fait que les créanciers bénéficient de garanties et sûretés consenties à
deux niveaux :
– au niveau de la holding le prêt est garanti
par une hypothèque inscrite sur l’immeuble,
par une cession Dailly de créances de loyers
– au niveau de la fille, le prêt est garanti par le
nantissement de la participation de la holding
dans la filiale avec pacte commissoire et, par
la souscription de contrats de couverture du
risque de taux. n
Philippe Reigné, Agrégé des facultés
de droit, professeur titulaire du CNAM,
Responsable de département NMW Avocats
et Sarah Lugan, MRICS
Attorney at law, Certified Public Notary,
Associé NMW Avocats
1. T. com. Paris 2e ch., 7 octobre 2009, n° 2008/089778.
2. CA Paris 25 février 2012, n° 09- 22756.
3. Cass. com., 8 mars 2011, n° 10-13 988.
4. CA Versailles, 13e ch., 19 janvier 2012, n° 11/03519.
5. CJUE :15 décembre 2011.
3 questions à ... NMW avocats
Quelles sont selon vous les
problématiques actuelles du
marché ?
alors même que les banques doivent réduire leurs engagements parce que leurs
ratios d’endettement sont excessifs.
Le marché immobilier en ce début
d’année fait coexister des emprunteurs
qui ont un besoin accru de refinancement et d’un autre côté des prêteurs qui
sembleraient être en perte de confiance
pour octroyer des financements et des
refinancements dans notre juridiction.
Le marché immobilier fait donc face à
deux contraintes majeures : un besoin
important de refinancement des prêts
immobiliers et la nécessité de rassurer
les institutions financières sur la qualité
et l’efficacité de la structuration de leur
security package.
En effet, un nombre croissant de banquiers, d’investisseurs et d’assureurs
étrangers sont réticents pour procéder
à des investissements et des refinancements en France et ce, semble-t-il, en
raison notamment de la jurisprudence
HOLD-Cœur Défense du 8 mars 2011, qui
selon eux illustre un favoritisme du débiteur au détriment des financiers par le droit
français.
Ce comportement récent s’inscrit de surcroît dans une conjoncture où il faut faire
face à un niveau élevé de dettes venant
à maturité en 2012, dans un contexte
de crise de la dette souveraine et ce,
Quelles sont les particularités
de votre équipe dédiée à ces
dossiers ?
Dans un contexte de favoritisme excessif du débiteur en droit français, la
démarche de notre équipe consiste à
mieux informer les acteurs immobiliers étrangers sur le fait qu’il existe des
moyens juridiques pour les protéger en
cas de défaillance, de mauvaise volonté,
et de mauvaise foi de leurs débiteurs.
En effet, il est possible de protéger les
créanciers, en structurant les opérations
de manière à conforter la présomption du
centre des intérêts vitaux des holdings
étrangères dans leur propre juridiction,
et ainsi d’empêcher la paralysie du security package par l’effet de l’application du
droit français.
Comment accompagnez-vous vos
clients ?
Nous assistons et représentons nos
clients dans le cadre de leurs financements et leurs refinancements avec une
approche transverse notamment dans :
– la rédaction et négociation des actes
Sarah Lugan
de financement et de refinancement ;
– le choix et la mise en place des sûretés
appropriées ;
– le contrôle de la validité des sûretés
prises ou renouvelées ;
– l’optimisation fiscale du financement
et du refinancement (déductibilité des
intérêts, retenues à la source, clauses de
gross-up, garanties fiscales) ;
– la rédaction et négociation de contrats
de crédit-bail immobilier ;
– l’optimisation fiscale de la cession des
droits du crédit-preneur (valorisation
soumise à TVA ou aux droits de mutation) ;
– la coordination avec les notaires.
Option Finance/Option Droit & Affaires - Avril 2012
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