La mobilité des travailleurs dans l`espace maghrébin
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La mobilité des travailleurs dans l`espace maghrébin
Nations Unies Commission économique pour l’Afrique Bureau pour l’Afrique du Nord La mobilité des travailleurs dans l’espace maghrébin CEA-AN/PUB/11/2 Nations Unies Commission économique pour l’Afrique Bureau pour l’Afrique du Nord La mobilité des travailleurs dans l’espace maghrébin Mobiliser les ressources pour financer le développement en Afrique du Nord Publié par le Bureau pour l’Afrique du Nord de la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique Avenue Attine - Secteur 3-A5 B.P. 2062 Rabat Riad Hay Riad, Rabat - Maroc Site internet : www.uneca-an.org / www.uneca.org Le document sur mobiliser les ressources pour financer le développement en Afrique du Nord, a été présenté à la réunion d’experts organisée à Rabat du 19 au 21 octobre 2010. Il a été enrichi par les commentaires et les suggestions des experts ainsi que par leurs présentations et le contenu de leurs débats durant la réunion et la tables ronde consacrée au rôle de l’Etat dans le développement organisée durant la 26ème édition du Comité intergouvernemental d’experts en février 2011. Le document a été coordonnée sous la direction de Mme Karima Bounemra Ben Soltane, Directrice du Bureau pour l’Afrique du Nord de la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique, par M. Gbaguidi Ochozias, Economiste au Bureau CEA-AN. Ce document a bénéficié de la précieuse contribution de l’ensemble des experts du Bureau de la CEA-AN par leurs commentaires et suggestions. @CEA-AN, 2011 Tous droits réservés Toute partie du présent document peut être citée ou reproduite. Il est cependant demandé d’en informer le Bureau pour l’Afrique du Nord de la Commission économique pour l’Afrique et de lui faire parvenir un exemple de la publication Préface La migration de main-d’œuvre, qu’elle soit saisonnière ou de longue durée est devenue pour plusieurs pays dont ceux d’Afrique du Nord, l’un des déterminants de la croissance économique et du développement humain, à travers divers canaux de transmission dont les transferts de revenu, la formation du capital humain ou encore la promotion du petit entreprenariat. Le rapport du Secrétaire Général des Nations Unies élaboré en mai 2006 sur le thème « Migrations internationales et développement » a notamment mis en exergue les effets bénéfiques multiples de la mobilité des travailleurs, tant sur les économies des pays de départ que celles des pays d’accueil. Dans les pays d’origine, elle stimule la croissance, notamment par le biais des transferts monétaires, de compétences et dans une moindre mesure de technologies. Dans les pays d’accueil, elle a souvent apporté des réponses à des déficits structurels de main – d’œuvre dans des secteurs traditionnels de l’économie tels que l’agriculture, la construction ou le tourisme, et participé à la pérennisation des systèmes de protection sociale. L’espace maghrébin est concerné à plus d’un titre par le phénomène migratoire en général, et la mobilité des travailleurs en particulier. D’abord comme zone traditionnelle d’émigration, avec de fortes communautés maghrébines présentes à travers le monde, notamment dans les pays de l’Union Européenne et aux Amériques; ensuite, et ce depuis quelques années, comme zone de transit vers l’Europe de migrants clandestins originaires d’Afrique subsaharienne ; enfin parce que la sous-région est engagée dans un processus d’édification d’un marché régional, avec ses composantes classiques, dont la libre circulation des biens, des personnes, des capitaux et des services. En termes d’objectifs à atteindre, la mobilité des travailleurs fait en effet partie de l’agenda nord-africain d’intégration économique, en vertu des dispositions du traité instituant l’Union du Maghreb Arabe (UMA). Pour autant, la région ne dispose pas encore d’instruments juridiques et opérationnels communautaires spécifiquement dédiés à la promotion et à la gestion d’une mobilité intra-maghrébine de maind’œuvre. Par ailleurs, les études et analyses réalisées jusque-là sur le phénomène migratoire en Afrique du Nord ont porté presqu’exclusivement sur le flux vers l’Europe, du fait de son ampleur, de sa médiatisation et parfois des drames humains qui lui sont liés, au détriment du mouvement des personnes à l’intérieur de l’espace maghrébin qui, en dépit de sa modicité apparente, n’en est pas moins une réalité et surtout une opportunité de gain de croissance et d’optimisation des complémentarités. Les pays du Maghreb disposent en effet d’un important capital humain avec des profils de compétences et des besoins relativement variés, qui reflètent les différences existantes en termes de structures économiques, de niveau de revenu et de systèmes éducatifs. Certains pays de la région continuent notamment d’accuser des déficits en main-d’œuvre dans plusieurs secteurs clés de l’activité économique, et de recourir, à des degrés divers, à l’importation de main-d’œuvre 1 La migration internationale de main-d’œuvre : une approche fondée sur les droits ; Résumé exécutif ; 2011 ; Genève La mobilité des travailleurs dans l’espace maghrébin Selon l’OIT1, il existe à moyen terme un potentiel considérable de mobilité de main - d’œuvre dans les zones de marché commun en construction, comme celles d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine. Les projets d’édification d’espaces économiques régionaux sont en effet sous-tendus par le postulat que la levée des obstacles à la mobilité des facteurs de production constitue un stimulant de la croissance, avec ses effets statiques et dynamiques sur le commerce, les investissements, l’emploi et les revenus. plus ou moins qualifiée. D’où la nécessité, pour les décideurs et acteurs de la coopération régionale, d’étudier les déterminants et pré-requis d’une plus grande mobilité des travailleurs au Maghreb qui stimulerait les politiques d’emploi des Etats membres et faciliterait des flux de compétences, en fonction des disponibilités en ressources humaines et des besoins spécifiques des secteurs d’activité et régions de chaque pays. Pour aider à la recherche d’une réponse régionale à ce défi, le Bureau pour l’Afrique du Nord de la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique a, dans le cadre de sa mission d’appui au renforcement du processus d’intégration au Maghreb, et en exécution de son programme pluri annuel de coopération signé avec le Secrétariat Général de l’UMA, organisé en septembre 2011 une réunion ad hoc d’experts sur cette problématique. Le document de travail élaboré à cette fin, les communications additionnelles faites par les participants et la synthèse des débats de la réunion ont permis d’étudier les interactions entre la mobilité des travailleurs, l’intégration régionale et le développement dans le contexte maghrébin; d’identifier les contraintes et opportunités de la sous-région en matière de mobilité des travailleurs; de promouvoir un échange d’expériences et de bonnes pratiques avec d’autres espaces d’intégration économique ; et de formuler des recommandations de stratégies et actions pour une facilitation de la mobilité des travailleurs et l’approfondissement du processus d’intégration dans l’espace maghrébin. Avec les autres partenaires traditionnels, la CEA-AN poursuivra son appui au Secrétariat Général et aux Etats membres de l’UMA pour la mise en œuvre et le suivi des actions préconisées, afin d’offrir aux travailleurs migrants de la sous-région les moyens de tirer profit des opportunités existantes en Afrique du Nord aux conditions et normes internationales. Karima Bounemra BENSOLTANE Directrice du Bureau pour l’Afrique du Nord de la CEA SOMMAIRE Introduction....................................................................................................................................1 I- Liens entre mobilité des travailleurs, intégration régionale et développement.................2 II- La migration intra-maghrébine: état des lieux.....................................................................6 II-1- la dimension historique de la migration au Maghreb................................................……6 II-2- La dimension quantitative.................................................................................................9 III- Les contraintes..................................................................................................................14 III-1- Le défi de l’emploi.........................................................................................................14 III-2- Le défi d’une croissance génératrice d’emplois.............................................................14 III-3- Autres facteurs limitant la mobilité intra-maghrébine....................................................16 IV-Les opportunités de l’intégration.........................................................................................18 IV-1- L’intégration maghrébine, une nécessité........................................................................18 IV-2- De l’impact du faible niveau d’intégration : le coût du non Maghreb...........................18 IV-3- Les potentialités économiques et humaines des économies maghrébines.....................18 V-1- Dispositif général.............................................................................................................22 V-2- Droit communautaire et convention bilatérale................................................................22 VI Les opprtunités de l’integration...........................................................................................26 VI-1- L’Union européenne (UE)..............................................................................................26 VI-2- Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO)....................28 VI-3- Communauté andine......................................................................................................29 VI-4- Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA)..................................30 VI-5- L’espace CEMAC-CEEAC............................................................................................30 VII- Recommandations pour une plus grande mobilité des travailleurs au Maghreb..........32 VII-1- Les actions spécifiques à la mobilité des travailleurs..................................................32 VII-2- Les pré-requis et autres actions à mettre en œuvre pour promouvoir et renforcer une mobilité intra-maghrébine..............................................................................................34 Liste des acronymes.....................................................................................................................41 Liste des tableaux.........................................................................................................................42 Bibliographie................................................................................................................................43 La mobilité des travailleurs dans l’espace maghrébin V- Le cadre juridique existant en matière de migration: Portée et limites.............................22 Introduction A l’exception de la Libye, pays d’immigration, et de la Mauritanie où le mouvement migratoire est relativement récent, la migration est devenue un important phénomène de société dans les pays du Maghreb (Algérie, Maroc et Tunisie). Cette migration a été et demeure encore fortement orientée vers les pays de l’Union Européenne, ce qui explique qu’elle ait été jusque là perçue et analysée presque exclusivement sous l’angle des flux Sud- Nord (Europe et Amérique du Nord). Force est cependant de constater que le Maghreb constitue aussi pour ses habitants un espace de mobilité, et celle-ci prend ses racines dans l’histoire ancienne de la sous-région. Très peu de travaux de recherche lui ont cependant été dédiés, en dépit de cette dimension historique des mouvements des personnes entre les différents pays du Maghreb. Cette démarche est dictée par un contexte mondial où s’affirme de plus en plus la prise de conscience que la mobilité spatiale et sociale constitue un vecteur du développement. Selon l’OIT, les migrants internationaux étaient estimés en 2010 à environ 214 millions de personnes, et le phénomène devrait s’amplifier au cours du 21° siècle, et devenir ainsi une des priorités de l’agenda politique de la communauté internationale. Le Rapport mondial du PNUD sur le développement humain de 2009 publié sous le titre : « Lever les barrières : mobilité et développement humains » note du reste qu’une dynamique mondiale se fait jour pour une gestion concertée de la migration et la formulation de réponses communes au phénomène, plus de 150 pays participant régulièrement aux assises annuelles du Forum mondial sur la migration et le développement L’étude s’inscrit également dans la continuité de l’action entamée par le Bureau pour l’Afrique du Nord de la Commission économique pour l’Afrique, après la réunion sur « la mobilité du capital au Maghreb », organisée à Casablanca les 17-19 janvier 2008, avec pour finalité le renforcement du processus d’intégration régionale initié entre les pays du Maghreb. L’examen de la mobilité des travailleurs en Afrique du Nord renvoie à une série d’interrogations: Quelle est la dimension de la migration intra-maghrébine? Quels sont les profils des migrants dans cet espace? Quels sont les opportunités et les facteurs susceptibles de favoriser cette mobilité ? Quels sont les obstacles et contraintes qui contribuent à limiter ou à freiner les mouvements des personnes dans la sous-région ? Quels sont les dispositifs législatifs et réglementaires régissant cette mobilité dans la région ? Quel est leur niveau d’application ? Quelles sont les bonnes pratiques susceptibles de servir de référentiels aux Etats de la sous-région? La mobilité des travailleurs dans l’espace maghrébin L’ambition de cette publication est de revisiter cette donne historique et sociale, à la lumière des mutations récentes intervenues dans le monde et particulièrement dans la sous-région, proposer des pistes de réflexion pour un débat constructif sur l’intégration humaine au Maghreb comme complément indispensable et renfort à l’intégration économique, promouvoir la prise en compte des mouvements migratoires dans les stratégies nationales et régionales de développement. En définitive, montrer comment la migration entre les pays du Maghreb pourrait s’inscrire dans une logique gagnant-gagnant, comme source d’enrichissement pour les pays d’origine et d’accueil, les migrants et leurs familles. 1 L’analyse de cette problématique à différents niveaux butte cependant sur une grande carence documentaire. Il y a un manque de statistiques et de données sociologiques y afférentes. Là où elles existent, les statistiques sur la mobilité intra-maghrébine sont souvent incomplètes, imprécises ou fragmentaires. De même, il existe peu d’enquêtes qualitatives sur la question2. L’essentiel des travaux de recherche et d’analyse consacrés à ce sujet s’est jusque là focalisé sur la migration vers l’Europe et ses avantages, perçus comme étant la résultante de la présence de Maghrébins dans des espaces qui, comparativement à l’Afrique du Nord, se caractérisent par des différentiels certains en termes de revenus, de qualité du cadre de vie et de développement technologique. Cette publication est donc basée sur l’exploitation de données factuelles, de rapports administratifs disponibles, de notes et réflexions faites sur la migration maghrébine en général. Elle est structurée autour d’une démarche analytique qui (i) se fonde sur la corrélation entre mobilité des travailleurs, intégration économique et développement, (ii) fait un état des lieux de la migration intramaghrébine, (iii) en identifie les contraintes et opportunités, (iv) examine la portée et les limites du cadre juridique existant, (v) passe en revue quelques expériences réussies dans d’autres régions du monde, et (vi) formule des recommandations à l’endroit des décideurs et autres acteurs du processus d’intégration en Afrique du Nord. Cette dernière partie de l’étude explore notamment quelques pistes de réflexion et d’action pour promouvoir une coopération horizontale maghrébine en matière de politiques migratoires et d’emploi. La mobilité des travailleurs dans l’espace maghrébin I. Liens entre mobilité des travailleurs, intégration régionale et développement 2 Le processus de mondialisation de l’économie, qui s’est accéléré avec la signature des Accords de Marrakech (OMC), implique une liberté de plus en plus grande en matière de circulation des facteurs de production, dont le facteur travail. Migrer, se mouvoir, se déplacer est devenu l›un des signes les plus éloquents de cette mondialisation, même si cette liberté de circulation diffère en intensité selon les pays et les régions. La forte propension à émigrer dans plusieurs régions du monde dont le Maghreb se traduit, en valeur absolue, par une croissance soutenue du nombre de migrants internationaux qui a atteint en 2009 le chiffre de 214 millions de personnes (PNUD, 2009). En valeur relative, et en dépit des images de flux massifs Sud-Nord que véhiculent les médias, le phénomène migratoire peut être décrit comme globalement stable, la migration internationale étant restée à environ 3% de la population mondiale au cours des cinquante dernières années. Par ailleurs, les migrations de main-d’œuvre ne s’opèrent pas toujours sans heurts, appréhensions d’ordre économique ou sécuritaire, et parfois préjugés défavorables dans les pays d’accueil. Selon l’OIT (Résumé exécutif ; 2011), les travailleurs immigrés connaissent des taux de chômage généralement supérieurs à ceux des nationaux du pays d’accueil, et là où ils en trouvent, ils sont souvent relégués dans des emplois à faible niveau de qualification, et soumis à des conditions de travail plus précaires. Le dernier quart du 20° siècle a ainsi vu les Etats-nations mettre en place davantage de politiques restrictives, et ériger un nombre plus important d’obstacles à la mobilité des travailleurs. Seule la migration intra-régionale semble échapper à cette logique de repli, promue et soutenue par la remontée du régionalisme qui s’est traduite par une multiplication des projets d’espaces économiques intégrés. Le succès relatif des groupements régionaux dans 2 Cette carence est plus importante concernant la Libye, pays d’immigration et la Mauritanie, où la question migratoire ne revêt pas encore l’importance qu’elle a acquise au Maghreb Central. le traitement des questions de mobilité n’est du reste pas surprenant. Le nombre généralement limité des pays concernés, la continuité de l’espace géographique et l’interdépendance générée par le renforcement des liens économiques rendent plus aisé l’adoption et l’opérationnalisation d’accords de coopération sur la main-d’œuvre, au vu de la complexité des problèmes que posent les flux migratoires. En Afrique du Nord et ailleurs dans le monde, la finalité première des processus d’intégration engagés est l’élargissement des marchés nationaux par le démantèlement des barrières tarifaires et non tarifaires et, conséquemment, l’augmentation des opportunités de commerce, d’investissement et d’emploi. Selon Philipe Hugon, (2003) ‘intégrer c’est réduire les distorsions des politiques nationales et déplacer les frontières en se rapprochant du marché international’. L’un des fondamentaux de l’intégration économique étant la lire circulation des facteurs de production, la mobilité des personnes en général et celle des travailleurs en particulier apparaît ainsi comme l’un des paramètres constitutifs de tout projet crédible de marché commun. Elle favorise entre autres la mise en synergie des compétences et des complémentarités en ressources humaines, une réduction des pressions sur les marchés nationaux de l’emploi, le renforcement des solidarités et des interdépendances entre les Etats de l’espace régional considéré. En théorie économique, le facteur humain demeure un facteur important de développement. Déjà au XVIè siècle, un des économistes classiques, Jean Bodin disait «qu’il n’y a de richesse, ni de force que d’hommes » (Bodin, Jean, 1576). Le potentiel démographique est un atout pour les économies régionales, d’autant plus que plusieurs pays dont des pays du Maghreb sont dans des phases avancées de transition démographique. Il faut donc capitaliser les gains qui pourraient résulter d’une telle mutation, et partager les ressources humaines par le biais d’une émigration légale et encadrée. Faciliter la circulation des facteurs –des personnes en particulier- influe sur l’efficacité économique des pays et des régions, conforte leur capacité concurrentielle et détermine dans une large mesure les possibilités de croissance et de développement futures. Pour les pays concernés, les processus d’intégration régionale permettent de conforter leur pouvoir de négociation sur la scène internationale, d’accéder collectivement à des marchés plus vastes, d’attirer davantage d’investissements directs étrangers, d’établir des mécanismes de coopération et de lancer des initiatives de co- développement. A leur tour, ces mécanismes et initiatives facilitent la mise en place d’une infrastructure et d’une politique régionales communes, ainsi que la coopération en matière de réglementation par des accords de reconnaissance mutuelle, la définition de normes communes et le renforcement des capacités. Un tel environnement est de nature à favoriser, au niveau de la région considérée, un développement solidaire qui profiterait aux différents partenaires. Les bénéfices économiques attendus de l’intégration régionale sont -comme le notait Carlos Salinas de Gortari, Président du Mexique au moment de la création de l’ALENA (Accord de libre-échange La mobilité des travailleurs dans l’espace maghrébin La différenciation des schémas d’intégration est du reste déterminée par leurs niveaux d’institutionnalisation et d’approfondissement, notamment en termes de liberté de circulation des personnes, des biens, des capitaux et des services. La possibilité de migrer est un corollaire essentiel de la dynamique d’intégration économique. Plus l’intégration est prononcée, plus l’on peut s’attendre à trouver des dispositions relativement souples en matière de mouvement des travailleurs, de droit de résidence et de droit d’établissement. 3 nord-américain), que cet accord « régule clairement les échanges croissants entre (les) pays, encourage l’investissement et crée de l’emploi » (De Gortari Carlos Salinas, 1994). Toutefois, les clauses de mobilité dans les accords d’intégration régionale ont une portée qui demeure très variable. Elles peuvent couvrir la mobilité des personnes en général ou la libre circulation de la seule main-d’œuvre, ou encore cibler certains types de main d’œuvre (par exemple les travailleurs hautement qualifiés). Certaines clauses pourraient faciliter la mobilité des fournisseurs de services, tandis que d’autres se limitent à offrir des procédures simplifiées régissant les mouvements liés à des activités d’investissement. Certains accords peuvent prévoir l’admission facilitée de catégories spécifiques de personnes, telles que les touristes, les étudiants, les professionnels de l’industrie du divertissement et des médias, ou encore les personnes non salariées. Autant d’initiatives qui influent positivement, et à des degrés divers sur l’activité économique. La mobilité des travailleurs dans l’espace maghrébin Des précautions demeurent néanmoins nécessaires. Il est en effet impératif de corréler la libéralisation à la demande de main-d’œuvre, de manière à ce que les flux migratoires répondent à des besoins réels en termes d’emploi, et réduire conséquemment le risque de voir les migrants se substituer aux travailleurs locaux ou « tirer » les salaires vers le bas. Cela suppose des politiques de migration légale explicitement liées aux possibilités et opportunités d’emploi, et la création d’un cadre juridique de promotion d’une mobilité intra-régionale. Des formules telles que la migration circulaire ou temporaire (Secrétaire Général des Nations Unies, 2006) pourraient être prises en considération, afin de compenser les déficits dans certaines régions confrontées à une faible offre locale de force de travail dans certains secteurs et/ou pendant certaines périodes. 4 Une gestion rationnelle de la question migratoire appelle donc une approche mettant en exergue son apport au développement et à l’intégration régionale. Cet apport est indéniable pour les trois partenaires de l’acte migratoire que sont le pays d’origine, le pays d’accueil et le migrant lui même. C’est en cela que le lien entre migration et développement a acquis une grande notoriété depuis la publication du rapport du secrétaire général des Nations Unies sur cette question (Secrétaire Général des nations Unies, 2006). « Les États Membres, note le Secrétaire Général de l’ONU, ont eu la sagesse de placer les migrations internationales en tête des priorités mondiales en 2006 ». Depuis, ce thème a été repris chaque année par le « Forum Mondial sur Migration et Développement » qui s’est tenu en 2007 à Bruxelles, en 2008 à Manille, en 2009 à Athènes, en 2010 à Puerto Vallarta ; et en 2011 à Genève. Les migrations internationales, comme le souligne le rapport du Secrétaire Général de l’ONU, sont en général bénéfiques aux pays d’origine tout autant qu’aux pays d’accueil. Leurs bienfaits potentiels sont plus importants que ceux d’une plus grande liberté dans les échanges internationaux, et ce en particulier pour les pays en développement. Certaines estimations évaluent les gains économiques qui découleraient d’une libéralisation des mouvements de personnes dans le monde à plus de 300 milliards de dollars des Etats Unis, soit bien plus que les gains attendus d’une plus grande déréglementation du commerce des marchandises ou de la circulation des capitaux (Winters & All, 2002). Le Rapport mondial du PNUD sur le développement humain de 2009 fait avancer la réflexion sur cette thématique. Publié sous le titre : « Lever les barrières : mobilité et développement humains », il étudie la migration sous le prisme du développement, et place la mobilité au cœur de l’agenda du développement humain. En examinant les politiques en vigueur dans la perspective d’un élargissement des libertés de circulation des personnes, ce rapport propose un ensemble de réformes dont les principales s’articulent autour de six axes complémentaires, chacun participant activement au développement humain : ouvrir les canaux d’entrée existants afin qu’un plus grand nombre de travailleurs puissent émigrer, garantir les droits élémentaires des migrants, abaisser les coûts de transaction de la migration( transport, services d’intermédiation, formalités administratives,…), trouver des solutions qui bénéficient aux communautés de destination et aux migrants qu’elles accueillent, faciliter les déplacements des personnes à l’intérieur de leur propre pays et intégrer la migration dans les stratégies nationales de développement ( PNUD, 2009). Le rapport estime qu’en adaptant ces propositions au contexte de chaque pays, elles sont susceptibles d’amplifier l’apport déjà important de la mobilité au développement humain. Pour sa part, la Banque mondiale étudie de plus en plus l’impact de la migration, considérant l’énorme effet qu’elle pourrait avoir sur la réduction de la pauvreté, et l’effet d’une mobilité croissante de la main d’œuvre sur les efforts de développement, notamment en optimisant les affectations des transferts (Banque mondiale, 2005). La mobilité des travailleurs dans l’espace maghrébin Cette prise de conscience de l’apport de la migration au développement au niveau international pourrait servir de levier au niveau régional, à l’édification d’un espace économique intégré et de développement accéléré au Maghreb. 5 II- La migration intra-maghrébine : état des lieux Dresser un état des lieux de la question au Maghreb nécessite d’abord une définition du migrant sous ses différentes variantes. Cette définition n’est pas toujours aisée ou consensuelle selon les sources –nationales ou internationales-, et le statut de « migrant » n’est pas figé dans le temps. Pour les besoins de cette étude, trois concepts clés paraissent essentiels : le migrant de long terme, le migrant de court terme et le travailleur migrant. L’annuaire démographique 2005 des Nations Unies définit le migrant de long terme comme étant « une personne qui voyage vers un pays autre que son pays de résidence habituelle pour une période d’une année au moins, de manière à ce que le pays de destination devienne effectivement son pays de résidence habituelle». Le migrant de court terme est lui identifié comme étant la « personne qui voyage vers un pays autre que son pays de résidence habituelle pour une période de trois mois au moins et d’une année au plus, exception faite des mouvements ayant pour objet la récréation, les vacances, les visites d’amis ou de parents, le commerce, les traitements médicaux ou le pèlerinage ». Pour l’OIT (article 11 de la Convention C097), l’expression « travailleur migrant » désigne une personne qui émigre d’un pays vers un autre pays en vue d’occuper un emploi autrement que pour son propre compte. La Convention Internationale sur les droits des travailleurs migrants et leurs familles (UNHCR) élargit ce concept dans son contenu et dans le temps, en définissant le travailleur migrant comme la personne qui va être engagée, qui est engagée ou qui était engagée dans une activité rémunérée dans un pays autre que son pays d’origine. Les nuances ainsi déclinées permettent de mieux appréhender les différents aspects du mouvement des personnes dans l’espace maghrébin et les freins ou obstacles à une mobilité des travailleurs en Afrique du Nord. La mobilité des travailleurs dans l’espace maghrébin II-1- la dimension historique de la migration au Maghreb 6 Historiquement, le Maghreb était un espace uni, certes à géométrie variable, gouverné par de grandes dynasties (almoravide, almohade au Maroc, hafside en Tunisie,…). Dans cet espace, aucun obstacle d’ordre juridique n’entravait la mobilité des personnes. Un des moments forts de cette mobilité était le pèlerinage à la Mecque, d’importants flux humains traversant chaque année l’espace maghrébin à destination de l’Arabie Saoudite. Ce mouvement de personnes donnait lieu, au retour du pèlerinage, à des séjours plus ou moins longs, et parfois à une résidence définitive dans l’une des régions du Maghreb (Mohamed Khachani, 2008). Durant les deux derniers siècles, la mobilité intra-maghrébine a enregistré des moments forts. Fuyant le colonialisme, de nombreux algériens ont émigré vers le Maroc et la Tunisie. Le Maroc notamment a accueilli des milliers de migrants algériens durant la période coloniale. Des données disponibles chiffrent leur nombre à 15.000 en 1936, 33.000 en 1947 et beaucoup plus pendant la guerre de libération (1954-1962) où « la solidarité avec ce peuple frère s’est exprimée de la manière la plus spontanée » (Liauzu Claude, 1996). Les régions frontalières algéro-tunisiennes ont connu aussi une migration transfrontalière soutenue, et l’on signale également qu’une main d’œuvre algérienne a été employée dans les travaux miniers du nord-ouest tunisien. En outre, plusieurs milliers de Tunisiens ont émigré au cours de cette période vers plusieurs régions d’Algérie et notamment la région du Mzab au sud, et dans certaines villes telles que Alger et Annaba. Par ailleurs, différentes sources historiques indiquent que plusieurs milliers de travailleurs tripolitains ont été employés dans les mines de phosphates du sud de la Tunisie (Bel Haj Zekri Abderrazak, 2011). Au Maroc, une émigration saisonnière à destination de l’Algérie avait fait son apparition vers la fin du XIXème siècle. Celle-ci subvenait aux besoins en main d’œuvre de la colonisation agricole française qui a connu un développement important dans l’Ouest algérien. La principale région émettrice de ces flux migratoires était le Rif, dans l’ex-zone du protectorat espagnol. Vers 1950, les autorités espagnoles estimaient qu’en année normale, ce mouvement concernait plus du tiers de la population adulte masculine, pourcentage qui augmentait sensiblement les années de mauvaises récoltes dans la région (Annuaire de l’émigration, 1994). En Tunisie sous protectorat français, une communauté marocaine y vivait, comme en témoigne les recensements effectués par les autorités françaises dans les années 1920 et 1930. La communauté marocaine était de 4.223 personnes en 1921 et 4.446 en 1936 (Liauzu, Claude, 1996). Après l’indépendance des Etats maghrébins (la Libye en 1951, le Maroc et la Tunisie en 1956, la Mauritanie en 1960 et l’Algérie en 1962), cette mobilité a connu une évolution contrastée d’un pays à un autre. Le mouvement des personnes à l’intérieur de l’espace sous-régional, important par moment mais souvent temporaire et informel, a en effet été affecté par les aléas des relations politiques entre les différents pays magrébins. Son caractère informel et spontané va néanmoins progressivement céder la place à un encadrement juridique et institutionnel par l’adoption de plusieurs accords bilatéraux entre les Etats maghrébins, définissant les droits et les obligations des travailleurs migrants. Les flux d’émigration les plus importants ont eu pour destination la Libye, principal pays d’immigration dans le Maghreb. La migration à destination de ce pays est certes ancienne, mais elle a connu un bond exceptionnel à partir des années soixante, grâce aux revenus pétroliers, avec des phases alternées d’ouverture et de durcissement, ponctuées par les contre chocs pétroliers et ou l’évolution des relations politiques et diplomatiques dans la sous-région. On peut relever cinq phases principales. (i) La première phase de migration de travailleurs vers la Libye date des années soixante et soixante dix. Dans les années soixante, des migrants marocains sous contrat ont accompagné des sociétés marocaines de bâtiment qui ont participé aux projets de construction de logements sociaux (Haj Omar, Mkinsi ; Bennani), ce qui a incité un grand nombre de marocains à émigrer en Libye pour y travailler dans la construction et d’autres activités connexes, mais aussi dans de petits métiers comme la menuiserie et la mécanique, ainsi que dans l’agriculture. Ces flux se sont maintenus durant les années soixante dix pour pallier les besoins en main d’œuvre dans le secteur de la construction et des infrastructures. Dans le même contexte, des travailleurs tunisiens ont contribué à répondre à ces besoins dans le cadre d’une émigration contrôlée, mais d’autres ont rejoint ce pays, par dizaines de milliers, en dehors de tout cadre légal. L’enquête financée par La Ligue des Etats Arabes (LEA) et conduite par l’Office des Tunisiens à l’Etranger (OTE) en 1986, avait bien montré la part croissante des départs irréguliers vers ce pays (OTE/LEA , 1988). La mobilité des travailleurs dans l’espace maghrébin A travers son parcours historique, cette mobilité a produit un métissage étayé par l’existence de nombreuses familles portant les mêmes noms dans la plupart des pays d’Afrique du Nord (Chenguiti, Senhadgi, Laaroussi, Rguibi, Louazzani, Zerhouni, Benmansour, Soussi, Zékri, Trabelsi, Talbi, Berrabah,…). Ce métissage a donné lieu à des naturalisations, plusieurs dignitaires marocains, par exemple, étant d’origine algérienne. 7 (ii) Durant la décennie 80, des décisions politiques majeures vont stimuler cette migration. En 1984, la suppression des visas pour les citoyens arabes et l’adoption du slogan « La Libye terre de tous les arabes » ont créé un effet d’appel, et favorisé l’arrivée de nombreux travailleurs maghrébins, Marocains notamment. Ces flux se sont intensifiés sous l’effet conjugué de deux évènements : • la mise en œuvre de programmes d’ajustement structurel qui a eu des effets dépressifs sur l’emploi au Maroc et en Tunisie ; et • la signature de l’accord d’Oujda en 1985, portant création de l’Union entre le Maroc et la Libye. Cette intensification des flux de travailleurs marocains a suppléé l’expulsion des résidents tunisiens suite à des différends politiques entre les deux pays. C’est durant cette phase qu’a commencé l’émigration féminine en Libye, destinée à travailler dans le secteur des services. La mobilité des travailleurs dans l’espace maghrébin (iii) Dans les années 90, et suite à la normalisation des relations entre la Libye et la Tunisie, les flux ont continué, mais sans être organisés dans le cadre d’un recrutement contractuel. Durant cette décennie, les flux migratoires intra-maghrébins seront stimulés par l’adoption dans les pays de l’Union Européenne de la Convention d’application des accords de Schengen, signée le 19 juin 1990. Cet instrument juridique a acculé un grand nombre de ceux qui ont incubé le projet migratoire à choisir la Libye comme destination. C’est dans ce contexte que la Libye allait devenir progressivement une plaque tournante de la migration clandestine, et constituer avec le Maroc les deux principaux couloirs trans-maghrébins de départs irréguliers vers l’Europe. 8 (iv) La Libye est devenue ainsi un pays de transit de la migration clandestine en provenance de différents pays du Maghreb et d’Afrique Subsaharienne à destination de l’Italie. Les villes situées sur la côte méditerranéenne -Zouara, Zoltene et Mesratah sont devenues des destinations de ces migrants irréguliers dont un grand nombre sont originaires du Maghreb. (v) La crise que traverse la Libye depuis le premier semestre 2011 a provoqué un flux en sens inverse. Des réfugiés libyens, fuyant les combats, sont arrivés en Tunisie. Selon les chiffres fournis par le ministère de l›Intérieur tunisien, 60 à 70.000 libyens sont entrés en Tunisie et ont été répartis dans les régions de Tataouine, Médenine et Sfax. Ainsi, et comme le souligne la responsable du bureau du HCR à Tunis, « grâce à la solidarité et à la générosité du peuple et du gouvernement tunisiens, une crise humanitaire a été évitée de justesse»(TAP, 2011). Au Maroc, le gouvernement a pris en charge le rapatriement de 15.242 migrants marocains qui résidaient alors en Libye (L’Economiste, 2011). La crise politique libyenne de 2011 a profondément affecté l’économie tunisienne. Selon une étude réalisée par la Banque Africaine de Développement (BAD), sous l’effet de cette crise, les exportations tunisiennes vers la Libye ont diminué de 34%, tandis que les importations ont enregistré une chute de 95%. Plusieurs secteurs ont été fortement affectés, en particulier le tourisme et l’industrie manufacturière, essentiellement les entreprises exportatrices. Le retour de 41.322 travailleurs tunisiens a également affecté le volume des envois de fonds en provenance de la Libye (Panapress, 2011). II-2- La dimension quantitative La connaissance des migrations intra-maghrébines reste assez approximative3. Cette connaissance est produite principalement sur la base des données des services consulaires. C’est tout récemment que des questions sur les migrations internationales ont été introduites dans les recensements nationaux, notamment en Tunisie et au Maroc (2004) et un peu plus tard en Algérie (2008). D’autres sources plus riches en informations demeurent difficilement accessibles, notamment les fichiers et rapports des administrations nationales en charge de la délivrance des cartes de séjour aux étrangers. De même, ces sources ne rendent compte que de la présence légale des migrants maghrébins, et ne sont donc pas inclusives de la mobilité informelle. Le Maghreb dans son ensemble est plutôt un foyer d’émigration, avec environ 6,5 millions de personnes, y compris les migrants en situation irrégulière. Pour l’année 2005, le Maroc et l’Algérie figurent parmi les dix (10) premiers pays d’émigration au monde. Cette communauté de migrants maghrébins se répartit comme suit. Tableau n° 1. Ventilation des migrants maghrébins dans le monde (en%) Libye Afrique Asie Europe 1783476 9,5 6,8 81,6 13,2 74,5 **61 521 16,3 39,8 105315 75,9 4,5 Maroc *4000000 Tunisie 632221 Mauritanie 9,1 9,3 9,9 26,7 17,1 78,3 Amérique latine et Caraïbes Amérique du Nord Océanie 0,4 1,8 14,7 0,1 0,2 2,8 2,3 0,1 0,2 0,2 0,2 2,3 2,0 0,0 0,1 Source : PNUD : Rapport mondial sur le développement humain 2009 : Lever les barrières : mobilité et développement humains. Edit Green Ink NY. 2009. * AMERM :Allocution du ministre délégué auprès du premier ministre chargé de la communauté marocaine à l’Etranger au colloque organisé par l’AMERM sur le thème : « Les évolutions de la recherche sur les migrations internationales :Théories, concepts, méthodes et défis contemporains », les 29-30 octobre 2010. ** Anna Di Bartolomeo,Thibaut Jaulin et Delphine Perrin / CARIM : Profil migratoire : Libye. Juin 2011 Au vu du tableau qui précède, les destinations principales des maghrébins restent l’Europe et les pays du Moyen Orient, la migration intra-maghrébine étant pour l’instant très marginale. Sur une population migrante estimée à environ 6,5 millions, moins de 350.000 migrants résident dans les pays du Maghreb, soit un taux moyen de 5,4%. Seuls les Tunisiens ont élu parmi leurs cinq premières destinations un pays maghrébin -la Libye, deuxième après la France et quasi ex-æquo avec l’Italie (Institut International d’Etudes Sociales & OIT, 2010). Dans le cas de la Mauritanie, aucun des pays maghrébins ne figure dans la liste des principales destinations des migrants, les dix premiers étant le Sénégal, le Nigéria, la France, l’Espagne, la Gambie, les Etats Unis, le Congo, l’Italie, l’Allemagne et la Guinée Bissau (Anis Masmoudi, 2010). 3 Les écarts dans les estimations sont parfois importants. Par exemple, selon les autorités tunisiennes, le nombre des ressortissants marocains résidant d’une manière légale en Tunisie s’élevait fin décembre 2010 à 7.681, selon la Direction des Affaires Consulaires et Sociales (Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération), le nombre de Marocains inscrits auprès du Consulat Général de Tunis s’élevait à 30.259 à la date du 13 juin 2011. Cette surestimation est probablement due au fait que les étudiants marocains demeurent inscrits, même après leur retour au Maroc et qu’un nombre important de migrants ne régularise pas leur situation auprès des autorités tunisiennes. Même remarque concernant les Algériens dont le nombre est estimé par les autorités tunisiennes à 9.612 personnes ( RGPH de 2004), alors que les données consulaires algériennes avancent le chiffre de 30.000 ressortissants algériens vivant en Tunisie(Labdelaoui,Hocine, 2011). La mobilité des travailleurs dans l’espace maghrébin Algérie Stock de migrants 9 Au Maroc, le Recensement Général de la Population et de l’Habitat (RGPH) de 2004 fournit des informations plus détaillées sur les résidents originaires des pays du Maghreb. D’après les résultats de ce recensement, les maghrébins représentent 23,9% du total des étrangers installés au Maroc. Les Algériens constituent la deuxième communauté étrangère résidente au Maroc après les Français (17,7%), et les Tunisiens viennent en quatrième position après les Espagnols. Les Mauritaniens arrivent au 12ème rang (en dépit d’une présence croissante d’étudiants) et les Libyens au 17ème rang. Le taux d’activité des personnes âgées de 15 ans et plus y est de 42,3% (74,9% chez les hommes et 19,3% chez les femmes). Selon le RGPH, le taux de chômage des étrangers résidant au Maroc est de 5,9%. Plus de la moitié de ces chômeurs sont ressortissants des pays maghrébins. Le taux de chômage de ce groupe est de 16,4%. Il est de 14,5% pour les hommes et de 21,6% pour les femmes. La répartition de la population maghrébine selon la situation professionnelle se ventile ainsi. Tableau N°2 : Répartition de la population maghrébine au Maroc selon le statut professionnel (en %) Statut professionnel Employeur Indépendant Salarié Aide familial Autres Total 8,4 26,7 60,5 3,7 0,7 100 Maghreb HCP : Les résidents étrangers au Maroc : Profil démographique et socio-économique. Série thématique. Edition 10 En Mauritanie, le nombre d’étrangers est estimé à 48.000 (Sidna Ndah Mohamed Saleh, 2008). avec une forte présence dans des secteurs clés de l’économie dont l’industrie, le bâtiment et les services. Les immigrés maghrébins en Mauritanie représentent moins de 7% de l’ensemble des étrangers. Cette présence a été soutenue ces dernières années par l’implantation d’entreprises maghrébines. Parmi l’effectif des travailleurs étrangers, les Algériens représentent 12%, les Tunisiens 6,6% et les Marocains 3,9% ( Ould Mahjoub Taleb Abderrahmane, 2011). Gr7 : Réprésentation des employés étrangers selon la Graphe N°2 : Répartition de la population maghrébine nationalité (en %). au Maroc selon le statut professionnel (en %) 30,6 Source : ANAPEJ ; Taleb Mahjoub ; 2011 15,1 Autres pays 4,7 Autres pays européens Autres pays africains Français et Belges 8,9 6,6 Tunisie 3,9 Algérie 6,6 12,0 Maroc 11,6 Mali 35 30 25 20 15 10 5 0 Sénégal La mobilité des travailleurs dans l’espace maghrébin Okad, 2009. P.59. Les données disponibles sur la répartition par catégorie socio - professionnelle des Marocains résidant en Mauritanie font ressortir que la majorité exerce en tant qu’ouvriers/ salariés dans les secteurs de la construction, de l’hôtellerie et des services. Le reste se répartit entre les secteurs du commerce et des professions libérales (médecins, avocats…). Il existe également un nombre important d’étudiants inscrits dans les disciplines de la théologie et de la linguistique (DACS, 2011). En Tunisie, le phénomène migratoire dans son ensemble concerne environ 10% de la population (Youzbachi, M. ; 2011), avec prédominance des flux vers l’Europe (83%), la destination « Maghreb » restant pour l’instant marginale (8% vers la Libye, autour de 1% pour chacun des autres Etats). L’essentiel des migrants sont des hommes (79%), et plus de 52% sont dans la tranche d’âge des 15-29 ans. Environ 70% émigrent pour des raisons d’emploi, et la moitié d’entre eux ont un niveau d’instruction « Secondaire ». Les statistiques montrent aussi une forte augmentation des jeunes désirant émigrer (76% en 2005, contre 45% en 2000 et 22% en 1996). Les politiques d’immigration mises en œuvre dans les principaux pays de destination se sont toutefois traduites par un ralentissement des flux vers l’Europe, l’amplification du phénomène des départs irréguliers et la formation de nouveaux couloirs transnationaux de départ vers l’étranger. Tableau N°3 : Répartition des tunisiens résidant en Algérie et au Maroc selon le statut professionnel - Ouvriers - Cadres - Professions libérales - Etudiants - Sans emplois En Algérie Au Maroc 47.0% 9.7% 5.2% 37.9% 5.9% - 3.0% 30.1% 38.8% 22.2% Source : Youzbachi Moncef, Mobilité des travailleurs au Maghreb. (Réunion d’experts sur la mobilité des travailleurs au Maghreb. Commission économique pour l’Afrique. Bureau pour l’Afrique du Nord. Rabat 14-16 septembre 2011). La présence de Maghrébins en Tunisie semble moins importante comme l’attestent les données statistiques. Ils constituent néanmoins une composante principale des effectifs des étrangers établis dans ce pays. Les données du RGPH de 2004 ont permis de relever qu’à cette date, 35.192 étrangers résidaient en Tunisie, dont 50,3% de maghrébins. Selon la nationalité, la communauté algérienne était la plus importante avec 9.612 personnes, soit 27,3% du total des étrangers, suivie des Marocains 6.363 (18,1%) et des Libyens 1.738 (4,9%). Les événements politiques survenus en Algérie au début de la décennie 90 expliquent en partie l’importance relative des Algériens résidents en Tunisie, avec une forte proportion de cadres hautement qualifiés. La mobilité des travailleurs dans l’espace maghrébin La migration tunisienne vers les pays du Maghreb est estimée à 106.835 personnes. La majorité est installée en Libye (87.177 émigrés, soit 81.6%), suivie par l’Algérie (16.402) et le Maroc (2900) (A.Bel Haj Zekri ; 2011). Les profils socioprofessionnels des Tunisiens sont nettement distincts dans les deux autres pays du Maghreb Central, avec une prédominance d’ouvriers en Algérie et de cadres et d’étudiants au Maroc. On notera par ailleurs que les récents évènements intervenus en Libye se sont traduits par un reflux quasi général des travailleurs tunisiens qui résidaient dans ce pays. 11 Les informations disponibles sur la répartition par catégorie socio-professionnelle concernent les Marocains résidant en Tunisie. Environ 80% sont de simples ouvriers et artisans. Ils exercent dans les secteurs de la construction, de l’agriculture, de l’artisanat, et de la sécurité. Une partie minoritaire est composée principalement d’étudiants, ou exerce des professions libérales (médecin, avocat). En Algérie, la population étrangère totale est estimée à 325.000 personnes, mais la part des maghrébins reste marginale dans les effectifs officiels. L’ensemble des ressortissants des pays du Maghreb plafonne à 62.972, soit 19,4% du total. Les Marocains constituent la première communauté maghrébine (45.109 personnes), suivie par les Tunisiens (15.898), les Libyens (1351) et les Mauritaniens (614) (Labdelaoui, 2011). Les données disponibles sur les permis de travail délivrés à des étrangers par nationalité indiquent que les Marocains, première communauté maghrébine, représentent à peine 3% des travailleurs étrangers, loin derrière les Chinois 41%, les égyptiens 11%, les turcs 7%, les anglais 6% et les italiens 5%. La mobilité des travailleurs dans l’espace maghrébin Tableau N°4 : Part des travailleurs maghrébins dans les effectifs des travailleurs étrangers Algérie 12 Nationalité % Chinois 41 Egyptiens 11 Turcs 7 Anglais 6 Italiens 5 Français 3 Marocains 3 Syriens 3 Autres 21 Total 100 Source : ANEM 2001-2009 et déclaration du ministre du travail, de l’emploi et de la sécurité sociale devant les députés le 15/06/2011, in Labdelaoui Hocine, 2011. Dans l’activité commerciale, des données récentes (2010) indiquent la présence de 1644 commerçants d’origine maghrébine soit 19,8% de l’effectif des étrangers exerçant dans ce secteur (8309) personnes physiques et personnes morales confondues. (Labdelaoui Hocine, 2011). Tableau N°5 : Les commerçants maghrébins en Algérie en 2010 Personnes physiques Personnes morales Total Tunisiens 776 421 997 Marocains 447 63 510 Libyens 5 129 134 Mauritaniens 00 03 03 Total/Maghrébins 1023 616 1644 Total/ Etrangers 1850 4659 8309 Nationalité Source : Centre national du registre du commerce, les créations d’entreprise en Algérie, statistiques 2010, in Labdelaoui Hocine, 2011. En Libye, il existe de grands écarts sur les statistiques des flux migratoires, selon qu’on se réfère aux sources nationales ou à celles de l’OIT. Le recensement général de la population de 2006 estimait à 350.000 le nombre d’étrangers résidents en Libye, contre 1,5 à 2 millions selon d’autres sources (Hein de Haas ; 2006). Le nombre de travailleurs étrangers en 2007 y serait d’environ 180.900, soit 11% du volume total des emplois (D. Perrin; 2009). D’une manière générale, la Libye est restée un pays d’immigration, avec des flux régulés à la fois par l’évolution de la rente pétrolière et par les grandes orientations diplomatiques du pays, panarabisme durant les décennies 80 et 90, puis panafricanisme durant la période 2001-2010. La présence de maghrébins y est relativement importante, notamment celle des tunisiens (87.177 personnes) et des marocains (68.014 personnes)4. La communauté marocaine travaille notamment dans l’agriculture, l’hôtellerie, les services, les petits métiers, le personnel domestique… (Khachani, 2008). Les Algériens et les Mauritaniens compteraient respectivement 5000 et 3000 ressortissants. En général, à l’échelle de la région, les travailleurs maghrébins accusent une forte concentration dans les secteurs qui ne nécessitent pas ou peu de qualification (agriculture, bâtiment, gardiennage, petits métiers,…). Ces profils répondent à une demande qui demeure néanmoins peu importante, sauf en Libye et en Algérie. Une minorité exerce dans le commerce. Les travailleurs migrants qualifiés sont très peu nombreux, et exercent principalement dans les professions libérales (médecins, avocats…). Les crises intervenues entre 2008 et 2011 ont eu des effets importants sur les flux intramaghrébins, mais différenciés selon leur nature et selon les Etats. Avec la crise économique de 2008, une régression des effectifs maghrébins a été constatée en Algérie, en même temps qu’une augmentation constante des travailleurs originaires d’autres pays. Dans le cas de la Lybie, c’est plutôt un accroissement des travailleurs maghrébins qui a été observé, (Tunisiens et Marocains en particulier), suivi de nouveau par un reflux massif, conséquence des troubles politiques qui y ont eu cours en 2011. La Tunisie à elle seule a enregistré le retour de près de 90.000 travailleurs migrants, dans des conditions d’urgence et de grande précarité. 4 D’autres estimations à la DACS estiment cet effectif à 120.000 Marocains. La mobilité des travailleurs dans l’espace maghrébin Les deux tiers des ressortissants marocains en Algérie déclarent être sans emploi. La grande majorité des ressortissants actifs travaillent dans les secteurs de l’agriculture ou de la construction en tant que simples ouvriers, le reste travaille dans le commerce et les services, ou exerce dans certaines professions libérales (avocat, médecin…) ( DACS, 2011). 13 III - Les contraintes Cette faiblesse des échanges humains au Maghreb s’explique par plusieurs facteurs qui constituent autant de contraintes à la mobilité intermaghrébine. III-1- Le défi de l’emploi Les marchés du travail dans l’espace régional sont caractérisés notamment par un taux d’activité de la population peu élevé, en moyenne 46 à 51%, contre 71% dans l’Union Européenne, des déséquilibres quantitatifs et qualitatifs entre l’offre et la demande, un chômage et un sous emploi plus élevés chez les jeunes et les femmes, surtout en milieu urbain, une prédominance de l’emploi informel, une hausse régulière du taux de chômage chez les diplômés. Ces déséquilibres structurels sont du reste amplifiés par une inadéquation de plus en plus marquée entre la formation et les besoins du marché du travail, un faible niveau de diversification des économies, tirées dans la majorité des pays par des secteurs extractifs peu créateurs d’emplois, un environnement juridique national et communautaire en apparence favorable à la mobilité, mais aux incitations non exclusives, non uniformisées et faiblement appliquées. A l’exception de la Libye, pays dont les besoins en force de travail sont importants, mais qui passe présentement par une transition politique majeure, les offres d’emploi dans les autres pays maghrébins demeurent en deçà de la demande, en dépit d’une tendance à la baisse du taux de chômage observée entre 2006 et 2010. La mobilité des travailleurs dans l’espace maghrébin Tableau N°6 : Evolution des taux de chômage au Maghreb 14 Pays 2006 2007 2008 2009 2010 Algérie 12.3 13.8 11.3 10.2 10 Libye 13.8 ND ND ND Mauritanie 32.5 ND 32 31.2 Maroc 9.7 9.8 9.6 9.1 9.1 Tunisie 14.3 14.1 14.2 13.3 13 Source: Base de données de l’OIT ND: Non disponible Au Maroc, le chômage a continué à baisser pour atteindre 9,1% en 2010, mais avec un pic de 29,1% chez les jeunes de 15-24 ans en milieu urbain. Le taux de chômage demeure également très élevé en Mauritanie où il atteint 31,2%, 66,7% chez les jeunes de 15-24 ans et 44% chez les femmes. En Tunisie, on note la persistance d’un taux de chômage à deux chiffres (13% en 2010) qui, même s’il a légèrement baissé au cours des dix dernières années, n’en traduit pas moins une forte augmentation en volume, la capacité d’absorption de l’économie restant durablement inférieure à la demande additionnelle annuelle d’emplois. Avec la crise politique qu’a connu le pays en 2011, le nombre des demandeurs d’emploi est notamment passé de 500.000 à environ 1.000.000 (Youssef, B ; 2011), corollaire immédiat des actes de pillage qui ont touché entièrement ou partiellement 2042 entreprises au cours du premier semestre 2011, et de la baisse des activités du secteur touristique, des exportations et des IDE (MDCI ; 2011). En Algérie, le taux de chômage estimé à 23,7% en 2003, a connu une forte baisse, 12.3% en 2006, 11,3% en 2008 et 10% en 2010. En termes de volume, l’effectif absolu des chômeurs s’est réduit de 703.000 personnes, passant de 2,1 millions en 2003 à 1.2 millions en 2008 (Musette Mohamed Saïb, 2009). Les raisons expliquant ces niveaux de chômage sont, en particulier, l’importance de la croissance de la population active, l’intégration croissante des femmes au marché de l’emploi, l’accroissement du nombre de diplômés du supérieur à la recherche d’un emploi, et le rétrécissement des capacités de l’emploi public par l’Etat, confronté aux déficits publics et aux exigences de rigueur des politiques économiques. Mais la raison fondamentale de cette incapacité des économies maghrébines à générer suffisamment d’emplois demeurent indéniablement le niveau et la nature de la croissance économique. Les pays du Maghreb présentent des profils économiques variés. Ils ont une structure économique plurielle. Si la Tunisie et le Maroc présentent des similitudes certaines - en 2007, l’agriculture, l’industrie et les services représentant respectivement 10%, 30% et 60% du PIB tunisien et 14%, 27% et 59% du PIB marocain (Institut Européen de la Méditerranée ,2010), l’économie algérienne reste dominée par les hydrocarbures ainsi que celle de la Libye. En Mauritanie, l’économie crée environ 16.400 emplois par an, volume largement inférieur aux flux annuels des demandeurs d’emplois estimé à 30.000 personnes (Ould Mahjoub, T ; 2011). La Mauritanie demeure le pays le plus pauvre des pays maghrébins, avec un taux de pauvreté de l’ordre de 46% en 2010 contre 48,7% en 2008 (Sidna Ndah Mohamed Saleh, 2008). Les produits primaires sont les principaux moteurs de la croissance dans trois des cinq pays du Maghreb. En Libye, les hydrocarbures représentent 97,3% des exportations ; en Algérie, le secteur du pétrole représente plus du tiers du PIB et 96,6% des exportations ; en Mauritanie, les activités primaires et extractives représentaient 45,8% du PIB en 2008. Mais dans les trois cas, moins de 5% de la main d’œuvre sont employés directement dans ce secteur. Au Maroc comme en Tunisie, et en dépit d’une tendance à la diversification des systèmes productifs, l’agriculture continue de conditionner dans une large mesure le rythme de la croissance. Il est impératif, si on veut réduire les taux de chômage, de doper la croissance et d’atteindre des taux beaucoup plus élevés que ceux réalisés jusqu’à présent, sachant que la région dispose de potentialités économiques importantes. A ces contraintes d’ordre économique, il convient d’ajouter d’autres facteurs. La mobilité des travailleurs dans l’espace maghrébin III- 2- Le défi d’une croissance génératrice d’emplois 15 III-3- Autres facteurs limitant la mobilité intra-maghrébine La concurrence des ressortissants de pays non maghrébins, main d’œuvre moins chère et parfois compétente et mieux formée. Tel est le cas de la Libye où la main d’œuvre maghrébine se trouve confrontée à la concurrence des émigrés en provenance d’Egypte et d’Afrique subsaharienne, plus pauvres, souvent en situation irrégulière, et donc moins exigeants que les Maghrébins, ou le cas algérien où la main d’œuvre chinoise est recrutée dans le cadre de contrats signés avec des entreprises du même pays. L’absence d’organismes spécialisés dans la prospection et la régulation du marché de l’emploi au Maghreb et d’instruments juridiques incitatifs, pour combler les déficits dans certains pays par les excédents des autres. Certes, les recrutements dans les différents pays maghrébins obéissent à la règle de la préférence nationale, mais à défaut, on ne retrouve pas à l’instar de l’Union Européenne, la règle de la préférence communautaire, ici maghrébine. Par ailleurs, et pour les mêmes raisons, certains pays maghrébins délimitent les professions autorisées pour l’exercice des étrangers, y compris les Maghrébins. La mobilité des travailleurs dans l’espace maghrébin La préférence des Maghrébins pour l’émigration à destination des pays de l’Union Européenne et des Amériques. 16 Pour les raisons sus-évoquées et pour d’autres, les candidats maghrébins à l’émigration préfèrent réaliser leur projet dans les pays du Nord qui se caractérisent par de forts différentiels en termes de revenus et de développement technologique. Seuls 6%, selon le BIT, émigrent dans la sous région (Kazi Aoul, Samia, 2011). Les tentatives, légales et illégales («harragas »5), pour partir à l’étranger, résultent de ce contexte où les chances de trouver un emploi décent dans l’un des pays du Maghreb, répondant aux aspirations des demandeurs et correspondant à leurs qualifications et à leurs diplômes, sont faibles. Le niveau des salaires, tout comme le chômage des jeunes, qualifiés ou non, constituent ainsi des vecteurs répulsifs du marché du travail. Les travailleurs migrants maghrébins en France tendent à gagner entre 3,4 et 8 fois le salaire dans leur pays d’origine (Institut International d’Etudes Sociales & OIT, 2010). Les incertitudes politiques : Certains pays maghrébins adoptent une politique migratoire qui évolue au gré des aléas politiques. Des phases d’ouverture sont alternées avec des phases d’expulsions collectives, expression d’une politique qui souffre d’une inconstance chronique et de nombreux revirements. En Algérie, la période d’instabilité et d’affrontements intérieurs qui a duré jusqu’à la fin des années 90 avait contribué à réduire sensiblement la présence de Maghrébins, surtout les commerçants et les étudiants. Par contre, elle a provoqué une forte migration des Algériens à destination notamment des pays de l’Union Européenne, les flux à destination des autres pays du Maghreb étant restés faibles. Les événements récents qu’a connus la Tunisie ont multiplié par deux le nombre des demandeurs d’emploi (Bouhlel, Y ; 2011), et eu entre autres effets, une plus forte propension des jeunes à émigrer à destination de l’Europe, ainsi qu’une brusque hausse de l’arrivée de migrants clandestins sur le territoire italien. En Libye, La détérioration des relations avec le monde occidental depuis le milieu des années 80, puis la soumission à un embargo international à partir de 1992 ont eu comme conséquence une 5 Désignation des migrants clandestins. Le mot vient de « l’hrigue » selon une expression devenue populaire au Maghreb, qui signifie brûler ses papiers (pour ne pas décliner son identité) et/ou braver l’interdit. détérioration de la situation économique et sociale de pays, et ont fortement réduit l’attraction de la destination libyenne pour les migrants maghrébins (Tunisiens et Marocains en particulier). La détérioration des relations tuniso-libyennes en 1985 et Algéro-marocaines en 1975 et en 1994, ainsi que les fermetures des frontières par la Libye et l’Algérie ont à chaque fois fortement réduit la mobilité intra-maghrébine, et engendré une suspension plus ou moins longue des flux terrestres de personnes et de marchandises, notamment entre le Maroc et la Libye. Au niveau bilatéral, certains pays maghrébins ne respectent pas toujours les termes des conventions d’établissement. Parmi les problèmes récurrents, figurent les difficultés liées à l’obtention de la carte de séjour, nécessaire à l’autorisation de travailler, au transfert des revenus (50% de l’épargne), la limitation des transferts de biens en cas de retour, la difficulté de liquider les droits successoraux en cas de décès et de transférer à l’étranger, en devises, les avoirs obtenus en héritage. Par ailleurs, certains pays exigent des visas de sortie du territoire, en contradiction avec les dispositions des conventions d’établissement. Dans d’autres pays, le passeport du migrant peut être confisqué, comme moyen de pression exercé par l’employeur. Au niveau multilatéral, aucune convention générale de main d’œuvre n’a été adoptée par l’UMA depuis 1994, date de la dernière réunion du Conseil de la Présidence. L’UMA souffre de sa propre constitution de départ qui stipule dans l’article 6 du traité de Marrakech que seul le Conseil de la Présidence a le droit de prendre des décisions, et à l’unanimité. La mobilité des travailleurs dans l’espace maghrébin Si ces contraintes représentent autant de défis à surmonter, les pays du Maghreb ont néanmoins des atouts qui militent en faveur d’une intégration de la région et pour une plus grande mobilité des travailleurs entre les Etats membres. 17 VI- Les opportunités de l’intégration Plusieurs facteurs militent en faveur d’une intégration dans la région, et celle-ci apparaît de plus en plus comme une nécessité, compte tenu « du coût du non Maghreb », et des potentialités économiques que recèlent la région. IV-1- L’intégration maghrébine, une nécessité La mobilité des travailleurs dans l’espace maghrébin Avec une population estimée en 2010 à environ 90 millions d’habitants pour les cinq états membres de l’UMA, (EIU ; Country reports 2010) et un PIB moyen régional de plus 7000 dollars par habitant, la sous-région dispose des deux premiers atouts nécessaires à un marché performant qui permettrait, entre autres effets dynamiques, une croissance plus soutenue et génératrice d’emplois. La création de commerce qui découlerait de l’élimination des barrières tarifaires et non tarifaires entre les Etats serait par ailleurs amplifiée par la continuité de l’espace physique. Le développement des échanges entre deux ou plusieurs pays est en effet fonction de leur potentiel commercial (productions de biens et services), de l’existence d’un régime préférentiel, de l’absence de protection non tarifaire, mais aussi de la proximité géographique. Les facteurs structurels tels que le niveau des revenus ou les distances sont souvent plus déterminants que les effets des politiques économiques dans le dynamisme d’un marché régional. Par ailleurs, l’existence de liens culturels, linguistiques et sociologiques forts entre les Etats considérés confère à la sous-région les caractéristiques des zones économiques dites « naturelles », dans lesquelles « …les échanges sont plus intenses qu’avec le reste du monde, en l’absence de barrières aux échanges et d’accords préférentiels (Krugman, 1991). 18 La géographie physique et l’histoire contemporaine fondent en effet une unité maghrébine confortée par une relative homogénéité des peuplements, comparativement à l’espace européen qui présente des hétérogénéités réelles. Cet espace qui regroupe les cinq pays de l’Afrique du Nord, est «l’ensemble géopolitique le plus homogène sur le plan linguistique, religieux et culturel, mais le moins intégré sur le plan économique » (Libération, 2010). Réaliser cette intégration serait générateur de multiples ’effets positifs, tant au niveau économique, avec l’ouverture des marchés, qu’au niveau politique, avec notamment l’extension de la sphère d’influence des Etats et le renforcement de leur pouvoir de négociation. L’accord signé à Marrakech en 1989 devait répondre à cet impératif. Conscient du fait que la construction du Maghreb n›est pas une faculté, mais une nécessité impérieuse, les responsables des cinq pays ont créé l’Union du Maghreb Arabe qui s’est fixée pour objectifs d’oeuvrer progressivement à réaliser la libre circulation des personnes, des services, des marchandises et des capitaux. A cet égard, une série d’accords et conventions ont été adoptés par le Conseil de la Présidence (37 accords) parmi lesquels, on peut citer: la convention de l’UMA relative au transport des personnes et des biens, et au transit, signée en : • 1990, et entrée en vigueur en 1994 ; • la convention relative à la reconnaissance mutuelle des permis de conduire ; et • la convention de l’UMA relative à la sécurité sociale en 1991. De même, parmi les réalisations, on peut citer la décision prise à l›issue du 29ème Conseil des ministres des Affaires étrangères des pays de l›Union du Maghreb Arabe (tenu le 29 décembre 2009 à Tripoli) de lancer « la Banque maghrébine d›investissement et du commerce extérieur». Cette nécessité de s’unir est partagée également par les professionnels maghrébins. Conscients des enjeux économiques, ils adoptent une perception plus réaliste axée sur les intérêts communs. Ici, l’action semble plus efficace, et l’intégration avance. Une coopération fonctionnelle se met en place, avec des institutions telles l’Union des banques qui regroupe 65 banques maghrébines, l’Union Maghrébine des Employeurs (UME) - preuve de la volonté des milieux d’affaires à contribuer au processus d’intégration, l’Union des assurances, l’Union des médecins, l’Union des chemins de fer, l’Union syndicale, autant d’organisations professionnelles qui militent pour l’édification du Grand Maghreb. IV-2- De l’impact du faible niveau d’intégration : le coût du non Maghreb Comparés aux autres groupements régionaux, le commerce intra-maghrébin demeure marginal. Au sein de l’ASEAN (The Association of Southeast Asian Nations), le volume des échanges atteint, par exemple, 21% ; ce taux est de 19% pour le MERCOSUR (le Marché commun du Sud), 15% pour l’UEMOA, 10% pour la CEDEAO et la SADC (Annuaire statistique 2010 BAD/CEA/UA). Ce retard accusé dans le processus d’intégration de l’UMA coûte à chaque pays de la région un manque à gagner important. Plusieurs études et rapports mettent en évidence ce « coût du non Maghreb ». Selon la Direction des études et des prévisions financières du Secrétariat Général de l’UMA, si l’Union maghrébine existait, elle aurait fait gagner aux cinq pays une valeur ajoutée de l’ordre de 10 milliards de dollars par an. Pour sa part, le Secrétaire Général de l’UMA considère que le retard dans le processus d’intégration maghrébine coûte, à chaque pays de la région, 2 points de croissance supplémentaire du PIB (Habib Ben Yahia, a 2008). De son côté, la Banque mondiale estime qu’une intégration maghrébine plus approfondie, qui prend en compte la libéralisation des services et les réformes du climat de l’investissement, serait en mesure de faire croître le PIB réel par habitant entre 2005 et 2015 de 34%, 27% et 24% respectivement pour l’Algérie, le Maroc et la Tunisie (Finances news, 2008). Par ailleurs, cette intégration permettrait au Maghreb d’avoir un accord avec l’Union Européenne qui engendrerait un gain en termes de PIB par habitant de 22% en moyenne pour les trois pays du Maghreb Central d’ici à 2015, taux qui pourrait doubler en 2030 (Habib Ben Yahia, b 2008). IV-3- Les potentialités économiques et humaines des économies maghrébines Le Maghreb est un espace aux potentialités économiques et humaines importantes. Couvrant une superficie cumulée de 6.045 milliers de km², soit onze fois plus que la France métropolitaine et 4,5 % de la surface des terres émergées, il compte 89 millions d’habitants en 2010, réalise un Produit La mobilité des travailleurs dans l’espace maghrébin Les acquis et réalisations de l’UMA restent cependant encore très en deçà des attentes. Au plan commercial notamment, la situation actuelle laisse apparaître une faiblesse des flux inter maghrébins, qui contraste avec le niveau des échanges des pays Maghrébins avec l’Union Européenne (près de 80% des échanges), celle-ci étant de loin le principal client et fournisseur de la région. Selon M. Habib Ben Yahia, Secrétaire Général de l’UMA (janvier 2008), les échanges commerciaux intermaghrébins ne dépassent pas 3,36 % du commerce total de la zone (Jeune Afrique, 2009). 19 Intérieur Brut cumulé de 298,6 milliards en 2008, et dispose de réserves en devises qui totalisent quelques 220 milliards de dollars (Libération, 2010). Si tous les économistes partagent globalement le même constat sur les faiblesses des échanges intermaghrébins, ils s’accordent sur la sous exploitation des potentiels du développement des échanges, potentiels très diversifiés, allant de l’agroalimentaire, l’énergie, les produits de la mer, l’industrie pharmaceutique, au secteur du tourisme. Ce potentiel est soutenu par d’importants programmes nationaux de développement des infrastructures dans la région. L’intégration Maghrébine donnerait naissance à un marché régional suffisamment vaste pour créer des économies d’échelle, un marché qui ne pourrait que permettre aux entreprises maghrébines d’être plus compétitives dans un environnement globalisé, de réaliser leur plein potentiel, surtout dans les secteurs à grande valeur ajoutée, de favoriser l’émergence de producteurs puissants, de rendre la région plus attrayante pour les investissements étrangers6. Ces derniers ne sont certes pas la panacée, mais dans le contexte de la mondialisation, à côté des ressources financières qu’ils apportent, ils contribuent de façon déterminante à l’accès aux technologies et au savoirfaire managérial, mais aussi à l’amélioration de l’image des pays maghrébins sur les marchés internationaux. La mobilité des travailleurs dans l’espace maghrébin La dynamique de l’intégration inciterait par ailleurs les capitaux maghrébins placés à l’étranger, estimés à 150 milliards d›euros, qui travaillent à créer de la richesse et des emplois ailleurs qu›au Maghreb, à retourner dans la sous-région et à y être investis (Ghilès Francis, 2006). 20 Des programmes ambitieux de développement sont par ailleurs en cours ou en projet dans les principaux pays maghrébins. Le Maroc a adopté une politique sectorielle plurielle : Plan vert pour l’agriculture, Plan Azur /vision 2020 pour le tourisme ; 2015 pour l’artisanat ; accélération du plan Emergence en termes de restructuration de l’industrie et des services ; Plan Envol : nouveaux marchés de haute technologie dans les domaines de la biotechnologie, de la nanotechnologie,…. Tous ces programmes sont soutenus par une politique proactive de l’emploi visant notamment à accélérer les mesures d’intégration des diplômés dans les secteurs privé et public. En Algérie, le nouveau plan de développement économique (2009-2014) a inscrit un programme de création de 3 millions d’emplois, soit l’équivalent d’une moyenne annuelle de 600 000 emplois nouveaux. Pour contribuer à la réalisation de cet objectif, il est prévu la création de 200 000 PME, soit une moyenne annuelle de 40.000 PME. La Tunisie, qui traverse actuellement une période de transition politique, dispose d’un tissu industriel assez étoffé. Cette industrie devrait être davantage créatrice d’emplois, de richesse et un appui efficace pour le développement de l’agriculture, la protection de l’environnement et l’élaboration d’une stratégie de consolidation des bases d’un tourisme durable. En Libye, pays d’immigration, les besoins en main d’œuvre sont importants. En Mauritanie, afin de promouvoir l’emploi, des stratégies de promotion de la micro et petite entreprise et la micro finance ont été adoptées en 2003, une stratégie nationale d’emploi a été élaborée en 2007 et actualisée en 2009. Dans chacun des Etats du Maghreb, il existe des déficits sur certains créneaux qui pourraient être comblés par les excédents des autres pays. L’Algérie, par exemple, continue de faire appel à la main 6 Des efforts considérables ont été consentis. En témoigne le volume des investissements dans cette région qui a été multipliée par quatre passant de 6.6 milliards $ en 2004 à 23.2 milliards $ en 2006. Cependant, la région a besoin d’une plus grande visibilité positive pour devenir attractive pour les investisseurs étrangers, puisque en matière d’IDE, l’Afrique du Nord se place derrière la Suède (27.2 milliards $), le Luxembourg (29.3 milliards $) et l’Italie (39.1 milliards $). d’œuvre étrangère pour la réalisation des travaux engagés et d’autres programmés dans le nouveau plan quinquennal (forte présence des Chinois dans les BTP ; 40% des travailleurs étrangers)7. En Mauritanie, certains secteurs de l’économie comme l’éducation, la pêche artisanale et les services ont recours à l’immigration. Les secteurs de la pêche et des hydrocarbures notamment offrent des perspectives certaines d’investissement et de création de nombreux emplois. En dépit de ces potentialités, la pression sur le marché de l’emploi entretient encore une forte propension à émigrer, notamment chez les jeunes. On est ainsi en droit de se demander : « est ce que l’émigration des maghrébins vers les pays européens reste la seule alternative ? ». Le suivi des déclarations des responsables maghrébins révèle que des opportunités importantes de création d’emplois demeurent réelles avec la mise en œuvre d’une intégration économique magrébine. Selon le président de l’Union Maghrébine des Employeurs, la réalisation d’une telle intégration permettrait la création de 200.000 emplois, dans une allocution prononcée lors du 2eme forum des employeurs maghrébins tenu les 10-11 Mai 2010 à Tunis (l’Union maghrébine des employeurs «UME» 2010). Concernant le deuxième point, force est de constater que le Maghreb dispose d’un potentiel important de compétences expatriées. Dans les pays de l’OCDE, les migrants qualifiés originaires des 3 pays du Maghreb central (Tunisie, Algérie, Maroc) représentent la moitié des personnes qualifiées originaires des pays arabes. Tableau N°7 : Nombre de diplômés du supérieur originaires des pays maghrébins dans les pays de l’OCDE Pays Nombre Maroc 207243 Algérie Tunisie Total Maghreb Central Total pays arabes % 215350 22,2 68192 7,0 490785 969726 21,4 50,6 100,0 Source : Base de données de l’OCDE 2000/LEA. 2009 Dans un contexte de mondialisation où prédomine l’économie de la connaissance, ce potentiel est un grand atout pour les économies maghrébines, confrontées de par leurs engagements dans divers accords de libre échange à la contrainte de la mise à niveau de leurs systèmes productifs. L’apport de ces compétences à la sous-région demeure cependant très faible. A titre d’illustration, moins de 1% des coopérants tunisiens dans les pays arabes exercent dans les pays du Maghreb (Ata, Nizar, 2011). 7 Le nombre important de travailleurs chinois résulte de la mise en œuvre d’accords et de programmes conclus entre la Chine et l’Algérie dans le domaine de la construction immobilière et de la fabrication de matériaux de construction, domaine dans lequel le Maroc dispose d’une grande expertise La mobilité des travailleurs dans l’espace maghrébin D’autres mesures d’accompagnement permettraient de favoriser davantage une mobilité : la révision des cursus de formation professionnelle, afin d’adapter l’offre aux besoins du marché de l’emploi maghrébin, et l’implication des compétences maghrébines travaillant à l’étranger dans le développement de leur région d’origine. Sur le premier point, le Secrétaire général de l’UMA a appelé lors d’un colloque organisé à Rabat le 7 Juillet 2010 à « la nécessité de réviser les approches de qualification et de formation professionnelle pour les mettre en adéquation avec les besoins du marché maghrébin » (Magharebia du 12/07/10). 21 V - Le cadre juridique existant en matière de migration : Portée et limites V.1- Le dispositif général En général au Maghreb, il y a une distribution horizontale des missions relatives à la gestion de la migration internationale dans plusieurs départements ministériels, mais la prise de conscience de l’importance de la question migratoire et de ses enjeux à la fois économiques, politiques et sociaux a conduit les pays maghrébins à confier ce dossier à des institutions spécialement créées à cette fin. • Au Maroc, c’est le Ministère Délégué auprès du Premier Ministre Chargé de la Communauté Marocaine Résidant à l’Etranger, la Fondation Hassan II pour les Marocains Résidant à l’Etranger et le Conseil Consultatif des Marocains Résidant à l’Etranger (CCME). • En Tunisie, ce rôle est dévolu principalement à l’Office des Tunisiens de l’Etranger. • En Algérie, le Ministère Délégué Chargé de la Communauté Nationale établie à l’étranger a d’abord été rattaché au cabinet du Premier ministre, puis au ministère délégué à la coopération régionale, au sein du ministère des Affaires étrangères, et enfin au ministère de la Solidarité nationale ; en septembre 2009, fut créé le Conseil Consultatif de la Communauté Nationale établie à l’étranger. La mobilité des travailleurs dans l’espace maghrébin Au niveau législatif, le Maroc, la Tunisie et l’Algérie ont dans l’ensemble adopté des législations restrictives portant sur l’entrée, le séjour et la circulation des étrangers. 22 La loi 02-03 relative à l’entrée et au séjour des étrangers au Royaume du Maroc, à l’émigration et l’immigration irrégulières (Bulletin Officiel, 2003) visait à combler un vide et à répondre à une nouvelle situation, celle où le Maroc devenait à la fois une zone de transit et une destination de plus en plus privilégiée de migrants en provenance d’autres pays maghrébins et sub-sahariens, une étape pour atteindre le présumé eldorado européen. Un transit qui, dans bien des cas, se transforme en séjour forcé et dans des conditions de grande précarité. Cette loi définit les conditions d’entrée dans le pays, et réglemente les conditions et les procédures d’obtention du titre de séjour. La loi sanctionne sévèrement l’infraction de trafic de migrants clandestins. Des amendes et des peines d’emprisonnement de dix à quinze ans sont prévues pour ceux qui organisent ou facilitent ce trafic. La peine peut atteindre 15 à 20 ans s’il s’en suit une incapacité du migrant transporté, et aller jusqu’à la réclusion perpétuelle, si ce trafic cause la mort des personnes transportées (article 51). Trois mois après le Maroc, le 3 février 2004, la Tunisie a réformé son droit de la migration, visant à accroître le contrôle des circulations et la répression des irrégularités. L’Algérie a suivi cette dynamique régionale en deux temps : le 25 juin 2008, fut promulguée la loi n°08-11 du 25 juin 2008 relative aux conditions d’entrée, de séjour et de circulation des étrangers, loi qui modifie un texte datant de 1966. Le 25 février 2009, elle modifiait son code pénal pour y ajouter le délit de sortie irrégulière du territoire pour ses citoyens et les étrangers résidents, ainsi que les crimes de trafic de migrants et de traite des personnes, conformément aux Protocoles de Palerme qu’elle a ratifiés. La Mauritanie et la Libye ont aussi adopté des réglementations sévères pour lutter contre la migration irrégulière. En Mauritanie, la question relevait des dispositions des décrets 64-169 du 15 décembre 1964 et 65-110 du 8 juillet 1965 portant régime de l’immigration. Le pays s’est engagé depuis 2003 dans un processus de refonte globale du cadre juridique régissant le séjour des étrangers sur son territoire, par le biais de réformes thématiques progressives. Les priorités de l’actualisation juridique ont été la répression de la traite des êtres humains (2003), le statut des réfugiés (2005) et les conditions d’emploi des étrangers (2008) (Di Bartlomeo Anna&all, 2010). En Libye, l’immigration est régie par l’Ordonnance du Comité Populaire Général n° 125/1373 (2005) définissant la procédure d’application de la loi n° 6 de l’année 1987 relative à l’admission et au séjour des étrangers (Di Bartlomeo Anna&all, 2011). A l’exception de la Tunisie, les autres pays maghrébins ont signé La Convention Internationale sur la Protection des Droits des Travailleurs Migrants et des Membres de leurs Familles : le Maroc en 1993, la Libye en 2004, l’Algérie en 2005 et la Mauritanie en 2007. Un grand nombre de conventions de l’OIT ont été signées par les Etats maghrébins ; l’Algérie a ratifié 59 conventions, la Tunisie 59, le Maroc 49 et la Mauritanie 42. A l’échelle sous-régionale, la liberté de circulation est consacrée par le traité fondateur de l›Union du Maghreb Arabe (UMA) signé en 1989 et qui stipule en son article 2 que «…les pays du Maghreb œuvreront progressivement à réaliser entre eux la libre circulation des personnes, des services, des marchandises et des capitaux ». Ainsi, les Maghrébins devraient être dispensés des formalités de visa pour entrer dans les autres pays de la région, et ce traitement préférentiel devrait venir renforcer les conventions d’établissement déjà existantes entre plusieurs Etats membres de l’UMA. Traditionnellement, les conventions d’établissement relatives à la main-d’œuvre garantissent la liberté de circulation des personnes et consacrent le principe du libre exercice des droits économiques et l’égalité fiscale. Dans certains cas, elles assimilent les ressortissants des deux Etats signataires aux nationaux de chacun d’eux par extension du droit à l’exercice des activités professionnelles et salariées. En vertu de ces dispositions, les citoyens des deux Etats signataires peuvent librement accéder à la propriété des biens mobiliers et immobiliers, et de ce fait, en jouir et exercer les droits de possession, de propriété et de disposition dans les mêmes conditions que les nationaux. Ces biens ne peuvent faire l’objet d’expropriation que pour cause d’utilité publique et conformément à la loi. Plusieurs conventions et accords bilatéraux ont ainsi été signés entre les cinq pays du Maghreb. Le rappel succinct de ces accords permet de mieux cerner les relations intermaghrébines en matière de migration des travailleurs. • L’Algérie a signé avec les autres pays maghrébins les accords suivants: • Convention d’établissement avec la Tunisie (1963), avec le Maroc (1963) ; convention sur le déplacement des personnes avec le Maroc (1964) ; convention de coopération dans le domaine du travail et de l’utilisation des ressources humaines avec la Libye (1987) ; accord d’établissement avec la Mauritanie (1996). La mobilité des travailleurs dans l’espace maghrébin V.2- Droit communautaire et conventions bilatérales 23 • Le Maroc a signé les accords suivants : Convention d’établissement signée avec l’Algérie le 15 mars 1963, modifiée et complétée par le Protocole annexe et l’échange de lettres du 15/01/1969, entrée en vigueur le 15/01/1969 ; accord sur le déplacement des personnes et des biens, signé à Rabat le 28/05/1964 et entré en vigueur à la même date. Avec la Tunisie : Convention d’établissement signée le 9/12/1964 ; convention de sécurité sociale signée le 05/02/1987, entrée en vigueur en mai 1999. Avec la Mauritanie : Convention d’établissement signée le 20/01/1972 et Accord d’amitié et de bon voisinage signé le 08/06/1970 entré en vigueur le 27/10/1983. Avec la Libye, l’arsenal réglementaire régissant la question migratoire compte les textes suivants: l’accord de main d’œuvre du 17 septembre 1965, remplacé par celui du 4 août 1983, la convention de sécurité sociale signée en 1983 et la convention de coopération dans le domaine des affaires sociales signée en 1998 8. • La Tunisie a signé les accords bilatéraux suivants : Conventions d’établissement avec l’Algérie (1963) et avec le Maroc (1964) ; convention consulaire avec la Mauritanie (1964) ; convention pour le droit de propriété, le droit au travail, l’exercice des professions et métiers, le droit d’établissement et le droit de circulation avec la Libye (1973) ; convention sur la main d’œuvre avec la Libye (2003). • La Mauritanie a signé les accords suivants : La mobilité des travailleurs dans l’espace maghrébin 24 Accords bilatéraux de circulation et d’établissement des personnes avec l’Algérie en 1996, de main d’œuvre en 2004 ; avec le Maroc, convention d’établissement signée le 20/01/1972 ; avec la Tunisie, convention consulaire signée en 1964. • La Libye a signé les conventions suivantes: Avec la Tunisie en 1973, avec le Maroc en 1983, et avec l’Algérie en 1987 (convention de coopération dans le domaine du travail et de l’utilisation des ressources humaines) 8- En principe, l’accord de main d’œuvre signé en 1983 a une durée de validité de 5 ans, prorogé par tacite reconduction. Cet accord prévoit dans son article 12, la réunion périodique d’un comité mixte au moins une fois par an, alternativement en Libye et au Maroc. Ce comité est chargé de : - suivre l’application de la convention et de ses annexes; - proposer sa révision en cas de besoin ; et traiter tous les problèmes et difficultés résultant de l’application de la convention et de ses annexes, et auxquels le comité est tenu de donner une suite dans un délai maximum de trois mois à partir de la date de sa saisine. Ce comité n’est plus fonctionnel. Nous avons trouvé trace d’une réunion de ce comité qui s’est tenue à Tripoli les 11-12 avril 2001. Le procès verbal sanctionnant cette réunion soulève les questions suivantes: - La nécessité d’échanger les informations sur les besoins de la Jamahiriya en main d’œuvre et les disponibilités du Maroc pour répondre à ces besoins; question prévue par l’article 13 de la convention de main d’œuvre ; - Les échanges des lois et règlements dans le domaine du travail. C’est dans ce cadre que la partie libyenne a remis une copie de la « Décision 170 » de l’année 2000 relative à la définition d’un plafond de main d’œuvre non libyenne dans certains secteurs et spécialités. - La partie marocaine a expliqué comment certaines sociétés libyennes avaient engagé par contrats des ouvriers marocains, mais le recrutement n’a pas eu lieu. - Les deux parties ont convenu de la nécessité de résoudre les problèmes liés à l’application de la convention de sécurité sociale compte tenu des problèmes humains que cela pose en particulier pour les retraités. Compte tenu du cumul des problèmes auxquels sont confrontés les migrants marocains et des conditions infrahumaines dans lesquelles vit un grand nombre de ces migrants, il est urgent de réactiver le rôle de ce comité, sensé examiner les doléances de cette communauté et essayer d’apporter des solutions à leurs problèmes. En dépit de l’existence de ces multiples conventions d’établissement, les règles d’accès des Maghrébins au marché du travail dans les Etats autres que les leurs sont restées en général restrictives, pour cause de protection de l’emploi des nationaux (préférence nationale). Plusieurs normes limitent en effet les possibilités d’obtention par les étrangers, toutes origines confondues, d’un permis ou d’un contrat de travail. En Algérie, les conditions d’emploi des travailleurs étrangers sont régies par la Loi n°81-10 du 11 juillet 1981 qui dispose notamment du principe d’une autorisation temporaire de travail de trois mois maximum, renouvelable une seule fois dans l’année, ou d’un permis de travail de deux ans renouvelable si l’intéressé peut justifier de l’existence préalable d’un contrat de travail. A la règle de la préférence nationale vient s’ajouter une condition de qualification de niveau minimal de technicien qui est exigée pour l’emploi d’un étranger. Au Maroc, la Loi n° 65.69 portant Code du Travail entrée en vigueur le 7 juin 2004 (Bulletin officiel, 2004) exige de l’étranger un contrat de travail pour tout séjour supérieur à trois mois, et la délivrance de la carte d’immatriculation est tributaire de l’obtention par l’employeur d’une autorisation de l’Agence Nationale de Promotion de l’Emploi et des Compétences (ANAPEC) après vérification que le profil du travailleur n’existe pas au niveau national. En Tunisie, (loi du 8 mars 1968 relative à la condition des étrangers) le contrat du travailleur étranger est soumis au visa préalable du ministère en charge de l’emploi, et est limité à un an renouvelable une seule fois, seules les entreprises exportant la totalité de leurs productions pouvant déroger à cette règle. En Libye une ordonnance de 2005 portant modification de l’ordonnance n° 238 de 1989 relative aux conditions d’emploi des étrangers lie désormais l’obtention d’un visa de séjour pour travail à une autorisation d’emploi « …conforme à la législation du secteur… » concerné. Dans les cinq pays, il existe aussi une délimitation des professions autorisées pour l’exercice des étrangers, y compris les Maghrébins (exclusion des activités de commerce en Libye, d’agent de voyages, d’agent d’assurances ou d’agent de change en Mauritanie…). Les crises politiques à l’intérieur de la région et les tensions entre Etats ont par ailleurs eu des impacts très négatifs sur l’effectivité de ces accords bilatéraux et la mobilité intra-Maghrébine. Depuis 1994, l’Algérie a procédé à la fermeture de sa frontière avec le Maroc. Pour sa part, le Maroc n’a pas encore ratifié plusieurs conventions signées avec l’Algérie, telles la convention de coopération dans les domaines sociaux, signée à Rabat le 07/01/1991 et la convention générale sur la sécurité sociale signée le 23 février 1991. Enfin, dans certains pays, le visa de sortie continue d’être exigé pour les étrangers y compris les Maghrébins ; c’est le cas notamment en Libye (Perrin, Delphine, 2009) et en Algérie (DACS, 2011). La mobilité des travailleurs dans l’espace maghrébin En Mauritanie, le Décret du 16 avril 2008 a lié l’octroi d’un permis de travail aux étrangers à l’inexistence de profils nationaux similaires. 25 V - Les bonnes pratiques Afin d’instituer une liberté de circulation des personnes, les Etats du Maghreb pourraient s’inspirer des expériences d’autres espaces régionaux, évaluer ces expériences et en tirer les enseignements nécessaires. Les accords d’intégration régionale ont des contenus qui varient sensiblement selon les objectifs poursuivis. D’une manière générale, on considère qu’il existe six degrés croissants d’intégration économique: zone d’échanges préférentiels, zone de libre-échange, union douanière, marché commun, union économique et union économique et monétaire. On soulignera au passage que les règles relatives au mouvement des personnes ne figurent pas toujours dans le traité fondateur, mais dans des accords ou protocoles annexes. Dans le cadre de ces accords, la libre circulation des personnes peut y être définie soit comme un objectif primordial, soit comme un objectif secondaire, selon le degré d’intégration souhaité (OIM, 2010). On peut ainsi distinguer trois approches pour appréhender la circulation des personnes au sein des processus d’intégration régionale. 1- la première, qui reconnaît le droit à la pleine mobilité des personnes, est celle suivie par l’Union Européenne et le Marché commun du travail dans les pays nordiques ; La mobilité des travailleurs dans l’espace maghrébin 2- la deuxième concède à certaines catégories de personnes le droit de se déplacer et/ ou d’accéder 2- aux marchés ; elle est notamment mise en œuvre par des institutions telles que le MERCOSUR, l’ALENA et le CARICOM; 26 3- la troisième approche consiste à faciliter l’entrée et le séjour temporaire de certaines catégories de personnes, en particulier celles qui exercent des activités commerciales ou d’investissement, sans toutefois les autoriser à accéder au marché de l’emploi ; c’est le cas, par exemple, de l’Association de coopération économique Asie-Pacifique (APEC) ou de l’Association sud asiatique de coopération régionale (ASACR). Pour les besoins de la présente étude, l’accent sera mis sur les expériences qui représentent des modèles avancés en matière d’intégration régionale et qui font de la libre de circulation des personnes un axe central de coopération. VI-1- L’Union européenne (UE) L’Union européenne est une association de vingt-sept États indépendants9, régie par deux traités fondamentaux : le traité de Rome, signé le 25 mars 1957 et entré en vigueur le 1er janvier 1958, et le traité de Maastricht, signé le 7 février 1992 et entré en vigueur le 1er novembre 1993. Ces deux traités ont été amendés par le traité de Lisbonne, signé le 13 décembre 2007 et entré en vigueur le 1er décembre 2009. Une des grandes innovations apportées par le traité de Maastricht est l›institution d›une citoyenneté européenne qui s›ajoute à la citoyenneté nationale. Tout citoyen ayant la nationalité d›un État membre est aussi un citoyen de l›Union. L’article 8 l’énonce clairement : « Est citoyen de l’Union toute personne ayant la nationalité d’un Etat membre ». 9 Les membres de l’UE sont : l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la Bulgarie, Chypre, le Danemark, l’Espagne, l’Estonie, la Finlande, la France, la Grèce, la Hongrie, l’Irlande, l’Italie, la Lettonie, la Lituanie, le Luxembourg, Malte, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la République tchèque, la Roumanie, le Royaume-Uni, la Slovaquie, la Slovénie et la Suède. La citoyenneté Européenne complète la citoyenneté nationale, mais ne la remplace pas. On parle d’une citoyenneté de superposition qui confère au citoyen un certain nombre de droits garantis par les traités, mais aussi par la charte européenne des droits fondamentaux. Parmi ces droits, le droit de circuler et de séjourner sur le territoire des autres pays membres, le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales et aux élections du Parlement européen dans l’état membre de résidence, le droit de pétition devant le parlement Européen et de déposer une plainte auprès du médiateur européen, le droit à une protection diplomatique et consulaire de tout Etat membre lorsque la personne se trouve dans un pays tiers. La liberté de circulation des personnes a été considérée dès 1957 -année de la signature du Traité de Rome, comme un droit fondamental des citoyens européens. Ce choix s’intègre dans le vaste projet européen visant à créer un marché commun au sein duquel circulent librement tous les facteurs de production. En matière d’emploi (OIM, 2010), les citoyens de l’UE ont le droit de travailler dans tout Etat membre et doivent bénéficier du même traitement que les citoyens du pays de résidence. L’égalité de traitement s’applique aux offres d’emploi, à la rémunération, à la formation professionnelle, au licenciement et aux autres conditions de travail. Un marché européen de l’emploi a également été créé afin de faciliter et d’améliorer la diffusion des informations aux travailleurs et aux employeurs. En 1993, les Etats membres ont lancé le Portail européen appelé réseau EURES sur la mobilité de l’emploi. Il s’agit d’un réseau de coopération qui a pour vocation de faciliter la libre circulation des travailleurs au sein de l’UE. A cette fin, il informe et conseille les travailleurs sur les possibilités d’emploi ainsi que les conditions de vie et de travail dans les Etats membres, et assiste les employeurs qui souhaitent recruter des travailleurs dans d’autres pays. Cet instrument a stimulé les mouvements intra régionaux au sein de l’UE. Afin de soutenir cette liberté de circulation des personnes, des mesures d’accompagnement ont été prises. Ainsi, les Etats membres ont approuvé le Règlement (CE) nº 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, au bénéfice des personnes qui se déplacent et vivent dans l’UE. Ce texte ne visait au départ que les travailleurs salariés, comme le stipulait le Règlement (CEE) nº 1408/71 qu’il a remplacé. Son champ d’application a ensuite été élargi aux personnes exerçant une activité non salariée, aux étudiants et aux fonctionnaires. Les Etats membres ont aussi adopté la Directive 2005/36/CE définissant un cadre général de reconnaissance des qualifications (diplômes et certificats de l’enseignement supérieur, etc.). Relativement au regroupement familial, un Etat hôte ne peut refuser l’entrée des membres de la famille qui sont en mesure de prouver l’existence de liens familiaux avec un citoyen de l’UE. De plus, les parents d’un citoyen de l’Union, quelle que soit leur nationalité, ont le droit de résider avec celui-ci et de recevoir un titre de séjour de même période de validité. Dans certains Etats membres, le conjoint et les enfants ont aussi le droit de travailler, et les enfants d’âge scolaire ont accès au système éducatif. La mobilité des travailleurs dans l’espace maghrébin Les citoyens de l’UE ont également le droit de séjourner et de résider sur le territoire de tout autre Etat membre. La Directive 2004/38/ CE rassemble un ensemble complexe de mesures législatives instituant un droit de séjour permanent, en définissant plus largement la situation des membres de la famille, et en restreignant la latitude laissée aux Etats membres de refuser ou d’annuler le droit de séjour des ressortissants des pays tiers. 27 VI-2- Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) Indéniablement, l’Afrique de l’Ouest est un espace d’intense mobilité de populations. Les frontières héritées de la colonisation ne constituent point pour les populations riveraines des barrières étanches. Ainsi, les migrations à l’intérieur de la région représentent environ 90% du total des migrations ouest africaines. Ces migrations intra-régionales sont sans doute au moins sept fois supérieures à la migration vers l’Europe en dépit de la forte médiatisation de cette dernière, situation inverse de celle de l’UMA où les migrations intra-régionales demeurent faibles (Bossard Laurent, 2007). La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest est un groupement régional de quinze pays10 créé à Lagos (Nigéria) en 1975. Elle a pour mission de promouvoir la coopération et l’intégration dans « tous les domaines de l’activité économique, notamment l’industrie, les transports, les télécommunications, l’énergie, l’agriculture, les ressources naturelles, le commerce, les questions monétaires et financières, les questions sociales et culturelles … », dans la perspective de créer une Union économique de l’Afrique de l’Ouest. La mobilité des travailleurs dans l’espace maghrébin La libre circulation des personnes et les droits de résidence et d’établissement figurent parmi les objectifs fondamentaux énoncés dans le Traité de Lagos. Plusieurs protocoles et décisions viendront réaffirmer avec force ces droits. Le Protocole A/P.1/5/79 sur la libre circulation des personnes, le droit de résidence et d’établissement, a été adopté par les Etats membres en mai 1979. Aux termes de l’article 2, « les citoyens de la Communauté ont le droit d’entrée, de résider et de s’établir sur le territoire des Etats membres ». Le Protocole énonce les trois étapes devant aboutir à la liberté totale de circulation prévue par le traité révisé, au terme d’une période transitoire de quinze ans: abolition des visas (1980-1985), octroi du droit de résidence (1985-1990), instauration du droit d’établissement (1990-1995) (Sanoh, Nfaly, 2011). 28 Le protocole stipule également qu’un citoyen de la Communauté est un citoyen de tout Etat Membre. La définition et l’adoption du statut de « citoyen de la CEDEAO » ont été décisives pour l’intégration régionale et la libéralisation du mouvement des personnes. Le Protocole définit clairement les conditions d’admission, de résidence et d’emploi. Les citoyens de la CEDEAO peuvent entrer sur le territoire de tout Etat membre sans visa et y séjourner jusqu’à 90 jours, à condition de détenir des documents de voyage officiels, dont un passeport national ou le passeport de la CEDEAO, un livret de voyage et des certificats de vaccination (OIM, 2010). Les citoyens d’un Etat membre qui souhaitent prolonger leur séjour au-delà de 90 jours doivent demander une autorisation auprès du Ministère de l’immigration du pays de résidence. Le droit de travailler est assujetti à un titre d’établissement qui permet d’accéder à des activités économiques et de créer et gérer des entreprises dans les conditions définies par la législation de l’Etat membre d’accueil pour ses propres citoyens. Le droit communautaire applicable aux travailleurs migrants identifie trois catégories –Frontaliers, Saisonniers et Itinérants- et leur confère notamment le droit d’accès aux services sociaux, culturels et sanitaires, l’accès aux écoles d’enseignement général ou professionnel, la sécurité de l’emploi et la possibilité de réemploi. Le passage des frontières à l’intérieur de la région est simplifié grâce à la carte de voyage commune et au passeport CEDEAO. La carte de voyage, lancée en 1987, a été le premier document harmonisé distribué au sein de la Communauté, et sa validité est limitée à l’intérieur de l’espace communautaire. Par contre, le passeport ‘CEDEAO’, comme le passeport de l’UE, permet de franchir les frontières internationales. 10 Bénin, Burkina Faso, Cap-Vert, Côte d’Ivoire, Gambie, Ghana, Guinée, GuinéeBissau, Libéria, Mali, Niger, Nigéria, Sénégal, Sierra Leone, Togo En l’espace d’une décennie et demie, la CEDEAO a réussi à mettre pleinement en œuvre ses objectifs en matière de mouvement des personnes. Les citoyens de l’Afrique de l’Ouest peuvent se déplacer librement dans la région, sans visa, et résider ou s’établir dans un autre Etat membre à condition de détenir les documents d’identité usuels. Le droit à la libre circulation des personnes, le droit de résidence et le droit d’établissement sont d’application effective dans tous les Etats membres. Les protocoles y afférents sont mis en œuvre, le passeport CEDEAO est en circulation pour les voyages dans et en dehors de la Communauté, et le statut de « Citoyen de la Communauté » a été adopté en superposition avec la citoyenneté nationale. Sur le moyen terme, les organes de la CEDEAO s’attèlent à franchir de nouvelles étapes dont la suppression de la carte de séjour et du concept de « migrant inadmissible », la régularisation des migrants irréguliers et la réduction du pouvoir discrétionnaire des administrations nationales pour l’appréciation des motifs dits d’ordre public, de santé publique ou de sécurité. VI-3- Communauté andine La décision 503 du 22 juin 2001 reconnaît que la libre circulation est un droit des nationaux andins et des résidents permanents. Conformément à l’article premier de cette décision, les citoyens peuvent être admis dans tout pays membre en qualité de touristes et y séjourner pendant 90 jours au plus, muni d’un document d’identité national valide (passeport national, carte de citoyenneté, certificat de naissance, carte d’identité étrangère, etc.), sans avoir à détenir un visa consulaire. Le séjour peut être prolongé une seule fois seulement, pour une durée identique. La décision 504, datée également du 22 juin 2001, jette les bases d’un passeport andin. Ce passeport non seulement vise à conforter une conscience et une cohésion communautaires, mais peut aussi être utilisé par les citoyens andins pour se déplacer dans le monde entier. Un accord conclu avec le Marché commun du Sud (MERCOSUR) a facilité encore plus les déplacements des citoyens andins, qui peuvent désormais transiter par les pays du MERCOSUR avec seulement une carte d’identité (OIM, 2010). Signée en 2003, la décision 545 énonce des règles relatives à la libre circulation et à la résidence temporaire des travailleurs migrants. Selon cette décision, les travailleurs migrants andins peuvent entrer et résider dans un pays membre conformément à la législation communautaire ou nationale en la matière. Lors de l’entrée sur le territoire ou de l’acceptation d’un contrat de travail, les travailleurs migrants doivent s’enregistrer auprès des autorités compétentes. L’égalité de traitement et l’égalité des chances sont reconnues pour tous les travailleurs migrants, y compris le droit de se syndiquer et de participer à des négociations collectives. La décision 545 est complétée par l’Instrument andin de sécurité sociale et par l’Instrument andin de sécurité et santé au travail, qui affirment l’importance des avantages sociaux (sécurité sociale, assurance maladie, sécurité au travail) pour les travailleurs migrants. La mobilité des travailleurs dans l’espace maghrébin La Communauté Andine des Nations (CAN) ou Communauté andine, connue avant 1996 sous le nom de Pacte Andin ou Groupe Andin, est une communauté économique composée de quatre pays d’Amérique du Sud : la Bolivie, la Colombie, l’Equateur et le Pérou. Cette institution a été créée en 1969 par l’Accord de Carthagène. Le dit accord ne renfermant pas de dispositions spécifiques à la mobilité des personnes à l’intérieur de la région, la question a fait l’objet de décisions ultérieures. 29 V-4 - Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA) Le Marché commun de l’Afrique orientale et australe aussi connu sous son acronyme anglais COMESA (Common Market for Eastern and Southern Africa) a été créé en 2000, par transformation d’une zone d’échanges préférentiels mise en place en décembre 1994 et d’un accord de libreéchange signé en 1981. C’est une organisation régionale qui est passé progressivement de 11 à 20 membres, couvrant un espace géographique qui va de l’Egypte au Swaziland. Le COMESA a entre autres objectifs fondamentaux la création d’une union douanière et la libre circulation des facteurs entre ses Etats membres11. Le Traité établissant le COMESA prévoit expressément la suppression des obstacles à la libre circulation des personnes, de la main-d’œuvre et des services, ainsi que le droit d’établissement des investisseurs et le droit de résidence au sein du Marché commun. La mobilité des travailleurs dans l’espace maghrébin Le Protocole sur la libre circulation des personnes, de la main-d’œuvre et des services, et sur le droit d’établissement et de résidence est le principal instrument complétant le Traité fondateur sur ces questions. Il a été adopté par les Etats membres du COMESA en 2001, mais n’est pas encore entré en vigueur, faute d’un nombre suffisant de ratifications. Il énonce les droits des citoyens quant à l’entrée, au séjour et à l’emploi. A titre de mesure préliminaire à la libre entrée, il dispense de visa les citoyens des Etats membres titulaires d’un document de voyage valide si leur séjour n’excède pas 90 jours. De même, les véhicules privés immatriculés dans un Etat membre peuvent circuler sur le territoire d’un autre Etat membre pendant une période de 90 jours sur présentation d’un permis de conduire valide, d’un titre de propriété et d’une police d’assurance. 30 Les Etats membres se réservent le droit de refuser l’entrée ou le séjour ou même d’expulser des citoyens dont la présence porte atteinte à la sécurité nationale et/ou à la santé publique. Cependant, le pays hôte est tenu de protéger les biens et les intérêts de toute personne expulsée pour de tels motifs, ou offrir une juste compensation en cas de confiscation de ses actifs. Afin de continuer à libéraliser les mouvements de personnes, les Etats membres ont convenu de l’assouplissement progressif des mesures, et l’élimination de l’exigence de visa jusqu’à ce que le Protocole soit ratifié et entré en vigueur. VI-5- L’espace CEMAC-CEEAC A un niveau moindre que la CEDEAO, les institutions d’intégration d’Afrique centrale CEMAC CEEAC12 ont aussi enregistré des progrès en matière de libre circulation des personnes. Quelques instruments ont été adoptés à cette fin, notamment le Passeport CEMAC, ainsi que la carte et le carnet de libre circulation CEEAC pour les populations frontalières et certaines catégories de ressortissants communautaires. L’essentiel des migrants dans cette région sont, en plus des Ouest-africains, des jeunes (illettrés ou de faible niveau de formation), des saisonniers (paysans ou éleveurs) et les femmes entrepreneures. Les domaines de concentration des migrants intra-Afrique centrale restent principalement le commerce transfrontalier de produits vivriers, les produits pétroliers raffinés (entre le Nigéria, le Tchad, le Cameroun et la RCA), les textiles, l’exploitation minière artisanale, les emplois domestiques et les petits métiers liés au bâtiment, à la mécanique auto ou à l’ébénisterie. 11 Angola, Burundi, Comores, Djibouti, Egypte, Erythrée, Ethiopie, Kenya, Jamahiriya arabe libyenne, Madagascar, Malawi, Maurice, Ouganda, République Démocratique du Congo, Rwanda, Seychelles, Soudan, Swaziland, Zambie, Zimbabwe. 12 CEEAC (Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale) et CEMAC (Communauté Economique et Monétaire d’Afrique Centrale). La pleine mise en œuvre des instruments de libre circulation y a néanmoins été limitée par la récurrence des crises politico-militaires intervenues dans la région entre 1991 et 2007 (RDC, RCA, Tchad, Congo, Burundi), les appréhensions des Etats à faible population et haut niveau de revenu par tête d’habitant (Gabon et Guinée Equatoriale), et le maintien du moratoire obtenu par l’Angola durant la période de guerre civile qu’a connue ce pays. Des perspectives de renforcement de la mobilité intra-Afrique Centrale se dessinent toutefois à moyen terme, notamment avec le retour progressif de la stabilité politique et institutionnelle dans plusieurs pays de la région, l’entrée en vigueur des instruments du Conseil de Paix et de Sécurité de la CEEAC (Communauté Economique des Etats de l’Afrique centrale), le recours au principe de « géométrie variable » en matière de libre circulation des personnes et l’adoption récente du Programme Economique Régional PER/CEMAC. Les différents accords ainsi passés en revue constituent, certes à des degrés divers, des référentiels avancés sur la liberté de circuler. Il existe néanmoins d’autres accords régionaux moins permissifs, qui limitent le droit de se déplacer et/ou d’accéder aux marchés à certaines catégories de personnes. On peut en citer notamment: • le Marché commun du Sud13 (MERCOSUR), par exemple, permet le mouvement temporaire des fournisseurs de services ; • la CARICOM (Caribbean Community and Common Market) prévoit la libre circulation des fournisseurs de services, à tous les échelons de compétence, et d’autres groupes de personnes qualifiées dont les diplômés de l’université et les membres de certaines professions. Les accords régionaux qui s’inspirent de cette seconde approche autorisent parfois l’entrée des membres de la famille des ressortissants d’Etats parties, sans toutefois leur accorder le droit de travailler. D’autres accords autorisent enfin une mobilité limitée. Les accords de ce type facilitent l’entrée et le séjour temporaire de certaines catégories de personnes, surtout celles engagées dans des activités commerciales et des investissements, mais n’autorisent pas l’accès aux marchés. L’Association de coopération économique Asie-Pacifique (APEC) par exemple, ne prévoit aucune disposition sur la mobilité des personnes, bien qu’elle cherche à faciliter et à simplifier les mouvements temporaires par la carte de voyage d’affaires APEC. De son côté, l’Association sud-asiatique de coopération régionale (ASACR) exempte de visas plus de trente catégories de personnes. Les procédures de délivrance des visas sont simplifiées pour d’autres groupes, afin de stimuler le commerce et le tourisme. De manière générale, les accords qui procèdent de cette troisième approche ne couvrent pas le droit d’entrée des membres de la famille, ni n’octroient le droit de séjourner ou de travailler dans un autre Etat membre. 13 Le Mercosur regroupe les pays suivants : l’Argentine, le Brésil, le Paraguay, le Venezuela et l’Uruguay. La mobilité des travailleurs dans l’espace maghrébin • pour sa part, l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) n’autorise l’accès aux marchés qu’aux personnes hautement qualifiées dont, entre autres, les fournisseurs de services, mais aussi les hommes et les femmes d’affaires, les négociants et investisseurs, les personnes mutées à l’intérieur d’une société et les professionnels ; 31 VII- Recommandations pour une facilitation de la mobilité des travailleurs au Maghreb Des développements qui précèdent, quelques recommandations majeures peuvent être formulées à l’endroit des décideurs et autres acteurs de l’intégration en Afrique du Nord, avec l’ébauche d’un agenda de mise en œuvre et l’identification des acteurs qui en auraient la charge. Dans la perspective de créer un espace maghrébin intégré, la mobilité des travailleurs apparaît en effet comme un domaine d’action prioritaire, un élément clé reliant la formation du capital humain, la performance sur le marché du travail et le développement économique. Ces recommandations sont déclinées en deux catégories, la première portant directement sur le droit et les instruments de la mobilité, et la deuxième sur l’ensemble des pré-requis devant concourir à la durabilité d’une politique de migration intra-maghrébine, dans la logique du processus d’intégration régionale. VII-1- Les actions spécifiques à la mobilité des travailleurs La mobilité des travailleurs dans l’espace maghrébin • Actualisation, vulgarisation et opérationnalisation des accords et conventions d’établissement existants, et mise en place d’accords régionaux afférents à la mobilité des travailleurs. 32 En Afrique du Nord comme dans le reste du Continent, le droit communautaire reste globalement « le domaine réservé » de quelques experts, et demeure peu connu de plusieurs acteurs de l’intégration, y compris un grand nombre d’administrations nationales, les milieux universitaires, les organisations syndicales, les médias et surtout le grand public. C’est le cas notamment des accords bilatéraux passés entre les Etats de l’UMA en matière de migration des travailleurs. Cette lacune limite la visibilité du processus d’intégration en le privant de relais nationaux indispensables à son ancrage dans les mentalités, et retarde l’émergence d’une citoyenneté communautaire. La consolidation de l’idéal d’intégration passe par une plus forte implication de tous les acteurs concernés. En particulier, une plus grande diffusion des conventions existantes auprès des organisations des travailleurs, et une meilleure appropriation des normes et instruments communautaires par les administrations nationales, les opérateurs économiques, les organisations de la société civile et les médias nationaux sont indispensables pour la réussite d’une politique de mobilité intra-maghrébine et une optimisation des avantages d’un espace économique élargi. Le Secrétariat Général de l’UMA devrait initier une action continue d’actualisation du cadre juridique existant, de sensibilisation des autorités des Etats membres pour son application, et de vulgarisation du droit communautaire en la matière auprès des populations cibles, les travailleurs migrants en particulier. Cette action devrait être menée en partenariat avec les administrations nationales, les partenaires sociaux, les comités mixtes de suivi des conventions bilatérales et les médias de la sous-région. • Création d’un Observatoire Maghrébin sur la formation, l’emploi et la migration. La formulation et la mise en œuvre efficiente d’une politique régionale en matière de mobilité travailleurs nécessiteront entre autres préalables une information complète et régulièrement mise à jour sur les fondamentaux de l’emploi dans les cinq Etats membres : typologie et durée des cursus de formation académique et professionnelle, caractéristiques générales et tendances sectorielles des marchés nationaux de l’emploi, évolution des législations et réglementations nationales relatives au droit du travail des étrangers. En partant des observatoires et autres instruments nationaux existants, le Secrétariat Général de l’UMA devrait s’atteler dans les deux ans à venir à la création et à la gestion d’une base régionale de données qui servirait de support à l’action communautaire en matière de migration intra-maghrébine, avec l’appui des administrations nationales, des patronats et des partenaires au développement. • Création d’une Agence Maghrébine d’Emploi chargée de mettre en place, gérer et réguler un marché régional de l’emploi qui offrirait une alternative à l’émigration vers d’autres régions • Adaptation et harmonisation des politiques de qualification et de formation pour leur mise en adéquation avec les besoins du marché maghrébin de l’emploi Le constat empirique d’une hausse exponentielle du nombre de diplômés chômeurs dans la quasitotalité des pays maghrébins (25,9% en Tunisie, 21,4% en Algérie, 18,1% au Maroc) (Youzbachi, M; 2011) en même temps qu’un recours de plus en plus croissant à une main-d’œuvre originaire de pays tiers traduit à la fois une inadéquation entre formation et emploi dans les Etats UMA et une insuffisance de synergie entre les marchés nationaux de l’emploi. L’analyse des données des agences nationales de l’Emploi, de l’Observatoire maghrébin et du marché régional de l’emploi préconisés ci-dessus devraient sous-tendre une révision progressive des cursus de formation, pour les adapter davantage aux besoins de l’économie, ainsi que leur harmonisation dans la logique du processus d’intégration économique. Cet exercice se ferait de façon continue, sous le leadership du Secrétariat Général de l’UMA, en partenariat avec les administrations nationales, les organisations patronales, les centrales syndicales, les universités, écoles professionnelles et centres de formation. • Harmonisation des législations sociales dans les pays du Maghreb, en mettant un accent particulier sur la protection sociale des travailleurs migrants maghrébins et la garantie d’un travail décent L’optimisation des gains potentiels de l’intégration passe par l’adoption d’un cadre normatif régional. L’harmonisation des règles a vocation de générer un ancrage durable des politiques qui favorise leur prévisibilité, réduit les risques de réversibilité et les conflits d’intérêt entre partenaires. La mobilité des travailleurs dans l’espace maghrébin La complexité des questions migratoires, tant dans les pays de départ que dans les pays d’accueil, qui plus est dans le contexte d’une crise économique et financière mondiale et de transitions politiques sans précédent en Afrique du Nord, requiert des Etats de la région la formulation de politiques de mobilité qui mettent régulièrement en adéquation les flux migratoires et les besoins réels des marchés du travail. Pour participer efficacement à la promotion de l’emploi, la mobilité doit être un outil d’ajustement des marchés nationaux du travail, par une mise en relation continue des besoins et des offres de main-d’œuvre entre les Etats de l’UMA. Elle requiert conséquemment un encadrement et un suivi par une structure sous-régionale. Une agence maghrébine de l’emploi qui s’appuierait sur les structures nationales existantes et sur l’observatoire suggéré ci-avant serait cette interface de mise en synergie des compétences et complémentarités existantes, par une diffusion régulière des informations aux travailleurs et aux employeurs. Sa mise en place pourrait être envisagée sur une période de trois à quatre ans par le Secrétariat Général de l’UMA, avec l’assistance des administrations nationales en charge de l’emploi, des organisations patronales, des centrales syndicales et des partenaires extérieurs. 33 Pour être prévisible et bénéfique pour tous, la mobilité des travailleurs entre les pays d’Afrique du Nord doit reposer sur un socle juridique commun aux cinq pays membres de l’UMA. Ce tronc commun devra notamment inclure les conditions générales de formation et de rupture du contrat de travail, le principe de l’égalité de traitement entre travailleurs nationaux et maghrébins, le droit des migrants à être syndiqués, la portabilité spatiale et temporelle de leurs régimes de retraite et de protection sociale, la protection des travailleurs migrants et de leurs biens contre les expulsions massives et arbitraires, ou dans les situations de tension entre Etats. La formulation de ce droit communautaire en matière de travail et lois sociales serait pilotée par le Secrétariat général de l’UMA, en partenariat avec les administrations nationales, les centrales syndicales et les organisations patronales de la sous-région. L’UMA pourrait notamment s’inspirer de l’expérience de l’Union Européenne et du processus d’élaboration de l’Acte Uniforme OHADA (Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires) sur le droit du travail. La mobilité des travailleurs dans l’espace maghrébin • Insertion dans les dispositifs juridiques communautaires du principe d’une « priorité maghrébine » en matière d’emploi, sans préjudice de coopérations renforcées entre Etats. 34 L’édification d’espaces économiques intégrés repose essentiellement sur l’adoption de politiques communes dans plusieurs domaines d’activité et le principe de l’octroi mutuel de préférences entre les parties : préférences tarifaires, préférences commerciales, préférences en matière de droit de circulation et d’établissement, préférences dans l’exercice des droits civiques et politiques. L’analyse faite à la section V sur la portée et les limites du cadre juridique existant montre une dilution de la plupart des avantages stipulés dans les conventions bilatérales passées entre les Etats de l’UMA, soit par extension desdits avantages aux ressortissants de plusieurs pays non maghrébins, soit par adjonction de clauses de plus en plus restrictives à l’emploi des étrangers de manière générale. L’idéal d’intégration doit aussi avoir une expression dans le domaine du droit du travail par la hiérarchisation des préférences et la reconnaissance d’une « priorité » maghrébine, juste après la priorité nationale. Cette évolution du droit applicable aux travailleurs étrangers devrait être initiée par les administrations nationales en charge de l’emploi dans un horizon de cinq ans, après la mise en place du marché régional de l’emploi et le démarrage du processus d’harmonisation des politiques de qualification et de formation. VII-2- Les pré-requis et autres actions à mettre en œuvre pour promouvoir et renforcer une mobilité intra-maghrébine Une mobilité des travailleurs entre pays du Maghreb qui s’inscrirait dans la légalité, la durée et le respect des normes internationales en matière de droit du travail n’est envisageable que dans une perspective d’approfondissement du processus d’intégration dans son ensemble. Et en la matière, force est de constater que l’UMA a accusé beaucoup de retard dans la mise en œuvre des objectifs définis dans son traité constitutif. Quelques actions majeures doivent être initiées dans le court et moyen terme par les acteurs en présence, à la fois pour une meilleure visibilité du projet d’intégration nord-africain et la pertinence d’une politique de mobilité intra-régionale. a. Plaidoyer pour l’émergence d’une citoyenneté communautaire • Rendre effectif le protocole sur la libre circulation des personnes et des biens dans l’espace régional, en application des dispositions de l’article 2 du Traité de Marrakech La mobilité des facteurs –celle des personnes en particulier- constitue à la fois un préalable et un baromètre de la performance d’un espace économique intégré. Un marché régional ne peut être dynamique si ses principaux acteurs –producteurs, exportateurs et importateurs- ne peuvent aller chercher les opportunités d’affaires dans tous les Etats membres. La persistance d’obstacles à la mobilité des facteurs annihile pour l’essentiel les effets dynamiques attendus des préférences régionales sur le commerce, les investissements et l’emploi. Bien qu’inscrite parmi les objectifs prioritaires des institutions d’intégration existantes (UMA, CEN-SAD), la libre circulation des personnes avec droit de résidence et droit d’établissement reste l’un des maillons faibles du processus d’édification d’un marché commun en Afrique du Nord. La sous-région accuse un retard dans ce domaine de coopération qui a le double mérite: • de ne pas nécessiter une mobilisation de ressources financières importantes, et • d’avoir un impact immédiat et tangible sur le vécu quotidien des populations. Quelques progrès ont certes été réalisés en matière de suppression de l’obligation de visa pour les séjours temporaires, et entre certains Etats. Et si quelques accords bilatéraux permettent ici et là de suppléer aux limites du droit communautaire relativement à la migration des travailleurs, les acquis demeurent insuffisants et surtout réversibles, eu égard aux aléas des relations politiques et diplomatiques entre les Etats. Comme dans les expériences de l’Union Européenne ou de la CEDEAO, l’UMA doit élaborer et mettre en œuvre sur un moyen terme un calendrier de réalisation et de pérennisation des composantes majeures de la libre circulation des personnes (droit d’entrée et de sortie, droit de résidence et droit d’établissement). Un brassage des élites par le biais de la formation constituerait à moyen et long terme un important levier de facilitation de la mobilité et d’approfondissement de l’intégration régionale dans son ensemble. La création de pôles d’excellence régionaux, la systématisation des quotas d’étudiants entre Etats membres, l’octroi de bourses maghrébines (Ibn Batouta par exemple), la promotion d’un programme maghrébin de mobilité des étudiants de type « ERASMUS » en Europe, la dotation de l’Union des universités maghrébines en ressources suffisantes pour la réalisation de ses objectifs, l’harmonisation progressive des programmes d’enseignement assortie d’une reconnaissance mutuelle des diplômes favoriseraient à terme la mobilité intra-maghrébine et une réelle mise en synergie des compétences et des complémentarités. La culture de l’intégration et la conscience d’une appartenance à un espace maghrébin doivent également être promues à travers les canaux classiques de communication, afin de susciter et entretenir le besoin du « vivre ensemble ». Le Secrétariat Général de l’UMA doit investir l’espace médiatique, pour mettre en valeur les avantages de l’intégration et d’une mobilité intra-régionale. Les médias audiovisuels sont de nos jours la source d’information la plus utilisée en Afrique du Nord. L’UMA pourrait s’inspirer du partenariat existant entre la CEDEAO, l’UEMOA et le Groupe WARI-RACECO en Afrique de l’Ouest pour établir des partenariats avec les chaînes de télévision de ses Etats membres en vue de produire des programmes d’information sur les projets communautaires en direction du grand public, organiser des débats et susciter des regards croisés sur les thèmes d’intérêt commun. La mobilité des travailleurs dans l’espace maghrébin • Renforcer la dimension humaine de l’intégration à travers les vecteurs que sont l’éducation, la culture et la communication 35 Les nouvelles technologies de l’information seraient mises à profit aux mêmes fins, notamment par le renforcement du site web de l’UMA, pour en faire une source régulière d’informations politiques, économiques et sociales fiables sur le Maghreb. b. Renforcer l’intégration économique Magrébine L’analyse comparative des moyennes de l’index de la production industrielle des trois pays du Maghreb central fait apparaître une similarité de la structure industrielle (notamment entre le Maroc et la Tunisie), une similarité relative des diplômes délivrés (insuffisamment orientés vers les filières techniques) et un taux de chômage de plus en plus important chez les diplômés du Supérieur. La mobilité des travailleurs apporterait bien des réponses aux besoins des entreprises, mais son effet serait très limité dans le temps si elle ne s’accompagne pas d’une plus grande coordination des politiques économiques des Etats membres. De même, les pesanteurs bureaucratiques, le phénomène de corruption et l’insuffisance de garanties dans la protection des droits sociaux et patrimoniaux de l’investisseur ou du travailleur migrant restent des obstacles à lever pour une mise en synergie des complémentarités pouvant exister à l’échelle sous-régionale. • Renforcer l’intégration des cinq économies notamment par une réalisation rapide des fondamentaux que sont la zone de libre échange et l’union douanière La mobilité des travailleurs dans l’espace maghrébin En dépit des ambitions affichées et du potentiel existant, le marché nord-africain reste l’un des moins intégrés du Continent. Deux décennies après la signature du traité de Marrakech, la zone de libre-échange de l’UMA en est encore au stade de projet. L’annuaire statistique 2009 de la BAD situe les échanges intra-UMA à 2,3% des exportations totales de ses Etats membres, contre environ 9,2% pour la CEDEAO, 9,8% pour la SADC et 15,2% pour l’UEMOA. Ce taux est d’environ 19% pour le MERCOSUR, 21% pour l’ASEAN, 60% pour l’Union Européenne. 36 Le projet CEN-SAD, qui avait vocation de jeter une passerelle entre l’Afrique du Nord, l’Afrique de l’Ouest et une partie de l’Afrique Centrale, manque pour l’instant de visibilité, en termes de marché régional structuré et d’alternative crédible à la faiblesse des échanges intra-maghrébins. Le positionnement stratégique optimal de l’Afrique du Nord sur l’échiquier des groupements économiques en construction requiert tout au moins une mise à niveau rapide de ses outils d’intégration, comparativement aux autres espaces régionaux, l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique Australe en particulier, et face au poids économique et politique du partenaire européen. Cette mise à niveau doit également être menée en relation avec le nouvel agenda défini par le Programme Minimum d’Intégration de l’Union Africaine, et les évolutions enregistrées dans la configuration des CERs à l’échelle du Continent, notamment avec l’Initiative dite de « Kampala ». De nouvelles initiatives doivent être prises à cette fin dans le court et moyen terme par le Secrétariat Général de l’UMA, les organes délibérants de l’Union et les administrations nationales en charge du commerce et des finances. • Renforcer la dimension Emploi dans la stratégie économique maghrébine, sachant que des programmes ambitieux de développement créateurs d’emploi sont en cours dans la région et que des besoins du marché dans certains pays sont satisfaits par des recrutements en dehors de la région. A une exception près (Mauritanie), les pays membres de l’UMA sont en bonne voie vers l’atteinte de la plupart des OMD à l’horizon 2015, résultat des effets conjugués d’une croissance appréciable durant la décennie 2000 et des « dividendes » de la transition démographique. Les données du tableau 6 (page 16) montrent cependant une absence de progrès tangibles dans la sous-région en matière de lutte contre le chômage ou, au mieux (Algérie) un léger tassement du nombre des demandeurs d’emploi entre 2006 et 2010. La déclinaison des moyennes nationales du taux de chômage par catégorie d’âge et par sexe fait du reste apparaitre des niveaux de précarité et ou de vulnérabilité plus accentués chez les jeunes et les femmes. Au Maroc par exemple, le taux de chômage des jeunes de 15-24 ans était en 2010 de 29,1% en milieu urbain, contre 9% pour l’ensemble de la population en âge de travailler. En Mauritanie, le taux de chômage en 2010 est de 23,9% chez les hommes et de 44% chez les femmes, et celles d’entre elles qui parviennent à trouver un emploi se retrouvent généralement dans les paliers les plus bas de la hiérarchie des postes de responsabilité. La réduction du chômage et la soutenabilité dans la durée d’une politique de mobilité des travailleurs dans l’espace maghrébin supposent que l’expansion de l’activité économique se traduise dans tous les Etats par un accroissement corrélatif des opportunités d’emploi dans le secteur formel. Les stratégies nationales et communautaires de développement économique doivent être davantage axées sur les secteurs grands pourvoyeurs d’emplois, le rééquilibrage spatial du développement et une meilleure redistribution des revenus pour réduire les inégalités et les vulnérabilités. Une meilleure qualité de la dépense publique et une action plus soutenue sur les variables économiques que sont la production et la productivité agricole, le développement du secteur financier, les grands travaux d’infrastructures et le développement des filières techniques de formation favoriseraient une plus forte croissance du PIB avec davantage de création d’emplois. • Redynamiser le cadre institutionnel de l’UMA et renforcer les capacités humaines et financières de son Secrétariat General La performance d’un marché régional au Maghreb est tributaire d’un renforcement des capacités des cadres institutionnels existants. A des degrés divers, les institutions d’intégration du Continent et de la sous-région Afrique du Nord sont ou ont été confrontées à l’insuffisance et à l’irrégularité des ressources mobilisées pour la mise en œuvre de leurs missions et objectifs, corollaire du système classique des contributions à partir des budgets et trésors nationaux. Le niveau de financement qui résulte de ce système confine parfois les institutions régionales à la gestion « d’un service minimum », sans réelle capacité d’initiative pour la formulation et la mise en œuvre de programmes et projets intégrateurs. Dans le cas de l’UMA, l’insuffisante dotation en ressources humaines de son Secrétariat Général, sa relative dépendance vis-à-vis des partenaires extérieurs pour la réalisation d’études et activités substantives, ou encore la tenue irrégulière des réunions des organes délibérants communautaires illustre bien les faiblesses du cadre institutionnel de l’intégration en Afrique du Nord. Une mise à niveau des capacités de l’UMA est nécessaire en termes de ressources mobilisées pour la coopération régionale et d’autonomisation par rapport aux régies financières nationales. De même, le retour à une périodicité normale des réunions statutaires des organes de l’Union – de la confé- La mobilité des travailleurs dans l’espace maghrébin A cette différenciation par âge et par sexe du niveau d’exposition au chômage et à la vulnérabilité, se greffe aussi une inégalité spatiale en termes de capacités de création d’emplois décents, conséquence d’un développement déséquilibré, au détriment des zones rurales et des régions de l’hinterland. Dans le cas de la Tunisie par exemple, le taux de chômage oscillerait entre 13,9 et 28,3% dans les régions Sud-Est et Sud-Ouest, contre une moyenne nationale de 14% (Youzbachi, M. 2011). 37 rence des chefs d’état en particulier- est un impératif pour donner aux programmes communautaires l’impulsion et la crédibilité requises pour rendre irréversible le processus engagé. Les Etats membres doivent donner davantage de visibilité au projet d’intégration en Afrique du Nord et donner au Secrétariat Général de l’UMA les moyens de réaliser sa mission. • Promouvoir des approches concertées et régionales dans les relations de partenariat avec les autres ensembles économiques, afin de consolider le pouvoir de négociation des Etats maghrébins La position géographique de la sous-région Afrique du Nord est très stratégique, au plan sécuritaire et de la gestion des flux migratoires, en tant que zone de départ et de transit de migrants pour l’Europe et dans une moindre mesure pour les Amériques. Par ailleurs, les Etats maghrébins sont engagés dans les négociations commerciales multilatérales au sein de l’OMC, dans des accords ou projets d’accords d’association avec l’Union Européenne et dans un partenariat renforcé avec les autres Etats riverains de la Méditerranée (UPM, Euro-Med, Initiative 5+5). Une intégration plus poussée en Afrique du Nord confèrerait aux pays de la sous-région davantage de poids dans leurs relations avec leurs partenaires extérieurs, européens en particulier. Elle devrait également offrir un cadre privilégié de diversification des débouchés commerciaux à travers la création de nouveaux partenariats, notamment avec l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et l’Afrique Centrale (CEEAC). Le Secrétariat Général de l’UMA et les organes délibérants de l’Union devraient intégrer durablement cette perspective dans l’agenda communautaire, à la fois pour accroitre les opportunités de commerce et réduire le niveau de dépendance vis-à-vis du partenaire européen. La mobilité des travailleurs dans l’espace maghrébin c. Promouvoir l’investissement et le commerce intra-maghrébin 38 • Impliquer davantage le secteur privé dans la formulation et la mise en œuvre des politiques nationales et régionales Le défi d’une croissance soutenue et génératrice d’emplois décents reste lié à la capacité des Etats à attirer et mettre en confiance les investisseurs, nationaux et étrangers. Ici comme ailleurs, l’attractivité des investissements renvoie inéluctablement à des fondamentaux tels que la taille des marchés, un cadre macroéconomique assaini, l’existence d’un réseau d’infrastructures interconnectées et la stabilité politique et institutionnelle. Les décisions des investisseurs sont toujours influencées par l’appréciation qu’ils se font des risques liés à l’incertitude des politiques publiques (Banque mondiale ; 2005). Le Secrétariat Général de l’UMA, en partenariat avec les organisations patronales des Etats membres, devrait promouvoir à moyen terme (deux ans) l’adoption d’une charte maghrébine de l’investissement, afin d’harmoniser les législations et les incitations à l’investissement dans la région, et créer un cadre juridique transparent et prévisible, permettant aux entreprises d’exercer leurs activités de manière optimale. Cette charte devrait notamment garantir les droits patrimoniaux et sociaux de l’investisseur maghrébin, afin d’encourager la libre circulation des capitaux dans l’espace régional. La mise en place et l’opérationnalisation rapide de la Banque Maghrébine pour l’Investissement et le Commerce Extérieur participeraient de cette dynamique, en offrant aux opérateurs économiques régionaux un outil de facilitation de l’entreprenariat et de développement des échanges intermaghrébins. • Promouvoir les investissements croisés afin de mieux impliquer les acteurs économiques locaux dans la promotion de l’intégration maghrébine Une politique régionale d’encouragement et de promotion d’investissements croisés serait de nature à renforcer les interdépendances des économies et la sécurisation des transactions commerciales. Elle agirait en même temps comme un important levier de prévention et de résolution des conflits, une convergence de plus en plus forte des intérêts économiques devenant un facteur de facilitation du dialogue entre Etats et de dépassement des antagonismes. Pour mémoire, l’ambition première du Traité de Rome instituant la Communauté Européenne était de mettre fin aux guerres cycliques que se sont livrés ses Etats tout au long de l‘histoire. • Renforcer l’infrastructure régionale, notamment en matière de transports Une mobilité optimale des facteurs et l`intensification des échanges commerciaux requièrent le développement et l’interconnexion des infrastructures de transport des Etats membres de l’UMA. L’Afrique du Nord dispose d’infrastructures routières, ferroviaires et portuaires de qualité. On notera en particulier que la route transafricaine TAH-1 Le Caire-Dakar est bitumé à 99%, avec des tronçons Tunisie-Algérie-Maroc conçus pour devenir à terme des autoroutes (CEA, ARIA IV ; 2010). La densité du réseau routier y est cependant encore très moyenne avec seulement 3 km/100km2 en 2006 et un taux de revêtement de 49%. Un partenariat public-privé devrait être promu par les Etats et le Secrétariat Général de l’UMA, afin d’améliorer le niveau d’intégration physique des réseaux nationaux, avec davantage d’interconnexion, une opérabilité intermodale, le développement de facilités transfrontalières (bureaux intégrés et juxtaposés), l’harmonisation des systèmes de transport et la simplification des formalités aux frontières. Le rôle de plus en plus grand que jouent les organisations de la société civile en tant qu’acteurs nationaux de développement devrait être étendu à la sphère sous régionale, l’UMA ayant vocation à devenir le cadre d’élaboration de politiques communes dans la plupart des domaines de la vie socio-économique, comme le stipule les articles 2 et 3 de son Traité. Des réseaux sous- régionaux de la société civile pourraient en effet être à la fois des relais efficaces d’un plaidoyer soutenu auprès des décideurs et des populations pour une plus grande intégration des pays du Maghreb, des acteurs de la lutte contre toute forme d’intolérance ou de xénophobie et des porte-voix des groupes vulnérables, notamment les travailleurs migrants. Le Secrétariat General devrait se doter à moyen terme d’une stratégie d’implication active des OSC des États membres dans le processus d’édification d’un espace intégré maghrébin. Cette stratégie inclurait notamment : • l’encouragement et un soutien actif à la création d’associations maghrébines dans différents champs d’action, afin de renforcer les liens entre les Etats membres, eu égard aux capacités de la société civile d’agir sur les déterminants politico-juridiques et économiques ; • l’implication des organisations de la société civile (OSC) maghrébines dans les processus de formulation, de mise en œuvre et de suivi des politiques et programmes communautaires, notamment en leur conférant un statut d’observateur auprès de certains organes de l’Union (comités d’experts, conseils des ministres) ; • un soutien multiforme aux activités et programmes des OSC maghrébines œuvrant dans la mise en œuvre des objectifs et priorités de l’UMA ; La mobilité des travailleurs dans l’espace maghrébin d. Aider à l’émergence d’une société civile régionale 39 • la facilitation de la création d’associations de migrants maghrébins dans les différents pays de la région, qui seraient les représentants des migrants auprès des autorités nationales ; La mobilité des travailleurs dans l’espace maghrébin • la promotion de rencontres entre organisations professionnelles maghrébines ayant les mêmes centres d’intérêt, et le soutien à leurs initiatives d’intégration. 40 ALENA « NFTA » Accord de libre-échange d’Amérique du Nord ANASE « ASEAN » Association des nations de l’Asie du Sud-Est APEC Asia Pacific Economic Cooperation ASACR Association sud asiatique de coopération régionale BAD la Banque Africaine de Développement CAN Communauté Andine des nations CARICOM Communauté des Caraïbes CEDEAO Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest COMESA Common Market for Eastern and South Africa DACS Direction des Affaires Consulaires et Sociales (Ministère des Affaires Etrangères et de la Coopération. Maroc) LEA Ligue des Etats Arabes MERCOSUR Marché commun d’Amérique du sud OCDE Organisation de la Coopération et du Développement Economique OIM Organisation Internationale pour les Migrations OIT Organisation Internationale du Travail OTE l’Office des Tunisiens à l’Etranger PNUD Programme des Nations Unies pour le Développement SADCSouthern African Development Community UEUnion Européenne UEMOA Union économique et monétaire ouest-africaine UMA Union du Maghreb Arabe UME Union Maghrébine des Employeurs La mobilité des travailleurs dans l’espace maghrébin Liste des acronymes 41 Liste des tableaux Tableau n° 1 Ventilation des migrants maghrébins dans le monde (en%) Tableau N°2 La répartition de la population maghrébine selon la situation dans la profession (en %) Tableau N° Répartition des tunisiens résidant en Algérie et au Maroc selon le statut professionnel Tableau N°4 Part des travailleurs maghrébins dans les effectifs des travailleurs étrangers Algérie Tableau N°5 Les commerçants maghrébins en Algérie en 2010 Tableau N°6 Evolution des taux de chômage au Maghreb La mobilité des travailleurs dans l’espace maghrébin Tableau N°7 Nombre de diplômés du supérieur originaires des pays maghrébins dans les pays de l’OCDE 42 Bibliographie - Annuaire de l’émigration (Sous la direction de Kacem Basfao et Hind Taarji), 1994. 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