Max Weber et la crise financière

Transcription

Max Weber et la crise financière
Point de vue
Max Weber et la crise financière
Qui ne connaît pas la thèse de Max Weber dans son ouvrage L’Ethique protestante et l’esprit du
capitalisme ? Mais qui l’a véritablement lu ? Au point souvent de présenter cette thèse de façon
déformée et de considérer qu’il y aurait une conjonction entre capitalisme et protestantisme, entre
persécutions religieuses (des puritains anglais) et réussite du capitalisme.
L'auteur
•
Hubert de Vauplane
Weber n’a pas cherché à prouver que la Réforme aurait encouragé, voire provoqué, la dynamique
du capitalisme, mais l’inverse : en quoi le développement économique de certaines régions a pu
favoriser la Réforme. Ce sont ces « affinités électives » entre protestantisme (ou plus précisément
puritanisme d’obédience calviniste) et capitalisme que Weber met en relation dans son travail.
Celui-ci est avant tout une recherche sur la rationalité occidentale. Le capitalisme ne serait dès
lors plus une recherche du profit, mais une recherche du profit rationnel, c'est-à-dire calculé.
Parce qu’improbable.
http://www.revue-banque.fr/print/management-fonctions-supports/chronique/max-we...
12/12/2014
La thèse wébérienne met en rapport le dogme calviniste [1] de la double prédestination (des élus
et des damnés) et l’esprit du capitalisme. Les hommes sont totalement ignorants quant à leur salut
dans l’au-delà, et, contrairement à la doctrine catholique du salut par les œuvres (les actions
quotidiennes au cours de notre vie), ils ne peuvent rien y faire [2]. Cependant, la grâce divine se
manifeste par des signes, et parmi ceux-ci, la réussite de l’individu dans son activité
professionnelle. La réussite dans le travail devient ainsi un signe d’élection divine. On oublie trop
souvent le paradoxe de cette thèse qui, comme le dit Weber lui-même, aurait « évidemment » dû
conduire au fatalisme comme réponse rationnelle à la prédestination. La thèse de Weber consiste
justement à expliquer pourquoi et comment « la grande masse des hommes ordinaires » a fait le
choix opposé. Le croyant au doute radical est aussi l’archétype du calculateur rationnel et
gestionnaire des «primes d’au-delà [3] ».
Cette thèse, beaucoup plus subtile que la présentation ci-dessus le laisse croire, est considérée
aujourd’hui encore comme la clé de la différence entre les pays dits latins ou de tradition
catholique, et les pays anglo-saxons, ou de tradition protestante. Elle est reprise dans tous les
ouvrages et commentaires comme un fait acquis, qui ne souffre ni débat ni critique. Mais n’est-il
pas temps de s’interroger sur l’actualité de cette thèse ? Non seulement sur ses fondements, mais
aussi sur ses effets ?
Les fondements
Considérer que la doctrine de la double prédestination constitue l’explication de l’ « esprit du
capitalisme » ou du « métier comme devoir » (Beruf) ne parle plus à grand monde aujourd’hui.
L’importance accordée à la doctrine de la prédestination présentée par Weber est aujourd’hui
largement contestée. Mais cette thèse a pris souche, au point d’être devenue un « lieu commun »,
comme d’autres concepts célèbres avancés par Weber (le désenchantement du monde, l’éthique
de responsabilité, l’ascétisme intramondain). S’il n’est pas niable que le débat théologique au
XVIIe siècle occupait largement les esprits et les cœurs, tel n’est plus le cas dans l’Occident
sécularisé. Peut-on toujours considérer que c’est la crainte de l’enfer qui anime l’homme du XXIe
siècle dans son quotidien ? Est-il conséquent de voir dans le travail un devoir religieux, signe de
son élection divine ? À l’heure du chômage de masse subi, l’explication n’est-elle pas « décalée »,
qui verrait dans tous les chômeurs des damnés (non pas de la terre, mais du ciel) ?
Le débat sur l'« éthique protestante » remonte bien plus loin que la Réforme et trouve ses origines
lors des premières querelles du christianisme naissant au IVe siècle, entre Saint Augustin et le
moine Pélage. Débat entre la grâce divine et le libre arbitre humain, puisqu'exalter l'un revient à
nier l'autre ou qu'insister sur l'une a pour conséquence d’amoindrir l'autre ? Si l'on considère que
la grâce est indépendante de nos mérites ou démérites, si tout dépend du choix de Dieu, à quoi
sert le libre arbitre de l'homme ? Que devient la justice de Dieu s'il ne choisit pas suivant les
mérites, où est la souveraineté de Dieu, si notre choix étant libre, le sien cesse de l'être ? C’est
sur ces questions (et bien d’autres, mais toujours de nature théologique), aujourd’hui totalement
obscures pour la plupart des individus du XXIe siècle, que se sont déchirés les hommes lors de la
Réforme en Europe, mais qui ont aussi donné les plus belles pages de notre littérature par Pascal
dans ses Provinciales.
Tout ceci a-t-il encore un sens au XXIe siècle pour le capitaliste chinois, russe ou brésilien ?
Comment expliquer la réussite économique de ces pays, éloignés du modèle wébérien ? La
théorie de Max Weber présente le défaut d’une vision cloisonnée du monde, voire d’une
conception purement occidentale du fonctionnement de la société, alors que les mouvements liés
à la mondialisation ont profondément modifié ces schèmes. Élaborée à une époque où le
capitalisme était encore largement familial [4], où l’esprit d’entreprise était essentiellement
individuel, où le monde était gouverné par l’Occident, où l’économie restait avant tout nationale,
comment ne pas voir dans l’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme une conception d’un
monde ancien et révolu ?
Les effets de la théorie wébérienne
Il serait bien sûr trop réducteur de considérer que si le capitalisme est un héritage de l'« éthique
protestante », la crise financière de 2007 serait une crise de cet « esprit du capitalisme » dont