Connaître les principes des démarches d`investigation
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Connaître les principes des démarches d`investigation
Connaître les principes des démarches d’investigation* Michel Grangeat Professeur des Universités en Sciences de l’Éducation Univ. Grenoble Alpes – Université Joseph Fourier – ESPE Laboratoire des Sciences de l'éducation (E.A. 602) L’objectif de ce texte est de faire connaître les principes de base qui orientent les enseignements scientifiques fondés sur l’investigation. Cette section comporte quatre parties. Dans un premier temps, seront présentées les finalités de l’enseignement des sciences. Puis, seront abordées les attentes officielles en ce qui concerne cet enseignement. Ensuite, les effets sur les apprentissages des élèves seront mis en avant. Enfin, la conclusion proposera ce qui pourrait être l’essentiel de ces principes. 1. Les finalités de l’enseignement des sciences L’enseignement des sciences fondé sur l’investigation n’est pas une nouveauté, que cela soit en France ou dans le monde (Harlen, 2013 ; Lebeaume, 2011). Cependant, dans l’époque actuelle, cette modalité des enseignements scientifiques est remise en avant. Il s’agit de tenir compte, à la fois, du développement de l’interdisciplinarité chez les chercheurs professionnels et de l’importance croissante des questions scientifiques qui interrogent tous les publics. Changement climatique, alimentation saine, lutte contre les virus, usage du numérique, sont des exemples de ces approches et questions nouvelles. Cette section comporte trois paragraphes qui présentent les finalités de l’enseignement scientifique : préparer les scientifiques et les citoyens de demain, augmenter l’intérêt pour les sciences, développer la démarche scientifique. 1.1. Préparer des scientifiques et former des citoyens. L’évolution de la société vers une plus grande intégration des sciences et technologies à la vie quotidienne conduit à remettre en cause les manières dont les sciences sont enseignées. Connaître des faits ou maîtriser des méthodes ne suffit plus, il faut aussi comprendre les questions scientifiques, avoir une idée sur la manière de les résoudre et pouvoir communiquer à leur sujet. L’interrogation à propos des effets des ondes émises par les antennes relais ou les systèmes wifi, par exemple, montre combien ces phénomènes nous touchent au quotidien. Il s’agit donc de former, à la fois, des scientifiques qui soient capables de communiquer avec les citoyens et des citoyens qui s’intéressent aux problèmes scientifiques. 1.2. Motiver tous les élèves pour les sciences et la technologie. L’enseignement des sciences vise alors à motiver tous les élèves pour les mathématiques, les sciences expérimentales et la technologie. Pour cela, il est important de leur montrer qu’ils progressent dans la maitrise des compétences et de les responsabiliser dans la construction de ces compétences. Les démarches d’investigation bien conduites et leur couplage avec l’évaluation formative peuvent permettre d’atteindre ce but (Harlen, 2013). Il s’agit cependant de prendre en compte tous les élèves. On sait, par exemple, que filles et garçons ne se positionnent pas de la même manière vis-à-vis des sciences. * Grangeat, M. (2014). Connaître les principes des démarches d'investigation. Retiré de : http://webcom.upmf-grenoble.fr/sciedu/evacodice 1 Principes des démarches d’investigation Les différences d’attitudes ne sont pas innées mais elles sont construites petit à petit (Robine, 2006). Les enseignants, hommes et femmes, sont plus exigeants et encourageants sur les performances par rapport aux garçons alors qu’ils sont plus exigeants sur la forme que sur le fond pour les filles. On félicite un garçon pour ses idées, on l’envoie au tableau pour faire une démonstration ; on félicite une fille sur la propreté de son travail, on l’envoie au tableau pour faire un schéma à recopier. Ainsi, les activités et attitudes sont très tôt réparties entre « masculines » et « féminines ». On sait, cependant, que chaque élève privilégie les matières et les domaines qui paraissent appropriés à son statut. Les filles auront donc plutôt tendance à « soigner » leur travail, les garçons à être plutôt « brouillons ». Les stéréotypes sociaux (enfants d’employés ou de cadres) ou culturels (enfants de migrants ou de locaux) jouent de la même manière que les stéréotypes de genre. Les démarches d’investigation donnent l’occasion de remettre en jeux ces stéréotypes. En effet, elles bousculent les manières de faire habituelles, par exemple en donnant plus de responsabilités aux élèves dans la conduite de leur activité (Grangeat, 2013). 1.3. Développer la démarche scientifique : prévoir, expérimenter, argumenter, valider Les enseignements scientifiques visent à faire apprendre des notions, des méthodes et des attitudes scientifiques. Il s’agit de pratiquer en classe les démarches qui se rapprochent de celles des scientifiques professionnels. En classe, cela passe par le développement de méthodes fondées sur l’enquête, sur l’investigation : les élèves ont une question mathématique, scientifique ou technique à résoudre ensemble ; ils proposent des solutions et les testent ; ils analysent leurs résultats et les communiquent ; la solution la meilleure est recherchée mais les solutions erronées sont aussi informatives ; une synthèse permet de savoir ce qui a été appris et trace des pistes pour d’autres recherches (Pastori, 2013). Pour les enseignants et les élèves, ce qui est nouveau, par rapport à d’autres méthodes pédagogiques, c’est de : Travailler dans l’incertitude car, comme les scientifiques, tous les élèves ne suivent pas forcément la même démarche. – Revaloriser l’erreur car, en science, montrer une fausse piste et aussi important que de trouver une solution. – Communiquer avec d’autres élèves à propos des questions, des méthodes et des résultats car les connaissances scientifiques progressent dans la confrontation entre les équipes de recherche, à travers les conférences et les articles. – 2. Les attentes pour l’enseignement des sciences En France, les enseignements scientifiques fondés sur les démarches d’investigation sont inscrits à tous les niveaux du système. L’appui sur les démarches d’investigation a été proposé progressivement. Il a concerné d’abord l’école primaire (2000), puis le collège (2008) et enfin le lycée (lycée professionnel en 2009 ; classes de seconde générale en 2010). Ces démarches sont donc bien connues et seuls trois éléments principaux sont développés ici. Michel Grangeat -2- 2014 Principes des démarches d’investigation 2.1. Promouvoir le questionnement sur le monde proche ou lointain. Une étape importante de la démarche scientifique consiste à formuler une question de manière scientifique. Ce questionnement n’est pas identique selon les disciplines. Les mathématiques recherchent des lois (combien de carrés peut-on dessiner dans un carré ?). Les sciences expérimentales cherchent à comprendre des phénomènes (que se passe-t-il quand on chauffe de l’eau ?). La technologie vise à mettre en œuvre des idées pour répondre à un cahier des charges (comment construire un pont de papier capable de supporter une bouteille d’eau ?). Ce serait donc une fausse compréhension de la démarche que de partir d’un soi-disant quotidien des élèves. Il est tout à fait possible de leur présenter un phénomène et de leur demander de proposer une explication qui serait testée en classe (Boilevin, 2013). En biologie, par exemple, l’enseignant apporte en classe des vers à soie, les fait élever par les élèves afin d’aborder le concept de reproduction. Les élèves observent la ponte des œufs par les papillons femelles. Les faits issus des observations par groupes sont résumés dans un tableau à l’issue d’un travail de mise en forme des données. Ces faits conduisent à construire un questionnement scientifique (Blanchon, 2005). 2.2. Répondre avec méthode aux questions posées. Une autre étape cruciale consiste à mettre en œuvre une méthode de production de preuves pour tester les conjectures, les hypothèses ou les idées émises précédemment. Ici encore, ce serait une fausse idée que de croire que seules les méthodes qui réussissent sont intéressantes. En mathématiques, tous les résultats comptent : les essais qui n’aboutissent pas sont une réponse intéressante, les résultats faux peuvent faire comprendre les points clés de la démarche (Pastori, 2013). Il n’est pas nécessaire non plus d’expérimenter pour répondre aux questions. En biologie, il n’est pas toujours possible d’expérimenter ou d’isoler les variables. La méthode de preuve peut alors consister à rechercher des informations pour répondre aux questions posées de manière systématique. Par exemple, des élèves se demandent si les fourmis de l’élevage se battent pour leur territoire. Ils font des observations systématiques sur les luttes observées et dressent une liste de questions. Ils écrivent et téléphonent à des scientifiques pour obtenir les renseignements voulus (Blanchon, 2005). 2.3. Savoir ce qui a été appris à travers les investigations. Enfin, savoir ce qui a été appris à travers l’investigation est le point crucial qui détermine la qualité des démarches d’investigation. Une fausse idée serait pour les enseignants d’imposer un résultat ou un résumé à la fin de la séance. Cette pratique déresponsabilise les élèves et s’inscrit en rupture avec l’esprit de la démarche d’investigation. Ce glissement final en fin de séance est donc à éviter même si les enseignants souhaitent conclure par un apport de connaissances. Il est efficace de ménager en fin de chaque séance une dizaine de minutes pour un bilan. Les élèves peuvent alors repérer l’essentiel de ce qu’ils ont appris, ils peuvent tirer parti de l’expérience des autres et évaluer ce qu’ils ont oublié ou réussi. Ils peuvent alors écrire des pistes pour une prochaine séance. Les enseignants se font ainsi une idée de l’avancée globale de la classe et peuvent adapter la séance suivante (Pastori, 2013). En cours ou en fin de séquence, une synthèse permet de structurer les connaissances construites durant l’investigation à la lumière des savoirs scientifiques connus. Cette synthèse est essentielle pour distinguer les concepts du quotidien et ceux utilisés en science. Par exemple, Michel Grangeat -3- 2014 Principes des démarches d’investigation trois feuilles de papier roulées deviennent trois tubes capables de supporter une bouteille d’eau mais elles ne sont pas devenues plus « fortes ». C’est alors le concept de rigidité qui est rendu accessible aux élèves. 3. Les élèves et l’enseignement des sciences 3.1. S’approprier une question Les élèves se questionnent sur le phénomène qui sera étudié. A ce moment, les questions, les relances, des enseignants jouent un rôle important. Ces questions sont importantes pour mobiliser l’intérêt des autres élèves (qui est d’accord ? qui pense autrement ?) et pour préciser la question traitée (qui peut préciser ce que veut dire « meilleure » dans « trouver la meilleure forme d’un avion en papier » ?). Ces questions permettent aussi de situer les connaissances premières des élèves avant de commencer la séquence. Ce moment est délicat car des enseignants ont souvent peu de moyens pour prévoir comment conduire la classe. En fait, il est possible d’anticiper les réactions des élèves car celles-ci sont en nombre assez limité. Un moyen sûr est d’utiliser des séquences testées par d’autres enseignants et dans lesquelles les réponses des élèves ont été répertoriées (voir Blanchon (2005) pour un exemple). Les sites officiels permettent de télécharger de nombreux exemples de ce type (La main à la pâte ou Eduscol). Si de telles séquences ne sont pas disponibles, il est alors souhaitable de concevoir la séquence avec des collègues en essayant d’imaginer ensemble les conceptions initiales des élèves. La séance est testée par une première personne et modifiée après bilan. Elle est alors testée par la seconde et modifiée après bilan pour une réplication l’année suivante ou par une troisième personne. 3.2. Utiliser les démarches des scientifiques Les élèves formulent des prédictions, des idées, des hypothèses ou des conjectures pour répondre à la question posée ou résoudre le problème. Les aider à élaborer des idées productives, testables, est essentiel. La science consiste à faire preuve de créativité mais, le plus souvent, en s’appuyant sur le cadre existant. L’hypothèse scientifique, au moins en sciences expérimentales, est ainsi justifiée par des connaissances préalables. Les élèves sont donc amenés à dire « je pense que… parce qu’on sait que… ». Les enseignants peuvent alors fournir de la documentation qui va servir de ressource aux élèves pour préciser leur question, formuler des hypothèses et prévoir un protocole de test. Les élèves peuvent aussi avoir à leur disposition des travaux réalisés par d’autres élèves (hypothèses, tableaux de données, schémas, comptes-rendus d’expérience) et ils peuvent avoir comme consigne d’estimer la pertinence de ces documents. Ce travail de jugement fait partie de la démarche scientifique professionnelle. Cette activité est très utile aux enseignants pour évaluer de manière formative les démarches des élèves. 3.3. Développer de meilleures connaissances à propos des idées scientifiques. Les enseignements scientifiques visent l’acquisition de connaissances, de méthodes et d’attitudes. Ils devraient permettre aux élèves de maitriser les concepts clés de la science. Ces « grandes idées » les rendent capables de comprendre les événements et les phénomènes qu’ils rencontrent et rencontreront dans leur vie. Michel Grangeat -4- 2014 Principes des démarches d’investigation Ils devraient permettre aux élèves de comprendre comment sont construites les connaissances scientifiques. Il s’agit de leur permettre d’acquérir les compétences et les attitudes des démarches scientifiques. Les démarches d’investigation ne sont pas la seule méthode d’enseignement (Harlen, 2013). Des méthodes, des concepts et des habiletés (lire un thermomètre) sont transmises directement. La complémentarité entre les deux approches permet de donner du sens aux enseignements scientifiques. 4. Conclusion La finalité des enseignements scientifiques est de former, à la fois, des scientifiques qui soient capables de communiquer avec les citoyens et des citoyens qui s’intéressent aux problèmes scientifiques. Cela implique de motiver tous les élèves pour les mathématiques, les sciences expérimentales et la technologie. Le couplage des démarches d’investigation bien conduites avec l’évaluation formative pourrait permettre d’atteindre ce but. Les démarches d’investigation conduisent à travailler dans l’incertitude, à revaloriser l’erreur et à favoriser la communication entre les élèves. Ainsi, elles aident à remettre en jeux les stéréotypes qui défavorisent certains élèves car ils les enferment dans un statut prédéfini. Les enseignements scientifiques visent l’acquisition de connaissances, de méthodes et d’attitudes. Pour cela les élèves : – se questionnent sur le phénomène qui sera étudié. Les questions, les relances, de des enseignants jouent un rôle important pour les engager tous dans l’activité. – formulent des prédictions, des idées, des hypothèses ou des conjectures pour répondre à la question posée ou résoudre le problème. Les aider à élaborer des idées productives, testables, est essentiel. – produisent des preuves pour tester les conjectures, les hypothèses ou les idées émises précédemment. Leur procurer des ressources qui relancent leur travail est souhaitable. – font le bilan de ce qui a été appris à travers l’investigation et ont une idée de ce qui reste à apprendre. Cet élément est crucial pour que tous les élèves apprennent. Cette démarche est complexe mais peut se simplifier autour de quelques dimensions importantes de l’activité de classe qui seront présentées dans la partie suivante. 5. Références Blanchon, D. (2005). L’apprentissage de la démarche scientifique, est-ce bien raisonnable? Grand N, (75), 59‑76. Boilevin, J.-M. (2013). La place des démarches d’investigation dans l’enseignement des sciences. In M. Grangeat, Les enseignants de sciences face aux démarches d’investigation (p. 23‑44). Grenoble: Presses Universitaires de Grenoble. Grangeat, M. (2013). Modéliser les enseignements scientifiques fondés sur les démarches d’investigation : développement des compétences professionnelles, apport du travail collectif. In M. Grangeat (Éd.), Les enseignants de sciences face aux démarches d’investigation (p. 155‑184). Grenoble: Presses Universitaires de Grenoble. Harlen, W. (2013). Évaluation et pédagogie d’investigation dans l’enseignement scientifique : De la politique à la pratique. Trieste: IAP Global Network of Science Academies. Consulté sur le site http://www.fondation-lamap.org/ Michel Grangeat -5- 2014 Principes des démarches d’investigation Lebeaume, J. (2011). L’investigation pour l’enseignement des sciences : actualité des enjeux. In M. Grangeat, Les démarches d’investigation dans l’enseignement scientifique Pratiques de classe, travail collectif enseignant, acquisitions des élèves (p. 19‑34). Lyon: Ecole Normale Supérieure. Pastori, M. (2013). Faire pratiquer une démarche d’investigation en classe de mathématiques : un exemple de coopération entre enseignants et chercheurs. In M. Grangeat, Les enseignants de sciences face aux démarches d’investigation (p. 45‑58). Grenoble: Presses Universitaires de Grenoble. Robine, F. (2006). Pourquoi les filles sont l’avenir de la science... Union des professeurs de physique et de chimie, 100, 421‑436. 6. Annexes Voici des liens vers des sites proposant des ressources par rapport aux enseignements scientifiques en classe : - Mise à jour des connaissances scientifiques fondamentales : http://www.fondation-lamap.org/fr/recherche-document-scientifique - Conception de séquences d'enseignement en sciences expérimentales : http://eduscol.education.fr/cid46919/ressources-pour-enseignement-dessciences-des-technologies-ecole.html#lien0 http://www.fondation-lamap.org/ http://www.fondation-lamap.org/fr/page/20073/lenseignement-des-sciencesfonde-sur-linvestigation-conseils-pour-les-enseignants - Propositions de progressions au niveau d’un cycle : http://eduscol.education.fr/cid46919/ressources-pour-enseignement-dessciences-des-technologies-ecole.html#lien0 - Des analyses de séquences d’enseignement scientifiques à l’école : http://www-irem.ujf-grenoble.fr/revues/revue_n/fic/75/75n6.pdf http://www-irem.ujf-grenoble.fr/revues/revue_n/fic/78/78n3.pdf Michel Grangeat -6- 2014