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Les relations entre le pouvoir
politique et l’administration
Compte rendu de la réunion du 22 juin 2005
Club Penser & Agir
Animé par Sylvie Trosa en partenariat avec l’Institut de l’entreprise,
l’Institut de l’ENS et IDRH
Working paper n°8
Septembre 2005
Les relations entre le pouvoir
politique et l’administration
Compte rendu de la réunion du 22 juin 2005
Club Penser & Agir
Animé par Sylvie Trosa en partenariat avec l’Institut de l’entreprise,
l’Institut de l’ENS et IDRH
Working paper n°8
Septembre 2005
En ouverture de la conférence, Yves Cannac (président de l’Observatoire de la Dépense
publique) a souligné que le thème des rapports entre administration et politique est un « sujet
important et rarement traité comme tel ». En effet, il n’entre directement ni dans la compétence
des spécialistes des institutions politiques, ni dans celle des spécialistes de l’administration.
Pourtant, aussi bien l’efficacité de l’action publique que la qualité de la démocratie nécessitent que le rôle et les pouvoirs des politiques d’une part et des responsables administratifs
de l’autre, et par suite l’articulation des uns et des autres, soient aussi clairs et cohérents
que possible. C’est là typiquement le genre de sujet sur lequel, dans une démocratie saine,
majorité et opposition devraient convenir de règles explicites et partagées. Malheureusement
elles s’en gardent bien, préférant cultiver discrètement des pratiques qu’elles croient
avantageuses, et qui, en fait, nuisent à tous. Fondamentalement, cette dérive, qui nous
distingue regrettablement parmi les pays de l’OCDE, provient de ce que le politique redoute
de définir avec précision ses propres responsabilités en contrepartie de ses pouvoirs, et
de reconnaître aux dirigeants administratifs de réels pouvoirs, en contrepartie de leurs
responsabilités. Nul doute qu’il y a là un gisement de progrès majeur.
L’une des difficultés du sujet est, comme l’a ensuite rappelé Sylvie Trosa (expert en
management public), qu’il présente « plusieurs facettes ». Se pose d’abord la question du rôle
des cabinets ministériels : comment expliquer la croissance de leurs effectifs et de leurs
responsabilités ? Pourquoi le système français est-il différent des systèmes anglo-saxons,
où les membres des cabinets sont avant tout des conseillers politiques de haut niveau qui
n’empiètent pas sur le travail des administrations ? La relation entre les ministres et les
directeurs d’administration centrale suscite aussi plusieurs interrogations : qui est le patron
de l’administration ? La distinction entre directions axées sur la gestion de service et
directions stratégiques permettrait-elle une meilleure gestion des relations avec le politique ?
Comment responsabiliser les hauts fonctionnaires sur leurs résultats et renforcer ainsi la
confiance que leur accorde le politique ? Est-ce possible dans le système actuel ? Enfin,
il faut s’interroger sur les conditions de mise en place de relations directes, non médiatisées
par les cabinets, entre le pouvoir politique et l’administration, et réciproquement sur les
moyens d’améliorer la « réactivité » des structures administratives.
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Pascal Penaud
Inspecteur général des affaires sociales
Yves Cannac a alors donné la parole à Pascal Penaud (inspecteur général des affaires
sociales), qui a cherché à analyser le rôle des cabinets ministériels à la lumière de son
expérience comme chef de service à la direction générale de la Santé entre 2000 et 2003.
Il a d’emblée souligné que la « fiction du cabinet restreint », composé de conseillers politiques
et visant à contourner en France l’absence de spoil-system à l’anglo-saxonne, devait être
rejetée. Les cabinets ministériels français sont en effet aujourd’hui largement composés de
fonctionnaires techniques, même si paradoxalement leur domaine d’expertise n’est pas
toujours celui du ministère au cabinet duquel ils participent. Par ailleurs il semble y avoir
un consensus dans la littérature administrative sur le fait que cette situation doit être
considérée comme un « mal nécessaire ».
Le cabinet à la française remplirait en effet une triple fonction : il permettrait de coordonner les directions d’administration centrale (ou les ministères entre eux dans le cas
du cabinet du Premier ministre), de remplacer au besoin le ministre dans les tâches de
représentation externe et de « faire passer » le discours politique ou les réformes difficiles
face à une administration parfois hostile. Enfin, le cabinet joue aussi un rôle « d’accélérateur
de carrière », l’expérience de conseiller ministériel étant une étape classique de la formation
des futurs dirigeants.
On peut néanmoins se demander pourquoi et comment le cabinet parvient à s’imposer
face aux directions, alors que les directeurs d’administration centrale sont généralement
beaucoup plus expérimentés que les jeunes conseillers. Cet ascendant s’explique en fait
facilement, a souligné Pascal Penaud, si l’on prend en compte quatre prérogatives des cabinets
ministériels : la « maîtrise de la parole » dans les réunions d’arbitrage ; le passage par le
cabinet des textes, et notamment des décrets ; la maîtrise des nominations, en particulier
celles au sein des établissements publics sous tutelle ; et enfin la « capacité de ré-arbitrage »
de dossiers sur lesquels les directions ont déjà tranché, et ce quelle que soit leur importance.
Cette situation compromet fortement le bon fonctionnement de l’administration. En
premier lieu, les relations entre les ministres et les directeurs d’administration restent
« très épisodiques », ce qui empêche la constitution d’une véritable « équipe de direction », qui
pourrait définir et mettre en œuvre un « programme opérationnel ». Par ailleurs, la mainmise
des cabinets ministériels fait que les directeurs de centrales ne peuvent plus maîtriser le
management de la structure dont ils sont responsables. On constate enfin une inadaptation
de ce modèle à la préparation de la réglementation communautaire, par exemple en ce
qui concerne la préparation des directives européennes.
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En conclusion, le « modèle » français du cabinet ministériel semble accumuler les inconvénients : niveau parfois faible des conseillers, mauvaise coordination avec l’administration,
pas de vraie gestion des postes de directeurs administratifs et risque d’une « politisation
descendante ». Au vu de ces déficiences, il apparaît qu’on pourrait, soit utiliser vraiment les
possibilités de constitution d’équipes que permettent les conditions de nomination des
directeurs, soit (et ce serait préférable) emprunter au monde anglo-saxon du poste de
« vice-ministre », en charge de l’administration.
En réaction à l’intervention, Jean-François Merle (chef de l’inspection générale au
ministère de l’Agriculture) s’est demandé si la mainmise des grands corps de l’Etat sur les
cabinets ministériels n’était pas un « phénomène aggravant », qui accentuerait les effets
pervers de la situation. Il a ainsi noté qu’il existe une « très grande permanence des cabinets
dans le temps », par-delà les alternances politiques. On peut alors supposer que la politisation
de l’administration intervient « bien en amont » des cabinets ministériels.
Pascal Penaud lui a répondu qu’une telle analyse est souvent juste, mais qu’elle n’est
pas adaptée au cas du ministère de la Santé, où aucun grand corps n’est dominant. Le besoin
de « compétences techniques » nécessite en effet de faire appel à des conseillers venus
d’horizons très variés, et notamment à des médecins. En outre, le nombre limité de spécialistes
de certaines questions dans l’administration empêche de recruter les conseillers au sein de
l’administration de la santé ; c’est par exemple le cas pour le « conseiller médicament ».
Claude Martinand (vice-président du conseil général des Ponts et Chaussées) a enfin
pris la parole pour faire part de son expérience de conseiller auprès du ministre des
Transports. Il a rappelé qu’il avait recommandé à Gilles de Robien de mettre en œuvre
trois réformes principales pour améliorer le fonctionnement du ministère : la création d’un
poste de secrétaire général, la réunion régulière des directeurs d’administration centrale et
l’instauration de la rémunération au mérite pour les hauts fonctionnaires. Selon lui,
certains développements positifs sont déjà visibles dans l’administration française : le rôle
du secrétaire général s’est affirmé dans plusieurs ministères et l’application des principes de
la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) progresse rapidement. Il a néanmoins
souligné la persistance de l’influence néfaste des cabinets, qu’il a jugé « toujours plus
pléthoriques et toujours moins expérimentés ». Cette inexpérience est particulièrement
dommageable à la bonne relation entre les cabinets et la haute administration : selon
Claude Martinand, « c’est moins les conseillers qui coordonnent les directions que les directions qui
coordonnent les conseillers » !
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Jacques Rapoport
Secrétaire général des ministères en charge des Affaires sociales
Yves Cannac a alors donné la parole à Jacques Rapoport (secrétaire général des
ministères en charge des Affaires sociales) en notant qu’il y avait aujourd’hui « autant de
définitions juridiques de la fonction de secrétaire général que de ministère ». Ce dernier
a confirmé cette « grande diversité ». Il a ensuite rappelé son parcours professionnel :
inspection des finances, quatre ans de « tournée », avant quinze ans dans une grande entreprise
publique (la RATP). Son arrivée tardive dans l’administration et son expérience du management d’entreprise lui inspirent un constat « qui [l’] interpelle » : selon lui, l’administration
française est une « organisation inefficace et improductive, qui gâche son bien le plus
précieux, les ressources humaines ».
Sur le plan organisationnel, il relève trois dysfonctionnements majeurs : d’abord, « l’éclatement des responsabilités », qui se manifeste notamment dans le système du cabinet tel que
Pascal Penaud l’a décrit. Il n’est ainsi pas rare qu’un directeur ait autour de lui, sur les sujets
dont il a la responsabilité, un grand nombre de conseillers techniques. Ensuite, une ligne
hiérarchique « exagérément longue », à cause du doublement systématique des postes,
signe que l’administration « ne sait pas bien comment utiliser ses ressources humaines ».
Dès lors, la structure idéale (directeur, sous-directeur, chef de bureau) est pervertie par
la croissance du nombre d’adjoints, ce qui contribue encore davantage à la « dilution des responsabilités ». Enfin, l’administration se caractérise par une « pyramide hiérarchique à l’endroit
lorsque partout la pyramide inversée est retenue », qui fait entrer les services déconcentrés
dans une « logique de stricte obéissance » et empêche la redéfinition des stratégies à la
lumière des expériences de terrain.
Le fait qu’aucune majorité n’ait été reconduite depuis 1981 est la preuve que ces dysfonctionnements sont perçus par l’opinion. Des changements positifs récents doivent cependant
être soulignés : il s’agit principalement de l’introduction du « management par objectifs » grâce
à la LOLF, du développement de la « rémunération au mérite » et de la généralisation de la
fonction de secrétaire général, le « dernier bastion de résistance » que constituait le ministère de
l’Education nationale étant sur le point de céder. En outre, deux réformes utiles ont été mises
en œuvre : la meilleure prise en compte du mérite pour l’avancement et l’instauration
d’entretiens annuels d’évaluation. Ces outils de managements sont très classiques et c’est
là un point très positif : leur introduction dans l’administration montre que les choses vont
dans le bon sens. Il semble d’ailleurs que ces diverses réformes managériales, insuffisantes si on
les considère séparément, commencent à « faire masse ».
Cela dit, les trois dysfonctionnements organisationnels évoqués précédemment perdurent.
Le constat que les services déconcentrés doivent « être au cœur de l’action » paraît certes
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gagner du terrain, ce qui suggère la possibilité d’évolutions positives. Mais aucun progrès
tangible ne semble en vue concernant la longueur des lignes hiérarchiques et la fragmentation
des responsabilités.
Abordant ensuite la question des cabinets ministériels, Jacques Rapoport s’est
demandé pourquoi les ministres, évidemment attachés à ce que leur ministère fonctionne
bien, persistent à s’entourer de conseillers nombreux et peu expérimentés. On peut en fait
expliquer cette attitude qui peut sembler peu rationnelle par la conjonction de deux facteurs.
D’une part, les ministres sont entraînés dans une logique de court terme, qui doit
beaucoup au fait que la France soit la « championne d’Europe de l’instabilité ministérielle ».
Il n’est d’ailleurs pas fortuit que le ministère de la Défense, qui se caractérise par une plus
forte stabilité, le ministre restant généralement en poste pendant toute la législature,
connaisse également des modes de management « bien meilleurs » qu’ailleurs. Cette
exception mise à part, le ministre français pense – souvent à raison – qu’il n’est « pas là pour
longtemps » et que son objectif principal est donc d’obtenir des « résultats rapides ». Il
cherche alors à « faire vite des réformes significatives », ce qui suppose la présence à ses côtés
d’une importante « force de frappe » pour mettre en œuvre un tel programme. Programme
qui correspond mal aux exigences de l’administration qui doit veiller à l’application des lois.
D’autant que s’ajoute à cette différence de temporalité une communication faible entre le
ministre et les directeurs d’administration centrale, qui ont généralement beaucoup de mal à oser
dire que telle réforme « n’est pas possible » ou que tel conseiller « connaît mal le sujet ».
D’autre part, la présence de cabinets importants s’explique également par le fait que les
ministres n’ont souvent pas, en pratique, le pouvoir de choisir librement leurs directeurs
d’administration centrale. Il serait en fait préférable – au plan qui est ici le nôtre, celui du
fonctionnement managérial – que les nominations puissent être décidées personnellement
par chaque ministre, et non plus par des décisions prises en conseil des ministres ou par décret
du Président de la République. Le but n’est évidemment pas que chaque nouveau ministre
limoge tous les directeurs d’administration centrale et d’établissements publics et les
remplace par ses protégés. Mais plutôt que la certitude des directeurs qu’ils « peuvent être
changés » crée entre le ministre et eux une « relation de confiance ».
L’évolution du système actuel suppose donc que deux éléments soit présents. D’abord,
une plus grande stabilité ministérielle : un ministre qui est convaincu « qu’il est là pour cinq ans »
adoptera forcément un comportement très différent, et aura davantage tendance à se tourner
vers ses directeurs plutôt que vers son cabinet. Ensuite, la « liberté des moyens » pour les
ministres : un patron doit avoir le choix de ses collaborateurs, y compris quand ces collaborateurs sont des directeurs d’administration centrale ou d’établissements publics. Cette
liberté n’aboutira pas forcément à une plus grande rotation des directeurs. On peut même
supposer que le contraire sera vrai.
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En réaction à l’intervention, Michel Jacob (vice-président, OMD Europe) a demandé plus
de précisions concernant la réussite des réformes au ministère de la Défense. Il a en outre
avancé l’idée selon laquelle l’instabilité ministérielle pourrait également être renforcée par
la volonté de certains ministres de faire rapidement une réforme spectaculaire puis de
« monter en grade » avant que les résultats « mitigés » de ladite réforme n’apparaissent au
grand jour. A propos du ministère de la Défense, Jacques Rapoport a souligné que les
réformes y étaient sans doute plus faciles en raison d’une faible pression politique et
médiatique. A contrario, la pression est très importante en ce qui concerne les Affaires
sociales, les Transports et les Finances se situant dans une position médiane. Sur le second
point, il a répondu que c’est plutôt dans la mesure où le ministre sait que son mandat sera
bref qu’il cherche à mettre en œuvre une réforme rapide. Cette explication par un « engrenage court-termiste » semble d’ailleurs préférable dans la mesure où elle privilégie les facteurs
systémiques plutôt qu’un hypothétique déficit de « courage » des hommes politiques,
toute analyse sérieuse prouvant le contraire.
Pascal Penaud a cherché à nuancer cette thèse, en notant que beaucoup de conseillers
du cabinet sont en fait chargés de dossiers non-prioritaires. Ainsi, on peut se demander si
la multiplication des conseillers ne vise pas parfois à combler les « vides de l’administration ».
Jacques Rapoport a répondu que l’argument de la « sous-administration » lui semblait
« problématique ». Selon lui, le vrai problème repose beaucoup plus dans la durée de plus en
plus courte des lois, liée à l’instabilité ministérielle : c’est la surabondance des textes,
le « trop de lois », qui explique en fait cette impression de sous-effectif.
Daniel Tardy (président-directeur général, Compagnie industrielle et financière d’entreprises) a alors estimé que le véritable problème résidait dans le fait que l’administration
« ne fait pas confiance aux individus », ce qui explique le doublement systématique des postes.
La solution passe donc, selon lui, par le remplacement d’une « logique de système » par une
« logique de projet ». D’ailleurs, les quelques cas où un responsable est clairement identifié,
et où il dispose de moyens définis pour un projet précis, sont généralement des succès.
On peut ainsi citer en exemple le développement du sous-marin nucléaire français ou la
construction de la route adaptée au transport des pièces de l’Airbus A380.
Jacques Rapoport a exprimé son accord avec cette analyse, qu’il a qualifié d’« évidente »,
mais a estimé que le « vrai problème » résidait plutôt dans la difficulté de la réforme : « où
sont les blocages ? », « quels sont les leviers ? », s’est-il demandé.
Jean-François Merle a alors suggéré qu’il existe une « contradiction » entre la rapidité
voulue par les ministres et le principe même des réformes. Ainsi, c’est bien le décalage
entre le « temps médiatique » et le « temps politique » qui pose problème.
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Jacques Rapoport a ajouté qu’un obstacle majeur à la bonne marche de l’administration
provient du fait que 80 % du travail des haut-fonctionnaires consiste à « empêcher les
frottements », au lieu de chercher à « faire avancer la machine ». L’absence de « projet à long
terme » de la part des politiques est en partie responsable de cette situation, dans la mesure
où un cap clair pourrait justifier des « efforts à court terme » de la part des fonctionnaires.
Yves Cannac s’est déclaré en accord avec cette analyse sur l’absence de « projet global ».
Il s’est ensuite demandé s’il était raisonnable de mettre tous les directeurs d’administration
centrale sur le même plan. Ne serait-il pas préférable de distinguer entre les « directions
stratégiques » et les « directions de gestion de service » ? Les premières ont fondamentalement
un rôle de conseil et ne peuvent correctement remplir leur tâche que si elles ont à tout
instant la confiance du ministre et du gouvernement. Celui-ci doit donc pouvoir en désigner
discrétionnairement les titulaires. Les secondes ont au contraire avant tout une responsabilité de résultats, à apprécier au regard d’objectifs clairs convenus à l’avance avec l’autorité
politique. Il serait donc normal que les personnes à qui ces responsabilités sont confiées soient
choisies sur des bases aussi objectives que possible et nommées pour une durée définie,
en tout cas suffisante pour que l’efficacité de leur action puisse être valablement jugée.
Jacques Rapoport a rappelé que, à son avis, l’objectif doit être de permettre au ministre
de « choisir ses collaborateurs » et de favoriser une véritable « identification des responsables ».
Une fois ces principes acquis, il souligne que « plusieurs modalités sont évidemment possibles ».
Claire Huault (consultante, PricewaterhouseCoopers) a enfin interrogé les intervenants
sur la multiplication des agences administratives, comme les groupements d’intérêts publics
(GIP) ou les établissements publics de santé. Elle s’est demandée s’il s’agissait là d’un
« phénomène durable » et s’il ne fallait pas s’en inquiéter.
Jacques Rapoport a répondu qu’il ne partageait pas ces « inquiétudes », dans la mesure
où le phénomène de complexification et de multiplication des structures juridiques était
aussi observable dans le secteur des entreprises. Le développement des agences permet en
effet de répondre à deux « objectifs légitimes » : mieux identifier une activité et ses coûts et
favoriser une meilleure participation de l’ensemble des acteurs. Le vrai problème se situe
en fait dans la qualité du « pilotage » de ces structures, qui est encore loin d’être optimale.
Cela dit, la tutelle tend à s’accroître au fil des ans : les agences régionales de l’hospitalisation
(ARH) ont ainsi « produit des effets » pendant plusieurs années, avant d’être à nouveau
« avalées par l’administration ».
Pascal Penaud a au contraire estimé qu’on assistait bien dans certains cas à « une dérive » :
si certaines agences sont « utiles » et bien identifiées, d’autres servent plutôt de « cache-sexe
à l’absence de réforme de l’Etat ». Le nombre d’agences pose maintenant la question de leur
pilotage (cette problématique est aussi évoquée aux Etats-Unis). Mettre en place un bon
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niveau de pilotage, ni trop détaillé ni trop effacé, pose aussi souvent problème. Pascal Penaud
a noté avec humour qu’il y avait peu de rapports de l’Inspection générale qui ne comprenaient
pas la phrase : « la tutelle est trop tatillonne et pas assez stratégique ».
Marcel Pochard
Conseiller d’Etat
Marcel Pochard (conseiller d’Etat) a enfin dressé un tableau historique des relations
entre l’administration et le pouvoir politique en France. Il a estimé que l’évolution ne militait
guère en faveur de l’adaptabilité du « système français » et de sa performance. Le modèle
français est fondé sur deux principes majeurs : une « exigence de démocratie », dans la mesure
où l’administration doit être véritablement sous le contrôle du pouvoir politique, et une
« exigence de neutralité » de l’administration à l’égard de la sphère politique. Ce système a
« très bien fonctionné » pendant longtemps. Après 1945, une administration forte a pu
soutenir un pouvoir politique faible, par exemple en mettant en œuvre la politique
pétrolière ou la politique nucléaire de la France. Aux débuts de la Ve République, un « projet
politique fort » a été porté par un « pouvoir politique fort », l’administration manifestant une
grande capacité à la fois de proposition et de mise en oeuvre.
Aujourd’hui, au contraire, on constate une double défaillance du pouvoir politique et du
pouvoir administration. D’une part, l’absence d’un projet politique fort et surtout durable
est aggravée par la faiblesse du pouvoir politique. D’autre part, l’administration est devenue
trop souvent « purement ancillaire », parce que « aux ordres des cabinets » ministériels et sans
réelles marges de manœuvre. La situation est certes différente selon les administrations :
de grandes réformes ont pu être mises en œuvre au ministère de l’Equipement à l’initiative
de grands fonctionnaires et avec l’appui des grands corps qui irriguent ce ministère, ce qui
prouve que les fonctionnaires savent dans certains cas cultiver leur « pouvoir de réforme ».
Mais la tendance globale n’est pas celle-là : on assiste à un « laminage » des administrations,
combiné à une « sous-administration » chronique dans certains secteurs ; ainsi, la sousdirection des minima sociaux au ministère de l’Emploi ne compte qu’un seul administrateur
civil, pour un budget annuel de 10 milliards d’euros. La faiblesse de l’administration concerne
même des services qu’on croit à tort omnipotent : il est par exemple difficile de concilier
la croyance en une « toute-puissance » de la direction du Budget et la persistance d’un déficit
budgétaire toujours plus élevé.
On peut alors se demander pourquoi le « jeu ne s’inverse pas ». Il s’avère en fait que la
fonction publique est « collectivement responsable » de la situation actuelle alors que
les hauts fonctionnaires sont aux postes clés de commandement (cabinets ministériels,
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directions d’administration centrale...). Les hauts fonctionnaires n’arrivent pas à déterminer
collectivement une attitude cohérente d’évolution et de changement. Ils sont trop souvent
habités par un sentiment d’impuissance et ne donnent pas l’exemple de la remise en cause
de leur propre statut et de leur propre façon de fonctionner ; on le constate, par exemple,
à travers la multiplication des corps.
On peut néanmoins noter quelques « signes encourageants », comme la mise en place de
nouveaux modes de management de l’encadrement supérieur depuis un an et demi ;
les lettres d’objectifs sont une réalité, de même que la rémunération partielle au mérite...
et il en résulte une évolution du comportement des directeurs en cause. De la même façon,
la généralisation de la fonction de secrétaire général apparaît comme une « excellente
innovation », même si dans trop de ministères, on s’est montré très timide sur les prérogatives de ces secrétaires généraux ; du moins les exemples de réussites de certains secrétaires
généraux pourront servir de référence.
Il faut enfin signaler l’acclimatation progressive et effective en France de la notion de régulation et la distinction de plus en plus communément réalisée entre administration de régulation et administration de gestion.
Avant de donner la parole à la salle, Yves Cannac a souligné la « convergence des
analyses » des intervenants, d’accord les uns et les autres pour brosser un tableau assez
sombre des relations entre le pouvoir politique et l’administration. Le dysfonctionnement
de ces relations se repère par exemple dans la façon dont sont menées les négociations
sociales, a alors souligné Claude Martinand : il y a ainsi une certaine « perversité » à ce que les
ministres reçoivent des syndicats des établissements publics en l’absence de leur directeur.
Paul Franceschi (économiste à l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale)
a ensuite mis en cause la gestion des cabinets ministériels, et notamment la pratique des
« commandes multiples » de la part de conseilleurs à plusieurs directions ou agences. Il a
également affirmé qu’il serait peut-être utile que l’opposition adopte le système de
« cabinet-fantôme » en vigueur au Royaume-Uni, de façon à ce que les hommes politiques
se préparent davantage à la prise de responsabilité. Jean-François Merle a contesté cette
analyse, en estimant que la formation des hommes politiques aux réalités de l’administration
n’est pas un véritable problème, dans la mesure où la majorité des ministres a déjà occupé
par le passé des postes ministériels. Pascal Penaud est au contraire allé dans le sens du
premier intervenant, en remarquant que trop de ministres « croient connaître » l’administration parce qu’ils y sont passés eux-mêmes. Sur la question des cabinets, il a estimé qu’il serait
intéressant que la LOLF intègre un récapitulatif du « coût complet des cabinets » : on sait par
exemple que certains cabinets ont un coût supérieur à celui d’une « grosse administration
centrale ».
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Pascal Penaud s’est néanmoins déclaré « très pessimiste » quant à la capacité de la LOLF
à faire progresser l’administration. La nouvelle loi organique est certes très adaptée à des
services où l’administration « produit le service » (comme la DGI), mais beaucoup moins
à ceux où le service est réalisé en collaboration avec une multiplicité d’acteurs, comme
c’est le cas pour le secteur de la santé.
Jean-Pierre Frémont (Veolia Environnement) a à son tour relevé le constat « très
pessimiste » des intervenants et leur a demandé s’ils pouvaient citer « un élément
d’optimisme ». Jacques Rapoport a mis en avant l’introduction des outils de management
moderne dans l’administration, Pascal Penaud a relevé des progrès dans le « calcul des
coûts » au travers de la LOLF et Marcel Pochard a souligné les avancées en matière
d’encadrement, en particulier aux niveaux supérieurs.
En conclusion de la conférence, Sylvie Trosa est revenue sur quelques-unes des
analyses développées par les intervenants. Concernant le problème du « court-termisme » de
la classe politique, elle a noté que l’accélération du temps médiatique est un phénomène
qui s’observe également à l’étranger. Le véritable obstacle, en France, est donc plutôt
l’absence de « projet politique » fort et d’un « travail de préparation des esprits » avant
d’engager les réformes. Elle a également noté des progrès en ce qui concerne l’encadrement
supérieur, mais a souligné que l’administration reste « terriblement top-down » : les fonctionnaires « qui conçoivent » restent statutairement et culturellement au-dessus de ceux
« qui font ». Un autre enjeu est celui de la « régulation » : comment gérer la « complexité des
structures » pour s’adapter à la complexité de la société ? Comment faire pour que les
nouvelles structures comme les agences ne soient pas seulement un moyen de masquer
l’absence de réforme de l’Etat ? Enfin, Sylvie Trosa a souligné que la réforme de la fonction
publique suppose nécessairement un « leadership fort » de la part des hommes politiques,
dont le rôle est de donner une réponse crédible à la question qui est au cœur des préoccupations des fonctionnaires : « quel est le sens de l’administration ? »
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Les relations entre le pouvoir politique
et l’administration
Le thème des rapports entre administration et politique est un sujet de
première importance, et pourtant rarement traité comme tel. En effet,
il n’entre directement ni dans la compétence des spécialistes des institutions
politiques, ni dans celle des spécialistes de l’administration. Pourtant, aussi
bien l’efficacité de l'action publique que la qualité de la démocratie nécessitent
que le rôle et les pouvoirs des politiques d'une part et des responsables
administratifs de l’autre, et par suite l’articulation des uns et des autres,
soient aussi clairs et cohérents que possible.
Le Club Penser et Agir a donc choisi de se pencher sur ce thème, en l’examinant
sous ses différentes facettes. La première est celle du rôle des cabinets ministériels :
comment expliquer la croissance de leurs effectifs et de leurs responsabilités ?
Pourquoi le système français est-il si différent des systèmes anglo-saxons, où les
membres des cabinets sont avant tout des conseillers politiques de haut niveau qui
n’empiètent pas sur le travail des administrations ? Un autre aspect important est
celui des relations entre les ministres et les directeurs d’administration centrale :
qui est le vrai « patron » de l’administration ? La distinction entre directions axées
sur la gestion de service et directions stratégiques permettrait-elle une meilleure
gestion des relations avec le politique ? Comment responsabiliser les hauts fonctionnaires sur leurs résultats et renforcer ainsi la confiance que leur accorde le
politique ? Est-ce seulement possible dans le système actuel ?
Pour débattre autour de ces questions, trois personnalités ont été entendues :
• Pascal Penaud, inspecteur général des affaires sociales ;
• Jacques Rapoport, secrétaire général des ministères en charge des Affaires
sociales ;
• Marcel Pochard, conseiller d’Etat.
Animé par Sylvie Trosa, expert en management public, dans le cadre d’un partenariat
entre l’Institut de l’entreprise, l’Institut de l’École Normale Supérieure et IDRH,
le Club Penser et Agir réunit tous les acteurs intéressés à la modernisation des
pratiques publiques ; ses travaux s’appuient largement sur l’analyse des expériences
conduites hors de France.
Le compte rendu de cette réunion a été établi par Emmanuel Bétry.
© Institut de l’entreprise, 2005
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