Les feux doux du champagne
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Les feux doux du champagne
lumières INTÉRIEURES Dans les centaines de kilomètres de caves du sous-sol champenois dorment des millions de bouteilles à l’abri de la lumière. Ces caves sont visitées par les professionnels qui suivent l’élaboration des vins et par les touristes. D’où la nécessité de concevoir un éclairage qui concilie les exigences du champagne, du travail et de la visite culturelle. CAVES Les feux doux du champagne ar nature, le vin n’aime pas la lumière. Le mariage subtil et secret du soleil et de la terre se consomme en effet à l’ombre fraîche des cuves et des caves. Le champagne, qui a fait la renommée et la fortune de la région éponyme, n’échappe pas à la règle. Mieux, il doit nécessairement dormir trois ans dans une quasi obscurité, protégé des sautes de températures dans l’ombre fraîche et constante des impressionnantes crayères qui serpentent sous les quelque 30 000 ha du vignoble, entre Epernay et Reims. Mis en bouteille et remué régulièrement, le breuvage tiré en grande partie des cépages chardonnay et pinot, s’élabore patiemment pour livrer, une fois débouché, son arôme. P Photo DR Une pénombre baignée de lueur jaune Mise en lumière Les caves de Veuve Cliquot, à Reims, vont bénéficier prochainement d’une véritable mise en lumière. L’éclairage du parcours de visite, signé Eric Pescher, concepteur-lumière qui connaît bien la région, soulignera l’architecture originale des crayères. Diodes, tubes fluorescents, lumières noires et violettes sont programmées dans l’étude nationale. Le résultat sera rendu “public” pour l’été prochain. 22 LUX n° 222 - Mars/Avril 2003 « Le vin n’aime pas la lumière », rappelle le maître de cave de chez Ruinart, « à tel point que l’on parle de goût de lumière pour qualifier les bouteilles qui se sont dégradées en restant trop longtemps à l’exposition de la lumière » (1). Après une telle “mise en bouche”, un article sur l’éclairage des caves de Champagne n’a plus guère de raison d’être, vous direz-vous. En fait, on trouve de la lumière, ou pour être plus précis, des éclairages dans les centaines de kilomètres de caves de Champagne. Un éclairage discret, fonctionnel, qui doit à la fois ne pas altérer le vin, nécessiter un minimum de maintenance et permettre aux cavistes de travailler dans des conditions correctes de sécurité. Ces contraintes s’appliquent en outre pour les plus grandes des quelque 120 célèbres maisons aux nombreux visiteurs français et étrangers venant chaque année visiter les caves avant de déguster cuvées et millésimes réputés. De plus, chaque maison, par son histoire, les produits, la nature de ses caves (la plupart ont été creusées dans la moitié du XIXe siècle) et son marketing, se révèle très différente d’une autre. On ne saurait donc réduire l’originalité de ces Maisons champenoises à un modèle unique. « Ces visites font presque partie du rituel de nos maisons », explique Catherine Curie, responsable Accueil, visites et réceptions, chez Piper-Heidsieck, champagne qui a misé sur un marketing volontairement décalé (c’est le champagne des stars et du cinéma, avec ce que cela suppose de paillettes et de couleurs). Cette maison, basée à Reims, fait visiter depuis une vingtaine d’années ses caves à l’aide d’une petite nacelle filoguidée où sont expliquées à travers une mise en scène résolument ludique (certains diront “inspirée” de Disneyland) les différentes étapes de la récolte et l’élaboration du vin, ainsi que l’histoire de la marque. Certains éléments des décors s’allument alors automatiquement au passage des wagons (sources : RAR1b avec lampe dichroïque). Ce principe de visite, moins tapageur, est aussi appliqué depuis 1989 dans les caves de la Maison Mercier, à Epernay. Après une descente originale en ascenseur où le visiteur à l’impression de descendre du ciel pour plonger dans la terre, ce dernier découvre certains éléments du “patrimoine” de ces caves creusées en 1858 et qui abrite, en plus de son stock de 6 millions de bouteilles, notamment des sculptures creusées à même la craie signées Navlet, ou l’impressionnante allée de Pékin, longue d’un kilomètre. D’autres caves, aussi prestigieuses qu’admirables à l’image des crayères de la Maison Ruinard, celles de Veuve Cliquot ou de Moet & Chandon (28 km de caves pour 30 millions de bouteilles), jouent la sobriété. Le visiteur découvre ainsi ces lieux magiques dans les conditions normales, le “travail” du vin et des hommes, une pénombre baignée des lueurs jaunes du sodium basse pression. Mais la nature témoigne de la “chaleur” de ces lumières, par le travail des champignons qui prolifèrent dans le champ des halos. Taches brunes sur la craie, qui rappellent, si besoin est, que la lumière, même artificielle, reste un élément extrêmement sensible et vivant, en interaction avec l’ensemble de son élément…PH. G. (1) Quelques jours au soleil suffisent pour dénaturer entièrement un flacon