La Lutte contre le cybersquatting: La Belgique adopte une loi

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La Lutte contre le cybersquatting: La Belgique adopte une loi
LA REVUE EN LIGNE DU BARREAU de LIEGE
- ACTUALITES La Lutte contre le cybersquatting: La Belgique adopte une loi relative à
l’enregistrement abusif des noms de domaine sociale
par MES J-F HENROTTE et J-M DELCOUR
6 avril 2004
Avec l’augmentation croissante de la valeur commerciale des noms de domaine1, ainsi que
l’application à leur enregistrement du principe « premier arrivé, premier servi », est apparue, il y a
quelques années, une nouvelle pratique frauduleuse liée à Internet : l’enregistrement abusif des noms
de domaine ou cybersquatting.
Le cybersquatting consiste à enregistrer des noms de domaine afin de (I) les mettre aux enchères ou
les offrir à la vente directement à l’entreprise ou la personne intéressée, (II) les conserver aux seules
fins de nuire à un concurrent et de l’empêcher de se servir de ce nom de domaine ou (III) de se servir
de la notoriété de l’entreprise ou de la personne associée à ce nom de domaine pour attirer des clients
sur leur propre site. Pour plusieurs raisons, qui vont de la nécessité d’avoir des procédures
d’enregistrement simplifiées aux difficultés pratiques liées à la détermination du titulaire des droits
sur un nom en passant par le respect de la liberté d’expression, il n’existe pas d’instrument
permettant aux organismes chargés de l’enregistrement des noms de domaine de filtrer au préalable
les demandes susceptibles de poser problème.
A. Les mécanismes de règlement des litiges
L’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (ICANN), organisme chargé notamment
de la gestion des noms de domaine génériques de premier niveau (Top Level Domain ou TLD), tels
que «.com», «.net» et «.org», s’est rapidement trouvée dans l’impérieuse nécessité de solutionner la
difficulté du règlement des litiges relatifs à l’enregistrement abusif des noms de domaine.
Avec l’appui de ses états membres, l’OMPI (Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle),
qui a pour mandat de promouvoir la protection de la propriété intellectuelle dans le monde, a donc
décidé de mener de vastes consultations auprès des membres de la communauté mondiale de
l’Internet et a, au terme de celles-ci, rédigé et publié un rapport contenant des recommandations sur
les questions relatives aux noms de domaine. Sur la base de ces recommandations, l’ICANN a
ensuite adopté les principes directeurs concernant le règlement uniforme des litiges relatifs aux noms
1
La loi définit en son article 2 le nom de domaine comme étant « une représentation alphanumérique d’une adresse
numérique IP (Internet Protocol) qui permet d’identifier un ordinateur connecté à l’Internet; un nom de domaine est
enregistré sous un domaine de premier niveau correspondant soit à un des domaines génériques (gTLD) définis par
l’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (ICANN) soit à un des codes de pays (ccTLD) en vertu de
la norme ISO-3166-1.
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de domaine (principe UDRP), lesquels sont entrés en vigueur le 1er décembre 1999. Ces principes
prévoient notamment, en matière d’enregistrement abusif des noms de domaine, la possibilité
d’entamer une procédure auprès d’un organisme d’arbitrage agréé par l’ICANN.
A l’heure actuelle, quatre organismes d’arbitrage ont été agréés par l’OMPI, le National Arbitration
Forum, le Consortium e-Resolution et le CPR Institute for Dispute Resolution. L’objet de cette
procédure est strictement limité aux hypothèses de cybersquatting. Le requérant qui dépose plainte
auprès d’un des quatre organismes précités indique, entre autres, la mesure dans laquelle le nom de
domaine est identique ou semblable au nom sur lequel il possède des droits, la raison pour laquelle le
défendeur doit être considéré comme n’ayant ni droit, ni intérêt légitime à l’égard du nom de
domaine qui fait l’objet de la plainte, et la raison pour laquelle le nom de domaine doit être considéré
comme ayant été enregistré de mauvaise foi. L’organisme désigne un expert qui décide si le nom de
domaine doit être transféré ou non. Les décisions rendues sont contraignantes dans le sens où les
unités d’enregistrement agréées par l’ICANN sont tenues de prendre les mesures nécessaires pour les
faire appliquer. Toutefois, en vertu des principes UDRP, il est toujours possible de porter le litige
devant une instance judiciaire compétente, dont l’introduction suspendra, sous certaines conditions,
l’exécution de l’éventuelle décision. Les principes UDRP ne prévoient pas l’imposition d’indemnités
pécuniaires ou de mesures conservatoires.
Bien que conçus à l’origine pour régler les litiges relatifs aux noms de domaine génériques de
premier niveau, certains services d’enregistrement de noms de domaine de premier niveau
géographiques, par exemple «.mx» pour le Mexique ou «.fr» pour la France, ont également adopté
les principes UDRP et ont désigné un ou plusieurs des organismes d’arbitrage agréés par l’ICANN
comme institution de règlement des litiges. En Belgique, l’ASBL Domain Name Registration
Belgique (en abrégé DNS-be), qui assure la gestion de l’enregistrement des noms de domaine sous le
«.be», n’a pas choisi d’adopter les principes UDRP.
B. L’initiative belge
Le gouvernement belge a très tôt jugé nécessaire de légiférer en matière de cybersquatting. Il a ainsi
rédigé un avant-projet de loi en la matière dès décembre 1999.
Ce n’est cependant qu’en décembre 2000, après que les règles relatives à l’attribution des noms de
domaine sous «.be» aient été libéralisées, et attribuées sous la seule règle du « premier arrivé,
premier servi », que les choses se sont véritablement accélérées. DNS.be décidait de confier au
CEPANI, le centre belge d’arbitrage et de médiation, le soin de mettre en place une procédure de
règlement des litiges. Le règlement entrait en vigueur le 12 décembre 2000.
La procédure, qui se caractérise par une très grande rapidité et par le fait qu’elle se déroule en ligne
sans qu’en principe, les parties ne comparaissent devant le tiers chargé de trancher le litige, aboutit à
une décision communiquée à l’ASBL DNS.be, laquelle la met en œuvre, par exemple en radiant le
nom d’un domaine ou en modifiant le nom de son titulaire.
Dès le 26 janvier 2001, le gouvernement belge adoptait un projet de loi relative à l’enregistrement
abusif des noms de domaine qu’il déposait devant la Chambre des Représentants. Ce projet de loi a
ensuite été soumis à une procédure de notification auprès de la Commission européenne dans le
cadre de la directive 98/34 qui instaure un mécanisme de transparence réglementaire pour les
services de la société de l’information.
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Datée du 26 juin 2003, la loi relative à l’enregistrement abusif des noms de domaine a été publiée au
Moniteur belge le 9 septembre 2003 (http://www.moniteur.be). Cette loi, entrée en vigueur le 19
septembre 2003, offre la possibilité aux personnes qui s’estiment lésées de revendiquer en justice le
droit sur leur nom de domaine. Elle s’applique à l’enregistrement abusif de noms de domaine.
L’article 4 de la loi définit comme abusif l’enregistrement effectué (1) sans avoir ni droit ni intérêt
légitime à l’égard d’un nom de domaine, (2) dans le but de nuire ou d’en tirer indûment profit, (3)
soit identique, soit semblable au point de créer un risque de confusion, notamment, à une marque, à
une indication géographique ou une appellation d'origine, à un nom commercial, à une oeuvre
originale, à une dénomination sociale ou dénomination d'une association, à un nom patronymique ou
à un nom d'entité géographique appartenant à autrui.
Est donc aussi ici visé, contrairement aux lignes directrices pour la résolution des litiges prévues
dans les conditions générales de DNS-be, la violation du droit d’auteur. Le mot «notamment » laisse,
en sus, d’autres possibilités aux plaideurs.
On notera également qu’est visé l’enregistrement abusif d’un nom de domaine «sous le domaine .be»
mais aussi tout autre enregistrement abusif «par une personne ayant son domicile ou son
établissement en Belgique». L’enregistrement d’un autre nom de domaine que le domaine
géographique national est donc ici visé, à l'inverse des lignes directrices de DNS-be.
Cependant, le nom de domaine n’est pas placé immédiatement et automatiquement « on hold »
comme dans la procédure de résolution de litige. Il suffira toutefois d’informer DNS-be de
l’introduction de la procédure judiciaire pour que le nom de domaine soit placé « on hold » par
l’ASBL.
La loi crée une nouvelle action en cessation, comparable à celle instituée par l’article 95 de la loi du
14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l’information et la protection du consommateur
(LPC), au profit de toute personne qui justifie d’un intérêt légitime à l’égard du nom de domaine
concerné et qui peut faire valoir un droit sur l’un des signes distinctifs précités. Les conditions de
l’action en cessation doivent cependant être considérées comme plus exigeantes que celle de l’action
tirée de l’article 95 LPC. En effet, la démonstration pas toujours évidente d’un élément intentionnel
(volonté de nuire ou volonté de profit illégitime) constitue ici une exigence qui n’est pas requise par
la LPC. Cette exigence supplémentaire est cependant limitée par l’article 3 de la loi qui précise que
celle-ci s’applique sans préjudice des dispositions protectrices et procédures de droit commun en
vigueur, notamment en matière de pratique du commerce.
En outre, bien qu’elle reprenne les principes de la loi sur les pratiques du commerce, la nouvelle
action en cessation contient plusieurs innovations intéressantes. Ainsi, l’action peut être introduite à
l’encontre de tout détenteur d’un nom de domaine, même non commerçant. Cette initiative nous
semble très heureuse, car les cybersquatteurs sont fréquemment des particuliers qu’il est souvent
malaisé d’assimiler à des commerçants (ou vendeurs au sens de la loi sur les pratiques du
commerce).
L’action peut donc être intentée tant devant le Président du Tribunal de commerce que devant le
Président du Tribunal de première instance et ceux-ci peuvent ordonner aux cybersquatteurs qu’ils
radient ou transfèrent le nom de domaine en question à la personne désignée. Des mesures de
publicité du jugement peuvent également être prononcées.
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Cette action peut être formée par requête déposée au greffe du tribunal ou envoyée à ce greffe par
lettre recommandée à la poste. Le demandeur pourra donc exposer des coûts relativement faibles
puisqu’il pourra faire l’économie d’une citation. Par ailleurs, il nous semble que la requête pourra
être adressé par recommandé électronique, en vertu de l’article 144 octies de la loi du 21 mars 1991
tel que modifié en 2002 par la loi-programme, dès que les greffes auront été dotés d’adresse de
courriel.
Les opinions émises dans LA REVUE EN LIGNE DU BARREAU de LIEGE
n'engagent que leur(s) auteur(s) et nullement l'Ordre des Avocats du Barreau de Liège
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