SANDU, Traian, "Les Roumains dans l`entre-deux-guerres
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SANDU, Traian, "Les Roumains dans l`entre-deux-guerres
Traian SANDU Les Roumains dans l’entre-deux-guerres La modernisation contrariée Dans les actes du colloque L’Europe centrale du traité de paix de Saint-Germain-en-Laye à la Deuxième Guerre mondiale du 21 mai 2005, organisé par la Ville de Saint-Germain et les Amis du Vieux Saint-Germain. Avant d’évoquer l’histoire d’un pays, donc de jouer au chroniqueur averti, il faut s’interroger sur notre propre approche des événements du passé, donc sur l’historiographie. En France, la Roumanie apparaît comme un espace privilégié en raison de l’influence politique et culturelle exercée à l’époque de Napoléon III, puis dans l’entre-deux-guerres et même à l’époque de De Gaulle. Ces fameuses affinités fondées aussi sur la latinité de la langue roumaine, ont façonné une certaine sympathie qui se ressentit sur la manière d’écrire l’histoire. Trois manières d’aborder le passé ont dominé successivement l’historiographie roumaine et française : - la 1ère exalte les hauts-faits nationaux, donc privilégie les événements politiques et militaires, de préférence valorisants, même si les moments de malheur peuvent aussi renforcer la cohésion nationale et déculpabiliser l’opinion des mauvais choix effectués par les dirigeants. Cette approche nationaliste insiste sur la particularisme défensif de la Roumanie (îlot de latinité et bouclier de la Chrétienté contre les invasions, alors qu’en réalité cette latinité ne s’est dégagée qu’au début du XIXe avec la fixation des langues nationales dans cette région et que les pays roumains ont surtout tenté de préserver un peu d’autonomie en entrant dans les clientèles des puissances environnantes – les mêmes discours se retrouvent chez les autres nations). Cela n’empêche que ce retournement « héroïsant » de l’adaptabilité culturelle et de l’opportunisme international domine l’historiographie roumaine et française, aussi bien au XIXe après la réunification des provinces de Valachie et de Moldavie (carte n°1) entre 1859 et 1866 et l’obtention de l’indépendance par rapport au suzerain ottoman au Congrès de Berlin en 1878 et 1881, qu’au XXe après l’annexion de la Bessarabie et de la Transylvanie, ou dans les années 1960, 70 et 80, où le national communiste Ceausescu tentait de se donner une légitimité autre que le coup de force soviétique et l’assise ouvriériste fort maigre encore dans la Roumanie rurale de l’immédiat après-guerre. - la deuxième tendance historiographique prend le contre-pied de la première en comparant la Roumanie aux autres pays, ce qui fait ressortir les retards structurels, en matière de développement économique (industrialisation, puis tertiarisation de la production), d’équilibres sociaux (passage tardif des ordres féodaux des boyards à la société de classes d’une bourgeoisie tardive), de culture politique moderne (absence démocratie, clientélisme). Cette tendance critique s’est surtout développée lors de la dérive totalitaire de Ceausescu des années 80. - la troisième tendance se développe après 1989, comme un prolongement européiste de la première tendance nationaliste et promue souvent par les mêmes historiens reconvertis : elle insiste sur l’apport de la Roumanie à la civilisation du continent, voire de l’humanité, pour justifier les intégrations euratlantiques aux nouvelles puissances dominantes. Alors quel angle d’attaque adopter face à cette « offre » historiographique divergente ? Le choix que j’opère consiste à articuler les deux premières approches, en évitant les défauts de chacune d’entre elles : aux périodes de crise politique, notamment autour des deux guerres mondiales et de leurs conséquences, il faut appliquer un traitement traditionnel, événementiel, aux périodes de relative stabilité, s’interroger sur les tentatives de rattrapage. Je n’oublierai néanmoins pas le titre initial de mon intervention, qui met la modernisation du pays au centre des préoccupations de ses dirigeants. En effet, les périodes de crise sont suivies de bouleversements globaux qui provoquent des réformes, voire des révolutions d’ensemble que le regard englobant du géopoliticien ne peut ignorer. Ainsi, les trois grandes périodes du XXe débutent par des crises (1916-1919 ; 1940-1947, 1989) qui débouchent toutes sur de longues phases de modernisation spécifique, souvent impulsées par la puissance dominante dans la région centre-européenne. La notion de modernité pose en effet problème non seulement par son caractère importé – renvoyant à un modèle dominant exogène -, mais également par la voie que la Roumanie, comme d’autres petits et moyens pays de la région, emprunte pour atteindre cet objectif. Considérant la période 1916 – 1940, qui correspond à l’extension territoriale maximale (cf. carte n°1), la question porte sur la capacité à répondre au double défi lancé dans toute l’Europe : la démocratisation exigée par les sacrifices des tranchées et le décollage économique grâce aux ressources naturelles – céréales et pétrole – le tout dans un contexte international délicat d’irrédentisme sur quasiment toutes ses frontières, et notamment sur sa frontière orientale face à la puissance soviétique. I/ La position internationale de la Roumanie. Une des controverses historiques assez vaines liées à l’inscription de la Roumanie dans le Premier conflit mondial porte sur son statut d’allié, qui lui a permis de figurer parmi les grands bénéficiaires de l’ordre de Versailles. En effet, la Roumanie n’est entrée en guerre qu’en août 1916, pour appuyer le flanc sud de l’offensive Broussilov de juin, et contre des promesses territoriales très étendues au détriment de l’Autriche-Hongrie. Sa rapide défaite suivie de l’occupation d’une grande partie du territoire est autant due à l’ampleur de la contre-offensive des Centraux (ce qui a effectivement soulagé Verdun) qu’au choix de Bucarest de s’emparer en priorité de la Transylvanie, au lieu de s’attaquer plus sérieusement à la Bulgarie comme convenu avec l’Entente, afin de tenter la jonction avec l’Armée de Salonique de Sarrail et d’obtenir le matériel qui lui fit cruellement défaut. L’année 1917 correspond d’abord aux combats d’arrêt de l’été sur les cols des Carpates – transformés par l’historiographie roumaine en moments de gloire militaire nationale, en sachant toutefois que la capacité retrouvée était largement due à la réorganisation de l’armée par la mission du général français Berthelot – ainsi qu’à l’écroulement du front oriental après la révolution d’octobre, qui aboutissent en mai 1918 à la paix séparée de Bucarest, parallèle à celle de Brest-Litovsk. C’est dans ce contexte qu’intervient paradoxalement le premier agrandissement territorial par l’annexion de la Bessarabie, province russe à majorité roumanophone, où les Moldaves l’emportent sur les russophones et sur les Ukrainiens et font appel aux troupes roumaines en janvier 1918 : ni les Centraux, ni l’Entente n’ont intérêt à contrarier l’opération, sans toutefois la reconnaître officiellement encore, donc l’union à la Roumanie est proclamée le 9 avril 1918. Le basculement de la Roumanie du côté de l’Entente s’effectue grâce à la propagande des ententistes roumains, notamment à Paris (Conseil national de l’Unité roumaine) et en Transylvanie, où les Roumains s’organisent dans le Conseil national roumain et participent au démantèlement de l’Autriche-Hongrie (octobre-novembre 1918). La Roumanie rentre donc en guerre le 10 novembre et ses troupes pénètrent en Transylvanie. A la Conférence de la Paix, la France apparut comme le principal arbitre des questions continentales. Clemenceau accepta de recevoir les revendications roumaines, eu égard à l'application du principe des nationalités, à la présence de troupes roumaines en Bucovine et en Transylvanie qu'elle convoitait, ainsi qu'en Bessarabie, et surtout à l'appui que cette armée pouvait apporter à la France en Russie du sud contre les Soviets. En effet, dans le dispositif français de revers en gestation, la Roumanie tenait, aux côtés de la Pologne, un rôle dans le "cordon sanitaire" anti-bolchevik de Foch au cas où la Russie aurait tenté de faire sa jonction avec l'Allemagne. Les délégués français soutinrent donc globalement les revendications roumaines, sauf sur le Banat occidental, qui revint aux Serbes. En réalité, la Roumanie fut d’un faible secours à la France dans son intervention dans la guerre civile russe, puisque Bucarest, comme Varsovie, avait plutôt intérêt à la victoire des Bolcheviks prêts à lâcher les marges de l’Empire plutôt qu’à un retour des Russes blancs. Elle éluda donc un appui aux Blancs durant toute l’année 1919, qu’elle passa à combattre les bolcheviks hongrois et à occuper Budapest plutôt que d’obéir aux injonctions françaises d’intervention en Russie et de commandement unifié en Orient sous autorité française. La Hongrie ne représentait en effet pas un danger pour la France, qui aurait souhaité son intégration économique dans l'ensemble danubien, d'autant que ses dirigeants, dans l'espoir d'éviter son démantèlement, avaient promis au Quai d'Orsay de se ranger dans la sphère d'influence française. La Pologne l'aurait également souhaité, par espoir d'appui antibolchevik, notamment au moment du danger maximal lors de la guerre russo-polonaise, en août 1920. Mais le prix révisionniste était trop cher à payer et le traité de paix fut signé à Trianon en juin 1920. Toutefois, les rumeurs de ces négociations suffirent à inquiéter les petits vainqueurs danubiens, qui amorcèrent leur union dès août 1920 au sein de la "Petite Entente" - trilatérale Roumanie-Tchécoslovaquie-Yougoslavie. A partir de juin 1921, la France se rallie clairement au système centre-européen restreint que représente la Petite Entente. En somme, au printemps 1921, la France avait stabilisé sa politique centre-européenne autour de la Pologne et de la Petite Entente, deux entités faiblement articulées par la Roumanie, mais sérieusement divisées par le contentieux polono-tchèque. La suite de l’évolution de la Roumanie sur l’échiquier européen démontra son faible intérêt pour la France, notamment lors de la crise de la Ruhr de 1923, véritable mise à l'épreuve de la solidité du lien franco-centre-européen. En effet, dès Gênes, les petits alliés d'Europe centrale se préoccupaient de la mésentente croissante entre la France et l'Angleterre. Ils craignaient que l'appui anti-allemand et anti-soviétique de la France fût insuffisant, en raison de l'absence de l'unité de front avec la Grande-Bretagne, qui était favorable à une politique conciliante envers les puissances vaincues ou marginalisées. Poincaré comprit alors l’insuffisance du système centre-européen et se dirigea, dans les derniers mois de son mandat, vers un rapprochement avec les Anglo-Américains et des tâtonnements avec l’Union Soviétique, annonçant ainsi dès le début de 1924 la politique de Herriot de reconnaissance de l’URSS et la politique de Briand de Locarno de rapprochement avec l’Allemagne sous égide britannique. Dès lors, le traité franco-roumain de juin 1926, comme les autres traités que la diplomatie de Briand signa avec les PECO, n’avait plus de réelle portée sécuritaire pour la France, sauf de tenir en échec l’offensive de la modeste puissance de l’Italie mussolinienne, et ce jusqu’en 1932-1933, lorsque ces alliances seront réactivées dans un autre but, à savoir servir de pont stratégique à l’armée rouge dans un éventuel encerclement de l’Allemagne. Au début de l'arrivée au pouvoir d'Hitler la France et l'Italie essayèrent de s'entendre pour brider l'expansionnisme allemand vers l'est. Mussolini craignait qu'Hitler n'annexât l'Autriche -limitrophe de l'Italie- et ne menaçât l'expansionnisme italien en Europe centrale. Il prit l'initiative d'un "directoire à quatre" des grandes puissances européennes -France, Allemagne, Italie et Angleterre. Son projet prévoyait des révisions territoriales en faveur de ses clients centre-européens, l'Autriche et la Hongrie. Mais au Quai d'Orsay, de nombreux fonctionnaires restaient attachés aux alliances centre-européennes, au statu quo territorial et à la défense de la SDN, dont le projet mussolinien rognait les prérogatives. Surtout, la Petite Entente et la Pologne réagirent violemment: dès février 1933, la Petite Entente avait renforcé son unité et avait déclaré qu'elle interdisait aux grandes puissances de disposer du territoire des petites sans leur consentement; le Ministre des Affaires étrangères polonais, le colonel Joseph Beck, menaça même de se rapprocher de l'Allemagne en cas de succès du Pacte à Quatre. La France céda donc, et le texte finalement paraphé en juin 1933 confirmait l'autorité de la SDN en matière de révision; la Petite Entente et la Pologne avaient ainsi ramené la France à sa politique de revers traditionnelle. Mais pour assurer son efficacité, il fallait renforcer le lien soviétique. Les Etats limitrophes de l'Union Soviétique comprennent la nécessité de s'en rapprocher: le Roumain Titulescu devient un chaud partisan de l'intégration de son pays à un système franco-russe, qui aurait permis une pression conjointe sur l'Allemagne. Mais c'est de Pologne que vinrent les premiers craquements: elle tenta de pratiquer une politique autonome d'équilibre entre l'Union Soviétique et l'Allemagne; elle conclut donc également un pacte de non-agression avec l'Allemagne en janvier 1934. La France ressentit mal ce geste, dont elle n'avait pas été prévenue, même si Beck se voulait rassurant sur l'avenir des relations francopolonaises. La réaction française fut menée par Louis Barthou, ministre des Affaires étrangères à partir de février 1934. Ce patriote est bien décidé de contrer l'Allemagne, quitte à nouer une alliance avec l'Union Soviétique. Dans cette optique, l'Europe centrale est utile, mais insuffisante: il faut l'ancrer de nouveau fermement à la France, ne serait-ce que pour fournir un pont à d'éventuels mouvements de troupes soviétiques vers l'Allemagne. Pour cela, Barthou entreprend "la tournée des petits alliés" en avril, puis en juin 1934; à Bucarest, il assista avec satisfaction à la Conférence des ministres des Affaires étrangères de la Petite Entente, car la Roumanie et la Tchécoslovaquie venaient de reconnaître l'Union Soviétique quelques jours auparavant. Barthou négociait en même temps un pacte oriental avec l'Union Soviétique, la Pologne et l'Allemagne. Comme prévu, les deux dernières refusèrent d'y adhérer en septembre 1934: l'Allemagne ne pouvait accepter une politique qui l'annihilait, notamment en Europe centrale; la Pologne refusait de choisir entre Allemagne et Union Soviétique, et craignait le passage des troupes soviétiques sur son territoire. Mais l'assassinat de Barthou et du roi Alexandre de Yougoslavie à Marseille, le 9 octobre 1934, par des terroristes croates, sonne le glas d'une politique extérieure ferme fondée sur des alliances de revers, même si l'Europe centrale n'en représente plus l'élément essentiel. Pierre Laval, le successeur pendant quinze mois de Barthou, est un pacifiste de vieille date, qui tient à éviter de provoquer l'Allemagne par un rapprochement trop marqué de l'Union Soviétique. C'est ainsi qu'il tenta d'abord de renouer avec l'Italie, malgré la Yougoslavie, pour contenir l'Allemagne. Lors de son voyage à Rome de janvier 1935, Laval et Mussolini furent d'accord pour maintenir l'indépendance de l'Autriche et pour reconcilier leurs clients centre-européens, mais la France recula lorsque Mussolini, par la suite, voulut en obtenir un ferme traité d'alliance. La politique soviétique fut grevée par la Pologne: Laval enleva du projet de traité de Barthou l'automaticité de l'assistance militaire franco-soviétique. Le traité signé en mai 1935 n'inspire alors plus une grande confiance à Moscou, même s’il est complété le même mois par un traité tchéco-soviétique destiné à assurer le passage des troupes soviétiques : celui-ci n’est toutefois possible que si la Pologne ou la Roumanie autorisent ce passage : comme Varsovie s’y refuse absolument, c’est Bucarest qui entame, sans grand enthousiasme, des négociations en ce sens. Laval n'est donc pas parvenu à définir une politique centre-européenne française. Ainsi, Hitler put facilement éclater le lien entre la France et l'Europe centrale en remilitarisant la Rhénanie, en mars 1936. En effet, le secours que la France pouvait apporter à l'Europe centrale dépendait de sa capacité à franchir en toute sécurité le Rhin, démilitarisé en Allemagne par le traité de Versailles. Or, entre 1930 et 1934, la France se dote de la ligne Maginot, barrière défensive qui contredit le principe diplomatique d'alliance de revers, fondé sur l'intervention conjointe en Allemagne. Et lorsque Hitler occupe militairement la Rhénanie sans rencontrer de véritable résistance française, les pays d'Europe centrale comprennent l'ampleur du fossé stratégique qui s'est creusé entre la France et eux. Titulescu, partisan du traité roumano-soviétique permettant le passage de l’armée rouge, est limogé en août. L'Allemagne possédait un autre atout en Europe centrale: la pénétration commerciale. Mais la Roumanie ne céda que très difficilement à Hitler son atout pétrolier, ne faisant que des concessions au goutte à goutte jusqu’en mai 1940, lorsque la défaite de la France et l’imminence de l’application du pacte Molotov-Ribbentrop à la Roumanie l’obligèrent à choisir le camp allemand, ce qui ne lui épargna pas la débâcle territoriale. Voilà donc pour la situation internationale de la Roumanie entre les deux guerres. J’aborde maintenant le second aspect de cette période, qui relève de la modernisation des structures du pays. II - Une modernité imposée par la guerre Une fois les crises militaires ouvertes passées, ce pays devient un laboratoire des idéologies et des pratiques politiques nouvelles. Ainsi, la société traditionnelle encore puissante, en retard de plus d'un demi-siècle sur les évolutions occidentales, peut-elle résister à la question des minorités générée par les annexions, à une démocratisation brutale qui donne le suffrage universel aux masses paysannes, à l'industrialisation, au socialisme encouragé par la proximité offensive de la Russie des Soviets ? La première dimension de l’étude présente le choc d’une guerre longue et dévastatrice sur des structures socio-politiques traditionnelles : l’irruption du facteur populaire souligne le rôle de la guerre comme source de démocratisation et génère des bouleversements nationaux, sociaux et politique. La réaction des sociétés fut brutale : si la tentation communiste se révéla forte aux deux extrémités de la période, ce fut l’élaboration d’un fascisme sui generis, pseudoreligieux et pseudo-agraire, qui marqua un espace où les dictatures traditionnelles, revigorées par un vernis fascisant, finirent malgré tout par s’imposer à une société civile encore rurale et soumise à l’État et à ses attributs d’ordre -monarchie, Églises et armée. A/ La guerre, source imparfaite de démocratisation 1/le choc de la guerre : la fin des sociétés traditionnelles Le recensement roumain de 1930 livre des proportions d’environ 80% de ruraux, malgré l’annexion des régions occidentales issues du démembrement de l’Autriche-Hongrie, plus modernes, mais équilibrées par l’annexion de la Bessarabie russe à dominante agricole. Une des caractéristiques de cette population était son taux élevé d'analphabétisme (42%), la religiosité. La quiétude de la société traditionnelle sera définitivement rompue par les guerres. Jusqu´alors, l´action politique à connotation nationale était le privilège des élites. Les échos de cette agitation d´une couche finalement assez mince de la population, composée des hommes politiques, fonctionnaires, hommes de lettres, voire des étudiants et des avocats, arrivaient sporadiquement dans les campagnes. Cette action politique -à cause d’un cens électoral important- ne pouvait pas influencer les rythmes traditionnels de la vie paysanne. Les guerres, avec la progressive disparition des structures étatiques propres aux empires, vont transformer profondément la vie dans les campagnes selon 3 modalités principales : l’idéologisation -avec la nationalisation de la sphère publique-, la militarisation de la société, et les très importants mouvements de populations. * l’idéologisation Les guerres vont introduire, à des degrés divers, une équation plus qu´explosive : l’appartenance religieuse entraîne une appartenance nationale et cette dernière justifie toutes les exactions. L’occupation de la Roumanie s’accompagna de réquisitions et d’un exode catastrophique au tournant des années 1916-1917 ; l’armée roumaine rendra sa pareille par l’ampleur des réquisitions lors de l’occupation de la Hongrie occidentale jusqu’à Budapest entre août 1919 et juin 1920. Si donc l´appartenance nationale définit le sort du paysan, celui qui décide de son sort porte, pendant cette période, la plupart du temps un uniforme. * la militarisation Les guerres mobilisent une bonne partie de la population masculine. Le désastre militaire fut imputé à la mauvaise préparation de la guerre par les civils et c’est au général Averescu, qui devint de manière éphémère chef du gouvernement en février-mars 1918, que le roi et la classe politique espéra faire endosser la dure paix séparée de Bucarest de mai 1918. * les mouvements de population Encadrés par les militaires, les paysans-soldats quittent leurs villages pour se rendre sur des champs de batailles bien éloignés de leurs villages. Les atrocités de la guerre vont changer profondément leur manière d´imaginer leur existence. La guerre leur permet d´élargir aussi leurs horizons d´une manière inattendue. Citons l´exemple des prisonniers qui vont se trouver en Russie au temps des révolutions de 1917. À leur retour, ils apportent avec eux une nouvelle conception de l´organisation de la société. En Moldavie, la présence de troupes russes alliées en pleine débandade révolutionnaire fit vaciller la monarchie roumaine affaiblie. Les hommes politiques avaient la lourde tâche de répondre aux attentes nouvelles des paysans-soldats. 2/ la modernisation des structures et de la vie politiques Les aspirations politiques et sociales des paysans-soldats peuvent être résumées en deux points : la démocratisation politique et un agenda social pour la redistribution des terres. * démocratisation Les aspirations politiques exigeaient le changement du cadre constitutionnel afin que toutes les couches de la société puissent participer à la vie politique, et l´articulation des exigences de la société au travers de formations politiques existantes ou nouvelles. Le problème constitutionnel dut être affronté dès les modifications territoriales dans un climat international peu favorable. Face aux pressions extérieures, la cohésion intérieure était délicate à obtenir. La Roumanie dut adopter une nouvelle constitution comportant le suffrage universel sous la pression des défaites et de la révolution de février. Le suffrage universel masculin, promis par le roi de Roumanie sur le front, inspira la modification constitutionnelle de juillet 1917 ; les actes d’union de 1918 avec les nouvelles provinces l’exigeaient également ; un cinquième de la population avait ainsi reçu le droit de vote au milieu des années vingt -soit 3400000 électeurs. La monarchie constitutionnelle à l’occidentale qui prévoyait la division des pouvoirs et la subordination de l’exécutif au législatif fut « corrigée » dans un sens autoritaire : le roi héritait du pouvoir de désigner le Premier ministre, qui pouvait alors mettre l’appareil administratif au service de son parti, qui était dès lors certain de gagner les élections. Ce facteur royal fut consolidé par la réforme de 1926, qui accordait la majorité parlementaire au parti qui réunissait 40% des voix : cette prime électorale, ajoutée au phénomène de la dot électorale -comportement d’un électorat peu structuré qui votait de préférence pour le parti au pouvoir par inertie et dans l’espoir de profits clientélistes- dessina un système en partie hérité d’une période censitaire aux bases électorales étroites. Cette interprétation des divers régimes était liée au caractère des systèmes de partis et à l’état de la culture politique de sociétés encore traditionnelles. La floraison de partis catégoriels -agrarien de gauche, social-démocrate, populiste de la Ligue du Peuple pour les plus importants- et régionalistes -national transylvain, bessarabe, bucovinien, allemand, juif, etc.- fut rapidement mise au pas par le retour des nationaux-libéraux du clan Bratianu, représentants de la bourgeoisie affairiste progressiste au XIXe siècle et détenteurs des principaux leviers de l’économie urbaine naissante. Les années 1920 à 1928 restent dominées par le Parti National-Libéral et les principes autoritaires, protectionnistes et clientélistes des Bratianu, également hostiles aux communistes et aux extrémistes de droite. La politique réellement démocratique, décentralisatrice et d’ouverture économique des Nationaux-Paysans entre 1928 et 1931 -à la suite de la fusion entre agrariens de gauche et Transylvains modérés en 1926- fut brisée net par la crise de 1929 et la restauration du roi Carol II. Carol se lança dans une politique dynamique de division des partis afin d’instaurer un régime autoritaire de droite, qui excluait toutefois l’extrême droite fasciste. * égalisation : la réforme agraire Le succès relatif de la réforme roumaine fut en partie redevable à l’expropriation des optants, ces grands propriétaires transylvains d’origine magyare qui optèrent pour la nationalité hongroise et perdirent ainsi, en tant que propriétaires absentéistes, leurs droits. Mais le choc de la révolution russe fut aussi à l’origine de cette mesure assez radicale, puisque le roi la promit, comme le suffrage universel, dès 1917 sur le front : les deux tiers des propriétés de plus de cent hectares furent ainsi démantelés et 1,4 millions de familles reçurent 3,7 millions de hectares de terrain arable et 2,7 millions de hectares de terrains communaux. Malgré l’ampleur de l’opération -les trois quarts des surfaces agricoles furent détenues par les petits propriétaires de moins de 10 hectares-, la taille moyenne de l’exploitation paysanne fut de 3,8 hectares, alors que le seuil de rentabilité se situait autour de 5 hectares et que la division successorale menaçait, en absence d’une économie urbaine susceptible d’absorber le surplus de main-d’œuvre. Précisément, les grands troubles idéologiques, politiques et culturels ne portèrent plus seulement sur la question paysanne, mais sur la mobilisation de la masse rurale par les mouvements extrémistes modernes -de gauche et de droite- aux assises urbaines. B/ La brutalisation, fille de la démocratie ? Brusquement promue acteur politique majeur, la société paysanne devint l’objet des sollicitations de trois grands courants politiques : L’agrarianisme de la gauche modérée, qui prévoyait la modernisation progressive et harmonieuse de l’économie nationale par l’ouverture aux capitaux et aux technologies occidentales en échange d’exportations agricoles correctement rémunérées, se brisa sur la crise de 1929, qui déprécia les matières premières et tarit les flux financiers et commerciaux internationaux. Le communisme, tôt interdit dans les trois pays, opérait plutôt dans les milieux urbains sous couvert d’associations aux dénominations diverses, surtout en Roumanie après le rapprochement avec l’Union Soviétique de 1933-1936, puis en Yougoslavie durant la guerre. Surtout, diverses formes de fascisme agraire, adapté à la société paysanne et religieuse de cet espace, tentèrent de l’embrigader et de canaliser sa capacité et sa disponibilité politiques sous des formes propres, convergentes pour les trois États. 1/ des communismes réprimés, puis réveillés Si la majorité des membres du Conseil général du Parti Socialiste et des syndicats vota l’adhésion à la Troisième Internationale le 3 février 1921 et fonda le Parti Communiste le 11 mai, l’aile centriste entra dans le parti sans participer à sa direction : la méfiance était trop forte à l’égard de l’Union Soviétique, qui contestait les annexions et notamment celle de la Bessarabie russe, pour laquelle elle réclamait un plébiscite. Cette exigence ne devint toutefois explicite qu’en décembre 1923 et à la suite des négociations roumano-soviétiques de Vienne en mars-avril 1924 : le 23 juillet, le parti fut dissout par une ordonnance militaire et à partir d’août tous ses secrétaires généraux furent choisis parmi les minoritaires de Roumanie, voire parmi des citoyens étrangers. Les communistes roumains, ainsi discrédités et marginalisés, cherchèrent alors à collaborer avec les sociaux-démocrates et avec les agrariens lors des élections locales de 1926, afin de ne pas perdre le contact avec les masses qu’ils prétendaient représenter. Leurs succès -sous l’appellation de Bloc Ouvrier-Paysan- leur attirèrent les foudres de Moscou, à la suite de quoi le premier secrétaire général de 1921 à 1924, Gheorghe Cristescu, fut exclu. Le parti glissa par la suite dans une radicalisation pro-moscovite qui réduisit à presque rien son impact sur les masses : la démocratisation consécutive à la guerre ne lui bénéficia en rien en raison de son idéologie centrée sur la dictature et de sa soumission aux oukases de Moscou. 2/ archaïsme et modernité des fascismes Les fascismes centre-européens s’imposèrent comme des solutions radicales aux questions essentielles posées par la guerre et qui n’avaient pas été résolues par les régimes (semi-)démocratiques modérés précédents. Évidemment, la crise, puis la guerre, firent ressortir ces manquements et dirigea une partie de la population vers ce type de mouvements ; mais le personnel et l’idéologie étaient en place bien avant. * spécificités : importance d’un traditionalisme de façade Plusieurs raisons rendent compte de la place centrale de la religion dans le fascisme roumain. Sans exclure la vie spirituelle attestée des chefs du mouvement ou l’importance de la réaction contre l’athéisme communiste, deux motifs plus circonstanciés s’imposent. Ces jeunes intellectuels «spiritualistes», arrivés trop tard pour s’enthousiasmer pour des causes politiques nationales -l’indépendance ou la formation de la Grande Roumanie réalisée par leurs aînés-, prétendaient apporter à leur pays un supplément d’âme et le faire accéder à une mission historique universelle. Leur messianisme s’extériorisa et se popularisa sous la forme d’une transfiguration spirituelle devant aboutir à un homme nouveau chez les Roumains -révolution qui recouvrait en réalité la frustration devant l’absence d’unité du pays après les annexions. D’autre part, la référence constante à la religion, à la monarchie, à la patrie, était aussi un moyen de s’attirer les masses paysannes. La Garde de Fer roumaine poussa le plus loin ces pratiques. Les légionnaires organisèrent des campements de travail au sein desquels ils participaient aux travaux des champs aux côtés des paysans, dans le style des populistes russes d'extrême gauche des années 1870; ceci met en valeur leur filiation idéologique avec les agrariens de gauche d’avant 1914, ainsi que leur réaction contre les informations venues d’Ukraine sur l’industrialisation par la terreur de masse. Ils adoptèrent une mystique terrienne, mais accompagné d'une religiosité très démonstrative, qui les distinguait en apparence des autres fascismes européens par le traditionalisme de leur philosophie. Néanmoins, leur mouvement présentait bien les caractères du premier fascisme définis par Pierre Milza : il s'appuyait sur une paysannerie mal restructurée après la réforme agraire, mais brusquement promue au rang d'acteur politique et de propriétaire foncier assimilable à la petite bourgeoisie, menacée par le foyer révolutionnaire soviétique limitrophe. Ce mouvement n’acquérait son caractère fasciste que par sa capacité à mobiliser de larges pans de la société au bénéfice du dynamisme antidémocratique. Bref, il lui faut persuader la masse encore amorphe de la paysannerie d’abandonner une liberté politique récente pour obéir à d’autres instances que le roi, l’autorité publique et les partis traditionnels. Seules les fractions les plus éveillées de la paysannerie pouvaient glisser ainsi des révoltes agraires violentes mais brèves vers un état d’opposition radicale permanent et structuré. Si l’éveil politique de la guerre et l’ampleur du choc de la crise jouèrent en faveur d’une telle évolution, les chefs de l’extrême droite traditionnelle étaient conscients de la difficulté d’adapter le système allemand à l’espace centre-européen : le chef historique de l’ultra conservatisme antisémite roumain, le professeur Alexandru Cuza, avouait ouvertement aux journalistes, à son retour d’Allemagne, les insuffisances d’une assise sociale agraire et l’absence d’une classe moyenne et d’un prolétariat urbains parmi sa clientèle : «L’efficacité du national-socialisme et sa rapide ascension en Allemagne s’expliquent par le fait qu’ils s’adressent aux ouvriers des fabriques dans les grands centres industriels. C’est pourquoi les réunions nationalsocialistes ont toujours été si populées [sic : nombreuses]. Nous, qui sommes un État agrarien et dont les ouvriers sont surtout les paysans, nous ne pouvons pas exercer la même influence immédiate sur les grandes masses répandues sur toute l’étendue du pays. Si l’on ajoute à cela l’état de civilisation arriéré de nos grandes masses et le manque de préparation à une vie politique indépendante, on se rend compte que les conditions locales chez nous sont beaucoup plus défavorables au succès immédiat qu’en Allemagne.» 1 * Codreanu et la Garde de Fer La justesse de l’analyse du vieux professeur monarchiste ne pouvait qu’irriter son jeune disciple Corneliu Zelea-Codreanu, désireux de faire advenir de façon volontariste une réalité fasciste qui pouvait s’appuyer sur une industrialisation et une tertiarisation timides, mais croissantes, de la société roumaine, ainsi que sur une acculturation politique naissante. Codreanu avait été trop jeune pour participer à la guerre et en avait gardé un vif regret ; la proximité du danger communiste la remplaça comme principe mobilisateur. Il imposa la méthode de la violence politique et la promotion de la jeunesse estudiantine dans la vie publique. Il manifestait un désir de promotion sociale dont la perspective était bloquée par la domination du clientéliste Parti national-libéral et des minorités allemande et juive dans les emplois urbains publics et privés. En 1927, Codreanu créa la Légion de l'Archange Michel, dotée en 1930 de son mouvement politique, la Garde de Fer, que la crise fournit en cadres 1 Archives du Ministère des Affaires étrangères français, série Z Europe, sous-série Roumanie, volume 171, folios 11-14, dépêche de Jean de Hauteclocque, chargé d’affaires français en Roumanie, du 21 avril 1933. recrutés parmi les étudiants, les fonctionnaires non payés pendant des mois, les membres des professions libérales sans clientèle et quelques représentants des grandes familles aristocratiques lésées par la réforme agraire.2 Son succès le plus spectaculaire, la Légion le remporta en attirant une partie de la brillante «génération de 1927» qui regroupait, autour d’un professeur de philosophie de Bucarest, Nae Ionescu, ses étudiants, qui avaient pour noms Mircea Eliade, Emil Cioran, Constantin Noica. 3 De même, la bureaucratie et l’armée, surtout parmi leurs cadres jeunes, ne restèrent pas fermées au mouvement légionnaire. En décembre 1937, le parti remporta 15,5% des voix et devint la troisième force du pays, à la surprise générale : ces fils de paysans travaillés par les affres de la modernité urbaine avaient donc également réussi à convaincre une partie de la paysannerie. Conclusion La Légion de l'Archange Michel apparaît, sous le mysticisme orthodoxe du "roumanisme intégral" et sous son rattachement revendiqué aux modèles des grandes puissances fascistes, comme une organisation de jeunes semi-intellectuels à l'avenir bloqué, cherchant auprès du monde rural un soutien et une légitimation populaire alors que leur recrutement et leurs références militantes sont surtout urbains. Cette obligation de mobiliser les masses rurales encore majoritaires leur confère à la fois l'aspect extérieur archaïque de fascistes ruraux, imbus de discours religieux et de démonstrativité terrienne, mais aussi l'essentiel de leur doctrine faite de combativité contre les principales catégories urbaines jugées dissolvantes : les classes moyennes et supérieures, qui appartenaient largement aux minorités nationales, souvent juives, et la partie du monde ouvrier encadrée par un mouvement communiste où les minorités dominaient. L'antisémitisme se trouva ainsi au croisement de deux rejets : le rejet de la démocratie représentative à l'Occidentale des partis modérés, qui contrôlaient une vie politique peu évoluée par des moyens parfois illégaux; et le rejet de la révolution sociale ouvriériste, dont la collectivisation dans l'Ukraine voisine donnait la dimension génocidaire pour des pays agricoles. La crise socio-économique aggrava les conditions de vie de toutes les sociétés balkaniques; l'arrivée au pouvoir d'Hitler accorda à ce groupuscule, qui menait un combat urbain de conquête sociale et parfois d’industrialisation brutale au sein d'une petite puissance agricole, une crédibilité à ses imprécations agrariennes, messianistes et antisémites qui l’amena brièvement au pouvoir aux côtés du maréchal Antonescu entre septembre 1940 et janvier 1941. 2Voir la dépêche n°7 du ministre de France à Bucarest, André Lefèvre d'Ormesson, du 11 janvier 1934, dans les Archives du Ministère des Affaires étrangères français, série Z Europe, sous-série Roumanie, volume 171, folios 163-164 : "alors qu'avant la guerre il n'y avait à Bucarest, par exemple, que deux ou trois avocats, deux ou trois architectes israélites, il y a maintenant dans ces deux carrières libérales une proportion très forte de juifs. Et comme la solidarité confessionnelle est très étroitement pratiquée, ils ont peu à peu évincé leurs collègues purement roumains dans les grosses affaires commerciales, bancaires ou industrielles, où leurs coreligionnaires sont le plus souvent les maîtres. D'où mécontentement, rancœurs et tendances à l'antisémitisme, même chez de nombreuses personnes qui normalement n'y étaient pas enclines, mais qui, menacées de chômage, ont vu avec sympathie se créer, puis se développer, des mouvements comme celui des "Gardes de Fer", qui en préconisant le nationalisme intégral, leur donnent l'espoir de conserver ou de retrouver leur gagne-pain." Voir aussi le journal de Carol II et l’enquête qu’il avait fait mener par le plus éminent statisticien roumain, Sabin Manuila, qui ne relève que 6000 «chômeurs intellectuels», alors que Carol en craignait quatre fois plus (CAROL II, Intre datorie si pasiune, însemnarii zilnice, 1904-1939, Bucarest, Ed. Silex, 1995, p.160). 3 LAIGNEL-LAVASTINE, Alexandra, Cioran, Eliade, Ionesco, L'oubli du fascisme, Trois intellectuels roumains dans la tourmente du siècle, PUF, 2002, 557pp.