Hani Naqshabandi

Transcription

Hani Naqshabandi
Aperçu sur les caractéristiques littéraires saoudiennes
Préparé par Dr. Al-Ghamdi Abdullah
Grâce à l'opportunité qui nous a été offerte par les deux ministres
sénégalais et saoudien de la Culture et de l'Information, et grâce à l'appui de
personnalités du monde de la Culture au Sénégal et en Arabie Saoudite, nous
avons le plaisir de présenter à l'assistance dans le cadre de la semaine
culturelle saoudienne, un Aperçu sur les caractéristiques littéraires en
Arabie Saoudite.
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Pour commencer mon intervention d'aujourd'hui, je rappellerai le double
rôle de la littérature: miroir du monde , mais aussi responsable de sa propre
gestion dans ce même monde. En effet, en tant que domaine de l'activité
sociale, ne serait-ce que par le biais de l'édition, son existence s'inscrit
naturellement dans la société: son rôle tout particulier de "résonateur" de notre
monde, suppose pourtant l'impossibilité de la confondre avec la société
"ordinaire" dans sa globalité. L'œuvre littéraire ne surgit pas par hasard dans
la société, mais on doit l'appréhender comme un tout, à travers les tensions
d'une caractéristique littéraire. Celle-ci obéit à des règles spécifiques. Ainsi,
le fait littéraire apparaît comme un acte de communication où le dit et le dire,
le texte et son contexte sont indissociables, là où littérature et société
s'expliquent l'une par l'autre.
D'une part, la littérature en Arabie Saoudite constitue un univers social
spécifique régi par ses institutions propres et la revendication d'autonomie de
ses écrivains; d'autre part, on ne peut ignorer le poids que l'Etat et l'histoire
politique font peser sur l'histoire sociale de la littérature et de ses acteurs.
En effet, dès le début du siècle, les ouvrages s'attachent à retracer
l'histoire littéraire provinciale qui constitue l'actuelle Arabie Saoudite. Ces
productions se succèdent pour donner naissance le plus souvent, à des
anthologies de poésie ou à des "histoires" de la littérature dans la Péninsule.
Elles mêlent des morceaux choisis des œuvres produites à des biographies des
écrivains saoudiens. La dernière en date paraît à Riyadh en 2001: il s'agit
d'une anthologie: L'Encyclopédie de la littérature saoudienne moderne,
(Mausou'a Al'adab Al'arabi Al'saoudi Al'hadith), ouvrage collectif établi sous
la direction de Prof. Mansour Ibrahim Al-Hazmi. Ce dernier, académicien,
est un grand spécialiste de littérature saoudienne et en particulier de ses
formes narratives. L'Encyclopédie est un véritable panorama de la littérature
saoudienne et des courants qui l'ont traversé au cours du siècle précédent. En
dix volumes, elle porte sur l'ensemble de la production littéraire en Arabie
Saoudite, sur une période qui commence au début du XXe siècle.
Les documents de l'époque, notamment les articles parus dans la presse
locale (les journaux Om Al-Qura, Sawt Al-hijaz, Al-Bilad Al-Saoudia ainsi
que la revue Al-Manhal), font une large place aux formes d'expression qui
relèvent d'une esthétique littéraire. Etait apparu dans la littérature saoudienne
la génération des "précurseurs". Mise au contact des écoles et mouvements
littéraires modernes du monde arabe, ceux-ci ont introduit de nouvelles
formes narratives dans le corpus littéraire.
Ainsi, la diffusion de la grande presse, largement supérieure à celle du
livre ou des périodiques spécialisés, a joué un rôle important dans la
constitution littéraire du pays. La presse en général, est considérée comme une
véritable révolution dans la littérature saoudienne. Elle devient le lieu
d'exercice privilégié de certains écrivains, conscients de son rôle littéraire et
journalistique.
Hammad Al-Jasser cherchait, en créant la revue Al-Yamama, à inciter
les saoudiens à améliorer leur niveau culturel et éducationnel. C'est le cas de
nombreux intellectuels et hommes de lettres. L'ensemble des élites
saoudiennes ont créé plusieurs revues et journaux comme Al-Manhal ou Om
Al-Qura, favorisant ainsi la publication de textes littéraires, constituant un
message (Risala). Ils ont établi également, des liens entre la littérature
saoudienne, locale, régionale, le mouvement littéraire moderne des pays
arabes et la littérature mondiale.
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(Al-Jami'ah Al-Arabia'a Al-Saoudia Lil-Thagafa'h Wal-Funoun),
L'Association saoudienne pour la Culture et les Arts a pour centre d'intérêt
les arts populaires, le théâtre, et les arts sous toutes leurs formes… Cette
association possède des divers centres repartis dans les différentes régions de
l'Arabie. Ces centres organisent des colloques ou des réunions-débats dans
différents domaines artistiques.
L'Arabie a établi dans les principales agglomérations du pays plus de 13
clubs ou Salons littéraires, (Al-Andia Al-Adabiah), fondés à partir de 1975.
La création d'un club se veut le prolongement de la politique d'acculturation
engagée par les autorités dans les décennies précédentes. Ces Salons visent à
promouvoir la littérature et la culture au sein des membres, et à éveiller la
conscience des masses, les clubs ont le droit d'employer tous les moyens afin
de réaliser ces objectifs. Les clubs littéraires jouent avant tout le rôle de
tribune en organisant conférences, réunions-débats, soirées poétiques ou
narratives auxquelles participent aussi bien des écrivains confirmés saoudiens
ou arabes, que de jeunes auteurs. Ces clubs ont un rôle éditorial important: ils
publient à la fois des œuvres littéraires de tous genres (prose, poésie, théâtre,
critique…), des périodiques ou des revues littéraires. En outre, ils organisent
régulièrement des expositions du livre dans leurs propres enceintes. Les
Salons de Jeddah et de Riyadh sont considérés comme les deux principaux
clubs de l'Arabie.
Ainsi, les revues spécialisées aujourd'hui, continuent à jouer un rôle
prépondérant pour la littérature, souvent au sein des clubs littéraires. Le club
littéraire de Jeddah contribue ainsi à sa réputation par de multiples activités.
Avec pour ambition éditoriale, le Salon mène une activité remarquables, il
publie par exemple, des revues trimestrielles comme:
1 Nawafidh, (Fenêtres), périodique axé sur la traduction de la
production littéraire mondiale qu'elle soit essais, poésie, théâtre ou
genre narratif;
2 Abqar (Valais de poésie), une revue prête à porter le flambeau de la
poésie des jeunes saoudiens;
3 Al-Rawi, (Le Narrateur), une autre revue concentrée sur la création
narrative des générations;
4 La revue Ala'mat, (Signes), est spécialisée en critique littéraire. Elle
révèle même le réel succès et le prestige d'auteurs non saoudiens;
5 Jouthour, (Racines), est un périodique visant à porter un regard
moderne sur le patrimoine saoudien.
D'autres clubs littéraires en Arabie, ont également leurs revues et
périodiques tel le club de Riyadh qui publie: Al-Quafil, (Les Caravanes);
celui d'Abha publiant Al-Bayadir; et celui de Taif diffusant Malafat Al-Nadi
(Les dossiers du club)...
Ainsi, le mouvement culturel et littéraire en Arabie Saoudite de nos
jours, est très actif. Il s'intéresse à toute forme d'écriture, locale, régionale ou
internationale; même s'il le présente par le biais de la traduction. Les choses
s'améliorent dans ce domaine, toutefois. D'ailleurs, Riyadh et Jeddah
accueillent annuellement dans des Salons du livre en réunissant plus de 600
maisons d'édition, en provenance de divers pays.
De plus, comme pour les Clubs littéraires, les Universités saoudiennes
jouent aussi un rôle important dans le mouvement littéraire. Elles ont créé des
périodiques spécialisés en littérature, culture moderne et contemporaine.
Différentes formes d'écritures, ou de revues ont assuré leur rôle de médiateurs
et de vecteurs de la production littéraire ou artistique du pays. Ainsi, le média
est considéré comme une entrave supplémentaire…. Ils entretiennent d'étroits
rapports avec la littérature et ses acteurs.
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Présence de la littérature saoudienne
On souligne à cette occasion l’évolution qu’ont connue les textes
littéraires ainsi que les œuvres artistiques d’une manière générale en Arabie.
Dans les dernières années et tout particulièrement à leur retour de jeunes
saoudiens qui poursuivaient leurs études hors du Royaume; sont revenus dotés
de toute sorte de cultures, sciences ou études littéraires. Ils ont profité des
études qu'ils ont accomplies dans les pays arabes tels que l'Egypte, la Syrie et
le Liban ou dans les pays d'Europe ou d'Amérique. Ils ont développé l'art
romanesque et lui ont donné ses lettres de noblesse. Ils en ont fait un art à part
entière, avec ses spécificités saoudiennes.
L’auteur saoudien relate la traversée qui l’a conduit de partout, village
ou campagne par exemple, en direction de la ville et les péripéties qui ont
émaillé cette traversée, dans un style romancé empreint de l’héritage culturel:
on trouvera la poésie de la période antéislamique, mais aussi le poème
moderne (Quassida), description de la ville, évocations sur l’égarement d’un
chameau dans une rue de la ville, décrivant la problématique de la citadinité.
L’évolution qu’a connue le poème ou le texte saoudien du poète ou de
l’écrivain, est à mettre en parallèle avec les changements qu’a connus la
société saoudienne, en particulier l’impact du média. L'évolution de l'écriture
saoudienne est en quelque sorte le miroir de la société elle-même, la vie
citadine est omniprésente: l'apparition d'une architecture dédiée aux villes, a
eu des répercussions sur l'individu et l'ensemble de la société. La littérature en
Arabie Saoudite s'en fait l'écho, établissant une dialectique littéraire entre le
passé et le présent; le local et le mondial; soulignant et relevant les défis posés
à la littérature arabe, particulièrement en cette période de mondialisation.
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Exemplaires de scènes romanesques saoudiennes
Dans le domaine de la prospective, la critique littéraire fait à peine
mieux que la science politique! L'arrivée en force du roman saoudien sur la
scène littéraire arabe ses dernières années, continue à surprendre: ainsi
personne ne s'attendait vraiment à voir les écrivains femmes y occuper une
place aussi importante, ni à ce que soient abordés, de manière très franche, des
thèmes aussi "scandaleux" que les amours saphiques et les pratiques sadomasochistes...
Tout le monde s'agite beaucoup autour de l'éclosion soudaine de cette
littérature romanesque: 26 romans seulement féminins en 2005, et plus de 50
en 2006 selon une étude réalisée localement. Pour la moitié, il s'agit de la
première oeuvre de jeunes romancières qui ont entre 20 et 25 ans. Certains
considèrent que le phénomène est largement dû au flair de quelques éditeurs
relayés par le traitement de médias friands des scandales que provoque la
publication de ces textes que n'arrête aucun tabou.
Le critique saoudien Abdullah Al-Ghadhami trouve des raisons plus
profondes. Pour lui, la société saoudienne ne peut plus continuer à jeter un
"voile pudique" sur ce qu'elle ne veut pas voir. De l'avis de cette grande figure
intellectuelle du monde arabe, on pourrait lire des textes plus dérangeants
encore, ce qui ne veut pas dire que ces expériences soient véritablement le
reflet de la réalité.
Faute d'autres lieux d'expression, il est en fait assez naturel que le roman
fasse du corps féminin, le symbole et le véhicule de la révolte individuelle
contre l'hypocrisie sociale. Sans doute y a-t-il une part de sensationnel, ou tout
simplement de nouveauté, dans l'intérêt accordé à cette nouvelle littérature.
Les filles de Riyadh est certainement un titre plus accrocheur que (Ya Banat
Al-Askandariah) Les filles d'Alexandrie, titre d'un roman de l'Egyptien
Edouard Al-Kharrat... Il reste que le roman saoudien existe et traduit
l'importance des mutations que vit cette société, notamment sur le plan
éducationnel et culturel.
En témoignent, parmi d'autres exemples, des articles qui s'intéressent au
rôle d'Internet dans cette littérature. Outre le fait qu'il joue le plus souvent un
rôle important dans l'intrigue, quand il n'est pas utilisé comme une technique
narrative, le "réseau" est également, non plus dans la fiction, mais dans le
monde bien réel de l'écriture, le premier espace de publication et de diffusion.
Ces textes ont souvent été d'abord créés dans des Salons littéraires virtuels,
actifs sur la Toile. Une fois édités, c'est encore elle qui assure en partie leur
diffusion, et plus encore quand ils ne sont pas disponibles dans les librairies
locales...
En effet, et comme on l'a déjà vu dans ces billets, des représentations
théâtrales ou des feuilletons à la télévision sont pourtant l'occasion pour une
partie de la société saoudienne de manifester son refus total de ce qu'elle
considère comme les succédanés d'une culture occidentale dépravée et
instrumentalisée pour imposer au monde musulman en général, et au monde
arabe en particulier, ses valeurs et sa vision du monde. Les Expositions du
Livre accueillent l'ensemble des hommes et des femmes, tous assistent aux
rencontres culturelles organisées pour l'occasion (même si un voile sépare les
deux sexes dans la salle de conférence).
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Abdel-Rahman Mounif (1933-2004), est l'un des plus importants
romanciers saoudiens. Il est le plus reconnu de tous, pourtant il était
précisément le moins "saoudien". Issu d'une famille en partie d'origine
irakienne, il a été élevé à Amman au cours d’une des périodes les plus
importantes de l’histoire arabe, l'émergence de la cause palestinienne, suite à
la défaite arabe de 1948. Le perpétuel exilé a terminé ses études secondaires
en Jordanie, avant de se diriger vers Bagdad pour rejoindre la faculté de droit
en 1952. Chassé au bout de deux ans avec un groupe d’étudiants arabes, après
la signature du pacte de Bagdad, qui prévoyait une alliance arabo-occidentale
contre le nationalisme arabe de Nasser, il a donc poursuivi ses études en
Egypte à l’Université du Caire. Il a fait ensuite des études supérieures à
l’Université de Belgrade, d’où il a obtenu son doctorat en 1961. Notre auteur a
passé la majeure partie de sa vie en Syrie, non seulement parce qu'il a été
longtemps totalement hors le Royaume, mais plus encore parce que son
écriture, son engagement, ses choix politiques et artistiques, ont toujours été,
fondamentalement, "interdite"...
Poursuivant ses pérégrinations, il débute sa carrière de journaliste au
Liban, et commence à publier ses romans. Son ouvrage célèbre Les arbres et
l’assassinat de Marzouq en 1973 a été le premier d’une grande liste
d’ouvrages, dont Les fins en 1977, Un monde sans cartes en 1982, Histoire
d’amour manichéenne en 1974, Ville de sels, en cinq volumes et qui est
considéré comme l’un de ses plus importants ouvrages.
Mounif est un auteur essentiel, sans doute, même si certains de ses
livres demeurent interdits, à cause des titres incongrus, reprenant les idées
toutes faites sur la société saoudienne. Les romans de ce grand auteur décédé
en 2004, sont bien accueillis. Il fut lauréat du prix de la première Conférence
arabe en 1998, au Caire.
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Le défunt Abdelaziz Machri (1954-2000), qui n’a vécu que 46 ans, fait
partie des auteurs qui comptent. Sa vie littéraire a été très riche. Ce défenseur
du citoyen ordinaire a été considéré comme l’un des innovateurs dans la
littérature et la création saoudienne depuis la moitié des années 1970. Dans
ses écrits, le désespoir est absent, bien au contraire il tient au monde du rêve
et de l’espoir. Il s’intéressait surtout au vécu des citoyens modestes. Il
regardait le monde qui l’entourait avec un regard réaliste omniprésent dans ses
ouvrages. Parmi ses livres les plus célèbres, Décès sur l’eau, Les fleurs
cherchent un pot et Forteresses.
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D'une plus relative célébrité, le ministre du Travail, poète et romancier,
Ghazi Al-Qusaibi, ce dernier fut parmi les premiers à saluer, avec le célèbre
critique Abdullah Al-Ghadhami, l'avènement de cette génération de jeunes
auteurs saoudiens. Parmi les oeuvres du ministre-poète (on se croirait en
France!), on connaît surtout un de ses romans traduit en anglais, Un
Appartement appelé libéral (Shugat Al-Huriah), qui raconte les années de
formation dans l'Egypte nassérienne d'un groupe d'étudiants saoudiens. Mais il
faut bien reconnaître que cette parution, comme souvent dans le cas d'auteurs
de cette région, n'a pas totalement réussi à écarter les soupçons de
complaisance, les reproches de subventions déguisées à l'édition, ni même les
insinuations selon lesquelles des mains anonymes auraient pu contribuer à
l'écriture de ce texte.
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Reste la figure de Turki Al-Hamad, sulfureux dans son pays sans en
être banni, considéré, avant que surgisse l'actuel phénomène littéraire de la
nouvelle génération romanesque, comme le seul véritable représentant de la
prose saoudienne d'envergure internationale. Pourtant l'intérêt de ses textes
relève sans doute davantage de l'analyse sociopolitique que de la création
littéraire. Ce "défaut de littérature", dont souffrait déjà sa célèbre trilogie Les
fantômes des ruelles désertées (Atiaf Al-Azigah Al-Mahjourah) centrée sur
les années de formation - et d'interrogation - d'un personnage central, Hicham,
est plus apparent peut-être encore, dans son oeuvre la plus récente (à ma
connaissance), Le souffle du paradis (Riah Al-Janah), qui met en scènes la
vie et les pensées de quatre pirates de l'air un certain 11 septembre...
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Rétrospectivement, il apparaît que la première manifestation des
nouvelles voix romanesques saoudiennes remonte aux dernières années du
siècle précédent, quand on n'avait pas encore accès à l’Internet dans un pays à
l'aube de la révolution des communications. Leïla Al-Johani, enseignante de
littérature anglaise, publie alors son premier roman, Paradis Aride (AlFardous Al-Yabab). Expression du désespoir et de la trahison, qui n'a pour
seul recours que le choix d'un avortement aux conséquences dramatiques,
cette voix féminine qui annonce les thématiques à venir reçoit un accueil très
favorable au point d'être couronnée, lors de sa parution en 1998, par différents
prix littéraires dont celui de l'Emirat de Sharjah (considéré comme un pôle
libéral dans la région). Malgré sa sélection dans le cadre du programme 2005
du projet Kitab Fi Jarida, le roman restera largement inconnu des lecteurs
locaux car le journal saoudien Al-Riyad, membre de ce réseau arabe de
quotidiens publiant simultanément une même oeuvre littéraire dans un
supplément distribué gratuitement, n'a pas jugé opportun de prendre le risque
de cette impression (pourtant officiellement annoncée par le ministère de la
Culture!).
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Jusqu'à une date très récente en effet, la censure a constitué le principal
obstacle à la reconnaissance, locale et internationale, des mutations artistiques
en cours dans le Royaume saoudien. En fait, Les filles de Riyad, ce roman
que Rajaa Al-Sanie publie avec un tel succès en 2005 et dont il a déjà été
question dans un précédent billet et sur lequel on peut lire cette présentation
en français - marque un tournant moins sur le plan strictement littéraire que
sociologique. Avant cela, la littérature locale, et l'expression artistique d'une
manière générale, étaient contraintes, dès lors qu'elles abordaient certains
thèmes sans respecter les règles de la morale du Pays. Elles étaient obligées de
passer par des canaux d'expression à l'étranger, ceux d'une maison d'édition
beyrouthine (privée et également implantée à Londres) telle que Saqi
notamment. Pour accéder à sa production, l'avant-garde intellectuelle
saoudienne devait sortir des frontières du Royaume, physiquement ou
virtuellement à travers les nouvelles technologies de la communication. Grâce
à la mobilisation de réseaux intellectuels et sociaux influents, la prétendue
divulgation sur Internet (c'est le procédé adopté dans le roman de Rajaa AlSanie) des "aventures" - encore très pudibondes au regard de ce qui va suivre
- d'un groupe de jeunes saoudiennes, marque donc un tournant.
Plus encore, les titres phares du nouveau roman saoudien, ces textes que
les lecteurs locaux doivent le plus souvent se procurer à l'étranger, sont assez
largement présents au Salon du livre. Des titres parmi les plus "scandaleux"
bien entendu! Les filles de Riyadh décoiffent l'Arabie Saoudite.
La société saoudienne est en mouvement. Le Net y a fortement
contribué. C’est du côté de la jeunesse, notamment féminine qu’il faudra
appréhender cette évolution faite dans l’ombre d’un système théologique et
politique conservatives. On surfe, chate, blogue, on emaile, skype, on sms, …
et la toile jette ses filets sur les bas-fonds du Royaume. D’aucuns parlent d’un
"bricolage" destiné à feinter le système, à ouvrir une lucarne sur l’extérieur
afin d’être en rythme avec le monde. Les filles sont pionnières en la matière.
Elles participent activement à la communauté du chat et de la tchatche. Le
romanblog de Rajaa Al-Sanie, née en 1981, docteur-dentiste, en livre une
radioscopie illustrée. A sa sortie en 2005, certains n’ont pas hésité à attaquer
l’auteur et le récit, demandant son interdiction.
Chaque vendredi après-midi, jour sacré, juste après la prière commune
du milieu de la journée, l’auteur livre sur son site un bout d’histoire de sa vie
mêlée à celles de ses quatre copines, toutes issues de la grande bourgeoisie
saoudienne: Lamis, Michaelle, Sadim, Kamra. On y découvre ce que Rajaa
Al Sanie appelle un "milieu de velours, profondément archaïque", avec sa
misère sexuelle, son hypocrisie, la vassalité des garçons aux traditions, le sexe
qui supplante l’élan du cœur.
Les quatre filles feront les frais de cet archaïsme. Après des mariages
ratés, des voyages avec leur mari en Europe ou aux USA, elles reviennent au
Royaume ou pour se terrer chez elles ou pour divorcer, se trouvant ainsi
mères-veuves dès l’âge de 22/23 ans. Quant aux garçons "ils finissent par ne
plus bander".
En 50 messages, Rajaa Al-Sanie réussit comme elle l’indique à
"allumer une mèche, pour que se produise le changement…" La "fille de
Riyad" semble faire école, puisque de nombreuses filles ont lancé leur propre
blog et sont passés à confesser, s’en prenant au passage aux tabous, à
l’immobilisme et à la bigoterie. Donc, les Saoudiennes s'encanaillent; car
après la «chick lit», la littérature gentillette de jeunes filles pour jeunes filles,
serait-ce l’avènement de la «shock lit», celle qui fait scandale? Comme on
vient de le mentionner la venue d’Arabie Saoudite, de Rajaa Al-Sanie qui
publie «Les filles de Riyad», ou la vie amoureuse de quatre étudiantes, est un
évènement.
«Dieu ne modifie rien en un peuple avant que celui-ci ne change ce qui
est en lui.» C’est avec cet extrait bien choisi du Coran (Sourate du Tonnerre,
Alra'ad, verset 11) que s’ouvre le livre-tempête de Rajaa Al-Sanie, «Les
filles de Riyad». Mais, passé les quelques citations du livre saint et des paroles
du Prophète (le hadith), le roman de cette jeune Saoudienne, construit comme
une page personnelle sur Facebook où chaque chapitre serait un blog mis en
ligne par une internaute imaginaire, n’a rien à voir avec un missel. Publiées au
Liban en 2005, «Les filles de Riyad» ont déclenché une tempête dans le
monde arabe. «Scandaleux! Blasphématoire!» ont crié les organisations
religieuses et les intégristes, avec ou sans barbe. «Courageux» et «véridique»,
ont défendu les autres, de la Jordanie au Maroc. En l’espace de quelques mois,
«Les filles de Riyad» se sont retrouvées au coeur d’une polémique digne de la
querelle des Anciens et des Modernes. Et le livre est devenu un best-seller,
aujourd’hui traduit en anglais, en français (chez Plon) et dans la plupart des
pays occidentaux!
L’oeuvre d’une diablesse... Tenants d’une morale sclérosée et d’une
idéologie manichéenne, certains islamistes du Moyen-Orient ont accusé sa
jeune auteur, Rajaa, 25 ans, un mètre soixante-cinq d’audace et un foulard
Vuitton couvrant sagement ses cheveux, de faire le jeu «des ennemis de
l’Islam». Raconter avec humour et spontanéité les péripéties amoureuses de
quatre étudiantes saoudiennes prénommées Lamis, Michaelle, Gamra et
Sadim, relater par le menu leurs expériences sexuelles avant le mariage et
leurs rêves d’amour brisés, comme le feraient les scénaristes de la série télé
«Sex and the City» à Hollywood, voilà qui ne pouvait être que l’oeuvre d’une
diablesse... Car Rajaa Al-Sanie, aujourd’hui dentiste à Chicago et fille d’un
journaliste libéral, n’est pas tendre avec les moeurs du pays, qui réduisent les
femmes au rang de mineures à vie. Les noces arrangées, la répudiation des
femmes, le racisme entre sunnites et chiites, les traditions claniques et le
qu’en-dira-t-on des vieilles tantes misogynes, qui ne visent en fait qu’à
préserver la toute-puissance de maris égoïstes, voilà bien les maux dont
souffrent les jeunes filles du roman. On ne peut s’empêcher de penser à Jane
Austen, qui, en d’autres temps, décrivait dans «Raison et sentiments» la même
hypocrisie, s’agissant de la société de la fin de règne de George III.
Et pour suivre d'autres points de vues sur le roman, Hani Naqshabandi
affirme que «c’est une femme qui a osé l’écrire en premier!». Il estime qu'«Un
tel livre devait arriver un jour». Ce journaliste et écrivain saoudien reconnaît
que «Les filles de Riyad» se sont dans un premier temps fait connaître
clandestinement. Des centaines de copies aux pages volantes rapportées de
Bahreïn, la petite île plus tolérante située à l’est du Royaume, se sont
arrachées sous le manteau. Preuve que les temps changent à Riyad depuis
l’arrivée du Roi Abdallah - même à un rythme infiniment lent -, Le ministère
de la culture et de l’Information a finalement autorisé les libraires saoudiens à
vendre cet ouvrage.
«Je voulais que mon premier roman soit le reflet de ma génération et de
la modernité dans laquelle nous vivons», explique Rajaa Al-Sanie. «Internet
est la marque de notre génération», poursuit la jeune femme, qui ne s’est pas
contentée de franchir toutes les lignes rouges du Royaume, mais a également
tourné le dos au style souvent raide et ampoulé des auteurs saoudiens. «Dans
le monde arabe, nous avons toujours ce conflit avec la langue», relève le
critique littéraire libanais Pierre Abi Saab. De Beyrouth, il salue le courage
d’une «nouvelle génération» d’écrivains saoudiens qui depuis quelques années
libèrent leur plume des canons littéraires et se battent contre les idées
préconçues transformant leur pays en une image d’Epinal. Comme Rajaa AlSanie, la plupart d’entre eux voyagent, étudient à l’étranger, s’exilent pendant
quelque temps avant de rentrer au bercail, et publient leurs récits à Beyrouth,
un havre de liberté, comparé à la censure de Riyad. C’est notamment le cas
d’Ibrahim Badi «L’amour en Arabie saoudite» et de Wahda Abdelmalek
«Le retour», un pseudonyme, auteurs de deux ouvrages en arabe qui ont fait
scandale pour avoir décrit, l’un les flirts dans les voitures de la jeunesse dorée
saoudienne, l’autre une scène d’amour pendant la prière du vendredi à la
mosquée.
Outre le fait qu’ils abordent la question épineuse du sexe en Arabie
saoudite, ces nouveaux écrivains ne soulèvent-ils pas finalement la même
question? Comment écrire dans un pays où le pouvoir religieux et politique
ont signé un pacte de gouvernement, où les défenseurs de la morale disposent
d’une police religieuse forte de plusieurs milliers d’hommes (les redoutables
muttawin) et où un ministère pléthorique contrôle tout ce qui s’écrit, jusque
sur la Toile? Et pourtant, comme Rajaa Al-Sanie, ces auteurs ne souhaitent
pas trahir leur pays. Juste pouvoir en parler librement!
Banat Al-Riyadh est considéré comme une littérature révélateur
sociologique, Le livre de la jeune Saoudienne Rajaa Al-Sanie, alimente les
polémiques alors même qu'il n'a pas encore passé la censure saoudienne. Les
uns y voient une réussite littéraire, d'autres le dénigrent pour son usage d'un
langage emprunté aux chats sur Internet. Rarement un livre a provoqué autant
de débats dans la presse saoudienne. "Le livre Banat Al-Riyad (Filles de
Riyad), de la jeune écrivaine Rajaa Al-Sanie a suscité un intérêt sans
précédent dans la presse, au point d'être devenu un véritable phénomène de
société", écrit le quotidien Alriyadh. "Le bruit que ce livre a déclenché est
peut-être comparable à celui qui a entouré Les Liaisons dangereuses de
Choderlos de Laclos, texte passionnel comme il y en a eu beaucoup dans la
France du XVIIIe siècle", affirme le quotidien de la capitale saoudienne.
Et il est vrai que, depuis sa parution, l'intérêt de la presse saoudienne
pour cet ouvrage est allé grandissant, jusqu'à y consacrer un, voire plusieurs
articles par jour. C'est d'autant plus étonnant à l'époque où le livre n'a pas
encore obtenu l'autorisation d'être vendu dans les librairies du Royaume. "J'ai
appris l'existence de ce livre alors que j'étais à Beyrouth, où il venait de
paraître. Là-bas, les intellectuels l'avaient déjà lu et voulaient en discuter avec
moi. Or je n'en avais pas encore entendu parler, ce qui n'a pas manqué de les
surprendre", écrit un critique littéraire dans le même quotidien, comme pour
mieux souligner les obstacles au débat intellectuel qui persistent en Arabie
Saoudite.
Le livre avait pourtant reçu le soutien direct d'une personnalité
saoudienne haut placée, qui n'a rien d'un révolté marginal. Il s'agit du poète et
ministre du Travail Ghazi Al-Gosaibi, qui a rédigé ainsi la quatrième de
couverture: "Dans sa première œuvre, Rajaa Al-Sanie s'engage dans une
aventure risqué: lever le voile épais qui couvre le monde étonnant des jeunes
femmes de Riyad. Ce monde se révèle à nous avec tout ce qu'il recèle de
risible et de déplorable, avec tout ce que le commun des mortels ignore de cet
univers ensorceleur et ensorcelé. Ce travail mérite d'être lu."
Quant au quotidien conservateur Al-Madina, il tente une explication
ambitieuse des remous qui agitent la scène intellectuelle du pays. "Ce livre
mérite-t-il vraiment toute cette sollicitude? S'agit-il vraiment d'une œuvre
littéraire si considérable? Ou bien s'agit-il, comme beaucoup l'affirment, d'un
livre tout à fait ordinaire pour un auteur débutant? A notre avis, l'intérêt qu'il
suscite s'explique en premier lieu par un facteur sociologique relativement
récent: de nombreux intellectuels abordent aujourd'hui des sujets que l'opinion
publique n'avait pas l'habitude de débattre. Et, parmi ces sujets, le plus
important est celui de la femme."
Le journal rappelle les polémiques entre modernes et conservateurs qui
agitent l'Arabie Saoudite depuis les années 1980. "Aujourd'hui, ces débats ne
concernent plus seulement la littérature, mais se sont étendus à de nombreux
aspects de la société", estime-t-il pour en désigner le véritable déclencheur:
"Le 11 septembre 2001 a provoqué l'ouverture de vastes débats sur la culture
religieuse et l'enseignement. Ce sont des sujets à propos desquels les EtatsUnis ont formulé des accusations, telles que l'encouragement du terrorisme,
l'intolérance, la soumission de la femme."
Il est normal que tout cela ait influencé la culture et la littérature au pays.
La littérature dans n'importe quelle société reflète les progrès ou reculs des
sensibilités et du niveau intellectuel, et on peut supposer que les polémiques
n'ont pas été spontanées, mais au contraire très liées à la politique. Autrement
dit, ce livre est en train de devenir l'un des symboles autour desquels s'articule
la guerre entre anciens et modernes qui sourdent dans certain pays. Et il n'est
pas étonnant que la presse, haut lieu des forces réformatrices, prenne
largement position en sa faveur.
Mais il n'y a pas qu'en Arabie Saoudite que l'on en débat. Sous le titre
"Filles du Golfe", un quotidien koweïtien, Alseyassah, se penche lui aussi sur
le phénomène: "Deux jolis livres ont paru récemment, celui de Rajaa AlSanie, Banat Al-Riyadh, en Arabie Saoudite, et Frénésie de Bothayna
Aleissa, au Koweït. Car, dans la région du Golfe, les femmes artistes arrivent
en force", prédit ce quotidien progressiste. Toutefois, il regrette que ces deux
livres "qui ont été écrits dans le Golfe et que nous avons lus ici (aient dû être)
imprimés à l'étranger et ne (soient) pas vendus dans les librairies de nos pays.
Quand remédierons-nous à ce hiatus ?"
*****
Hani Naqshabandi, ce gentleman saoudien, ancien rédacteur en chef du
magazine féminin Sayidati (Femmes), Hani Naqshabandi a reçu durant des
années, à Londres, des centaines de lettres en provenance de lectrices arabes.
De cet abondant courrier est né, fin 2006 à Beyrouth, un roman intitulé
(Ikhtilas): Le mot n'est pas facile à traduire: s'approprier quelque chose par
des moyens peu recommandables, entre le larçin et l'appropriation... (Ou:
plagiat). Ce roman est paru dans la même maison d'édition, Al-Saqi - dont la
cofondatrice, Mai Ghoussoub, vient de disparaître, est également à l'origine
de la publication du premier roman de notre écrivain Naqshabandi, le roman
portrait sans concession de la bourgeoisie saoudienne, Ikhtilas a suscité de
vives critiques sur les forums Internet en arabe. Aujourd'hui installé à Dubaï
(Emirats Arabes Unis), son auteur a été accusé pêle-mêle de vouloir nuire à
l'image des Arabes et de faire le jeu «de l'Occident et des Infidèles».
Le récit mêle deux voix: celle de Hicham, rédacteur en chef d'un
magazine féminin à Londres, et celle de Sarah, saoudienne "dans la trentaine,
assez jolie et de bonne famille" (ce sont les premiers mots du livre) dont les
lettres racontent la détresse et la solitude psychologique, sentimentale et
même sexuelle, au sein d'une société qui n'est guère tendre pour les femmes,
mariées ou pas, fidèles ou non. Avec ce texte, le roman saoudien s'engage plus
profondément encore sur le terrain des interdits avec une crudité de ton qui, à
en croire la presse, a manqué de provoquer son interdiction au Liban réputé
pourtant être la place-forte de la liberté d'expression dans la région.
La jeune héroïne de Hani Naqshabandi - Sarah - est une sorte d'Emma
Bovary saoudienne qui se consume en frustrations dans une somptueuse villa.
Mariée à un riche homme d'affaires qui ne s'intéresse à elle que pour la «violer
légalement, plus rapidement que les chats», Sarah dépense des fortunes dans
les temples de la consommation de Riyad ou de Djedda. Jusqu'au jour où elle
entame une correspondance secrète avec Hicham - un masque de l'auteur -,
jeune rédacteur en chef libéral installé à Londres. Dans ses lettres, Sarah
dénonce l'hypocrisie d'un monde où «les hommes se prosternent la nuit devant
le corps des femmes, puis les lapident et les maudissent le jour». Toutes les
institutions saoudiennes sont passées au crible: l'école, où «la première leçon
apprise est que Dieu n'existe que pour nous, Saoudiens», la police religieuse les Muttawin - composée «d'anciens criminels [...] qui dévorent les femmes de
mille yeux», ou encore la famille, sanctuaire de tous les mensonges.
Dans la même ligne, qui apparaît à certains comme celle des succès
faciles sur fond de scandale assuré, les textes se succèdent, assez respectueux
des conventions romanesques mais toujours plus audacieux au regard des
tabous auxquels ils s'attaquent. Juste avant la fin de l'année 2006, les éditions
Al-Saqi ont publié un autre texte de fiction, signé d'un pseudonyme, Saba AlHirz, qui serait celui d'une romancière saoudienne d'une vingtaine d'années,
originaire du Qatif, une province de l'est du pays, isolée et dont la population
est de confession chiite. Les Autres (Al-Akharoun), c'est le titre de ce roman,
aborde de fait la question de la "marginalité" de ce groupe confessionnel dans
le Royaume saoudien mais la mise au jour de cette question paraît presque
anodine au regard de la charge que constituent, pour la morale locale (et pas
seulement!), les très explicites scènes d'amour entre partenaires féminines que
la passion entraîne jusqu'aux plus extrêmes pratiques sado-masochistes.
*****
Texte écrit par une jeune romancière sous un pseudonyme - ici celui de
Warda Abdel-Malik -, scènes toutes plus "osées" les unes que les autres pour
marteler l'affirmation individuelle de la femme saoudienne que symbolise le
droit à disposer de son corps, relatif conformisme d'une fiction assez courte et
un peu décousue, tels sont les éléments que l'on retrouve dans (‫ )او‬Le
Retour publié début 2007 toujours chez Saqi. A l'image des autres fictions
saoudiennes contemporaines, la modernité technologique, à commencer par
les multiples appareils de communication, a joué un rôle de premier plan dans
ce texte créé dans un premier temps sur le site d’un cercle littéraire virtuel,
Muntada Dar Al-Nadwa: un cercle libéral que ses adversaires décrivent
comme le «Club des mécréants de Quriaish» - du nom de la principale tribu de
La Mekke au temps du Prophète!). Primé sur le site, il avait attiré, à en croire
ce qui s'écrit dans la presse, près de 40 000 lecteurs.
On retrouve les éditions Dar Al-Adab pour le dernier roman saoudien
ayant défrayé la chronique littéraire arabe tout récemment. Concernant les
textes écrits au pays conservatifs, certains auteur se demandent s'il est plus
facile quand on est un homme d'écrire sur l'amour en Arabie (‫?) ا
د‬
Les auteurs hommes ne s'abritent pas derrière un nom de plume. Ibrahim
Badi, 20 ans, journaliste pour le bien connu quotidien panarabe Al-Hayat, se
considère avant tout comme un romancier (et un dramaturge). Pour ce texte,
qui ne craint pas les audaces politiques lorsqu'il s'agit de critiquer la société
dont il est issu, et plus encore morales, au regard des conventions ordinaires
quant au sexe et à la religion, il a adopté une architecture narrative
sophistiquée, celle du récit dans le récit. Les premières pages, qui semblent
violer à loisir tous les tabous les plus respectés, appartiennent ainsi à un
roman, intitulé Un homme et cinq femmes, que le personnage principal,
romancier, rédige en conseillant au lecteur, d'ailleurs, d'abandonner cette
lecture de ces/ses aventures pas toujours strictement sentimentales! Il envisage
par ailleurs d'utiliser un pseudonyme pour ne pas être accusé de rédiger son
autobiographie! Dans la réalité, le malheureux auteur, de retour chez lui pour
participer à la foire de Riyad, s'est vu confisquer la petite vingtaine
d'exemplaires qu'il comptait distribuer autour de lui à titre personnel. Mais nul
doute que le livre a déjà trouvé malgré cela de très nombreux lecteurs, y
compris en Arabie Saoudite.
Les choses bougent donc beaucoup du côté saoudien et d'autres (bonnes)
surprises sont certainement à attendre. Gare de ne pas s'emballer malgré tout,
et de ne pas répéter certains errements passés où, à force d'avoir les "yeux de
Chimène" pour certaines formes culturelles, celles qui véhiculent et nous
renvoient les "bonnes" valeurs, on a pu s'aveugler pour mieux se construire
une lecture idéalisée des évolutions en cours. Ainsi les "gens du livre" en
Egypte, sociologiquement parlant, sont bien plus présents dans le monde du
"livre islamique" que dans la prose d'un Naguib Mahfouz (ou d'un A'laa AlAswani aujourd'hui), le "millionnaire du livre" comme le rappelle cet article
dans Al-Akhbar...
*****
N'oublions pas Ahmed Abodehman, né en 1949 dans un village des
hautes montagnes de l’Assir en Arabie Saoudite. Il appartient à la tribu des
Qahtan et il est le premier écrivain de la péninsule arabique à écrire en
français. Depuis 1982, il est directeur du bureau du journal saoudien AlRiyadh de Paris. Son premier roman, La Ceinture (Gallimard, 2001), est une
histoire vraie ressemblant à un conte poétique. Cela se passe dans le village
d’Alkhalaf, où personne ne fait rien sans chanter, où les enfants naissent
imprégnés de musique et de poèmes. "Nous sommes, écrit Ahmed
Abodehman, la seule tribu au monde qui descende du ciel. Le ciel fait partie
des montagnes. Chez nous la pluie ne tombe pas, elle monte."
Nombreux sont les textes écrits par des auteurs saoudiens. Certains
traduits et édités en langue européenne, sont plus facilement connus et
accessibles. Montrons donc, un peu d'indulgence et d'intérêt à l'égard de
certaines productions écrites en arabe, qui tombent vite dans l'oubli, faute de
traduction en langue étrangère. Redonnons-leur une chance.
La littérature saoudienne marque un changement significatif sur la
carte culturelle arabe, cette littérature fait couler beaucoup d'encre. En effet,
sauf à être spécialiste, bien rares étaient ceux qui pouvaient citer quelques
noms d'auteurs saoudiens, sans parler de les avoir lus. L'Arabie est décidément
surprenante comme disent certains!
Dr. Al-Ghamdi Abdullah
Université Roi Abdulaziz
Arabie Saoudite
Jeddah