La toxicomanie ou la quête impossible de l`objet

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La toxicomanie ou la quête impossible de l`objet
La toxicomanie ou la quête impossible
de l’objet
Christian MIEL
Directeur Psychologue du Centre Spécialisé de Soins aux Toxicomanes La Porte
Ouverte, de l’association ABCD, Aide et Soins aux Toxicomanes,
114 rue de Calais, 62500 Saint-Omer.
Résumé — Cet article propose d’étudier la fonction de l’objet drogue dans
la dynamique et l’économie psychique du toxicomane. Il sera d’abord
question de comprendre les défaillances de l’objet interne liées à une
introjection insuffisante, leurs rapports avec l’élaboration de l’aire transitionnelle qui n’a pu se constituer de façon satisfaisante chez le toxicomane. Nous ferons alors appel à la notion d’objet référent telle qu’elle
apparaît dans les moments où émerge la crainte de l’effondrement face à
une défaillance soudaine de l’organisation défensive. Cette notion d’objet
référent nous apparaît pouvoir s’appliquer à la drogue, en tant qu’objet
concret, dans son rapport avec le psychisme du toxicomane.
Abstract — The aim of this article is to study the role of drug as an object
in the drug addict’s psychical dynamics and economics. To start with we
will try and understand the defects of the inner object limited with
insutticient introjection, their relations with the construction of the tansitional
space which wasn’t achiered in a sufficien way with the drug addict.
Therefore we shall mention the notion of « referring object » as it appears
with the emergence of the fear of collapse when confronted with a sudden
defect of the defensive organisation. To us, that notion of « referring
object » can appey to drug, as a concrete object, in its relation with the drug
addict’s psychism.
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Mots clés — Toxicomanie – Relation d’objet – Objet transitionnel.
La notion d’objet en psychanalyse s’entend en référence à l’activité pulsionnelle
dans le sens où il est ce par quoi celle-ci tend vers la satisfaction. Elle désigne
aussi ce qui constitue en soi une attirance ou une répulsion (objet d’amour ou de
haine) et concerne aussi bien la personne totale qu’un idéal, une entité. La
complexité de la notion d’objet tient à la terminologie multiple à laquelle elle
donne lieu puisque nous passons de l’objet externe initialement posé, en la
personne de l’autre, à l’objet interne plus souvent évoqué en psychanalyse,
constitué de l’introjection des expériences relationnelles à l’objet et des représentations qu’elles induisent.
Au cours de ce mouvement d’internalisation et d’intégration des activités
pulsionnelles au travers de l’élaboration de contenus représentatifs, il est ainsi
question d’objet total ou partiel, réel, fantasmatique ou transitionnel et sur un
plan pathologique, d’objet bizarre, anaclitique, fétiche, sans parler des objets
d’amour, de haine, de connaissance, de deuil, etc. Il reste que dans le cadre de
notre étude, une attention particulière sera portée à la constitution des objets
internes qui alimentent le processus identificatoire et bien des questions se
poseront sur la place et la signification de l’objet drogue dans l’économie
psychique du toxicomane.
Notre réflexion théorique s’étaie sur une pratique clinique de prise en
charge psychothérapique de personnes héroïnomanes dans un Centre Spécialisé
de Soins pour Toxicomanes. Ainsi, quand nous parlerons du toxicomane, nous
désignerons une personne consommatrice de produits psychoactifs à laquelle
nous sommes confrontés au quotidien dans notre approche clinique. C’est le
rapport au produit et sa fonction dans l’économie psychique du toxicomane qui
seront interrogés indépendamment des entités psychopathologiques sous-jacentes
qu’ils recouvrent.
Les défaillances de l’objet interne
Dans « La négation », Freud reprend des idées exposées dans « Les deux
principes du fonctionnement mental » et « Pulsions et destins des pulsions » et
développe une théorie de l’avènement du psychisme où il est question de la mise
en place de la représentation via la perte de l’objet, sur fond d’articulation du
principe de plaisir et du principe de réalité. Il conçoit à l’origine l’existence d’un
Moi-plaisir qui introjecte ce qui est bon et rejette ce qui est mauvais. Ce
jugement d’attribution régi par le principe de plaisir permet une différenciation
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du dedans et du dehors, du subjectif et de l’objectif. Il précède le développement
du Moi-réel définitif sous l’impulsion du principe de réalité, à l’occasion des
expériences de frustration.
Dans l’« Abrégé de psychanalyse » Freud (1938) écrit :
« Au début, l’enfant ne différencie certainement pas le sein de son propre
corps. C’est parce qu’il s’aperçoit que le sein lui manque souvent que
l’enfant le sépare de son corps, le situe « au-dehors » et le considère dès lors
comme un « objet », un objet chargé d’une partie de l’investissement
narcissique primitif et qui se complète par la suite en devenant la personne
maternelle ».
Le caractère organisateur de la perte d’objet permet l’avènement de la
représentation, la mise en place de la réalité et de l’objet externe. Celui-ci connu
dans la haine, de par la frustration qu’il engendre en son absence ne peut
toutefois se constituer que s’il a été investi préalablement sur un mode narcissique. La fonction de l’objet est essentielle. Dans les moments de frustration
optimale, il est vécu comme source de désir, de plaisir ou de déplaisir ; dans le
cas contraire il suscite une hostilité qui le fait percevoir comme mauvais objet.
Des expériences satisfaisantes, gratifiantes permettent la constitution d’un
« bon objet interne » qui aidera à supporter les moments d’absence de l’objet
externe. Ce qu’il faut entendre, c’est que la constitution de l’objet interne ne se
réalise pas à partir d’une internalisation d’une représentation de l’autre mais de
« la relation entre le moi et l’autre, sous la forme d’une image du moi ou d’une
représentation du moi en interaction avec une image de l’objet ou une représentation de l’objet » (Kernberg, 1996). Des défaillances dans l’objet externe
suscitent au contraire une projection des mauvais objets persécuteurs sur
l’extérieur, une « désobjectalité interne ». L’objet persécuteur pourra être
représenté ultérieurement aussi bien par une personne, une chose, une partie ou
la totalité du corps propre.
La clinique du toxicomane nous révèle la difficulté rencontrée par celui-ci
dans la différenciation progressive entre l’objet de besoin et l’objet de désir, sur
fond de souffrance maternelle. Le problème de la tiercéité se pose très tôt,
rendant difficile l’expression et l’élaboration de l’activité pulsionnelle. La
psyché maternelle endeuillée ou en conflit avec ses propres objets internes offre
l’image d’un objet réel fragile ou peu disponible.
La relation particulière à l’objet primaire chez le toxicomane reflète ainsi
un vécu abandonnique du fait d’une polarisation excessive de la psyché
maternelle sur ses objets internes ou sur un proche de la famille, malade ou
surinvesti. Les moments d’attention maternelle expriment davantage des préoc-
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cupations personnelles ou narcissiques et ne prennent pas en compte le désir
propre de l’enfant :
« J’ai l’impression qu’on m’aime pas pour moi… » ;
« Elle me colle un peu trop, elle a tendance à empiéter sur le domaine de
l’autre ».
Ce contexte relationnel primaire ne répond pas de façon adéquate à la
satisfaction de besoin de l’enfant. Il oscille entre une impression d’éloignement
et une sensation d’envahissement qui viennent compromettre les assises narcissiques précoces et développent une sensibilité particulière à l’environnement au
détriment de l’investissement d’un espace psychique. Le développement d’une
conflictualité précoce entre investissements objectaux et investissements narcissiques s’oppose à la constitution d’objets internes, d’autant plus que des
mesures défensives s’élaborent pour lutter contre la présence excessive des
objets externes.
La problématique de deuil qui entoure l’histoire du toxicomane, tant du côté
de la mère telle qu’elle apparaît dans le thème de la mère morte (Green, 1983)
que du côté du toxicomane au travers d’événements traumatisants divers, rend
aléatoire l’engagement dans le processus de l’adolescence, du fait d’une
fragilité importante dans la constitution de l’objet interne. Cette difficulté se
trouve aussi accentuée par le fait que le processus de l’adolescence recouvre un
travail de deuil du lien à l’objet renvoyant à une problématique de la séparation,
ce qui nous amène à aborder la distinction entre l’objet de besoin et l’objet de
désir.
Le premier concerne l’objet primaire d’attachement, investi mais non
perceptible par le bébé, qui s’inscrit dans une relation anaclitique de satisfaction
de ses besoins fondamentaux (Marcelli, 1995). Le second s’inscrit dans une
relation triangulaire où l’enfant perçoit la relation qu’il a avec sa mère comme
celle qu’elle entretient avec son père. Ces deux niveaux de relation objectale
renvoient à des constructions psychiques différentes allant de la satisfaction de
besoin à la recherche de plaisir.
Cette différenciation progressive du soi et de l’objet autour de ce mode
d’appropriation différent de l’objet rend compte des divers niveaux de structuration du Moi mais conditionne aussi l’élaboration d’un espace psychique à
partir de la distinction entre réalité externe et réalité interne comme la construction des représentations. Ce travail d’élaboration interne est rendu d’autant plus
difficile que les conditions de son émergence ne sont pas requises comme une
relation à une mère « suffisamment bonne », la satisfaction des besoins dans le
respect de l’expression du désir, une présence de l’objet qui ne soit pas
excessive, etc.
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Dans ce travail de séparation psychique ou de deuil du lien à l’objet,
l’adolescent doit réaliser cette différenciation entre l’objet de besoin qui le
renvoie au pôle narcissique, et l’objet de désir qui le renvoie au pôle objectal.
Cette différenciation l’amène à choisir entre la « mère archaïque » qui s’oppose
de manières diverses à tout éloignement, toute maturation psychique de l’adolescent et la « mère libidinale » qui, au contraire, vivra positivement et avec
confiance ses expériences en son absence.
Face à la fragilité des figures parentales, à l’insuffisance d’investissement
des objets parentaux, le travail de séparation psychique chez le toxicomane se
trouve compromis. Nous l’observons notamment dans l’établissement des
relations sentimentales qui suscitent une hémorragie narcissique tellement
l’investissement de l’autre est excessif et censé combler un manque. La
survenue de déceptions engendre un retrait libidinal qui ne fait qu’accentuer un
processus de dépressivité déjà latent.
Un sentiment d’incomplétude
Le tableau clinique est marqué par un comportement de tristesse qu’accompagnent des plaintes de mal-être, sur fond de souffrance profonde :
« Je n’ai pas de centre d’intérêt, il n’y a rien qui m’accroche… J’ai
beaucoup moins peur de la mort que de la vie… »
Un débit verbal lent entrecoupé de silences prolongés, un vocabulaire
pauvre, des difficultés de compréhension verbale et des troubles mnésiques
apparaissent au premier plan. Certains, au contraire, manifestent des conduites
de subexcitation, une logorrhée qui a pour fonction de mettre à distance
l’interlocuteur, de susciter en lui une « ivresse psychique ».
L’immaturité affective, la conduite de dépendance par rapport aux autres,
aux événements les confrontent à une difficulté à se projeter dans un avenir
même immédiat, à se mobiliser dans des activités de loisirs, à s’inscrire dans une
continuité. L’expérience du désir est une épreuve permanente, source d’angoisse. Elle induit des conduites de fuite et le moindre changement, événement
imprévu d’ordre administratif, professionnel, familial ou sentimental, est source
de démobilisation, suscite des réactions décontenancées bien souvent disproportionnées, propices à la rechute dans l’intoxication.
Ces réactions dysphoriques témoignant d’une angoisse profonde par rapport aux modifications de l’environnement ne sont pas nécessairement liées à
des événements pénalisants. Elles peuvent s’observer par exemple à l’acmé
d’une prise en charge psychosociale au moment de l’accès à l’autonomie
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socioprofessionnelle ou de l’engagement dans une vie conjugale qui viennent
réactiver une problématique de la séparation-individuation. Des sentiments de
dévalorisation de soi, de négation de soi, de vide se profilent. Ils recouvrent le
thème de la mort éprouvé lors de situations traumatisantes, de décès d’un être
cher.
Comme le propose Gutton (1986), il importe de distinguer l’affect dépressif
« tourné vers la perte objectale advenue », de la dépressivité en tant que
« disponibilité à ressentir l’affect dépressif » et désignant « l’activité psychique
au regard de l’objet absent considéré comme perdu ». La notion de dépressivité
désignerait davantage l’état psychique à l’aube d’une toxicomanie. La dépression fournit un ensemble de représentations de l’affect dépressif en lien avec
l’objet perdu, tandis que la dépressivité dénuée de toute activité de représentation s’inscrit dans une béance narcissique qui ne peut se satisfaire d’un objet de
remplacement de l’objet idéalisé dont l’expérience de la perte n’est pas
éprouvée. Le dépressif s’appuie sur ses objets internes alors que la personne en
état de dépressivité a recours à la projection sur l’autre ou sur son corps propre,
comme dans la toxicomanie.
L’observation clinique renvoie à une problématique du deuil impossible
qui peut être présente dans les générations antérieures ou apparaît chez le
toxicomane, par exemple, sous la forme :
–
d’un objet aimé perdu devenu persécuteur
Les parents de Nicolas exercent tous deux une activité professionnelle.
Nicolas a surtout été élevé par sa tante maternelle en compagnie de son
cousin. À 6 ans, Nicolas perd son cousin âgé de 13 ans suite à un accident.
Sa tante n’accepte pas cette disparition, reporte son affection sur Nicolas
à qui l’on remet les affaires de son cousin. Nicolas présente des cauchemars à 6 ans, de l’eczéma aux mains à 10 ans puis des angoisses de mort
à 13 ans. Jusqu’à l’âge de 15 ans, il accompagne sa mère ou sa tante sur
la tombe de son cousin, deux fois par semaine. Ultérieurement, il manifeste
dans ses conduites des tentatives de contre-identification à cette image
obsédante du cousin : « Après j’ai commencé à délirer, je fumais, volais.
Je ne faisais plus pareil que lui. C’était un gars sérieux, il travaillait bien à
l’école, sortait pas trop, faisait pas de conneries. À 13 ans, je traînais les
rues… » ;
–
d’un sentiment de culpabilité excessif
À 8 ans, René perd sa sœur cadette par noyade alors qu’il était chargé de
veiller sur elle. Sa mère ne s’étant jamais remise de cette disparition décède
trois ans plus tard. René vivra sa culpabilité pendant plusieurs années dans
des institutions spécialisées, adoptant régulièrement des conduites de
violence et s’initiant progressivement à l’absorption de stupéfiants ;
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–
d’un événement insupportable faisant fonction d’incorporat
Adeline suite aux actes incestueux : « J’ai toujours dit que je les massacrerai un jour. Pendant trois ans, je n’ai ressenti que de la haine envers tout le
monde. Plus j’avais de la haine, plus je prenais du produit. J’espère pour eux
les plus grandes misères du monde, qu’ils crèvent tous ».
Par ailleurs l’investissement sexuel de l’objet apparaît chez le toxicomane
comme une menace pour l’assise narcissique du fait de l’incapacité à concevoir
l’objet d’amour comme un objet transformationnel (Braconnier, 1986). Il s’agit
en effet dans cette expérience d’illusion amoureuse qui reproduit cette phase de
développement où se réalise la différenciation entre l’objet de besoin et l’objet
de désir, d’accepter que l’objet d’amour soit capable de se substituer au
fantasme de l’amour objectal parental et qu’il puisse aimer d’une autre manière.
Cette difficulté à accepter les transformations de l’objet d’amour conduit à une
multiplication des expériences avec des représentants de l’objet d’amour
investis à l’identique :
« Avec les mecs, ç’a jamais été ça. J’attendais beaucoup d’amour, d’affection, qu’on m’aime pour moi. J’étais vite amourachée des mecs, je voulais
qu’on s’occupe de moi, que j’intéresse quelqu’un. J’allais trop vite, je me
disais, je vais avoir des rapports comme ça je vais le garder ».
L’autre mode de réponse à cette « pathologie du narcissisme blessé »
(Gutton, 1986) est la projection sur le corps propre au travers des pratiques
d’incorporation, réalisant un déni de la puberté. La suspension du processus de
l’adolescence est souvent relatée dans le discours des toxicomanes sous forme
d’impressions de ne pas avoir accédé à une maturation intérieure suffisante. Ce
phénomène s’observe aussi après coup, au sortir d’un sevrage physique, dans le
cadre d’un travail psychothérapique où la crise d’adolescence semble émerger
à distance sur fond de confrontations, le cas échéant, avec les figures parentales.
Ce choix de la projection sur le corps constitue un évitement de la dépressivité.
La prise de produit apparaît comme une tentative de mise à l’écart de l’autre
où le toxicomane est à la fois présent (physiquement) et absent (psychiquement).
L’intoxication permet aussi de traiter les objets internes comme les représentations angoissantes ou agressives. Contrairement aux défenses élaborées dans les
états psychotiques où il est procédé à une attaque des liens avec l’objet
(Bion, 1959) ou à une destruction de celui-ci, il s’agit ici d’une action sur le
corps visant à neutraliser les affects par une altération des capacités sensorielles
et pulsionnelles, en vue de suspendre l’activité représentative. Le recours au
produit vient restaurer « une trame narcissique qui demeure en quelque sorte
trouée, les trous étant occupés par les objets externes » (Jeammet, 1991).
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L’objet addictif au service du narcissisme permet la maîtrise de la relation
objectale. Il traite des angoisses dépressives liées à la peur de perdre l’objet ou
des sentiments de persécution liés à des menaces d’intrusion et témoigne de
défaillances dans l’intériorisation de la fonction de pare-excitation qui a été
préalablement mal assurée par l’objet maternel. Face à cette pathologie du lien
objectal, il s’établit une dépendance narcissique aux objets externes et c’est lors
d’une perte ou menace de perte de l’objet narcissique d’étayage qu’une conduite
d’addiction peut se développer. Le produit a alors pour fonction de colmater la
brèche, de panser la blessure narcissique. L’appétence objectale est vécue
comme une menace narcissique et le Moi y répond en y substituant un objet
d’addiction qu’il maintient sous son emprise.
Un objet transitionnel inconsistant
La souffrance maternelle, telle qu’elle apparaît dans le thème de la mère morte,
l’inadéquation relationnelle mère-enfant sur fond de séduction excessive ou le
sentiment de désarroi qu’engendre le désinvestissement affectif brutal, constitue un contexte environnemental plus ou moins présent en amont de la conduite
toxicomaniaque. Le sentiment d’avoir commis une faute tend à se développer
en même temps que des états de frustration accentuent les pulsions agressives.
La peur de porter atteinte à un objet maternel fragilisé est alors prédominante
mais il semble s’être réalisé une perte des bons objets internes et externes devant
la poussée des fantasmes agressifs en même temps qu’une introjection des
parties mauvaises de l’objet maternel correspondant à sa propre souffrance.
La coexistence dans l’espace psychique du toxicomane d’objets internes
attaqués par ses pulsions agressives comme de mauvais objets introjectés
étrangers à ses processus psychiques n’a pas permis d’établir une distinction
suffisante entre le dehors et le dedans. Il s’est produit comme une contamination
de ses objets internes en même temps que s’installait une dépendance excessive
à l’environnement, aux perceptions externes, témoignant d’une vulnérabilité
narcissique.
La constitution d’une aire d’échanges comme préalable à la différenciation
sujet/objet et à la constitution d’une trame narcissique servant de fondement au
sentiment de continuité de soi, semble avoir été défaillante chez le toxicomane.
L’espace transitionnel (Winnicott, 1975) situé entre la satisfaction pulsionnelle
et l’objet visé est un lieu d’échanges permanents dans lequel s’insèrent les objets
transitionnels qui représentent des objets distincts du Moi mais non encore
reconnus comme tels et se constituent à partir de l’investissement fantasmatique
d’un objet réel. Les phénomènes transitionnels regroupent des productions
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mentales provenant de la rencontre de l’imaginaire et de la réalité extérieure et
l’objet transitionnel en tant qu’il représente le sein ou la mère est un persécuteur
du symbole.
La qualité de l’aire transitionnelle dépend du comportement adéquat de
l’objet externe ; de même que l’objet transitionnel se constitue à partir d’un objet interne suffisamment bon qui lui-même est fonction du comportement de
l’objet externe. Dans la pathologie du lien objectal à laquelle renvoie la
toxicomanie, le corps de l’enfant a été le lieu de projections de l’objet externe
au mépris du désir propre. Le statut de l’objet transitionnel est devenu dès lors
défaillant notamment dans sa fonction de défense contre l’angoisse de type
dépressif, ce qui n’a pas permis l’introjection de la fonction maternelle et
l’élaboration d’un système de pare-excitation. À l’objet transitionnel défaillant
succédera, le cas échéant, le produit en tant qu’objet transitoire « dans le sens
où il faut le remplacer continuellement, puisqu’il n’a ni la signification, ni le
destin du véritable objet transitionnel à savoir un objet en voie d’introjection »
(Mc Dougall, 1982).
Le recours au produit signe alors l’échec de la fantasmatisation et de
l’internalisation de l’objet. Il se substitue bien souvent à une utilisation prolongée de l’objet transitionnel (morceaux de tissus, étiquettes de vêtements, patte
de lapin, porte-clefs avec objet soyeux, etc.) telle que nous avons pu l’observer
dans nos cas cliniques, recouvrant « un déni de la crainte que cet objet perde sa
signification » (Winnicott, 1975).
Une peluche à proximité lors des moments d’endormissement ou reléguée
sur une étagère peut être investie comme confidente et servir de support à des
monologues intimes. Plus fréquemment, l’animal domestique fait l’objet de
projections diverses et fait fonction de refuge sécurisant et consolateur. Il tend
à être investi ici en tant qu’objet anaclitique dans une démarche de renforcement
du moi. Sa disparition est d’autant plus mal ressentie qu’elle confronte le Moi
à un sentiment de solitude proche de l’anéantissement.
Johan est issu d’une famille sociale aisée et s’est senti délaissé par des
parents préoccupés par l’activité de l’entreprise familiale et absorbés par une
vie sociale mondaine. Il justifie toutefois leur indisponibilité et partage leurs
préoccupations par rapport à l’hostilité d’autres membres de la famille élargie.
Il a longtemps disposé de morceaux de tissus (draps, mouchoirs, chiffons) avant
d’acquérir un ours en peluche. Celui-ci se trouve relégué dans un placard. Il n’a
plus de nez et Johan prend de temps à autre plaisir à « appuyer » sur cet endroit
manquant, comme pour se rassurer de sa réalité ! Johan se plaint par ailleurs
de l’absence de dialogue avec ses parents. Il ne peut utiliser la parole comme
vecteur de communication et d’affirmation de soi : « Je ne peux jamais aller
jusqu’au bout de ma phrase sans que je sois coupé ! ».
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Cette peluche a laissé place à un dialogue avec un être qu’il qualifie tantôt
d’imaginaire, tantôt de réel : « Je lui explique des choses, je fais des confidences. Tout ce que je dis, après ça disparaît. Je l’imagine à ce qu’il me ressemble…
Je l’imaginais que c’était un fantôme, un pirate ». Plusieurs animaux domestiques lui ont servi de compagnie, des chats, des chiens. Ils sont morts suite à une
maladie ou se sont fait écraser. Enfin, sa mobylette fait l’objet d’une attention
particulière, il aime souvent « la toucher, l’avoir entre les jambes ».
Ces éléments cliniques témoignent d’une inhibition massive de la vie
pulsionnelle, d’une difficulté à accéder au registre œdipien du fait de l’angoisse
de castration, représentée ici par la peluche au nez arraché et l’impression de
ne pas avoir le droit à la parole. Il tente de contourner cet obstacle par un
clivage du Moi, où il projette des parties du Moi chargées d’agressivité dans un
double imaginaire aux allures de pirate, dans l’investissement affectif d’animaux qui le séduisent par leur agilité, leur force et dans un rapport singulier à
un objet matériel qui lui procure un sentiment de puissance.
Ces projections des mauvaises parties du Moi ne sont pas suivies de
l’introjection d’affects lors de la perte d’animaux ou de déceptions amicales ou
amoureuses, du fait de la fragilité narcissique sous-jacente. Il s’ensuit un état
de dépressivité que la consommation de cannabis tente de juguler en même
temps qu’elle autorise l’expression sur la scène imaginaire de fantasmes
agressifs qui jusque-là semblaient épargner les figures parentales : « Quand je
fumais, je repensais à beaucoup de choses sur mes parents. Je me moquais de
mes parents. J’étais le film, le cannabis la caméra. J’étais metteur en scène et
acteur ».
Ce scénario imaginaire ne dure que le temps d’un joint et se trouve mis sur
le compte des effets du cannabis. Il fait l’économie de l’expression d’affects
dans la relation avec les figures parentales et évite la confrontation avec un
sentiment de culpabilité. La consommation de cannabis s’inscrit dans le
prolongement d’une dérivation progressive des pulsions agressives d’abord
encapsulées dans des objets divers avant d’apparaître dans un double imaginaire puis dans un scénario dans lequel ce n’est plus l’objet transitionnel qui
évolue dans une aire d’illusion mais le Moi, tantôt acteur, tantôt spectateur.
Ce besoin de prolonger le rapport à l’objet transitionnel peut réapparaître
chez certains toxicomanes qui continuent les injections alors qu’ils deviennent
indifférents aux effets du produit. La seringue prend la signification d’un objet
transitionnel qui a la particularité de faire apparaître et disparaître le sang,
symbole de vie. Il s’effectue une mise en scène interminable d’une relation
fondamentale telle qu’elle a été décrite par Freud dans le jeu de la bobine mais
transférée ici sur le registre de la vie et de la mort. Cette situation produit de la
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fascination à défaut de sens et semble enfermer le Moi dans un rapport illusoire
à la réalité qu’il ne parvient pas à introjecter.
La défaillance observée dans la signification de l’objet transitionnel témoigne d’une élaboration insuffisante de l’objet interne du fait qu’il ne lui a pas été
permis de vivre de façon adaptée l’expérience de la déception au travers des
temps d’absence et de présence maternelle. L’objet ne s’est pas constitué en
objet désir et les objets ont toujours été appréhendés en tant qu’objet narcissique
dans les moments d’expériences perceptivo-sensorielles et émotionnelles.
Le fonctionnement relationnel objectal du toxicomane, par ailleurs ancré
sur le registre utilitaire, vient du fait que les pulsions non satisfaites à l’origine
ont engendré des frustrations qu’il n’a pas appris à contenir et qui l’ont amené
à élaborer un Surmoi contraignant. L’enfant a tenté de suppléer aux insuffisances maternelles, à ses soins désordonnés afin de colmater ses angoisses primitives provenant de besoins instinctuels non contenus. Il a appris à se satisfaire via
la mère et à inaugurer un mode de relation où, à défaut d’être aimée, elle est
utilisée. Ce type de situation se retrouve aussi dans la relation soignante ou
psychothérapique où le thérapeute, tantôt idéalisé, tantôt dénigré, est sollicité
dans les moments de détresse comme objet supplétif ou le thérapeute perd toute
trace de la personne après un suivi prolongé.
L’adaptation de la mère aux besoins de l’enfant décroît au fur et à mesure
que celui-ci dispose de moyens pour vivre l’expérience de la frustration et
supplée à la défaillance maternelle par un développement de l’activité symbolique et fantasmatique et le recours à des satisfactions autoérotiques. Dans les
premiers temps, le bébé a l’illusion que le sein maternel est une partie de lui :
« le sein est créé et sans cesse recréé par l’enfant à partir de sa capacité d’aimer
ou, pourrait-on dire, à partir de son besoin » (Winnicott, 1975). Les phénomènes
transitionnels s’inscrivent dans le prolongement de ce mode de relation magique
où le sein, et partant la réalité extérieure, apparaissent au gré des besoins de
l’enfant. À l’illusion succède la désillusion relative aux conduites maternelles
qui permettent la confrontation avec des moments de frustration. La désillusion
est bien vécue dans la mesure où l’illusion a été satisfaisante.
L’expérience toxicomaniaque venant relayer une utilisation prolongée de
l’objet transitionnel ne vient-elle pas reconstituer un espace d’illusion, témoigner d’une nostalgie de la satisfaction hallucinatoire en faisant apparaître un
objet bon à incorporer ? Le choix d’une expérience régressive se fait à l’adolescence, à une période où doit s’effectuer le deuil des images parentales alors que
le passage de l’objet de besoin à l’objet de désir ne s’est pas réalisé. Il apparaît
nettement que des failles existent au niveau du sentiment d’être provenant d’une
idéalisation mutuelle entre la mère et le bébé qu’assure une fonction contenante.
Ces failles n’ont pas permis d’acquérir pleinement un sentiment d’identité
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corporelle et psychique qui nécessite le dépassement de la position dépressive.
Aussi, le toxicomane tente de se soigner ou de restaurer l’objet par un déni en
acte de ses pulsions agressives au prix de vécus régressifs qui réalisent l’extase
de l’idéalisation primitive.
Le recours au produit tente de réactualiser un sentiment d’omnipotence soit
la capacité à créer l’objet nécessaire à sa satisfaction qui sert de fondement au
développement des objets transitionnels. Ces derniers n’ont pu se constituer en
raison d’une capacité à tolérer les frustrations provenant d’une attitude maternelle incohérente. Le toxicomane n’est pas parvenu à expérimenter l’espace
transitionnel en tant que lieu de projections fantasmatiques notamment de ses
tendances agressives, ce qui lui aurait permis de se rendre compte de la
persistance de la réalité de l’objet. Il n’est pas parvenu à développer une
« capacité à être seul » (Winnicott, 1975) dans son rapport avec l’objet en
présence de la mère, du fait de l’indisponibilité psychique de celle-ci qui était
source d’angoisse.
Le produit en tant qu’objet référent ?
Quel peut-être le statut et le rôle dans la psyché du toxicomane, de cet objet
concret qu’est la drogue alors que nous ne pouvons lui reconnaître ni la fonction
de substitut d’un objet partiel, ni celle d’un objet transitionnel ? La drogue ne
peut par ailleurs être considérée comme un objet fétiche : « Si le fétiche est
« signe », la drogue vise l’élimination de la signification et au-delà, l’inutilité
de tout discours » (Geberovich, 1984). L’incorporation du produit inscrit le
toxicomane dans le registre du besoin qui lui permet de faire l’économie du désir
tout en lui permettant d’accéder à un au-delà du plaisir, à un état de jouissance
au travers des modifications de l’expérience perceptive et sensorielle. L’expérience toxicomaniaque renvoie-t-elle à une phase archaïque constitutive du
psychisme qu’elle tente de prolonger au détriment de l’épreuve de la réalité ?
La clinique psychopathologique du toxicomane nous révèle ainsi le recours
à cet objet concret face à ce que Winnicott appelle la crainte de l’effondrement.
Cette notion désigne une défaillance soudaine de l’organisation défensive,
confrontant la personne à une expérience de l’ordre de l’impensable, à un
moment donné où les possibilités de représentation et de mentalisation font
défaut comme dans certaines formes de dépersonnalisation ou dans les désorganisations contre-évolutives en psychosomatique. Le mode de réponse adopté
entraîne le recours à la voie somatique ou à l’expression d’une angoisse
primitive. La notion de crainte de l’effondrement exprime sur le mode pathologique la notion freudienne d’Hilflosigkeit qui désigne l’état de détresse dans
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lequel se trouve le nourrisson placé dans une situation de dépendance extrême
face à sa mère pour la satisfaction de ses besoins. L’état de détresse chez l’adulte
précède le mouvement dépressif et se trouve ressenti chaque fois que l’objet
n’apporte pas la gratification espérée en même temps que la personne accède à
une conscience vive de sa dépendance par rapport à l’autre.
L’effondrement qui s’ensuit chez un sujet jusque-là capable de mentalisation
témoigne de l’existence d’une faille constitutive dans l’activité représentative
ou d’une faiblesse qui, soudain, devant un afflux important d’excitations
internes, le confronte à une expérience impensable à laquelle la consommation
de produit tentera de remédier. Le bénéfice obtenu est le déplacement des affects
de détresse sur cet objet concret désigné comme responsable, ce qui permet
momentanément de faire l’économie de tout travail de prise de conscience de sa
problématique psychique. Un tel déplacement de la dynamique psychique sur
l’objet concret offre en outre l’illusion d’une pseudo-maîtrise de la situation
puisque l’impensable se trouve désormais tributaire de la prise de produit.
Nicolaidis (1993), interpellé par les formes cliniques où prédomine la
crainte de l’effondrement, désigne par la notion de « référent »1, l’objet et la
période renvoyant à une expérience de l’impensable. Il en vient à « émettre
l’hypothèse qu’avant “l’hallucination primitive”, le bébé vit une sorte de
“représentation” du référent pendant laquelle la pulsion est représentée par une
image “objective” concrète et en tout cas non hallucinable (en l’occurrence : le
sein ou son substitut) ».
Précédant l’hallucination primitive freudienne, Nicolaidis (1979) distingue une représentation première liée à l’objet référent, impensable, innommable, une représentation qui a l’aspect d’une image « objectale concrète, non
encore hallucinatoire » qu’il situe en deçà de l’appareil psychique. L’objet
référent et la représentation première, sorte de mouvement préhallucinatoire,
sont liés à la nécessité, au devoir vivre. À ce premier temps qui va mettre en
marche l’hallucinatoire primitive succède la représentation signifiante. Elle
1
Nicolaidis (1993) emprunte la notion de référent à la hiérarchie linguistique saussurienne
et structualiste (signifie, signifiant, signe, référent). Le référent est « l’objet particulier
auquel le mot correspond dans le concret de la circonstance ou de l’usage » (BENVENISTE E., Problèmes de linguistique générale, vol. II, Paris, Gallimard, 1974, cité par
NICOLAIDIS N. p. 34). L’auteur cite en exemple sous l’angle du référent la table qui,
avant qu’elle ne devienne signe est un objet-chose, sans destination précise, se situant
avant toute expérience, pouvant être formé d’une surface plane horizontale. Dans une
optique psychanalytique, il propose « d’imaginer le sein, au début de la vie du bébé (en
tant qu’objet partiel de la mère) comme objet référent du fait que ce n’est qu’un objet
d’un besoin matériel ayant une destination précise, certes, mais qui obéit à une
programmation génétique et non encore à un désir » (NICOLAIDIS N., La force
perceptive de la représentation de la pulsion, Paris, PUF, 1993, p. 33).
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La toxicomanie ou la quête impossible de l’objet
s’intègre dans l’appareil psychique, assure une fonction « protosymbolique »
par la distinction entre signifié et signifiant, et s’inscrit dans le champ du désir
en devenant élément de séparation à une période qui correspond pour Nicolaidis
au premier temps de la castration. La représentation signifiante apparaît comme
une représentation phallique qui vient colmater le vide, qui coupe et permet la
relation. En faisant de la représentation signifiante une représentation phallique,
Nicolaidis rappelle par là même que le signifiant phallique, en tant que
représentant de la métaphore paternelle, doit exister auparavant dans la parole
de la mère, dans les fantasmes parentaux, définissant un préalable indispensable
au bon développement de la représentation.
La durée et l’intensité de la période au cours de laquelle l’objet référent,
n’étant pas hallucinable, parvient à la représentation sont fonction de la qualité
et de l’intensité des fantasmes parentaux. C’est ici que viennent s’articuler les
notions de capacité de rêverie maternelle de Bion (1996), d’aire transitionnelle
de Winnicott, autant de situations qui ne sont rendues possibles que si les
représentations maternelles sont suffisamment imprégnées du signifiant phallique. C’est ainsi que l’objet référent, qui « se situe en deçà et au-delà de toute
loi » (Nicolaidis, 1984) pourra donner lieu progressivement à l’hallucination
primitive et à l’expérience de la satisfaction hallucinatoire de désir.
L’objet drogue, appréhendé par certains comme un objet transitoire à
défaut d’être un objet transitionnel, nous apparaît relever davantage de la notion
d’objet référent car évoluant dans le registre de l’impensable. Sa présence signe
l’échec de la représentation, des processus symboliques à lier des affects
survenant sur fond de souvenir traumatique.
Conclusion
L’objet drogue vient ici répondre à un excès d’excitations, d’affects douloureux
qui ne parviennent pas à accéder à la représentation. Confronté à la crainte de
l’effondrement, le toxicomane se reporte sur un objet concret qui fait office
d’objet référent, le situant dans le registre de la nécessité, et qui a la particularité
de réamorcer un fonctionnement psychique sur le mode de la satisfaction
hallucinatoire, indépendamment d’une relation à l’objet de désir d’une confrontation à des fantasmes agressifs, violents. À la dialectique psychique défaillante
chez lui de la satisfaction et de la frustration, il substitue progressivement une
dialectique négativante de l’élation et du manque qui, du fait de l’augmentation
de la fréquence et de l’importance de la consommation, le conduit à l’absence
de représentation et bien souvent, à terme, au néant.
Reçu en septembre 1999
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