Réalisation Artistique avec des Elèves « Balade avec Prévert »
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Réalisation Artistique avec des Elèves « Balade avec Prévert »
Réalisation Artistique avec des Elèves « Balade avec Prévert » Eléonore GUILLAUME Formation Initiale Diplôme d’Etat Promotion 2010/2012 Professeur de musique Spécialité : piano 1 Création musicale autour de textes de Jacques Prévert Introduction ..................................................................................................................... 3 I/ Elaboration du projet...................................................................................4 a) Pourquoi Prévert ?..........................................................................................4 b) Objectifs pédagogiques...................................................................................5 II/ Réalisation...................................................................................................5 a) Mise en place du dispositif...............................................................................5 b) Moyens mis en œuvre.......................................................................................6 III/ Bénéfices d’un tel projet...........................................................................10 a) Quels apports ?................................................................................................10 b) Bilan..................................................................................................................11 Annexe ...............................................................................................................................13 2 Introduction : Depuis quelques années, je travaille activement auprès de compagnies de théâtre (Cie Théâtre du Tricorne/ Cie La Voix de l’Ourse/ Cie Les Inventés), pour lesquelles j’écris, j’arrange et j’interprète les musiques originales. (La Cantatrice Chauve, de Ionesco (2006), Le Grand Orchestre du Tricorne gueule Rictus d’après des poèmes de Jehan Rictus (2009) pour le Théâtre du Tricorne, L’Heure est mûre, d’après des poèmes d’Olivier Campos (2010) pour la Voix de L’Ourse et La Dame au violoncelle, de Guy Foissy (2012) pour Les Inventés.) A travers ces rencontres riches et variées, je découvre à chaque réalisation de nouvelles dimensions tant humaines qu’artistiques. Chaque rencontre apporte de nouvelles sensibilités, de nouveaux outils, de nouvelles palettes expressives. Le travail en équipe auprès de comédiens, de metteur en scène, de techniciens du spectacle permet de s’enrichir, chacun apportant son bagage artistique, sa sensibilité, son regard, son rapport à la scène, son rapport au texte et son expressivité. Dans le cadre de l’élaboration d’un projet avec des élèves, j’ai souhaité faire partager ces expériences transversales auprès d’élèves musiciens et comédiens, à travers le développement de la créativité individuelle de chacun : en peu de temps, leur faire découvrir le travail de création, à travers des outils simples et à portée de tous. J’ai ainsi choisi de travailler autour de poèmes de Jacques Prévert. C’est à travers un ensemble de textes choisis que j’ai construit ce projet, chaque poème invitant l’auditeur à un voyage : dans le monde poétique de Jacques Prévert, réalité, rêve et irréalité coexistent harmonieusement. 3 I/ Présentation du projet a) Pourquoi Prévert ? Très descriptive, la poésie de Prévert est combinée de mots du quotidien, simples, proche du langage parlé. Il ne triture pas la phrase ou la grammaire: il écrit comme il parle et c'est pourquoi ses histoires sont si belles et vraies .La poésie de Prévert a pour but, essentiellement, d’exprimer ce qu’il ressent. Il décrit le monde qu’il perçoit... Prévert n’utilise pas un langage poétique mais se sert du parler populaire auquel il attribue une valeur poétique. Pour cela, il l’accommode à sa manière et lui communique un renouveau de jeunesse et de vigueur en changeant le sens des mots en les disposant selon sa fantaisie. Il transforme ainsi le langage en poésie. L’intérêt pour la poésie de Prévert ne réside pas tant dans son contenu mais dans l’originalité de son expression. Afin de conserver une allure naturelle à la langue populaire devenue alors poétique, le poète accumule les répétitions qui donnent à l’expression la démarche hésitante et désordonnée de l’improvisation. L’absence de ponctuation accentue à cette impression. La musicalité de ces poèmes et l’ouverture vers l’imaginaire qui découle de ses écrits m’ont confortée dans mon choix. Chacun de nous connaît Prévert, et l’occasion de redécouvrir plus en profondeur ce poète m’a fortement intéressée. A partir de ses différents recueils, j’ai moi-même fait le choix des textes de ¨Prévert, différent pour les deux groupes. Les textes sont tirés de Spectacle (1951), Paroles (1949), et Histoires et d’autres histoires (1963). Pour le premier groupe, les textes étaient les suivants : Chanson de la Seine (Spectacle), Pour faire le portrait d’un oiseau (Paroles) et Chanson des escargots qui vont à l’enterrement (Paroles). Pour le second groupe : Un beau matin (Histoires et d’autres histoires), Les oiseaux du souci (Paroles), Barbara (Paroles) et La Couleur locale (Spectacle). 4 b) Objectifs pédagogiques Interaction entre des classes de musique et des classes de théâtre : initiation à la transversalité. Interaction de différentes classes et de différents cycles au sein d’un même projet. Travail collectif : apprendre à s’écouter, à réagir, à être force de proposition, à s’exprimer. Participation active de chacun au sein de la création, dans l’élaboration de ce projet : épanouissement individuel au sein du projet. Approche/découverte de la relation texte/musique. Découverte de modes de jeux contemporains, exploration sonore de son instrument. Développement de l’imaginaire sonore et poétique de chacun. Présentation publique du travail réalisé, enjeux, préparation et découverte de la scène. II/ Réalisation a) Mise en place du dispositif : Ce projet s’est réalisé au conservatoire de Rambouillet (78), entre Octobre 2011 et Janvier 2012. Deux groupes se sont constitués à ma demande : pour le premier d’un ensemble de musiciens de Cycle 1 : par soucis d’organisation, j’avais moi-même fait la demande d’un ensemble instrumental bien précis : Deux pianistes (seulement une pianiste a finalement participé au projet), un violoncelliste (deux violoncellistes ont participé au projet), une flûtiste, un clarinettiste, une altiste et un violoniste (qui a finalement abandonné le projet en cours de route, pour des raisons de disponibilités.). Ce premier groupe était donc constitué de six musiciens volontaires, tous en début ou en milieu de cycle 1. Seule la pianiste était en début de cycle 2. Le deuxième groupe était constitué d’un quatuor à cordes. Chaque musicienne était en cycle 3, lycéenne ou étudiante. 5 La classe de théâtre du conservatoire de Rambouillet n’étant pas très fournie, seulement deux comédiens participèrent au projet : une jeune de 12 ans avec le premier groupe, et un adulte avec le second. Planification des séances : 6 séances de travail et de recherche, espacées d’une semaine chacune, plus une générale, puis la réalisation publique. Les séances du premier groupe était d’une heure, les séances avec le quatuor, à l’origine d’1h15 dépassaient plutôt jusqu’à 1h30/1h45 ! Les comédiens ont intégrés les séances de recherche à partir de la troisième. Afin d’amorcer le travail avec les groupes, j’ai moi-même composé pour chacun la musique de deux poèmes : Chanson de la Seine pour le premier groupe et Barbara pour le quatuor. b) Moyens mis en œuvre L’improvisation Le travail à partir de l’improvisation est un formidable outil, permettant de découvrir de nouvelles palettes expressives. Improviser implique un engagement corporel qui vient souvent plus naturellement que lorsqu’on lit une partition. La création de sons insolites nécessite parfois de prendre son instrument dans tous les sens, ce qui peut libérer les élèves de la peur d’une « mauvaise » posture, et leur faire acquérir une attitude beaucoup plus souple et moins figée. L’atelier de création s’est tourné vers cet outil afin de développer chez les élèves leur créativité, en développant chez eux de nouvelles aptitudes. Les exercices éprouvés lors des séances au Cefedem animés par la contrebassiste Hélène Labarrière ont pu m’apporter les outils nécessaires auprès des élèves musiciens. Réalisation Chaque poème a nécessité un travail de recherche différent. Pour le premier groupe, nous avons dû abandonner, faute de temps, le travail de création pour le texte Chanson des escargots qui vont à l’enterrement. Pour le second groupe, le texte La Couleur locale n’a pas été traité musicalement, mais uniquement interprété par le comédien seul en scène en guise d’ouverture lors de la réalisation publique. 6 Premier atelier : - Pour faire le portrait d’un oiseau : (annexe page 16) La création musicale autour de ce texte s’est réalisée sur la forme d’une construction d’un tableau musical. A partir d’un travail linéaire autour du texte, les musiciens se sont inspirés des mots et des univers peints par le poème. Comment différencier musicalement un jardin, un bois, une forêt ? Comment illustrer de manière poétique et musicale un texte littéraire ? De cette recherche textuelle s’est construit un travail sur les contrastes : solo/tutti, bois/vents/piano, mais également une recherche motivique, rythmé par une recherche de couleur sonore. La résonance proposée par le piano a été une piste de travail. Utilisation de mode de jeux contemporains : dans les cordes du piano, col legno cordes, bruits de clef flûte /clarinette. Recherche sonore sur l’illustration des mots .Le travail avec la comédienne s’est fait dans deux directions : être à l’écoute et s’imprégner des couleurs proposées par les musiciens ; pour les musiciens : l’anticipation et le rapport au par cœur. Les mots du poème sont les éléments déclencheurs : il faut donc être très à l’écoute, et connaître son rôle ! Nous avons intégré à ce poème un jeu de scène, qui consistait à mimer certains passages en jouant. L’interaction était très forte entre le texte et la musique, chacun devant s’adapter aux propositions des autres. - Chanson de la Seine : (annexe page 14) La musique écrite pour ce texte était répétitive, construite à partir d’ostinatos qui se chevauchaient. Le figuralisme musical des croches continues au piano évoquait le flux de la Seine. Ces éléments musicaux étaient construits en parallèle avec le poème : chaque nouveau vers venait s’ajouter au flux musical existant. Les musiciens avaient donc la responsabilité d’un ostinato, et d’un vers ! Les musiciens devenaient ainsi euxmêmes comédiens ! Ils découvraient de cette façon le travail de l’acteur : apprendre un texte, se faire comprendre à travers le travail de l’articulation, porter sa voix, s’exprimer ... Tout en s’insérant dans la ligne musicale ! Il fallait donc tendre l’oreille pour écouter le flux musical, puis une fois le vers déclamé, reprendre sa place dans l’orchestre ! 7 Second atelier : - Un beau Matin : (annexe page 18). A partir de l’analyse littéraire du texte s’est construite la recherche musicale : (forme, champ lexical). Nous avons travaillé autour de jeux d’improvisation par binôme, puis autour d’improvisation collective. Ces exercices ont permis de rechercher des modes de jeux, de couleur. Voici une petite liste des modes de jeux utilisés par le quatuor, permettant de créer divers effets sonores : Sul ponticello : son grinçant près du chevalet Sul tasto : son feutré sur la touche Glissendo : son glissé Pizz bartok : corde pincée claquant la touche Col legno : son avec le bois de l’archet Percussions sur la table de l’instrument Le travail de création s’est ensuite tourné vers les jeux avec les mots et le nonsens. L’absurde était une direction : le quatuor a joué avec le contraire, pour provoquer l’auditeur. Par exemple, « quelque chose » traduit par du silence. La tension du texte, l’angoisse du personnage se sont illustrés par des montées en crescendi en tremolo des 4 instruments du quatuor. La dramaturgie du poème a aidé dans la recherche de paliers expressifs, travaillant sur les nuances, la tension, les conduites de phrases... Pour le comédien, le travail a été d’apprendre à être à l’écoute des éléments musicaux déclencheurs, et réciproquement pour les musiciennes. Là encore, l’interaction entre le comédien et les musiciennes était très forte. La scénographie s’est construite peu à peu : pour ce texte, le comédien était placé au sein du quatuor, assis en arc, rassemblant le poème et la musique. L’essai de mise en mouvement du quatuor n’a pas été évident, la peur du regard des autres prenant le dessus au début. Les éclats de rire étaient au rendez-vous ! Le travail sur la mise en scène a permis de développer chez elles une grande observation de l’autre, et de prendre conscience du moindre geste réalisé. 8 - Les oiseaux du souci : (annexe page 17) A l’inverse du texte précédent, la construction musicale s’est faite plus librement par rapport au texte. L’écriture de cette musique était une forme ouverte, proposant une interprétation nouvelle à chaque exécution. Le comédien laissait alors ses mots se faufiler à travers le flot de la musique, très continue, sans impact. Le quatuor a ainsi développé l’homogénéité du son, la justesse, et l’écoute du groupe. - Barbara : (annexe page 15) Ce poème est un texte de circonstances qui se réfère aux 165 bombardements de la ville de Brest entre le 19 juin 1940 et le 18 septembre 1944. La destruction complète de la ville inspire une réflexion pessimiste sur l’amour et la vie. La nostalgie du bonheur passé est une résurgence des souvenirs .Dans ce poème, l'amour a la capacité d'engendrer autour de lui un environnement positif. Le paysage devient le miroir du bonheur mais aussi du malheur. Ce poème a des apparences de la facilité d’une chanson populaire. En réalité, il dénote une sensibilité à vif, un jeu subtil sur le pathétique. Le poète atteint son objectif avec fort peu de moyens puisque le poète n’a recours qu’à une seule image : la pluie. C’est ainsi qu’il parvient à dénoncer avec force les horreurs de la guerre. Pour garder toute l’émotion du poème, la musique répond à la fin du texte, comme la résonance du poème. 9 III/ Les bénéfices d’un tel projet a) Quels apports ? L’occasion était pour moi de travailler autour de la rencontre de deux univers, le théâtre et la musique, chacun pouvant apprécier et découvrir un monde pourtant si proche. Le travail autour d’un même support, les textes de Prévert, ont été le lien entre ces deux disciplines, chacun se l’appropriant à sa manière. De plus, ce projet a permis à des élèves de cycle 1 de découvrir la musique d’ensemble, et ce dès les toutes premières années d’instruments. Je pense en particulier aux pianistes, qui n’ont pas si souvent l’occasion de jouer avec d’autres instrumentistes. Ces formes d’ateliers sont l’occasion de croiser différents instruments, à travers de nouvelles formes d’apprentissage. Les ateliers organisés autour de ce projet ont été l’occasion de réunir différents élèves instrumentistes, et de découvrir le travail et le jeu collectif : à partir des textes, réunir les sensibilités de chacun afin d’élaborer la création musicale inspirée par le poème. Cette dimension implique de la part de chacun des règles de vie, notamment à travers l’écoute et le respect de l’autre, mais également apprendre à s’exprimer, à être force de proposition, à s’adapter aux choix des autres, à s’organiser et planifier le contenu des séances. L’autonomie accordée aux élèves lors des séances est source d’investissement du groupe. J’ai souhaité réunir à travers ce projet des élèves de tous niveaux, tout instrument confondu, afin de partager une émulation commune. Pour des jeunes musiciens, travailler sur le même projet que des « grands »élèves permet de les stimuler d’avantage, et inversement pour les « grands » élèves, les responsabilisant dans ce projet. L’élève a été acteur aussi bien dans la création musicale, que dans l’interprétation de celle-ci. Chacun a participé individuellement à l’élaboration du projet : il aurait certainement pris des directions et des couleurs différentes au sein d’un autre groupe ! Cette forme originale a permis de découvrir de nouvelles sensations d’écoute, mais également de jeu : le support n’est plus une partition, mais un poème. Un mot déclenche un geste musical, le rapport est tout autre avec son instrument. Le rapport avec l’oralité permet de développer l’anticipation. Les mots stimulent chez l’élève son imaginaire : l’élève invente, 10 crée, s’épanouie et joue ! Ce projet a su aborder le travail du compositeur : les paramètres du son, les contrastes, le mouvement, la recherche thématique et motivique, l’expression ... La poésie de Prévert a suscité l’imaginaire de chaque participant. L’exploration de nouveaux modes de jeux développe chez le musicien un tout autre rapport avec son instrument. Il développe ainsi de nouveaux gestes, libéré de la « bonne posture » souvent imposé par le professeur et source parfois de raideur. L’aspect ludique de cette recherche développe chez l’enfant sa créativité, s’essayant à des expériences sonores souvent pertinente. La mise en situation devant un public permet de découvrir le travail de la scène et l’implication que cela apporte. La stimulation provoquée par la préparation de la réalisation publique est source de motivation pour les élèves. L’implication individuelle est mise en avant. L’engagement scénique implique une grande concentration, et une envie de bien faire. Jouer devant sa famille et ses amis permet également de développer la confiance en soi, et le plaisir de partager. b) Bilan La réalisation publique a témoigné d’un beau travail effectué sur ces quelques séances. L’investissement et la motivation de chacun a permis la finalisation de ce projet. L’enthousiasme du public suite à la « Balade » proposée a été très explicite. Les élèves ont montré leurs talents de créateurs jusqu’au bout, proposant même la veille de la réalisation d’intégrer une petite copine peintre pour dessiner le « Portait d’un oiseau », impliquant les parents dans la recherche coûte que coûte d’un chevalet et d’une toile blanche ! Les retours des spectateurs, découvrant ce projet, ont témoigné d’une belle découverte. Impressionnés par la capacité créatrice de leurs enfants .La classe d’improvisation, curieuse de voir ce projet, est ressortie pleine d’idées. A travers ce projet, j’ai su m’intégrer au sein d’un conservatoire, rencontrer l’équipe pédagogique et proposer un projet. J’ai réalisé l’importance de la communication, du dialogue et de la rencontre. 11 L’investissement des élèves, leur énergie, et leur volonté m’ont beaucoup apporté, me confortant dans le choix du support. Tout au long du projet, ils ont pu enrichir leurs acquis et leurs expériences par une approche inhabituelle de la musique, ludique et constructive. Le quatuor formé pour ce projet a continué sa route, et le quatuor Barbara écrit à l’occasion a été interprété en Mars dernier lors de la venue de Jean-Claude Casadesus au conservatoire. Je réalise enfin l’importance d’élaborer de tels projets au sein d’un établissement, source de rencontre et de partage aussi bien auprès des élèves que de l’équipe enseignante. 12 Annexe Affiche du spectacle 13 Chanson de la Seine, Jacques Prévert (Spectacles) La Seine a de la chance Elle n’a pas de soucis Elle se la coule douce Le jour comme la nuit Et elle sort de sa source Tout doucement sans bruit Et sans se faire de mousse Sans sorti de son lit Elle s’en va vers la mer En passant par Paris La Seine a de la chance Elle n’a pas de soucis Et quand elle se promène Tout le long de ses quais Avec sa belle robe verte Et ses lumières dorées Notre-Dame jalouse Immobile et sévère Du haut de toutes ses pierres La regarde de travers Mais la Seine s’en balance Elle n’a pas de soucis Elle se la coule douce Le jour comme la nuit Et s’en va vers le Havre Et s’en va vers la mer En passant comme un rêve Au milieu des mystères Des misères de Paris. 14 N’oublie pas Cette pluie sage et heureuse Sur ton visage heureux Sur cette ville heureuse Cette pluie sur la mer Sur l’arsenal Sur le bateau d’Ouessant Oh Barbara Quelle connerie la guerre Qu’es-tu devenue maintenant Sous cette pluie de fer De feu d’acier de sang Et celui qui te serrait dans ses bras Amoureusement Est-il mort disparu ou encore vivant Oh Barbara Il pleut sans cesse sur Brest Comme il pleuvait avant Mais ce n’est plus pareil et tout est abîmé C’est une pluie de deuil, terrible et désolée Ce n’est même plus l’orage De fer d’acier et de sang Tout simplement des nuages Qui crèvent comme des chiens Des chiens qui disparaissent Au fil de l’eau sur Brest Et vont pourrir au loin Au loin, très loin de Brest Dont il ne reste rien. Barbara, Jacques Prévert (Paroles) Rappelle-toi Barbara Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là Et tu marchais souriante Épanouie, ravie, ruisselante Sous la pluie Rappelle-toi Barbara Il pleuvait sans cesse sur Brest Et je t’ai croisé rue de Siam Tu souriais Et moi je souriais de même Rappelle-toi Barbara Toi que je ne connaissais pas Toi qui ne me connaissais pas Rappelle-toi Rappelle-toi quand même ce jour-là N’oublie pas Un homme sous un porche s’abritait Et il a crié ton nom Barbara Et tu as couru vers lui sous la pluie Ruisselante, ravie, épanouie Et tu t’es jetée dans ses bras Rappelle-toi cela Barbara Et ne m’en veux pas si je te tutoie Je dis tu à tous ceux que j’aime Même si je ne les ai vu qu’une seule fois Je dis tu à tous ceux qui s’aiment Même si je ne les connais pas Rappelle-toi Barbara 15 Faire ensuite le portrait de l’arbre en choisissant la plus belle de ses branches pour l’oiseau peindre aussi le vert feuillage et la fraîcheur du vent la poussière du soleil et le bruit des bêtes de l’herbe dans la chaleur de l’été et puis attendre que l’oiseau se décide à chanter Si l’oiseau ne chante pas c’est mauvais signe signe que le tableau est mauvais mais s’il chante c’est bon signe signe que vous pouvez signer Alors vous arrachez tout doucement une des plumes de l’oiseau et vous écrivez votre nom dans un coin du tableau. Pour faire le portrait d’un oiseau, Jacques Prévert (Paroles) Peindre d’abord une cage avec une porte ouverte peindre ensuite quelque chose de joli quelque chose de simple quelque chose de beau quelque chose d’utile pour l’oiseau placer ensuite la toile contre un arbre dans un jardin dans un bois ou dans une forêt se cacher derrière l’arbre sans rien dire sans bouger … Parfois l’oiseau arrive vite mais il peut aussi bien mettre de longues années avant de se décider Ne pas se décourager attendre attendre s’il le faut pendant des années la vitesse ou la lenteur de l’arrivée de l’oiseau n’ayant aucun rapport avec la réussite du tableau Quand l’oiseau arrive s’il arrive observer le plus profond silence attendre que l’oiseau entre dans la cage et quand il est entré fermer doucement la porte avec le pinceau puis effacer un à un tous les barreaux en ayant soin de ne toucher aucune des plumes de l’oiseau 16 Les oiseaux du souci, Jacques Prévert (paroles) Pluie de plumes plumes de pluie Celle qui vous aimait n’est plus Que me voulez-vous oiseaux Plumes de pluie pluie de plumes Depuis que tu n’es plus je ne sais plus Je ne sais plus où j’en suis Pluie de plumes plumes de pluie Je ne sais plus que faire Suaire de pluie pluie de suie Est-ce possible que jamais plus Plumes de suie… Allez ouste dehors hirondelles Quittez vos nids… Hein? Quoi? Ce n’est pas la saison des voyages?… Je m’en moque sortez de cette chambre hirondelles du matin Hirondelles du soir partez… Où? Hein? Alors restez c’est moi qui m’en irai… Plumes de suie suie de plumes je m’en irai nulle part et puis un peu partout Restez ici oiseaux du désespoir Restez ici… Faites comme chez vous. 17 Un beau matin, Jacques Prévert (Histoires et d’autres histoires) Il n’avait peur de personne Il n’avait peur de rien Mais un matin un beau matin Il croit voir quelque chose Mais il dit Ce n’est rien Et il avait raison Avec sa raison sans nul doute Ce n’était rien Mais le matin ce même matin Il croit entendre quelqu’un Et il ouvrit la porte Et il la referma en disant Personne Et il avait raison Avec sa raison sans nul doute Il n’y avait personne Mais soudain il eut peur Et il comprit qu’il était seul Mais qu’il n’était pas tout seul Et c’est alors qu’il vit Rien en personne devant lui. 18 Cela n’a pas d’importance n’est-ce pas et puis peut être que ça lui plaît à ce paysage-là La plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu’elle a La plus belle fille du monde je la place aussi dans ce paysage-là et elle s’y trouve bien elle l’aime bien Alors il lui fait de l’ombre et puis du soleil dans la mesure de ses moyens et elle reste là et moi aussi je reste là près de cette fille-là A côté de nous il y a un chien avec un chat et puis un cheval et puis un ours brun avec un tambourin et plusieurs animaux très simples dont j’ai oublié le nom Il y a aussi la fête des guirlandes des lumières des lampions et l’ours brun tape sur son tambourin et tout le monde dans une danse tout le monde chante une chanson. La Couleur locale, Jacques Prévert (Spectacle) Comme il est beau ce petit paysage Ces deux rochers ces quelques arbres et puis l’eau et puis le rivage comme il est beau Très peu de bruit un peu de vent et beaucoup d’eau C’est un petit paysage de Bretagne il peut tenir dans le creux de la main quand on le regarde de loin Mais si on s’avance on ne voit plus rien on se cogne sur un rocher ou sur un arbre on se fait mal c’est malheureux Il y a des choses qu’on peut toucher de près d’autres qu’il vaut mieux regarder d’assez loin mais c’est bien joli tout de même Et puis avec ça le rouge des roses rouges et le bleu des bluets le jaune des soucis le gris des petits gris toute cette humide et tendre petite sorcellerie et le rire éclatant de l’oiseau paradis et ces chinois si gais si tristes et si gentils… Bien sûr c’est un paysage de Bretagne un paysage sans roses roses sans roses rouges un paysage gris sans petit gris un paysage sans chinois sans oiseau paradis Mais il me plaît ce paysage-là et je peux bien lui faire cadeau de tout cela 19 20