Réalisation Artistique avec des Elèves « Balade avec Prévert »

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Réalisation Artistique avec des Elèves « Balade avec Prévert »
Réalisation Artistique avec des Elèves
« Balade avec Prévert »
Eléonore GUILLAUME
Formation Initiale
Diplôme d’Etat
Promotion 2010/2012
Professeur de musique
Spécialité : piano
1
Création musicale autour de textes de Jacques Prévert
Introduction ..................................................................................................................... 3
I/ Elaboration du projet...................................................................................4
a) Pourquoi Prévert ?..........................................................................................4
b) Objectifs pédagogiques...................................................................................5
II/ Réalisation...................................................................................................5
a) Mise en place du dispositif...............................................................................5
b) Moyens mis en œuvre.......................................................................................6
III/ Bénéfices d’un tel projet...........................................................................10
a) Quels apports ?................................................................................................10
b) Bilan..................................................................................................................11
Annexe ...............................................................................................................................13
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
Introduction :
Depuis quelques années, je travaille activement auprès de compagnies de théâtre (Cie
Théâtre du Tricorne/ Cie La Voix de l’Ourse/ Cie Les Inventés), pour lesquelles j’écris,
j’arrange et j’interprète les musiques originales. (La Cantatrice Chauve, de Ionesco (2006),
Le Grand Orchestre du Tricorne gueule Rictus d’après des poèmes de Jehan Rictus (2009)
pour le Théâtre du Tricorne, L’Heure est mûre, d’après des poèmes d’Olivier Campos (2010)
pour la Voix de L’Ourse et La Dame au violoncelle, de Guy Foissy (2012) pour Les
Inventés.) A travers ces rencontres riches et variées, je découvre à chaque réalisation de
nouvelles dimensions tant humaines qu’artistiques. Chaque rencontre apporte de nouvelles
sensibilités, de nouveaux outils, de nouvelles palettes expressives. Le travail en équipe auprès
de comédiens, de metteur en scène, de techniciens du spectacle permet de s’enrichir, chacun
apportant son bagage artistique, sa sensibilité, son regard, son rapport à la scène, son rapport
au texte et son expressivité.
Dans le cadre de l’élaboration d’un projet avec des élèves, j’ai souhaité faire partager ces
expériences transversales auprès d’élèves musiciens et comédiens, à travers le développement
de la créativité individuelle de chacun : en peu de temps, leur faire découvrir le travail de
création, à travers des outils simples et à portée de tous. J’ai ainsi choisi de travailler autour de
poèmes de Jacques Prévert. C’est à travers un ensemble de textes choisis que j’ai construit ce
projet, chaque poème invitant l’auditeur à un voyage : dans le monde poétique de Jacques
Prévert, réalité, rêve et irréalité coexistent harmonieusement.
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I/ Présentation du projet
a) Pourquoi Prévert ?
Très descriptive, la poésie de Prévert est combinée de mots du quotidien, simples, proche
du langage parlé. Il ne triture pas la phrase ou la grammaire: il écrit comme il parle et c'est
pourquoi ses histoires sont si belles et vraies .La poésie de Prévert a pour but, essentiellement,
d’exprimer ce qu’il ressent. Il décrit le monde qu’il perçoit... Prévert n’utilise pas un langage
poétique mais se sert du parler populaire auquel il attribue une valeur poétique. Pour cela, il
l’accommode à sa manière et lui communique un renouveau de jeunesse et de vigueur en
changeant le sens des mots en les disposant selon sa fantaisie. Il transforme ainsi le langage en
poésie. L’intérêt pour la poésie de Prévert ne réside pas tant dans son contenu mais dans
l’originalité de son expression. Afin de conserver une allure naturelle à la langue populaire
devenue alors poétique, le poète accumule les répétitions qui donnent à l’expression la
démarche hésitante et désordonnée de l’improvisation. L’absence de ponctuation accentue à
cette impression.
La musicalité de ces poèmes et l’ouverture vers l’imaginaire qui découle de ses écrits
m’ont confortée dans mon choix. Chacun de nous connaît Prévert, et l’occasion de
redécouvrir plus en profondeur ce poète m’a fortement intéressée.
A partir de ses différents recueils, j’ai moi-même fait le choix des textes de ¨Prévert,
différent pour les deux groupes. Les textes sont tirés de Spectacle (1951), Paroles (1949), et
Histoires et d’autres histoires (1963).
Pour le premier groupe, les textes étaient les suivants : Chanson de la Seine (Spectacle),
Pour faire le portrait d’un oiseau (Paroles) et Chanson des escargots qui vont à l’enterrement
(Paroles).
Pour le second groupe : Un beau matin (Histoires et d’autres histoires), Les oiseaux du
souci (Paroles), Barbara (Paroles) et La Couleur locale (Spectacle).
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b) Objectifs pédagogiques

Interaction entre des classes de musique et des classes de théâtre : initiation à la
transversalité.

Interaction de différentes classes et de différents cycles au sein d’un même projet.

Travail collectif : apprendre à s’écouter, à réagir, à être force de proposition, à
s’exprimer.

Participation active de chacun au sein de la création, dans l’élaboration de ce projet :
épanouissement individuel au sein du projet.

Approche/découverte de la relation texte/musique.

Découverte de modes de jeux contemporains, exploration sonore de son instrument.

Développement de l’imaginaire sonore et poétique de chacun.

Présentation publique du travail réalisé, enjeux, préparation et découverte de la
scène.
II/ Réalisation
a) Mise en place du dispositif :
Ce projet s’est réalisé au conservatoire de Rambouillet (78), entre Octobre 2011 et Janvier
2012.
Deux groupes se sont constitués à ma demande : pour le premier d’un ensemble de
musiciens de Cycle 1 : par soucis d’organisation, j’avais moi-même fait la demande d’un
ensemble instrumental bien précis : Deux pianistes (seulement une pianiste a finalement
participé au projet), un violoncelliste (deux violoncellistes ont participé au projet), une
flûtiste, un clarinettiste, une altiste et un violoniste (qui a finalement abandonné le projet en
cours de route, pour des raisons de disponibilités.). Ce premier groupe était donc constitué de
six musiciens volontaires, tous en début ou en milieu de cycle 1. Seule la pianiste était en
début de cycle 2.
Le deuxième groupe était constitué d’un quatuor à cordes. Chaque musicienne était en
cycle 3, lycéenne ou étudiante.
5
La classe de théâtre du conservatoire de Rambouillet n’étant pas très fournie, seulement
deux comédiens participèrent au projet : une jeune de 12 ans avec le premier groupe, et un
adulte avec le second.

Planification des séances : 6 séances de travail et de recherche, espacées d’une
semaine chacune, plus une générale, puis la réalisation publique. Les séances du
premier groupe était d’une heure, les séances avec le quatuor, à l’origine d’1h15
dépassaient plutôt jusqu’à 1h30/1h45 !
Les comédiens ont intégrés les séances de recherche à partir de la troisième.
Afin d’amorcer le travail avec les groupes, j’ai moi-même composé pour chacun la musique
de deux poèmes : Chanson de la Seine pour le premier groupe et Barbara pour le quatuor.
b) Moyens mis en œuvre

L’improvisation
Le travail à partir de l’improvisation est un formidable outil, permettant de découvrir
de nouvelles palettes expressives. Improviser implique un engagement corporel qui vient
souvent plus naturellement que lorsqu’on lit une partition. La création de sons insolites
nécessite parfois de prendre son instrument dans tous les sens, ce qui peut libérer les élèves de
la peur d’une « mauvaise » posture, et leur faire acquérir une attitude beaucoup plus souple et
moins figée. L’atelier de création s’est tourné vers cet outil afin de développer chez les élèves
leur créativité, en développant chez eux de nouvelles aptitudes.
Les exercices éprouvés lors des séances au Cefedem animés par la contrebassiste
Hélène Labarrière ont pu m’apporter les outils nécessaires auprès des élèves musiciens.

Réalisation
Chaque poème a nécessité un travail de recherche différent. Pour le premier groupe, nous
avons dû abandonner, faute de temps, le travail de création pour le texte Chanson des
escargots qui vont à l’enterrement. Pour le second groupe, le texte La Couleur locale n’a pas
été traité musicalement, mais uniquement interprété par le comédien seul en scène en guise
d’ouverture lors de la réalisation publique.
6

Premier atelier :
-
Pour faire le portrait d’un oiseau : (annexe page 16) La création musicale autour
de ce texte s’est réalisée sur la forme d’une construction d’un tableau musical. A
partir d’un travail linéaire autour du texte, les musiciens se sont inspirés des mots
et des univers peints par le poème. Comment différencier musicalement un jardin,
un bois, une forêt ? Comment illustrer de manière poétique et musicale un texte
littéraire ?
De cette recherche textuelle s’est construit un travail sur les contrastes :
solo/tutti, bois/vents/piano, mais également une recherche motivique, rythmé par
une recherche de couleur sonore. La résonance proposée par le piano a été une
piste de travail. Utilisation de mode de jeux contemporains : dans les cordes du
piano, col legno cordes, bruits de clef flûte /clarinette. Recherche sonore sur
l’illustration des mots .Le travail avec la comédienne s’est fait dans deux
directions : être à l’écoute et
s’imprégner des couleurs proposées par les
musiciens ; pour les musiciens : l’anticipation et le rapport au par cœur. Les mots
du poème sont les éléments déclencheurs : il faut donc être très à l’écoute, et
connaître son rôle ! Nous avons intégré à ce poème un jeu de scène, qui consistait
à mimer certains passages en jouant. L’interaction était très forte entre le texte et la
musique, chacun devant s’adapter aux propositions des autres.
-
Chanson de la Seine : (annexe page 14) La musique écrite pour ce texte était
répétitive, construite à partir d’ostinatos qui se chevauchaient. Le figuralisme
musical des croches continues au piano évoquait le flux de la Seine. Ces éléments
musicaux étaient construits en parallèle avec le poème : chaque nouveau vers
venait s’ajouter au flux musical existant. Les musiciens avaient donc la
responsabilité d’un ostinato, et d’un vers ! Les musiciens devenaient ainsi euxmêmes comédiens ! Ils découvraient de cette façon le travail de l’acteur :
apprendre un texte, se faire comprendre à travers le travail de l’articulation, porter
sa voix, s’exprimer ... Tout en s’insérant dans la ligne musicale ! Il fallait donc
tendre l’oreille pour écouter le flux musical, puis une fois le vers déclamé,
reprendre sa place dans l’orchestre !
7

Second atelier :
-
Un beau Matin : (annexe page 18). A partir de l’analyse littéraire du texte s’est
construite la recherche musicale : (forme, champ lexical). Nous avons travaillé
autour de jeux d’improvisation par binôme, puis autour d’improvisation collective.
Ces exercices ont permis de rechercher des modes de jeux, de couleur. Voici une
petite liste des modes de jeux utilisés par le quatuor, permettant de créer divers
effets sonores :
Sul ponticello : son grinçant près du chevalet
Sul tasto : son feutré sur la touche
Glissendo : son glissé
Pizz bartok : corde pincée claquant la touche
Col legno : son avec le bois de l’archet
Percussions sur la table de l’instrument
Le travail de création s’est ensuite tourné vers les jeux avec les mots et le nonsens. L’absurde était une direction : le quatuor a joué avec le contraire, pour
provoquer l’auditeur. Par exemple, « quelque chose » traduit par du silence. La
tension du texte, l’angoisse du personnage se sont illustrés par des montées en
crescendi en tremolo des 4 instruments du quatuor. La dramaturgie du poème a
aidé dans la recherche de paliers expressifs, travaillant sur les nuances, la tension,
les conduites de phrases... Pour le comédien, le travail a été d’apprendre à être à
l’écoute des éléments musicaux déclencheurs, et réciproquement pour les
musiciennes. Là encore, l’interaction entre le comédien et les musiciennes était
très forte. La scénographie s’est construite peu à peu : pour ce texte, le comédien
était placé au sein du quatuor, assis en arc, rassemblant le poème et la musique.
L’essai de mise en mouvement du quatuor n’a pas été évident, la peur du regard
des autres prenant le dessus au début. Les éclats de rire étaient au rendez-vous ! Le
travail sur la mise en scène a permis de développer chez elles une grande
observation de l’autre, et de prendre conscience du moindre geste réalisé.
8
-
Les oiseaux du souci : (annexe page 17) A l’inverse du texte précédent, la
construction musicale s’est faite plus librement par rapport au texte. L’écriture de
cette musique était une forme ouverte, proposant une interprétation nouvelle à
chaque exécution. Le comédien laissait alors ses mots se faufiler à travers le flot de
la musique, très continue, sans impact. Le quatuor a ainsi développé l’homogénéité
du son, la justesse, et l’écoute du groupe.
-
Barbara : (annexe page 15) Ce poème est un texte de circonstances qui se réfère
aux 165 bombardements de la ville de Brest entre le 19 juin 1940 et le 18
septembre 1944. La destruction complète de la ville inspire une réflexion
pessimiste sur l’amour et la vie. La nostalgie du bonheur passé est une résurgence
des souvenirs .Dans ce poème, l'amour a la capacité d'engendrer autour de lui un
environnement positif. Le paysage devient le miroir du bonheur mais aussi du
malheur. Ce poème a des apparences de la facilité d’une chanson populaire. En
réalité, il dénote une sensibilité à vif, un jeu subtil sur le pathétique. Le poète
atteint son objectif avec fort peu de moyens puisque le poète n’a recours qu’à une
seule image : la pluie. C’est ainsi qu’il parvient à dénoncer avec force les horreurs
de la guerre.
Pour garder toute l’émotion du poème, la musique répond à la fin du texte, comme
la résonance du poème.
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III/ Les bénéfices d’un tel projet
a) Quels apports ?
L’occasion était pour moi de travailler autour de la rencontre de deux univers, le
théâtre et la musique, chacun pouvant apprécier et découvrir un monde pourtant si proche. Le
travail autour d’un même support, les textes de Prévert, ont été le lien entre ces deux
disciplines, chacun se l’appropriant à sa manière.
De plus, ce projet a permis à des élèves de cycle 1 de découvrir la musique d’ensemble, et
ce dès les toutes premières années d’instruments. Je pense en particulier aux pianistes, qui
n’ont pas si souvent l’occasion de jouer avec d’autres instrumentistes. Ces formes d’ateliers
sont l’occasion de croiser différents instruments, à travers de nouvelles formes
d’apprentissage.
Les ateliers organisés autour de ce projet ont été l’occasion de réunir différents élèves
instrumentistes, et de découvrir le travail et le jeu collectif : à partir des textes, réunir les
sensibilités de chacun afin d’élaborer la création musicale inspirée par le poème. Cette
dimension implique de la part de chacun des règles de vie, notamment à travers l’écoute et le
respect de l’autre, mais également apprendre à s’exprimer, à être force de proposition, à
s’adapter aux choix des autres, à s’organiser et planifier le contenu des séances. L’autonomie
accordée aux élèves lors des séances est source d’investissement du groupe.
J’ai souhaité réunir à travers ce projet des élèves de tous niveaux, tout instrument
confondu, afin de partager une émulation commune. Pour des jeunes musiciens, travailler sur
le même projet que des « grands »élèves permet de les stimuler d’avantage, et inversement
pour les « grands » élèves, les responsabilisant dans ce projet.
L’élève a été acteur aussi bien dans la création musicale, que dans l’interprétation de
celle-ci. Chacun a participé individuellement à l’élaboration du projet : il aurait certainement
pris des directions et des couleurs différentes au sein d’un autre groupe !
Cette forme originale a permis de découvrir de nouvelles sensations d’écoute, mais
également de jeu : le support n’est plus une partition, mais un poème. Un mot déclenche un
geste musical, le rapport est tout autre avec son instrument. Le rapport avec l’oralité permet
de développer l’anticipation. Les mots stimulent chez l’élève son imaginaire : l’élève invente,
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crée, s’épanouie et joue ! Ce projet a su aborder le travail du compositeur : les paramètres du
son, les contrastes, le mouvement, la recherche thématique et motivique, l’expression ... La
poésie de Prévert a suscité l’imaginaire de chaque participant.
L’exploration de nouveaux modes de jeux développe chez le musicien un tout autre
rapport avec son instrument. Il développe ainsi de nouveaux gestes, libéré de la « bonne
posture » souvent imposé par le professeur et source parfois de raideur. L’aspect ludique de
cette recherche développe chez l’enfant sa créativité, s’essayant à des expériences sonores
souvent pertinente.
La mise en situation devant un public permet de découvrir le travail de la scène et
l’implication que cela apporte. La stimulation provoquée par la préparation de la réalisation
publique est source de motivation pour les élèves. L’implication individuelle est mise en
avant. L’engagement scénique implique une grande concentration, et une envie de bien faire.
Jouer devant sa famille et ses amis permet également de développer la confiance en soi, et le
plaisir de partager.
b) Bilan
La réalisation publique a témoigné d’un beau travail effectué sur ces quelques séances.
L’investissement
et la motivation de chacun a permis la finalisation de ce projet.
L’enthousiasme du public suite à la « Balade » proposée a été très explicite. Les élèves ont
montré leurs talents de créateurs jusqu’au bout, proposant même la veille de la réalisation
d’intégrer une petite copine peintre pour dessiner le « Portait d’un oiseau », impliquant les
parents dans la recherche coûte que coûte d’un chevalet et d’une toile blanche ! Les retours
des spectateurs, découvrant ce projet, ont témoigné d’une belle découverte. Impressionnés par
la capacité créatrice de leurs enfants .La classe d’improvisation, curieuse de voir ce projet, est
ressortie pleine d’idées.
A travers ce projet, j’ai su m’intégrer au sein d’un conservatoire, rencontrer l’équipe
pédagogique et proposer un projet. J’ai réalisé l’importance de la communication, du dialogue
et de la rencontre.
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L’investissement des élèves, leur énergie, et leur volonté m’ont beaucoup apporté, me
confortant dans le choix du support. Tout au long du projet, ils ont pu enrichir leurs acquis et
leurs expériences par une approche inhabituelle de la musique, ludique et constructive.
Le quatuor formé pour ce projet a continué sa route, et le quatuor Barbara écrit à
l’occasion a été interprété en Mars dernier lors de la venue de Jean-Claude Casadesus au
conservatoire.
Je réalise enfin l’importance d’élaborer de tels projets au sein d’un établissement,
source de rencontre et de partage aussi bien auprès des élèves que de l’équipe enseignante.
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Annexe
Affiche du spectacle
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Chanson de la Seine, Jacques Prévert (Spectacles)
La Seine a de la chance
Elle n’a pas de soucis
Elle se la coule douce
Le jour comme la nuit
Et elle sort de sa source
Tout doucement sans bruit
Et sans se faire de mousse
Sans sorti de son lit
Elle s’en va vers la mer
En passant par Paris
La Seine a de la chance
Elle n’a pas de soucis
Et quand elle se promène
Tout le long de ses quais
Avec sa belle robe verte
Et ses lumières dorées
Notre-Dame jalouse
Immobile et sévère
Du haut de toutes ses pierres
La regarde de travers
Mais la Seine s’en balance
Elle n’a pas de soucis
Elle se la coule douce
Le jour comme la nuit
Et s’en va vers le Havre
Et s’en va vers la mer
En passant comme un rêve
Au milieu des mystères
Des misères de Paris.
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N’oublie pas
Cette pluie sage et heureuse
Sur ton visage heureux
Sur cette ville heureuse
Cette pluie sur la mer
Sur l’arsenal
Sur le bateau d’Ouessant
Oh Barbara
Quelle connerie la guerre
Qu’es-tu devenue maintenant
Sous cette pluie de fer
De feu d’acier de sang
Et celui qui te serrait dans ses bras
Amoureusement
Est-il mort disparu ou encore vivant
Oh Barbara
Il pleut sans cesse sur Brest
Comme il pleuvait avant
Mais ce n’est plus pareil et tout est abîmé
C’est une pluie de deuil, terrible et désolée
Ce n’est même plus l’orage
De fer d’acier et de sang
Tout simplement des nuages
Qui crèvent comme des chiens
Des chiens qui disparaissent
Au fil de l’eau sur Brest
Et vont pourrir au loin
Au loin, très loin de Brest
Dont il ne reste rien.
Barbara, Jacques Prévert (Paroles)
Rappelle-toi Barbara
Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là
Et tu marchais souriante
Épanouie, ravie, ruisselante
Sous la pluie
Rappelle-toi Barbara
Il pleuvait sans cesse sur Brest
Et je t’ai croisé rue de Siam
Tu souriais
Et moi je souriais de même
Rappelle-toi Barbara
Toi que je ne connaissais pas
Toi qui ne me connaissais pas
Rappelle-toi
Rappelle-toi quand même ce jour-là
N’oublie pas
Un homme sous un porche s’abritait
Et il a crié ton nom
Barbara
Et tu as couru vers lui sous la pluie
Ruisselante, ravie, épanouie
Et tu t’es jetée dans ses bras
Rappelle-toi cela Barbara
Et ne m’en veux pas si je te tutoie
Je dis tu à tous ceux que j’aime
Même si je ne les ai vu qu’une seule fois
Je dis tu à tous ceux qui s’aiment
Même si je ne les connais pas
Rappelle-toi Barbara
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Faire ensuite le portrait de l’arbre
en choisissant la plus belle de ses branches
pour l’oiseau
peindre aussi le vert feuillage et la
fraîcheur du vent
la poussière du soleil
et le bruit des bêtes de l’herbe dans la
chaleur de l’été
et puis attendre que l’oiseau se décide à
chanter
Si l’oiseau ne chante pas
c’est mauvais signe
signe que le tableau est mauvais
mais s’il chante c’est bon signe
signe que vous pouvez signer
Alors vous arrachez tout doucement
une des plumes de l’oiseau
et vous écrivez votre nom dans un coin du
tableau.
Pour faire le portrait d’un oiseau,
Jacques Prévert (Paroles)
Peindre d’abord une cage
avec une porte ouverte
peindre ensuite
quelque chose de joli
quelque chose de simple
quelque chose de beau
quelque chose d’utile
pour l’oiseau
placer ensuite la toile contre un arbre
dans un jardin
dans un bois
ou dans une forêt
se cacher derrière l’arbre
sans rien dire
sans bouger …
Parfois l’oiseau arrive vite
mais il peut aussi bien mettre de longues
années
avant de se décider
Ne pas se décourager
attendre
attendre s’il le faut pendant des années
la vitesse ou la lenteur de l’arrivée de
l’oiseau
n’ayant aucun rapport
avec la réussite du tableau
Quand l’oiseau arrive
s’il arrive
observer le plus profond silence
attendre que l’oiseau entre dans la cage
et quand il est entré
fermer doucement la porte avec le pinceau
puis
effacer un à un tous les barreaux
en ayant soin de ne toucher aucune des
plumes de l’oiseau
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Les oiseaux du souci, Jacques Prévert (paroles)
Pluie de plumes plumes de pluie
Celle qui vous aimait n’est plus
Que me voulez-vous oiseaux
Plumes de pluie pluie de plumes
Depuis que tu n’es plus je ne sais plus
Je ne sais plus où j’en suis
Pluie de plumes plumes de pluie
Je ne sais plus que faire
Suaire de pluie pluie de suie
Est-ce possible que jamais plus
Plumes de suie… Allez ouste dehors hirondelles
Quittez vos nids… Hein? Quoi? Ce n’est pas la saison
des voyages?…
Je m’en moque sortez de cette chambre hirondelles du
matin
Hirondelles du soir partez… Où? Hein? Alors restez
c’est moi qui m’en irai…
Plumes de suie suie de plumes je m’en irai nulle part
et puis un peu partout
Restez ici oiseaux du désespoir
Restez ici… Faites comme chez vous.
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Un beau matin, Jacques Prévert (Histoires et d’autres histoires)
Il n’avait peur de personne
Il n’avait peur de rien
Mais un matin un beau matin
Il croit voir quelque chose
Mais il dit Ce n’est rien
Et il avait raison
Avec sa raison sans nul doute
Ce n’était rien
Mais le matin ce même matin
Il croit entendre quelqu’un
Et il ouvrit la porte
Et il la referma en disant Personne
Et il avait raison
Avec sa raison sans nul doute
Il n’y avait personne
Mais soudain il eut peur
Et il comprit qu’il était seul
Mais qu’il n’était pas tout seul
Et c’est alors qu’il vit
Rien en personne devant lui.
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Cela n’a pas d’importance n’est-ce pas
et puis peut être que ça lui plaît
à ce paysage-là
La plus belle fille du monde
ne peut donner que ce qu’elle a
La plus belle fille du monde
je la place aussi dans ce paysage-là
et elle s’y trouve bien
elle l’aime bien
Alors il lui fait de l’ombre
et puis du soleil
dans la mesure de ses moyens
et elle reste là
et moi aussi je reste là
près de cette fille-là
A côté de nous il y a un chien avec un chat
et puis un cheval
et puis un ours brun avec un tambourin
et plusieurs animaux très simples dont j’ai
oublié le nom
Il y a aussi la fête
des guirlandes des lumières des lampions
et l’ours brun tape sur son tambourin
et tout le monde dans une danse
tout le monde chante une chanson.
La Couleur locale, Jacques Prévert
(Spectacle)
Comme il est beau ce petit paysage
Ces deux rochers ces quelques arbres
et puis l’eau et puis le rivage
comme il est beau
Très peu de bruit un peu de vent
et beaucoup d’eau
C’est un petit paysage de Bretagne
il peut tenir dans le creux de la main
quand on le regarde de loin
Mais si on s’avance
on ne voit plus rien
on se cogne sur un rocher
ou sur un arbre
on se fait mal c’est malheureux
Il y a des choses qu’on peut toucher de
près
d’autres qu’il vaut mieux regarder d’assez
loin
mais c’est bien joli tout de même
Et puis avec ça
le rouge des roses rouges et le bleu des
bluets
le jaune des soucis le gris des petits gris
toute cette humide et tendre petite
sorcellerie
et le rire éclatant de l’oiseau paradis
et ces chinois si gais si tristes et si
gentils…
Bien sûr
c’est un paysage de Bretagne
un paysage sans roses roses
sans roses rouges
un paysage gris sans petit gris
un paysage sans chinois sans oiseau
paradis
Mais il me plaît ce paysage-là
et je peux bien lui faire cadeau de tout cela
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